Fiche Documentaire n° 4063

Titre De l'empowerment aux empowerments
Statut du savoir et théories de l'apprentissage

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Auteur(s) PAULAY SOPHIE  
     
Thème Penser autrement la formation en travail social  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

De l'empowerment aux empowerments
Statut du savoir et théories de l'apprentissage

La notion d’empowerment est le plus souvent utilisée sur un mode singulier, or les travaux de nombreux chercheurs (M-H Bacqué 2013, Y Le Bossé, 2003, S.Paulay, 2008) nous dévoilent que derrière cette illusoire unité, une diversité d’approches, de définitions, voir d’épistémès, induisant des ontologies différentes de l’homme, des conceptions distinctes de l’être, de sa santé et de la relation qu’il entretient avec son groupe d’appartenance, et même au-delà, de la relation que la société civile entretient avec l’Etat sont en jeu.
En effet, Ces différentes conceptions de l’empowerment ne pensent pas de la même manière, la place des acteurs sociaux dans leur rapport aux savoirs, et par la même la nature de la relation qui les unit, tant en terme d’accompagnement éducatif, que formatif. Elles n’impliquent pas le même rapport de pouvoir des acteurs les uns par rapport aux autres et implicitement pense le statut d’autorité du savoir des personnes à l’égard des professionnels qui les accompagnent ou les forment, de manière diverses. Ces différents modèles de pensée impliquent alors de penser la relation d’apprentissage autrement. Les dispositifs de formation en travail social, ainsi que les OPCA de ce fait se doivent de questionner la tension qui existe entre enseigner et former.

Bibliographie

Bacqué M-H, Biewener C., L’empowerment, une pratique émancipatrice, Politique et société, Paris : La, découverte, 2013, 175 pages.
Le Bossé Y., De l’ « habilitation » au « pouvoir d’agir » : vers une appréhension plus
circonscrite de la notion d’empowerment, Nouvelles pratiques sociales, Volume 16, Numéro
2, 2003, 30-51pp.

Paulay-Koçak Sophie., Enjeux de l’éducation en santé communautaire : des apories conceptuelles aux conflits de l’éducateur-facilitateur, le cas singulier de l’action avec des personnes consommant des substances psychoactives et personnes ayant des pratiques prostitutionnelles sur Marseille, Thèse es Sciences de l’Education, sous la direction de Eymard C., Université d’Aix-Marseille I, 2008.

Présentation des auteurs

Sophie Paulay, Formatrice en travail social en CAFRUIS et DEIS, IMF, Marseille.
Docteur Es Sciences de l’Education, Chargée de cours en Sciences de l’Education, Université Aix-Marseille I. Responsable d’unité d’enseignement en Encadrement sanitaire et sociale Master 2 Analyse des pratiques managériales et formatives et Licence, Relation éducative et santé.

Communication complète

Communiquer sur un sujet implique de resituer le contexte qui a permis l’élaboration de ce questionnement, mon exposé s’appuie sur la mise en tension entre des observations dans un cadre professionnel, une pratique en tant que travailleur social impliqué au début de la mise en place des actions dites de réduction des risques en secteur toxicomanie dans les années 90, une expérience en tant que formatrice à l’IMF sur Marseille d’abord en formation des éducateurs spécialisés puis actuellement avec les Master DEIS et un cadre de recherche en sciences de l’éducation donnant lieu à une thèse sur des actions dites de santé communautaire. C’est la tension de ces différentes expériences, de mes connaissances élaborées dans ces différents espaces, qui me permettent de vous proposer cette réflexion aujourd’hui.
Ces dix dernières années, l’intervention social a vu apparaitre des notions dites nouvelles pour désigner l’action sociale, le terme d’empowerment fait parti de ce nouveau vocabulaire pour désigner des processus souhaitant œuvrer à la transformation de l’action sociale. Comme tous termes désignés comme nouveau proposant une nouvelle approche potentiellement plus démocratique que les autres, il n’en demeurent pas moins qu’ils doivent être soumis à la critique. L’histoire nous enseigne qu’au nom de la démocratie, les pires régimes ont pu se mettre en place. Arendt (1971 ) relate comment, par la puissance des idées qu’elle développe, la démocratie peut aisément se muer en despotisme, en « sommeil de la servitude » : « les mouvements totalitaires usent et abusent des libertés démocratiques pour mieux les abolir » (Arendt H., 1971, p33). Montesquieu nous mettait déjà en garde (Baudart, 2005 ) : la démocratie est un «despotisme insidieux, par consentement, qui peut tuer peu à peu le goût pour la liberté » (Ibid., p 70). Ces auteurs soulignent combien le choix des termes pour désigner la nouveauté d’un phénomène dessine les traits « imaginés » et anticipés de leur représentation selon des points de vue toujours situés. Les dénominations choisies peuvent stigmatiser les dérives possibles d’une démocratie et engendrer de nouveaux types de sujétions qu’il convient impérativement d’identifier pour mieux se parer contre leurs emprises. D’où la nécessité de poser comme projet de connaissance la question de l’empowerment et de la participation.
Le travail social est souvent représenté dans l’imaginaire collectif sous une forme comment pourrait-on dire essentialiste, il serait par essence le lieu de l’aide, de la solidarité, de la bienveillance, ce qui construit cet espace social dans les fantasmes collectifs comme un lieu symbolique finalement assez homogène. D’ailleurs les termes employés par les acteurs eux-mêmes pour désigner leurs actions vont dans ce même sens, les termes sont souvent employés sur un mode singulier : le travail social, l’accompagnement, le projet, la participation, l’empowerment, et même en ce qui concerne la description des publics, le handicap, la toxicomanie, la prostitution, ce qui peut donner un sens finalement assez universaliste, voir transculturel aux questions et phénomènes qu’il désigne et traite.
Or le travail social comme les lieux qui l’enseigne, sont des espaces sociohistoriques situés construits par des groupes humains, et des individus, des espaces de travail individuel et collectif partageant des activités communes mais aussi et surtout des espaces de conflits, de controverses mobilisant des alliances, des désalliances, des compromis, produits d’agencement de structures, d’institutions et de groupes divers sur des territoires, nationaux voir mondiaux, mettant en relation divers groupes humains, qui illustrent la relation entre l’action publique et des initiatives privées, donc l’état et la société civile, voir les nations entre elles, lorsque par ex l’OMS, instance internationale définit la santé, cela oblige à questionner incontestablement le travail social comme un espace aux enjeux éminemment politiques.
La notion d’empowerment est le plus souvent utilisée sur un mode singulier, or les travaux de nombreux chercheurs (M-H Bacqué 2013, Y Le Bossé, 2003, S.Paulay, 2008) nous dévoilent que derrière cette illusoire unité, une diversité d’approches, de définitions, voir d’épistémès, induisant des ontologies différentes de l’homme, des conceptions distinctes de l’être, de sa santé et de la relation qu’il entretient avec son groupe d’appartenance, et même au-delà, de la relation que la société civile entretient avec l’Etat sont en jeu.
Je vous présenterai donc dans cette communication une réflexion sur ces différentes approches, en quoi elle peut alimenter un questionnement sur l’actualité du travail social et les implications que ces questionnements peuvent avoir sur l’acte éducatif et plus au sens large sur l’intervention sociale et des conceptions particulières de l’ingénierie.
La démarche épistémologique nous semble alors intéressante pour analyser l’activité professionnelle des travailleurs sociaux comme « le fait d’un sujet social, historique, culturellement situé » (Jorro A., 2007) mobilisant des manières d’agir et de penser son action lui préexistant, dont il n’a pas toujours conscience et qu’il nous semble nécessaire de replacer dans l’histoire des idées. En effet, une approche historique des idées peut aider à comprendre les différents modèles de pensée qui traversent parfois des termes usités sur un mode singulier, et participer à identifier les différents enjeux de l’intervention sociale.
Pour un praticien mettre en travail, les théories, notions, concepts qu’il mobilise pour justifier de sa pratique, participe donc à rendre explicite ces influences, à repérer les enjeux qu’elles impliquent, à mettre en discussion les finalités de l’action, en effet « il est souvent dangereux de négliger cet aspect et de généraliser sans précaution les apports d’un modèle hors de son champ de validité » (Ibid.) Certains modèles sont donc construits dans des configurations et contextes sociaux spécifiques et vont pourtant être généralisés et exportés sans un questionnement anthropologique, historique et épistémologique sur les dimensions contextuelles et culturelles de leur émergence et de leur diffusion. Nous voyons que la notion d’empowerment traverse le social parti de l’intervention sociale nord américaine canadiennes et aux Etats Unis et en Amérique du Sud, on la retrouve maintenant dans de nombreux secteurs, celui de l’accompagnement, mais aussi du management, voir des milieux financiers….
Cette notion dans le secteur social réunit donc plusieurs types d'acteurs (associations de santé communautaire, groupes d'auto-support, associations humanitaires, instances représentatives de l'état, associations médico-sociale) partageant cette même idée, qu’il faille impliquer les personnes dans les projets, la participation doit être favorisée, développée et permettre aux personnes de s’inscrire dans des actions coconstruites avec eux, la prise en compte des connaissances expérientielles, permettre le développement de leurs prises de décisions, la prise en compte des situations et des contextes constituant un certain nombre d’idées partagées mais « si les mots ont la même signification, pour chacun d’entre nous, ils n’ont pas pour autant le même sens : les mots font sens en contexte » (Fortin, Gelinas, Schoonbroodt, 1998, p2) .
Notre immersion dans le secteur médico-social nous ont permis de saisir de l’intérieur le bain de langage que les acteurs impliqués dans ce type d’actions mobilisent pour décrire leurs actions, « pour rendre compte de leur pratique, de leur savoir ou de leur expérience, les praticiens doivent recourir à des mots et des images » (Mbiatong J., 2013, p141). Or nos différentes recherche, nous a enseigné que derrière des termes identiques se cachaient des types de discours différents (officiel, promotionnel, un discours finalement contestataire). En effet, l’histoire sémantique des mots peut révéler parfois les différents enjeux qui ont traversé leurs utilisations, enjeux qui peuvent se réactiver au présent. D’où l’importance de se pencher sur les pratiques des acteurs, de repérer le rôle de ces différents groupes impliqués et de considérer le sens qu’ils donnent à ces actions.
Questionner l’agir professionnel en travail social
Faire œuvre philosophique, c’est d’abord reposer un certain nombre de questions, « de transformer le donné ou l’intitulé apparemment affirmatifs ou « dogmatiques » en interrogation et en question » (Russ J, 1992, p25). S’inscrire dans une démarche épistémologique pour penser le travail social ne vient pas seulement à poser la question de l’éthique pour le travail social, mais peut œuvrer à une fonction d’élucidation (Fabre M, 1999) du sens et des finalités de l’action. Cette fonction élucidatrice, en mettant en questionnement les théories élaborées dans le champ de l’action sociale (discours, pratiques, systèmes) à partir de leur sens philosophique, et par là-même des valeurs qu’elles attestent, promotionnent ou refusent, peut participer à identifier quelles figures de l’humanité ces réalités impliquent et souhaitent promouvoir. Mais ces figures restent parfois difficilement identifiables, elles n’apparaissent pas au premier regard, elles nécessitent un travail d’élaboration, d’interprétation du discours.
Si tous défendent des valeurs communes, possédaient-elles toutes une même conception ?
Sur le plan théorique, nous savons que l’éducation comme le travail social prennent ses sources dans de nombreuses disciplines (Ferron & Tessier, 2005 ) : « Il s’agit d’un carrefour, d’un « bricolage », où les dogmes s’entremêlent pour répondre aux objectifs des acteurs. Toute la difficulté consiste à rendre explicites les fondations épistémologiques, souvent implicites, de cette pratique aux origines multiples ». L’exploration des fondements théoriques des actions de l’intervention sociale, telles qu’évoquées par les acteurs permet de resituer ces actions comme une pratique sociale, elles-mêmes soumises à des enjeux idéologiques, politiques et institutionnels.
L’intervention sociale s’insère ainsi dans un réseau de représentations mentales, induites notamment par le choix des termes pour la désigner. Les théories et modèles mobilisés ne sont pas neutres, ils s’inscrivent dans des visions du monde, de la société, de l’homme et des relations qu’ils devraient avoir entre eux. Nous mettrons en exergue leur polysémie en références à plusieurs modèles et conceptions de l’empowerment, au croisement de tensions théoriques et pratiques de nature politique, pédagogique et sociale. Nous constatons notamment que l’éducation est souvent associée au principe d’émancipation dans ce cadre et plus largement, à la promotion de la démocratie.
Suffit-il de se référer à l’action éducative pour qu’elle soit uniquement émancipatrice ? tous se retrouvent autour de termes et d’idées de façon « consensuelle » sur le fait que l’empowerment doit permettre à des groupes de retrouver un pouvoir de décision et d’action ; la nécessité de leur participation à toutes les étapes de l’action et la croyance dans le fait que la modification des relations entre les professionnels de l’action sanitaire et sociale et les usagers. Pourtant mon travail de recueil lors de ma thèse, mais également les récits des étudiants en formation, le recueil de données qu’eux même ont peu faire notamment en DEIS où nous avons mis en place un module de professionnalisation dans lequel des étudiants interrogent des professionnels de l’ingénierie sociale nous montre que derrière un terme unique se dissimule des conceptions différentes voir opposées de l’intervention sociale.
Les différents modèles de pensée de l’empowerment des visions de l'homme différentes voir opposées
Pour des sociologues de la question urbaine comme Bacqué (2005 ) ou des anthropologues de la santé comme Fassin (1986 ), la question de la participation et de l'empowerment représente un courant politique ancien de traitement de la pauvreté et des marginalités par le territoire, (pourtant autre notion désignée comme récente dans l’approche de l’intervention et notamment dans le référentiel du DEIS). Il semblerait donc que parler de nouveauté semble alors inadéquat.
Selon Bacqué et Sintomer (2001 , p153) « la notion d’empowerment se situe entre deux pôles : elle indique une démarche d’émancipation mais tend trop souvent à se réduire à un appel à la responsabilité individuelle. Coupée d’une problématisation des enjeux politiques structurels, elle risque de contribuer paradoxalement au maintien dans une position de subordonnée des groupes dominés ».

En effet Marie Hélène Bacqué et Carole Biewener distinguent trois grandes lignées de pensées l’empowerment : celle des précurseurs issue d’une pensée radicale autour d’auteurs comme Alinski et Freire, celle des néolibéraux, et celle de mouvement néoconservateur, voir ultra conservateur, impliquant évidemment des manières différentes de concevoir le lien entre société civile et les états, entre les professionnels de l’action sociale et les personnes en difficulté.
La première approche s’inscrit dans une perspective de défense et d’éducation des plus pauvres, issu de l’éducation populaire qui doit permettre à des individus d’accroitre leur pouvoir agir, de développer des compétences pour gagner une influence collective et politique de contre-pouvoir avec comme visée première la transformation sociale, repenser les relations de pouvoir entre les professionnels et les personnes accompagnées. Elle implique donc un modèle particulier de la relation éducative qui s’inscrirait pleinement dans ce que nous pourrions nommer lep paradigme de l’accompagnement, une dimension de cheminement ensemble vers un futur non anticipable, s’appuyant sur des expériences partagées et faisant le pari de la puissance de la rencontre avec le travailleur social uniquement facilitateur de processus d’émancipation, en partant d’abord de l’expérience vécue des sujets comme socle pour l’action.
Or mon travail de thèse m’a montré à quel point les travailleurs sociaux les plus honnêtes dans leur volonté de s’inscrire dans cette démarche avaient du mal à lâcher sur certaines manières de penser l’action sociale et leur place.
D’après Bacqué et Biewener (Ibid.), nous voyons comment à partir de la fin des années 90, cette approche de l’empowerment va être abandonnée au profit d’une approche beaucoup plus conventionnelle du développement, en promotionnant l’entreprenariat et la liberté individuelle, les actions basées sur l’empowerment vont passer d’une visée de transformation sociale à un retour à l’accompagnement plus individuel, la dimension contestataire étant laissée de côté. Les nations unis s’emparent du terme, le développement des capacités de chacun par l’éducation est devenue la condition principale, mais la dimension critique de l’action sociale et la dimension collective de l’action semble reléguée aux oubliettes. La dimension émancipatrice de lutte contre la domination et l’oppression sont abandonnées au profit d’une conception du changement social réduit à une participation équitable aux institutions démocratiques libérales, sans en envisager leur remise en cause, l’extension de ce terme à des institutions comme la banque mondiale associée à toute une novlangue autour des notions de gouvernance, capabilité renvoie à cette conception néolibérale inclusive du développement, pour ces auteurs. C’est une conception de la pauvreté particulière qui est enjeu ici, la personne serait en difficulté du fait de conséquences de comportements et de compétences non adaptés, il suffirait donc de travailler avec les personnes à la conscientisation de leur responsabilité dans ce processus pour qu’elles puissent se réapproprier du pouvoir sur leur vie. Elle ne conçoivent plus la redistribution du pouvoir mais l’envisage seulement du côté de la personne en difficulté devant développer des compétences pour sa propre inclusion, le pouvoir étant limité à l’idée de capacité à faire des choix éclairés, et non à remettre en question par une conscience critique les dimensions structurelles de leurs conditions sociales d’opprimés.
Donc plutôt que d’œuvrer à la transformation sociale et à la redistribution et à lutter contre l’injustice sociale en redonnant du pouvoir à certains groupes, l’empowerment pourrait même être conçu comme une manière d’amener les personnes pauvres ou en difficulté à trouver des solutions par elles-mêmes, inscrivant ainsi les causes de leur situation à une dimension morale voir accusatrice, les personnes seraient responsables de leur propre situation, la participation s’inscrit alors sur un versant morale comme une obligation responsable à la revitalisation de la vie publique par leur injonction à participer, le pouvoir devient « un pouvoir de faire » et non plus « un pouvoir sur », ce qui rejoint la distinction que fait Yann Le Bossé entre favoriser le développement d’un « devoir agir » et non plus « un pouvoir agir ». Dans un tel modèle, le travailleur social reste un promoteur de morale, capable d’outiller les personnes à devoir se positionner pour des choix éclairés qui ne remettent évidemment pas en cause cette manière même de concevoir l’accompagnement, la relation de pouvoir des institutions sur les êtres, leurs corps, leurs désirs. L’intervenant en travail social comme l’ingénieur social sont alors les garants du contrôle de cette mise en place.
Ces différentes conceptions de l’empowerment ne pensent pas de la même manière, la place des acteurs sociaux dans leur rapport aux savoirs, et par la même la nature de la relation qui les unit, tant en terme d’accompagnement éducatif, que formatif. Elles n’impliquent pas le même rapport de pouvoir des acteurs les uns par rapport aux autres et implicitement pense le statut d’autorité du savoir des personnes à l’égard des professionnels qui les accompagnent ou les forment, de manière diverses, de ce fait questionne la tension qui existe entre enseigner et former.
Des visions du monde différentes qui renvoient à des conceptions différentes de l'apprendre et de la formation
A travers ces différents modèles de pensée se dessinent donc les deux grandes traditions philosophiques pour penser l’intervention sociale, l’éducation et sa formation, un modèle qui pense l’éducation comme un processus de développement d’un sujet autonome ouvert sur le monde, possédant une expérience singulière vécue avec les autres, et une capacité à construire ces savoirs, ressources pour l’accompagnateur, et d’un autre côté une conception qui pense l’être comme un saut vide que l’éducateur ou le formateur qui connait le chemin de la liberté va devoir remplir pour ramener le sujet à son devoir participer. C’est donc toute la tension entre l’instruire et former qui est à questionner ici, la tension entre transmettre des savoirs préexistants à la rencontre de l’éducateur ou formateur et de l’éduqué. L’instructeur devenu formateur appelle un changement planifié, pensé par lui en amont, pilotant la transformation prédéfinie chez l’autre, alors qu’au contraire former pour Michel Vial implique de viser à partir de savoirs « la construction d’autres savoirs dits expérienciels, vécus utilisés dans une pratique » , c’est alors accompagner l’autre pour qu’il trouve son chemin, mais dont lui seul reste le maitre.
La mise en place d’un module de professionnalisation dans le cadre du DEIS par un collègue formateur, a amené les étudiants à aller interviewer des acteurs de l’ingénierie sociale et les résultats de cette petite enquête nous permettent de voir comment se dessinent ces deux conceptions chez les acteurs également de l’ingénierie, d’un côté des acteurs qui pensent l’action en ingénierie sociale comme processus porteur de transformation sociale, pour les groupes accompagnés et d’un autre côté une conception de l’ingénierie qui pensent celle-ci comme une pratique de normalisation des pratiques, les acteurs devant participer à la protocolisation de l’intervention sociale en oeuvrant à l’introduction du modèle managériale de type new public management et de son bagage normatif dans le champ du social.
Penser autrement l’action sociale et le pouvoir agir
Or pour Spinoza cité par Yves Clot , le pouvoir d’agir n’est pas séparable d’un effort pour porter au maximum le pouvoir d’être affecté, c’est son incomplétude qui rend le sujet disponible au développement de l’activité et non une puissance d’agir endogène, c’est sa vitalité dialogique interne qui le prépare à supporter ou à saisir les inattendus du réel devant lesquels il doit se déterminer, un sujet incarné à la fois délimité et inachevé dont la vie psychique soutient la tension entre plusieurs vies possibles et cette tension se mesure à la quantité d’obstacle qu’il peut affronter.
Pour Vygotsky (in Clot, 2014) la maladie apparait quand l’expérience vécue ne permet plus au sujet de vivre d’autres expériences, aliéné, le sujet ne peut plus se déplacer dans sa vie intérieure et qu’il n’y a plus indifférenciation entre le moi, non moi, le moi et l’autre. L’altérité est de fait constitutive de la subjectivité, et c’est cette capacité d’altération qui rend l’activité humaine transformable. Une société qui ne lui offre plus de conflictualité externe qui devient univoque voir monologique étouffera ce possible. Lorsqu’il s’engage une responsabilité collective partagée avec des techniques d’action qui garantissent une capacité de choix pour le sujet et le collectif alors peut se développer le pouvoir d’agir des acteurs. Cela implique pour l’intervenant de penser sa propre capacité d’être altéré par l’autre, d’être lui-même transformé par l’expérience de la rencontre et pour cela il ne suffit pas de la penser mais de la vivre avec l’autre, séparé et pourtant impliqué dans une même histoire. Mais cela implique de pouvoir penser d’autres possibles, voir l’impossible.
Arendt, A., Bourget, J.L., Davreu, R., Frappat, H., Lévy, P., 1951, The origins of totalitarism, 3 volumes. Traduction du volume “Le système totalitaire : les origines du totalitarisme”, 1971, Paris : Seuil, pp. 239-292.
Baudart, A., 2005, Qu’est-ce que la démocratie ? Paris : Vrin, 128 p.
Bacqué, M.-H., 2005, « Associations « communautaires » et gestion de la pauvreté, Les community developpement Corporations à Boston », in Actes de la recherche en Sciences Sociales, Figures du Ghetto, Penser, classer, administrer la pauvreté, N°160, pp. 46-65.
Bacqué M-H, Sintomer Y., 2001, Gestion de proximité et démocratie participative, Les Annales de la recherche urbaine, N°90, 2001, p148-155.
Bacqué M-H, Biewener C., 2014 L’empowerment, une pratique émancipatrice, Politique et société, Paris : La, découverte, 2013, 175 pages.
Yves Clot, Travail et pouvoir d’agir, Paris : PUF.
Fabre M., 1999, Qu’est-ce que la philosophie de l’éducation ? Education et Philosophie, Approches contemporaines, Paris : ESF.
Fassin, D., 1986, « Les enjeux sociaux de la participation communautaires. Les comités de santé à Pikine (Sénégal) », In Sciences sociales et santé, Vol IV, n°3-4, pp. 205-221.
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Fortin, Gélinas, Schoonbrodt, 1998, L’empowerment comme processus appropriatif en éducation à la santé, Education Santé N°129.
Mbiatong, J., 2013, «L’approche réflexive: quels enjeux pour les praticiens?», Éducation Permanente (Réflexivité et pratique professionnelle –Construire l’expérience), n°196, p. 139-149
Jorro A. L'agir professionnel de l'enseignant. Séminaire de recherche du Centre de Recherche sur la formation - CNAM , Paris, France.
Le Bossé Y., 2003, De l’ « habilitation » au « pouvoir d’agir » : vers une appréhension plus circonscrite de la notion d’empowerment, Nouvelles pratiques sociales, Volume 16, Numéro2, 30-51pp.
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Vial M., 2004, Eduquer à ou pour la santé, quels enjeux pour la formation et pour la recharche ? Les Sciences de l’éducation, En question, Aix-Marseille Université : Questions Vives, Département des Sciences de l’éducation, N°5.

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