Fiche Documentaire n° 4117

Titre Reflets, Impacts d'une revue d'intervention en contexte minoritaire

Contacter
l'auteur principal

Auteur(s) ST-AMAND Nérée  
     
Thème Après 20 ans de publications, Reflets évalue les retombées de ses pratiques-
proposition retravaillée
 
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

Résumé | Bibliographie | Les auteurs... | Article complet | PDF (.fr) | Résumé en anglais | PDF .Autre langue | Tout afficher

Résumé

Reflets, Impacts d'une revue d'intervention en contexte minoritaire

Reflets : la portée d’une revue francophone en contexte minoritaire
La revue Reflets, créée en 1995 pour combler un vide au niveau des publications scientifiques et de vulgarisation chez les communautés francophones minoritaires du Canada, fête en 2015 ses vingt ans de publications. À l'époque de sa création, il n'existait aucune revue d'intervention sociale hors-Québec qui s'intéressait au sort des populations vivant en contexte minoritaire et cette situation n'a pas changé. Par contre, plusieurs organismes francophones possédaient des réseaux importants de services, que ce soit en Ontario, au Nouveau-Brunswick, ou ailleurs au Canada. C'est dans ce contexte qu'une quinzaine d'universitaires et d'intervenants communautaires se réunissaient et créaient Reflets, une revue comportant à la fois un volet scientifique et un autre axé sur le partage de projets communautaires novateurs (intitulé: Des pratiques à notre image).
Depuis lors, cette revue explore les particularités et différences construites à travers l’histoire du continent, fait de francophones vivant hors-Québec depuis plusieurs générations et qui se présentent à la fois comme outsider ou insiders (Becker 2008). Ils constituent les témoins engagés d’une histoire où plusieurs lectures de l’exclusion sociale (classe, race, genre, culture entre autres) se superposent et les affectent directement, en leur attribuant une conscience à la fois orientée sur soi et sur l’autre. Ce positionnement particulier, à l’extérieur de la géographie physique et symbolique identitaire du Québec, témoigne de ce qu’Hannah Arendt (2005) qualifie de « stateless, ou sans lieux ni voix », caractérisée par absence du pouvoir politique d’une population qui refuse de s’assimiler.
Après vingt ans de publications et plus de 30 numéros portant sur des sujets aussi variés que "Pratiques et recherches féministes", "La psychologisation de l'intervention sociale", "Les inégalités sociales de santé", "Les approches structurelles et l'intervention sociale" ou "Spiritualité et intervention sociale", cette revue pose la question de son impact tout autant sur les pratiques d'intervention que sur la formation et la recherche en travail social et sur une revue scientifique comme instrument d'intervention. Dans ce contexte, nous poserons le défi de l'intervention sociale et communautaire dans le contexte de formes et lieux de pratique en grandes transformations. Certes, la revue a servi à créer des liens durables, en particulier entre universités hors-Québec et de nombreux réseaux d'intervention et divers centres communautaires et instituts voués à l'intervention sociale en contexte minoritaire. De plus, Reflets a servi de lieu de diffusion privilégié de recherches réalisées par les personnes étudiant l'intervention sociale. Certains articles ou numéros, s'intéressant aux approches féministes, structurelles ou autochtones, s'inscrivent dans une remise en question des stratégies d'intervention que privilégient les grandes institutions de pratique.
Les données présentées lors de cette présentation se dégagent d'un projet de recherche (St-Amand 2014-15) et proviennent de l'analyse de trois sources étudiées par un chercheur affecté au projet du 20ième anniversaire de la revue:
1- Une recension et une critique des articles publiés jusqu’ici;
2- Une analyse des thèmes abordés, des approches d’analyse et pistes d’intervention privilégiées;
3- Une présentation des réponses à un questionnaire envoyé à une trentaine de personnes ayant œuvré à différents titres au sein de la revue.
En plus, une affiche et des exemplaires de la revue seront disponibles aux personnes participant à l'atelier.
En conclusion, nous proposerons des pistes visant à revoir les formes et thèmes de publication qui puissent répondre à la fois aux objectifs d’une revue d’intervention, aux populations qu’elle dessert, tout en tenant compte du thème de cette conférence.

Bibliographie

Arendt, Hannah, 2002: Les origines du totalitarisme, Gallimard.
Becker, H. (2008), Outsiders, Simon and Schuster.
Drolet, M., Claire-Jehanne Dubouloz, Josée Benoît et Madeleine Dubois (2014). L’accès aux services sociaux et de santé en français et la formation des professionnelles et professionnels en situation francophone minoritaire canadienne, Reflets, Volume 20, numéro 2, automne.
Lapierre, S., Joscelyne Levesque et Nérée St-Amand (2013), Approches structurelles et intervention sociale, Volume 19, numéro 1, printemps.
Lapierre, S., et Joscelyne Levesque (2013), 25 ans plus tard… et toujours nécessaires! Les approches structurelles dans le champ de l’intervention sociale Volume 19, numéro 1, printemps.
Moeke-Pickering, Taima et Cheryle Partridge (2014) Service social autochtone — Incorporer la vision autochtone du monde dans les stages pratiques en service social.Reflets, Volume 20, numéro 1, printemps.
St-Amand, N. (2012), Repenser le service social, Merriem Print, Ottawa.
St-Amand, N. (2014). Impacts de la revue Reflets: subvention de recherche visant à évaluer les retombées de la revue.

Présentation des auteurs

Nérée St-Amand est professeur à l'École de service social, Université d'Ottawa et co-fondateur (1990) de cette unité de formation. Auparavant, il avait œuvré à l'École de travail social de l'Université de Moncton, dans un contexte acadien, et dans divers milieux de pratique, en santé mentale et en protection à l'enfance.
Il a fait partie du comité de direction qui a mis sur pied, en 1995, la revue d'intervention sociale et communautaire Reflets. Il s'intéresse aux approches d'intervention dans un contexte de remise en question des pratiques professionnelles, des diagnostics et des prises en charge des personnes et groupes marginalisés.
Depuis plus de trente ans, il s'intéresse à l'histoire de la psychiatrisation des problèmes sociaux et à l'emprise des professions d'aide sur divers parcours de vulnérabilité. S'intéressant aux approches alternatives en intervention sociale, il remet en question les interventions professionnelles dévalorisantes, le clientélisme des rapports d'intervention et l'individualisation des problèmes sociaux structurels. Dans un tel contexte, il a publié sur des sujets aussi variés que l'adoption internationale, la spiritualité en intervention sociale et la façon de nommer les personnes défavorisées.
Il a publié récemment Repenser le service social et a coordonné de nombreux numéros de Reflets, revue d'intervention sociale et communautaire au Canada.

Communication complète

Reflets : la portée d’une revue francophone en contexte minoritaire
1- Résumé: (texte complet: voir plus bas)
La revue Reflets, créée en 1995 pour combler un vide au niveau des publications scientifiques et de vulgarisation chez les communautés francophones minoritaires au Canada, fête en 2015 ses vingt ans de publications. À l'époque de sa création, il n'existait aucune revue d'intervention sociale hors-Québec qui s'intéressait au sort des populations vivant en contexte minoritaire. Par contre, plusieurs organismes francophones possédaient des réseaux importants de services, que ce soit en Ontario, au Nouveau-Brunswick, ou au Manitoba en particulier, trois provinces canadiennes où existait un noyau important de populations francophones. C'est dans ce contexte qu'une quinzaine d'universitaires et d'intervenants communautaires se réunissaient en 1995 et créaient Reflets, une revue comportant à la fois un volet scientifique et un autre axé sur le partage de projets communautaires novateurs (intitulé: Des pratiques à notre image).
Depuis lors, cette revue explore la différence construite à travers l’histoire du continent, fait des francophones vivant depuis des décennies en Amérique du Nord mais hors-Québec, et qui se présentent à la fois comme outsider ou insiders (Becker). Les franco-Ontariens en ce sens, constituent les témoins engagés d’une histoire où plusieurs lectures de l’exclusion sociale (classe, race, genre, culture) se superposent et les affectent directement, en leur attribuant une conscience à la fois orientée sur soi mais aussi également sur l’autre. Ce positionnement particulier, à l’extérieur de la géographie physique et symbolique identitaire du Québec, témoigne de ce qu’Hannah Adendt (2005) qualifie de « stateless », caractérisée par absence du pouvoir politique d’une population qui refuse de s’assimiler à la majorité.
Après vingt ans de publications et plus de 30 numéros portant sur des sujets aussi variés que "La violence dans tous ses états", "La psychologisation de l'intervention sociale", "Les inégalités sociales de santé", "Les approches structurelles et l'intervention sociale" ou "Spiritualité et intervention sociale", cette revue biannuelle se pose la question de son impact tout autant sur les pratiques d'intervention que sur la formation et la recherche en travail social. Dans ce contexte, nous poserons le défi de l'intervention dans le contexte de formes et lieux de pratique en grandes transformations. Certes, la revue a servi à créer des liens durables entre universités (L'université Laurentienne et l'université d'Ottawa en particulier mais également les autres universités hors-Québec), entre réseaux d'intervention (le Consortium national de formation en santé) ou divers centres communautaires et instituts voués à l'intervention sociale en contexte minoritaire. De plus, la revue a servi de lieu de diffusion d'études réalisées par les personnes étudiant l'intervention sociale dans divers lieux de formation francophones hors Québec, particulièrement au deuxième et troisième cycle. Certains numéros en particulier s'intéressant aux approches féministes, structurelles ou autochtones s'inscrivent dans une remise en question des stratégies d'intervention que privilégient les grandes institutions de pratique.

Cette présentation brossera un tableau des acquis de vingt ans d'engagement de la revue et partagera, après avoir passé en revue plus de cent articles arbitrés et 200 articles de vulgarisation, les défis et préoccupations qui l'attendent à l'ère d'une mondialisation des problématiques et d'une précarisation des liens sociaux. De plus, cette présentation examinera en quel sens une revue engagée dans son milieu constitue une forme d'intervention et comment elle contribue à l'évolution des pratiques d'intervention, de recherche et de formation.
Cette ouverture centrée sur les intérêts de la communauté francophone vivant dans un contexte minoritaire invite à une réflexion inter et multi disciplinaire sur le développement des pratiques sociales, communautaires, de santé, tout autant que sur les politiques sociales et leurs enjeux ou encore sur la formation professionnelle. (Volume 20 # 2, automne 2014 en particulier). Reflets chevauche donc sur des enjeux identitaires que sur des champs de pratique d’intervention : « Écrire, qu’on le veuille ou non, est un verbe politique » (Reflets, Vol # 1, no 1 : XVII).

L'auteur de cette présentation, un des fondateurs de la revue, proposera une réflexion sur les conditions de réussite d'une telle affirmation identitaire qui vise à la fois la reconnaissance du potentiel des minorités linguistiques et culturelles aussi bien que les défis auxquels font face les populations vivant dans des contextes de fragilisation des ressources. Des extraits d'entrevues réalisées à l'occasion d'une évaluation des vingt ans de la revue viendront appuyer les remarques énoncées. En plus, des exemplaires de la revue seront disponibles aux personnes participant à l'atelier.
Les données présentées proviennent d’une analyse de trois sources:
A- Une recension et une critique des articles publiés jusqu’ici;
B- Une analyse des thèmes abordés et des approches d’analyse et pistes d’intervention privilégiées;
C- Une présentation des réponses à un questionnaire envoyé à une trentaine de personnes ayant œuvré dans la revue.
En conclusion grâce à l’investissement d’un chercheur affecté au projet du 20ième anniversaire de la revue, nous proposerons des pistes pour revoir les formes et thèmes de publication qui puissent répondre à la fois aux objectifs d’une revue d’intervention, aux populations qu’elle dessert, tout en tenant compte du thème de cette conférence.

2- Texte complet:
Reflets après 20 ans! Entre deux mondes : ni au Québec, ni au Canada anglais
Auteurs : Nérée St-Amand et Gabriel Marin
Université d’Ottawa

Franco-Ontariens, Canadiens-Français, francophones, francophones hors Québec, Ontarois. Ce sont autant de termes qui témoignent du dilemme identitaire qui, aujourd’hui encore, caractérise si bien l’Ontario français.
M. Bock, Comment un peuple oublie son nom

Introduction
La Revue Reflets est née en 1995 de l’initiative d’une vingtaine des personnes enthousiastes, représentant divers milieux universitaires et de la pratique sociocommunautaire franco-ontarienne. Dès le départ, le comité d’implantation1 a privilégié un partenariat entre le milieu universitaire et communautaire, une lacune bien évidente dans un contexte où « les intervenantes et les intervenants qui œuvrent auprès de la communauté francophone dans le domaine des pratiques sociales et communautaires n’ont aucun outil de communication qui leur soit propre » (Carrière, 1995, p. xi). Par ailleurs, tel que son nom le suggère, Reflets se proposera dès lors d’agir comme un écho des besoins de la communauté francophone minoritaire dans sa quête identitaire, en liens avec son passé de luttes historiques et son avenir incertain2. L’Ontario français constitue alors un ilot minoritaire dans un univers anglophone, formé de gens qui tissent à travers le temps et l’histoire une identité particulière autour de liens culturels, politiques, économiques et, il va sans dire, sociaux-communautaires. D’ailleurs, cette interaction avec l’Autre ne se fera pas seulement vis-à-vis le Canada anglais, mais aussi à l’endroit du Québec, là où le contexte socio-politique laisse souvent les franco-ontariennes et franco-ontariens, tout comme le peuple acadien et les autres groupes minoritaires, oubliés en quelque sorte, à l’extérieur des intérêts immédiats de La Belle Province.

Dans les années 1990, diverses particularités historico-politiques amèneront les personnes intéressées à créer une revue d’intervention visant à mieux reconnaître cette condition minoritaire en Amérique de nord. Il n’était guère étonnant d’ailleurs de constater une curiosité intellectuelle et culturelle envers les « questions minoritaires » au Canada et ailleurs, inspirée par l’histoire complexe des rapports d’industrialisation, de colonisation et d’affirmation identitaire, à l’interstice des conditions sociales de la marginalité et des luttes d’émancipation politique. David Welch le précisera dès le premier numéro :
La communauté est présentement confrontée à des changements sociaux, économiques et politiques de taille qui amènent une remise en question de ses modes de définition comme collectivité. Depuis les débuts de leur histoire, les Franco-Ontariennes et Franco-Ontariens n’ont pas été des victimes passives mais des acteurs engagés dans la transformation de leurs communautés. C’est en reconstituant cette histoire collective qu’ils seront en mesure de faire face aux transformations actuelles en leur donnant une nouvelle finalité (Welch, 1995, p. 21).

Ce positionnement face à l’identité et vis-à-vis la différence fait des francophones en Amérique de nord des témoins engagés dans une histoire où plusieurs lectures de l’exclusion sociale (classe, race, genre) se superposent et les affectent en leur façonnant une conscience à la fois orientée sur soi (celle de leur communauté), mais aussi sur l’Autre, celle d’un social complexe de par son contexte historico-politique. Ce vivre-ensemble à côté de l’Autre d’une minorité qui parle une langue qui n’est pas encore acceptée, place la communauté franco-ontarienne à l’avant-garde des lieux de passages entre cultures (Walter Benjamin, [1939] (1982). C’est à la fois un « locus » et un « logos » nouveaux – au sens heideggérien3 – que les personnes victimes de discrimination réinventent, transforment et replacent avec le temps et qui peuvent faire de leur cohésion sociale une expérience unique.

Le statut particulier du peuple franco-ontarien, un peuple sans patrie à l’extérieur de le la géographie identitaire du Québec, témoigne de ce qu’Hannah Arendt appelle « stateless » (Hannah Arendt [1955]2002, p. 599) caractérisé par l’absence d’un pouvoir politique institutionnalisé pour le représenter : « La perte de patrie et de statut politique revient à être expulsé de l’humanité toute entière », écrit Arendt (2002, p. 599). D’ailleurs, rappelons que le prix à payer pour cette lutte identitaire s’observait déjà au début du 20e siècle au niveau de la question de l’éducation4 en français et devint depuis lors un des grands symboles de sa survie, sinon de sa fierté identitaire.
« L’adoption du tristement célèbre Règlement XVII par le gouvernement ontarien en 1912 représente la plus importante menace au développement des écoles franco-ontariennes. Pendant quinze ans, la crise scolaire provoquée par le Règlement XVII est ponctuée de plusieurs luttes acerbes. Mais cette crise permet néanmoins l’émergence d’une plus grande cohésion et une meilleure convergence des forces en faveur de l’éducation de langue française en Ontario. Créée en 1910, l’Association canadienne-française d’éducation d’Ontario (ACFEO) est la porte-parole incontestée de la communauté franco-ontarienne ».
http://crccf.uottawa.ca/passeport/IV/IVD.html.
En complément d’information, voir en annexe #1 un brin d’histoire autour des formes originales de cette revendication : les stratégies et discours politiques pour les hommes et la guerre des rouleaux à pâte et des épingles pour les femmes. Près d’un siècle plus tard, nous assisterons à une autre lutte, pour des institutions de santé en français cette fois, illustrée dans le contexte de l’Hôpital Montfort5, encore une fois une victoire d’un peuple sans patrie mais qui sait s’unir autour de questions d’identité. D’ailleurs, autour de ces crises, un projet de société franco-ontarienne prend vie et la lutte de ce peuple pour une éducation et un système de santé en français a contribué à l’affirmation d’un positionnement politique des francophones d’ici et même d’ailleurs au Canada. Du point de vue politique, ces luttes ont créé un contrepoids dans la balance du pouvoir6 et à la création d’un esprit de solidarité, d’une conscience historique, d’un sentiment d’appartenance à une province et à un pays moins opprimants7. En réalité, deux conceptions politiques s’affrontaient : une qui veillait à garder l’élément français à l’ombre ou au rancart, l’autre où les Canadiens français revendiquaient leurs droits, croyant en un Canada bilingue où le français serait à l’égal de l’anglais (Choquette, 1997, p. 85).

En 1995, les artisans de Reflets visaient-ils à mettre en valeur toutes ces complexités et relever ces défis historico-politiques? L’article qui suit tentera de répondre à ces questions en présentant certains exploits, à inscrire à côté des autres victoires de ce peuple à la fois minoritaire mais aux convictions fortes et aux stratégies de survie toujours en renouvellement.

Écrire et affirmation identitaire
La nécessite d’une revue d’intervention, tant au niveau idéologique, politique, social que stratégique se définit d’ores et déjà dans le contexte d’une reconnaissance de certaines conditions particulaires : « Nous nous proposons par l’entremise de cette revue, d’identifier et d’explorer les caractéristiques faisant en sorte que l’intervention en Ontario français ne puisse pas reproduire ce qui se passe ailleurs, en raison des particularités historico-socio-politiques en contexte minoritaire » écrivait Richard Carrière dans le premier numéro (R. Carrière, 1995, p. XI). L’avenir lui donnera raison, en grande partie du moins : les intérêts liés aux causes structurelles de l’exclusion sociale ressortent clairement au niveau des thèmes et des articles de cette revue, aujourd’hui à l’heure des bilans tout autant que de la célébration de ses 20 ans de créativité littéraire. Ce texte-ci vise à le démontrer, en passant en revue les grands thèmes abordés, en évaluant ses impacts sur différentes formes d’intervention et en faisant état d’un sondage d’opinion auprès des personnes ayant contribué à son évolution. En guise de conclusion, nous proposerons quelques pistes qui émergent de cette étude des articles parus au cours de cette période pour en dégager des orientations possibles et, nous l’espérons, quelques leçons d’histoire.
Il y a vingt ans…
La question se posait au départ : quelle place pourrait occuper cette revue par rapport à l’ensemble des revues du même genre au Canada français? Qu’est-ce qui la distinguerait des autres? S’agira-t-il d’une spécificité, d’une organisation axée autour de problématiques précises comme le fait une autre revue de la francophonie minoritaire, la Revue de l’Université de Moncton8? Se consacrera-t-elle, comme Nouvelles Pratiques Sociales à la nouveauté au niveau des interstices de l’univers social et politique? Reflètera-t-elle les préoccupations d’un devoir citoyen (P. Ricœur, 2000) pour préparer les acteurs du social à bien comprendre les contradictions d’une société criblée d’autant d’inégalités que d’espoirs? Ou encore s’attardera-t-elle aux problèmes des gens ordinaires, poussés à l’invention du quotidien, comme le propose Certeau (1980)? Et dans tous ces questionnements, comment la revue se fera-t-elle l’écho d’attentes et d’expériences tout aussi complexes que contradictoires, à l’heure d’une mondialisation par le bas (Taurrius, 2002) ou de la dispersion ethnique (Ma Mung, 1999) de mondes à la fois isolés mais solidaires?
« Comment ce mot Franco-Ontarien consacre-t-il une telle aliénation? En tant que mot composé où la « francité » du citoyen est non seulement troquée dans l’élément « franco », mais aussi refoulée, écartée, mise en quelque sorte à l’écart, à la remorque d’une majorité ontarienne qui refuse, en fait, de composer vraiment dans la réalité » (Grisé, 1982, p. 87).

En somme, la création de cette revue en 1995 repose sur une demande à la fois sociale et professionnelle : d’abord un sondage lancé auprès des communautés d’administrateurs et d’intervenants francophones de l’Ontario contribue à l’affirmation d’une démarche invitant d’abord à l’autoréflexion, autant sur des questions identitaires que sur diverses pratiques du champ de l’intervention sociale :
Deux cent cinquante-sept personnes ont répondu au questionnaire, soit un taux de réponses de 35 %. Ces réponses indiquaient que 99 % des personnes étaient intéressées à lire la revue; 90 % se sont montré intéressées à s’y abonner et 44 % ont indiqué qu’elles seraient prêtes à soumettre des articles. » (R. Carrière, 1995, p. x).

Pour concrétiser sa vision et ses idéaux, la revue décide d’ores et déjà d’un canevas : a) un éditorial, b) une entrevue, c) un dossier thématique, c) des pratiques à notre image, d) une rubrique intitulée Aux quatre coins de la province, e) une section consacrée aux études et f) et Lu pour vous (Dubois et St-Amand, 1995, p. XVII).

Qui plus est, les défis de l’engagement se conjuguent dès le départ par l’usage du verbe « écrire », mentionné d’emblée par les deux coresponsables du premier numéro. Ainsi, on souhaite dès lors une revue axée sur le changement social, grâce à l’écriture, outil de sensibilisation, certes, mais aussi de mobilisation politique.
« Écrire est, qu’on le veuille ou non, un verbe politique… l’écriture n’engendre sans doute pas l’identité collective, mais élucide ses lieux d’origine. Dans la création de ce premier numéro, le verbe écrire a été conjugué à tous les temps et a donné lieu à un foisonnement social et communautaire nous caractérisant… pratiques tant communautaires qu’académiques et institutionnelles, pratiques des intervenantes et des intervenants, des étudiantes et des étudiants des diverses régions, bref, pratiques des personnes engagées à de multiples niveaux dans des réflexions sur le sens et l’orientation de l’intervention sociale en Ontario français » (Dubois et St-Amand, 1995, p. XVII).

Dès lors, ce qu’on décide de façon plus ou moins intuitive, c’est la mise en récit d’une « mémoire silencieuse » (au sens de Paul Ricœur)9, la mémoire d’une communauté fière de son histoire bien que celle-ci fusse également traumatisante, résultat de politiques et d’idéologies étatiques marquées par la discrimination, sinon l’exclusion. C’est pourquoi dès le premier numéro, on cherche à évaluer les défis et les ressources qu’on retrouve au carrefour d’un passé de luttes et d’un avenir plus qu’incertain. En effet, toutes et tous se rappellent que 1995, c’est l’année où Mike Harris entre au pouvoir en Ontario, avec comme agenda d’éliminer tout ce qui se conjugue avec social, État-providence, et bien plus encore, le fait français.
Mike Harris’s first year in government is highly reminiscent of the early Thatcher years in Great Britain. The Harris Tories have espoused a Thatcherite philosophy, a potent neo-conservative brew of neo-liberal economics and “authoritarian populist” social policy. They have the same fundamental objective, the redistribution of income from the “worse-off” to the “better-off” sections of society. (Paul Leduc Browne, 1996, p. 37)

Malgré ces défis de taille, pour l’Ontario certes, mais davantage pour ses populations minoritaires, les artisans de la première heure brossent un tableau prometteur « des caractéristiques qui font partie de notre histoire et qui se tissent dans les pratiques que nous inventons ou développons » (Dubois et St-Amand, 1995, p. xviii). Dans ce contexte, ce n’est pas un hasard si l’article de David Welch, qui propose justement un survol historique, introduit le numéro, alors que le texte de Marc Molgat et Denise Lemire, qui s’intéresse aux jeunes, donc à l’avenir de la communauté franco-ontarienne, le clôt. Dès le départ, soulignons que la résistance est valorisée dans l’article de Welch; en somme, certaines stratégies originales d’intervention s’affichent d’ores et déjà, à l’image du peuple franco-minoritaire!

Nous estimons que ce bref clin d’œil historico-politique nous permettra de bien appréhender les problèmes d’alors, dont les corédacteurs font état dans l’Éditorial et dans la présentation du premier numéro :
« Ce souci de nommer et de faire face aux problèmes exprimés par les gens constitue par ailleurs un fil conducteur sous-tendant les articles de ce numéro. Les problèmes de pauvreté, d’isolement, de chômage et de manque de formation, liés à des questions d’identité et de revendication de droits, constituent autant de défis pour toute personne intervenant en Ontario français. Ces thèmes ressortent déjà au départ. Le désir de venir en aide aux personnes plus marginalisées se dégage de nombreux articles de la rubrique " aux quatre coins ". Nous y présentons des services, des programmes et des initiatives francophones dans les domaines de la promotion de la santé, des services sociaux scolaires, de la violence conjugale, de l’agression sexuelle et de la santé mentale. » (Dubois et St-Amand, 1995, p. XIX).

Grâce à cette présentation du contexte de 1995, on peut voir se dessiner un programme et une raison d’être pour la revue. Le profil de la revue se dessine à travers ces idéaux de départ, non seulement au niveau des thèmes choisis, mais aussi par l’approche, le ton et, en quelque sorte, la couleur de la revue.

Thèmes de la revue
« Écrire est, qu’on le veuille ou non, un verbe politique… l’écriture n’engendre sans doute pas l’identité collective, mais élucide ses lieux d’origine » (François Paré, p. 61)

La section qui suit présente une brève analyse, à vol d’oiseau, de ce qui a été publié dans la revue. Notons au départ que celle-ci a publié entre le printemps 1995 et l’été 2015 un total de 373 articles répartis ainsi : 135 dans la rubrique « Dossier », 101 dans la rubrique « Aux quatre coins de la province », et 139 dans la rubrique « Pratiques à notre image ». En 2003, le comité éditorial a décidé de fusionner les deux dernières rubriques en une seule, intitulée « Pratiques à notre image ». En plus, chaque numéro comporte une section « Lu pour vous »; cette section a donné lieu à diverses recensions de textes pertinents aux thèmes présentés. Enfin, la rubrique « Aux études » met en valeur les travaux des finissantes et finissants de l’Université d’Ottawa et de l’Université Laurentienne en présentant un résumé de leurs thèses et/ou mémoires.

Cette section présente un bref aperçu des thèmes et sujets que la revue a abordés au cours de ses vingt années de publication tout en proposant quelques commentaires et questions qui se dégagent de ce rapide coup d’œil aux contenus présentés. Des trente-cinq numéros et 373 articles, tous titres confondus, certains thèmes ressortent clairement. Par exemple, la « pratique » (9 titres) et « l’intervention » (9 titres également) tiennent la tête d’affiche, confirmant ainsi une préoccupation qui se dégage de la moitié des titres des numéros. En voici quelques exemples : « Travail, jeunesse et intervention » (2008), « L’intervention communautaire chez les francophones minoritaires... » (2012), « Approches d’intervention : définir et renouveler nos pratiques » (2000), « Approches structurelles et intervention sociale » (2013), pour n’en mentionner que quelques-uns.

Par ailleurs, le mot intervention rallie un nombre important de préoccupations surtout lorsqu’il est joint à d’autres mots comme le social, les approches, la jeunesse, le féminisme, le vieillissement ou le travail. En somme, les thèmes abordés donnent un aperçu des horizons que la revue a abordés depuis 1995 : Lorsque les termes « intervention » ou « pratique » figurent à côté d’autre mots comme service social, professionnels de l’aide, enseignement, formation, nous avons un portrait de quelques-unes des richesses et complexités des perspectives présentées : la psychologisation de l’intervention sociale, le contexte minoritaire, la dimension interculturelle, la paternité, la spiritualité, la souffrance psychique et morale au travail, le développement économique communautaire, la formation pratique.

Dans les choix thématiques, un autre mot-clé est celui de minorité, avec ses dérivés « minoritaire » et « minorisation ». En effet, ce mot coud tout un réseau de signification autour d’autres termes comme intervention, francophone, Ontario français, santé, services sociaux, accès, etc. D’ailleurs huit numéros sont clairement consacrés à la question minoritaire.

Par ailleurs, le mot « approche » constitue un terme autour duquel gravitent plusieurs préoccupations, comme par exemple : Approches d’intervention : définir et renouveler nos pratiques et Approches structurelles et intervention sociale.

Un positionnement de réflexion critique est présent de façon plus ou moins explicite dans la très grande majorité des numéros : Le genre en contexte (2003), La violence dans tous ses états (2007), Les inégalités sociales de santé (2012), Problèmes sociaux (2000), Santé mentale et défis de l’année 2001 (2001). D’ailleurs, autour de la problématique de la santé oscille un important noyau de préoccupations : sept thèmes y sont dédiés et ce concept se situe au carrefour des problèmes d’accès, des disciplines, des communautés, de la formation, de la francophonie. De plus, la santé est présentée en liens avec d’autres thèmes comme l’incapacité, le vieillissement, la souffrance, la réadaptation, etc.

L’aspect communautaire ressort également : ce terme est au cœur de cinq numéros, alors qu’on dédie trois numéros à la problématique du travail. De point de vue thématique, les questions du genre, de la famille, des femmes et de l’enfance se retrouvent dans quatre numéros alors que le terme violence est explicitement mentionné dans deux numéros, de même que celui de paternités. Qui plus est, le numéro actuellement sous presse (printemps 2015) traite des services en français en matière de violences faites aux femmes; un tel titre va d’ailleurs chercher la mission et les grandes préoccupations de la revue. Des notions sémantiques pour le travail social comme incapacité, vieillir, souffrances psychique et morale, réadaptation, spiritualité, développement économique, appauvrissement, exclusion, circonscrivent aussi l’intérêt thématique et on y dédie, pour chaque, au moins un numéro de la revue. Soulignons par ailleurs que deux articles s’attardent à la résistance ou au refus comme formes d’intervention : celui de David Welch dans le premier numéro, et celui de Jean-Luc Pinard, étudiant au doctorat, et Nérée St-Amand, dix-huit ans plus tard. À ce titre, il serait intéressant de s’attarder aux modèles d’analyses privilégiés par les auteures et auteurs des articles. À premier abord, nous notons une panoplie d’angles d’analyses, passant des perspectives structurelles, féministes ou radicales aux approches psychosociales ou systémiques. En ce sens tout au moins, Reflets n’est pas porteur de couleurs idéologiques bien campées, mais bien d’un ensemble de perspectives plus ou moins articulées dans les différents articles.

Mentionnons finalement que la profession de travail social en Ontario bénéficie de quelques numéros particuliers, un sur les approches féministes (1997), un portant sur les approches d’intervention en général (2000), un troisième sur le travail social en Ontario (2001) et un autre sur les approches structurelles (2013), lieux où on vise à présenter les diverses dimensions des complexités d’un travail social en contexte minoritaire.

Pour sa part, le numéro de 2013, portant sur les approches structurelles, est le seul à être dédié à une personne en particulier (Roland Lecomte, source d’inspiration au niveau du travail social structurel); c’est un des plus volumineux : il comprend six articles dans le Dossier et quatre dans Des pratiques, les quatre autres numéros qui comptent environ trois cents pages étant Visibles et partenaires (1997), La santé des francophones (1999), Les approches d’intervention (2000), Travail et mieux-être (2003).

Dans l’ensemble de ces textes, l’intérêt pour le social reste toujours présent. D’ailleurs, l’usage de l’adjectif « social » apparaît dix fois dans les trente-trois titres des numéros de la revue, comme par exemple L’exclusion sociale (2005), Les problèmes sociaux (2000), L’intervention sociale en contexte minoritaire (2010).

Le tableau qui suit présente tous les thèmes abordés depuis vingt ans, en ajoutant les personnes qui ont dirigé les numéros en question. Les personnes qui connaissent l’univers minoritaire francophone constateront que plusieurs, particulièrement du monde universitaire et des réseaux de recherche, ont pris responsabilité des différents numéros, alors que certains noms, ceux des personnes ayant œuvré dans la revue depuis ses débuts en particulier, sont davantage présents.

THÈMES ABORDÉS - Reflets - 1995 - 201510
Année, volume Thème Direction
1995
Vol. 1, No 1 Des pratiques sociocommunautaires à notre image Madeleine Dubois
Nérée St-Amand
1995
Vol. 1, No 2 La santé communautaire… défis et espoirs
Michèle Kérisit
Madeleine Dubois
1996
Vol. 2, No 1 Contrer la violence subie par les femmes et les enfants en milieu familial Marie-Luce Garceau
Richard Carrière
Francine Boudreau
1996
Vol. 2, No 2 Vieillir à l’aube de l’an 2000
Marie-Luce Garceau
1997
Vol. 3, No 1 Enfance et familles en contexte d’appauvrissement Madeleine Dubois
Brigitte Malenfant
1997
Vol. 3, No 2 Visibles et partenaires – pratiques et recherches féministes Marie-Luce Garceau
1998
Vol. 4, No 1 Intervention en contexte minoritaire Michèle Kérisit
Gertrude Mianda
1998
Vol. 4, No 2 Personnes vivant avec une incapacité
Jean-Marc Bélanger
Richard Carrière
1999
Vol. 5, No 1 Pratiques et développement économique communautaire Rachid Bagaoui
Donald Dennie
Nérée St-Amand
1999
Vol. 5, No 2 La santé des francophones en Ontario
Louise Picard
Denise Hébert
Richard Carrière
2000
Vol. 6, No 1 Approches d’intervention : définir et renouveler nos pratiques Madeleine Dubois
Marie-Luce Garceau
2000
Vol. 6, No 2 Problèmes sociaux
Nérée St-Amand
Gertrude Mianda
2001
Vol. 7, No 1 Santé mentale et les défis de l’an 2001
Jean-Marc Bélanger
Michel-André Beauvolsk
2001
Vol. 7, No 2 Le travail social en Ontario
Richard Carrière
Adje van de Sande
2002
Vol. 8, No 1 La réadaptation : son visage français en Ontario Lynn Casimiro
Louis. E. Tremblay
2003
Vol. 9, No 1 Le genre en contexte : pratiques sociales et représentations Christiane Bernier
Cécile Coderre
Jacinthe Michaud
2003
Vol. 9, No 2 Travail et mieux-être Marc Charron
Marie-Luce Garceau
2004
Vol. 10, No 1 Jeunes et intervention sociale Marc Molgat
2005
Vol. 11 Exclusion sociale Madeleine Dubois
Michèle Kérisit
2006
Vol. 12 Spiritualité et intervention sociale Nérée St-Amand
Noël Simard
2007
Vol. 13 La violence dans tous ses états
Myriam Bals
2008
Vol. 14 Travail, jeunesse et intervention Lilian Negura
2009
Vol. 15 Paternités : enjeux et perspectives (Première partie)
Jean-Martin Deslauriers
2010
Vol. 16, No 1 Paternités méconnues (Deuxième partie) Jean-Martin Deslauriers
2010
Vol. 16, No 2 L’intervention sociale en contextes minoritaires : penser la complexité et la multiplicité des processus de minorisation Marie Drolet
Stéphanie Garneau
Madeleine Dubois
2011
Vol. 17, No 1 Psychologisation de l’intervention sociale Nicolas Moreau
Simon Lapierre
2011
Vol. 17, No 2 Représentations, pratiques et expérience dans le champ de santé : tendre des ponts entre des disciplines Marguerite Soulière, Geneviève Saulnier
Marie-Luce Garceau
2012
Vol. 18, No 1 L’intervention communautaire chez les francophones minoritaires : des pratiques à découvrir Marie-Luce Garceau Stéphane Richard
Sébastien Savard
2012
Vol. 18, No 2 Les inégalités sociales de santé chez les communautés francophones en situation minoritaire (CFSM) au Canada Monique Benoit
Louise Bouchard
Marie-Luce Garceau
Anne Leis
2013
Vol. 19, No 1 Approches structurelles et intervention sociale Simon Lapierre
Joscelyne Levesque
Nérée St-Amand
2013
Vol. 19, No 2 La souffrance psychique et morale au travail : enjeux pour les professionnels du secteur de la santé et des services sociaux Stéphane Richard
Melchior Mbonimpa
2014
Vol. 20, No 1 La formation pratique : allier milieux de pratique et milieux d’enseignement Dominique Mercure
Marie-Luce Garceau
Madeleine Dubois
Jacynthe Mayer
2014
Vol. 20, No 2 L’accès aux services sociaux et de santé en français et la formation des professionnels en situation francophone minoritaire canadienne Marie Drolet
Claire-Jehanne Dubouloz
Josée Benoît
Madeleine Dubois
2015
Vol. 21, No 1 Violences faites aux femmes et contextes minoritaires Isabelle Côté
Simon Lapierre
Joscelyne Levesque
¬¬
Thèmes plus ou moins absents...
Par contre, qu’en est-il des thèmes ignorés ou peu abordés? C’est le cas, par exemple,
- de la question autochtone (aucun numéro et seulement deux articles pour l’ensemble des numéros parus11);
- de la pauvreté (sujet abordé timidement en 1997 sous le titre : « Enfance et famille en contexte d’appauvrissement) et ce, après avoir fait l’objet de la première entrevue en 1995, avec Lynne Toupin, de l’économie sociale ou solidaire (un numéro sous le thème « Pratiques et développement économique communautaire »);
- de la question des droits sociaux, des droits des minorités, des personnes et groupes délaissés
- des pratiques de solidarité;
- de l’écologie sociale et ses liens avec la profession;
- de l’interdisciplinarité en travail social;
- des actrices et acteurs qui ont fait évoluer le travail social et l’intervention sociale;
- des formes et stratégies d’intervention qui sortent des milieux de pratiques institutionnalisés;
- des recherches et interventions comparées avec d’autres espaces géographiques et avec d’autres populations minoritaires vivant dans des situations politico-géographiques semblables et qui pourrait inspirer, à notre avis, la création de numéros spéciaux de Reflets et l’ouvrir ainsi à d’autres univers culturels et politiques de l’intervention en contexte minoritaire.

Complémentarité : visuel et textuel
Au cours de ses vingt ans d’existence les lectrices et lecteurs ont pu constater un désir de représentation visuelle sur la page couverture de la revue. Diverses images, photos ou représentations graphiques ont servi de page couverture aux seize premiers numéros. Mais à compter de l’automne 2003 (Vol 9, No 2) et jusqu’en 2015, des contraintes logistiques et financières ont fait en sorte qu’on a cessé de présenter de façon imagée le contenu des articles ou des thèmes de chaque numéro, tout en restant fidèle à un cadrage graphique initial, jeu visuel autour du mot Reflets et en particulier de la lettre R. (Voir tableau 2, la couverture du numéro 32, sur le thème de la formation pratique). Tel qu’on l’observe dans cette couverture classique, devenue d’ailleurs marque de commerce et logo de la revue, son but et sa mission sont présentés à l’aide d’un carré-lentille à plusieurs dimensions superposées, ce qui suggère une représentation de l’intervention sociale qui se voit et s’amplifie, à l’image des communautés francophones minoritaires que Reflets se veut de représenter. La couverture reste sobre, n’ayant, en plus de l’image, que le titre du numéro. L’endos de couverture par ailleurs présente son contenu, soit les sections, les auteurs et auteures et les titres des articles de l’ensemble du numéro.


Tableau 2 : Couverture « classique » Reflets No 20, numéro 1, 2014
La formation pratique : allier milieux de pratique et milieux d’enseignement

Le tableau 3 pour sa part présente la page couverture de quelques-uns des numéros parus entre 1995 et 2003, où on constate une tentative de visualisation du discours. La Revue se proposait ainsi d’apporter une autre dimension à son message : l’image. En effet, le visuel visait à complémenter le thème et le contenu des articles, que ce soit autour du vieillissement, de la famille, de l’économie sociale, de la santé ou de la violence, tel qu’illustré dans ce tableau.


Tableau 3 : Le Visuel à travers Reflets : entre 1995 et 2003





Par ailleurs, le numéro que vous feuilletez présentement constitue une nouvelle expérience : la page couverture présente la reproduction d’une des toiles gagnantes d’un concours artistique initié par l’Association étudiante de l’École de service social (ADESS), Université d’Ottawa. Reflets a d’ailleurs acheté cette toile, à l’inspiration d’une maison d’édition canadienne qui achète et reproduit une toile originale pour chacune de ses publications. Ainsi, la mission sociale de la revue s’ouvre sur une autre dimension : l’expression artistique et les représentations symboliques.

Si Reflets n’existait pas, il faudrait le créer!
Cette analyse ne serait pas complète sans la voix des lecteurs de la Revue : chercheuses et chercheurs, intervenantes et intervenants du domaine social en contexte francophone minoritaire. À l’heure du bilan, nous avons pensé ouvrir une forme de dialogue, fort limitée il va sans dire, avec celles et ceux qui ont contribué à la création et à l’évolution de Reflets, pour ainsi en évaluer sa portée, ses impacts et poser la question de son orientation future. En somme, nous désirions simplement donner un lieu de parole aux quelques vingt-cinq personnes qui ont contribué à façonner la revue, en les invitant à répondre à un questionnaire en ligne. Voilà pourquoi nous avons demandé à ces personnes ayant été au cœur de la revue, soit dans sa conception, soit au niveau de ses orientations, de répondre à un bref questionnaire en ligne (voir annexe 2). Bien qu’il ne s’agisse pas d’un exercice scientifique, les commentaires qu’on y retrouve dénotent l’importance de la revue, particulièrement au niveau de ses impacts et des différents acteurs qui gravitent autour de sa mission. Cette section-ci résume les opinions émises.
Reflets, une nécessité
Toutes les réponses témoignent de la portée de la Revue, en 1995 certes, mais encore davantage à mesure que le temps en façonne une identité propre. Les commentaires sont unanimes : la revue reflète la réalité de nombreux acteurs d’une francophonie minoritaire, que ce soit dans les domaines de la recherche sociale, de la formation académique ou professionnelle tout autant que de l’intervention sous toutes ses formes, qu’elle soit féministe, structurelle, spirituelle, ou alternative. Voici certaines des réponses :
- Reflets est au cœur du rayonnement de la recherche en contexte francophone minoritaire.
- Pour nos enseignements, il s’agit d’une des seules revues où on peut trouver des textes sur le travail social en contexte minoritaire.
- Il n’y a pas un cours où je n’utilise pas des articles de Reflets ». C’est la valeur ajoutée de Reflets : un outil pédagogique calibré aux réalités francophones minoritaires.
- La revue se veut une intervention en soi en créant un savoir propre aux minoritaires, un savoir où les personnes se connaissent et se reconnaissent, d’où le titre de la revue.12
- À l’origine, la revue Reflets voulait combler un manque de pertinence des revues québécoises en raison de leur choix éditorial privilégiant l’examen de réalités du Québec. Donc, la pérennité de Reflets est le signe manifeste qu’elle répondait et répond toujours à un besoin.

En somme, toutes les réponses font état des impacts significatifs de la revue depuis vingt ans. En liens avec ces témoignages, la suite du texte constitue un collage des opinions émises, regroupées autour de la mission de la revue, de ses retombées et de ses orientations possibles.

Reflets et contexte minoritaire
La revue a su rassembler les divers acteurs dans le domaine francophone minoritaire, être la voix de grands projets qui se sont déroulés au cours des derniers vingt ans, offrir des écrits de belle qualité aux intervenantEs, aux professionnelLEs, aux étudiantEs, aux universitaires et enfin constituer un élément déclencheur de plein d’initiatives dynamiques dans les communautés francophones minoritaires. Et une répondante de conclure : Bravo! Si cette revue n’existait pas, il faudrait la créer! Par ailleurs, toutes et tous confirment le rôle d’une revue d’intervention sociale pour les chercheurs-intervenants témoins et acteurs de leur condition minoritaire, qui sentent le besoin de répondre aux nécessités sociales de leur communauté :
« Reflets a largement contribué à la diffusion de la recherche en Ontario français et dans d’autres contextes minoritaires, milieux géographiquement dispersés, parfois isolés et ayant peu d’accès à des possibilités de publication.

« Avant 1995, il n’y avait aucune revue scientifique traitant des problèmes et des enjeux spécifiques à la pratique du travail social en milieu minoritaire francophone en Ontario »

répondra une autre personne, soulignant ainsi la précarité de la représentativité sociale francophone minoritaire de l’époque dans l’ensemble de la société canadienne.

Reflets et identité professionnelle
Toutes et tous sont d’avis que la Revue a largement contribué à bâtir non seulement une expertise spécifique, mais aussi une identité professionnelle francophone; de la sorte, elle a contribué à rassembler les soucis identitaires des communautés de la francophonie minoritaire.
« En 1990, lors de mon arrivée en Ontario, nous n’avions aucun texte scientifique propre à l’Ontario français ou au contexte francophone minoritaire. Nos références venaient du Québec et de la France. Maintenant, tant au niveau des recherches scientifiques que des projets communautaires, nous avons des centaines de possibilités à notre portée. De plus, le consortium Érudit contribue à une large diffusion des articles de la revue ».

Une autre personne se penche davantage sur sa portée au niveau de l’intervention :
« Reflets est aussi un outil d’intervention dans la mesure où il éveille les milieux minoritaires a des réalités qui ne sont pas nécessairement traitées, discutées dans ces mêmes milieux. Cette revue agit en avant-garde, cherchant certes à mobiliser, mais également à interroger les communautés minoritaires autour d’enjeux et de questions qui ne vont pas nécessairement de soi dans ces communautés ».

La Revue fait ainsi figure d’un acteur politique, un outil d’empowerment social :
« La revue encourage l’échange, le partage, pour les francophones qui vivent des situations de pauvreté et de marginalité qu’on a autrement tendance à passer sous silence. On ne peut pas s’adresser aux problèmes du présent de cette communauté sans reconnaître le contexte historique du développement du service social en Ontario français et sur lequel s’appuient les nouvelles pratiques et les innovations dans les domaines du service social et de la santé ».

C’est pourquoi, opine un autre intervenant, la Revue Reflets est unique en son genre :
« C’est une revue qui est unique en Amérique du Nord par le fait même qu’elle représente un espace de débats et de discussions académiques et de réflexions sur les pratiques d’interventions sociales dans le contexte francophone minoritaire comme il n’y a pas au Canada ».

Une autre répondante souligne le rôle de « diffuseur continuel d’articles » rôle que Reflets a assumé à travers le temps, s’inscrivant dans une démarche de démocratisation de la communication sociale jusqu’alors monopolisée par certains acteurs privilégiés, loin des préoccupations locales et informelles.
« Je pense à des numéros sur la violence contre les femmes : ils ont permis de diffuser ce qui se fait dans le domaine, ici, en Ontario français. Les numéros sur la santé vont dans le même sens : ils abordent les questions du point de vue des populations en milieux minoritaires et comblant ainsi un vide entre les réseaux de communication formels et les lieux de production de savoir local, informel ».

Rôle élargi pour la revue
Plusieurs émettent des commentaires en faveur d’un rôle encore plus dynamique, plus interactif, plus vaste pour la revue. Par exemple, quel rôle pourrait jouer Reflets auprès des gouvernements au niveau municipal, provincial ou fédéral dans la planification, dans la prise de décision ou dans la gouvernance sociale? Dans quelle mesure la revue a-t-elle influencé les politiques sociales et autres lieux de changement institutionnel? Il s’agit à la fois d’une évaluation tout autant que d’une mise en garde à la revue, un danger de conformité ou encore d’inertie qui risque de paralyser sa mission :
« Reflets s’est trop aligné aux pratiques institutionnelles et n’a pas su garder une distance critique face aux institutions de formation, de recherche et d’intervention. C’est en ce sens que certains thèmes essentiels ont pratiquement été évités, comme par exemple la pauvreté et les très grandes et grandissantes inégalités sociales, entre régions et groupes de populations, particulièrement les plus vulnérables. De plus, ne pas aborder des thèmes comme l’épuisement professionnel et ce qu’il dévoile d’un système de plus en plus contraignant pour les lieux de pratique, qu’est-ce que ceci révèle un engagement tiède de la part de la revue, reflétant un positionnement équivoque face à un état de moins en moins providentialiste et une profession jouant le jeu d’un conformisme progressiste?

En terme d’un renouvellement de sa mission, un nouvel élément se dégage : un appel à l’ouverture vers d’autres horizons francophones – tant au Canada ou sur le continent nord-américain, qu’ailleurs au monde.
« Il serait peut-être pertinent d’élargir le comité de direction ou de créer un comité scientifique international ». Par cette ouverture à l’international on vise aussi le terrain d’expérience de pratiques : « Je suggérerais d’ouvrir la revue à des auteurs et problématiques de travail social d’autres régions minoritaires du monde. »

D’autres commentaires visent d’autres formes d’élargissement des perspectives, dans le sens où « la place des articles hors-thèmes pourraient aussi être revue » et présenter ainsi un plus grand regard d’idées que celles qui sont en quelques sortes planifiées deux ans à l’avance. Par ailleurs, le site You Tube pourrait être utilisé pour diffuser l’intégral des entretiens présentés dans l’entrevue. Enfin, l’élément inclusif des nouvelles générations préoccupe également plusieurs répondantEs : « l’ouverture à la nouvelle génération, qu’on offre la chance de passer la relève de la Revue à des jeunes futurs travailleurs et travailleuses sociales. De ce point de vue Reflets pourrait aussi être un instrument intergénérationnel accessible aux jeunes. La revue devrait être ouverte aux étudiants et étudiantes, souligne le sondage : « pour qu’ils puissent publier leurs recherches ». Une autre personne renchérit : « Il faudrait que Reflets permette à des étudiants doctorants de diriger des numéros, donnant ainsi une vraie place aux étudiantes de deuxième et troisième cycles ».

Dans l’ensemble, les personnes répondant au questionnaire formulent des vœux de continuité et de diversification de ses formes de diffusion « Il faut remercier les artisans de la revue et reconnaître le travail très important qu’ils ont fait pour la développer, et remercier également les bailleurs de fonds. Il faut continuer cet excellent travail d’agir comme rassembleur et diffuseur des recherches et des pratiques qui se font dans les milieux francophones minoritaires. »

Que conclure? Ou plutôt : faut-il conclure?
En somme, Reflets, c’est une histoire à suivre. En ce sens, nous ne proposons pas de conclusion, mais une ouverture au monde. Il semble évident, suite à cette brève analyse, que la revue a joué un rôle important, capital même, dans l’évolution de l’intervention sociale en contexte minoritaire, en Ontario certes, mais aussi ailleurs dans des milieux similaires.

Vingt ans passés, Reflets a créé sa place et a graduellement pris une place bien campée dans le vaste et riche univers de l’intervention sociale. Cette revue fait maintenant partie des outils d’information, d’échange, de formation, de recherche et de mobilisation, des éléments qui définissent le travail social en ce 21e siècle. Sa crédibilité n’est plus à établir, tant dans les cercles universitaires que dans les lieux d’intervention, qu’ils soient institutionnels, communautaires ou alternatifs. En ce sens, sa présence au sein du Consortium Érudit, depuis 1998, lui donne d’ores et déjà un rayonnement international.

Etant donné sa base relativement solide, tant en termes de ses ressources qu’en terme de sa gestion, la revue pourrait faire beaucoup plus, élargir les horizons de ses perspectives et être présente à divers autres instances pour faire évoluer le travail social – et les autres professions d’aide d’ailleurs – dans le sens des droits, de l’égalité, du renouvellement des pratiques. Pour ce faire, une place de choix doit être accordée à une réflexion sur ce qu’est le travail social, basée sur des valeurs qui représentent la profession dans ses formes les plus conscientisantes. En effet, les horizons de l’intervention ne doivent pas se limiter aux approches institutionnelles et aux visions professionnelles qui ont souvent tendance à adopter des perspectives limitées de ce que peuvent faire les professions d’aide, mais élargir le regard et les possibilités en s’inspirant de personnes et réseaux qui ont ennobli le social et inspiré ses actrices et acteurs.

Par ailleurs, force nous est de constater que plusieurs des artisans de la première heure se sont retirés ou le feront prochainement. La relève nous semble capitale à cette étape, qu’elle soit recrutée au niveau des étudiantes et étudiants, au niveau des personnes représentant les communautés de pratique ou au niveau des divers lieux de formation. Une ouverture à l’international13 nous semble ici une occasion rêvée de concrétiser les lieux et formes de réflexion que Reflets a déjà bien entamés.

Et finalement, plus de liens sont à établir entre les diverses problématiques présentées. Depuis les débuts, il semble que chaque numéro ait constitué une entité en soi, plus ou moins distante des autres, sans que des liens se fassent entre les numéros et entre les problématiques. Une fois le numéro terminé, on passe au suivant tout en n’ayant pas nécessairement fait le tour de questions complexes. Par exemple, comment étudier la santé mentale sans y joindre les problématiques de pauvreté? Comment parler des jeunes ou des personnes vieillissantes sans aborder les politiques sociales et les politiques d’habitation? Et comment présenter les réalités autochtones sans parler de genre, d’exclusion sociale, des pratiques innovantes, de formation? En ce sens, si la revue continue de planifier en termes de thématiques et de personne responsable pour chacune, comment faire davantage de liens entre les problématiques, tenant compte évidemment de la dimension minoritaire?

Un dernier mot sur la mémoire collective qui reste bien présente. L’histoire se souviendra de nombreuses personnes et ressources qui ont contribué à l’essor de la revue, que ce soit les artisanes et artisans de la première heure14, les ministères et organismes qui ont généreusement appuyé la revue – dont le Consortium National de Formation en Santé (CNFS) et la plateforme Érudit – tout en n’oubliant pas les personnes qui, en toute humilité, ont fait le travail quotidien de gestion des nombreux dossiers, soit à l’Université d’Ottawa, soit à l’Université Laurentienne ou encore à Média Concepts, responsables de la mise en page depuis la première heure. À la mémoire de toutes ces personnes artisanes d’un avenir plus inclusif et égalitaire, un mot final : Reflets se souvient et lève son chapeau!

Notes

1 Composé de Richard Carrière (Sudbury), Richard Martel (Toronto), Hélène Gagné (Toronto), Michèle Kérisit (Ottawa), Chris Sassa (Toronto), Céline Simard (Sturgeon Falls), Nérée St-Amand (Ottawa) et Madeleine Dubois (Ottawa).
2 Nous sommes à l’ère Harris, en 1995; nous y reviendrons.
3 Voir aussi une discussion sur « The Locus and Logos of Exile » dans Aliko Songolo (éd.), The Word Behind Bars and the Paradox of Exile, Northwestern University Press, 1997.
4 On mentionne trois documents qui concernent la lutte pour l’éducation en français : The Public School Act (1885), le Règlement du Ministère de l’éducation d’Ontario de 1890 et surtout le Règlement XVII ou la « Circulaire 17 » (datant de 1912).
5 Voir article signé par Marc Molgat dans ce numéro (détails à venir; pas disponibles avant juin 2015.
6 L’apport diasporique dans la construction politique nationale est assez courante pour les nationalismes modernes européens où les « communautés imaginées» (B. Anderson, 1983) se dessinent et s’inventent souvent à partir de l’extérieur de ce qu’on appelle « nations historiques » – liées communément à un passé, territoire et à une capitale symbolique).
7 Sur le plan individuel, sur le rôle de la querelle, voir les contributions d’Y. Bernthard et George Bach. Sur le plan des collectivités, voir les querelles des élites pour construire un « état vertébré » au sens de l’Espagne vertébrée de José Ortega y Gasset.
8 Voir par exemple un de numéros de la Revue de l’Université de Moncton dédié à « L’Économie sociale et solidaire », Vol. 33, No 1-2, 2002. Écrite en « langue française » par des auteurs « provenant de la communauté universitaire régionale, nationale et internationale », « pluridisciplinaire et humaniste », elle est publiée deux fois par années et « ouvre ses pages à des collaborations externe ». (endos de couverture).
9 Pour Paul Ricœur (2000), l’historien s’avère être un thérapeute social; il voit son rôle comme essentiel car il libère la mémoire collective du fardeau honteux de son passé.
10 Au départ, la revue était semestrielle, tout comme depuis 2011 d’ailleurs. Pendant quelques années (2002-2010), la revue ne publiera qu’une fois l’an. Vous feuilletez présentement le 35ième numéro de la revue.
11 Service social autochtone — Incorporer la vision autochtone du monde dans les stages pratiques en service social », Taima Moeke-Pickering et Cheryle Partridge, Reflets, Vol. 20, No 1, 2014, p. 150-169. « L’intégration des concepts autochtones dans le curriculum du travail social », Adje van de Sande et Gilles Renault Reflets : Revue ontaroise d’intervention sociale et communautaire, Vol. 4, No 1, 1998, p. 164-173.
12 Correspondance électronique le 8 oct. 2014 Marc Charron-Nérée St-Amand, au sujet d’une première version du présent article, reproduite avec la permission du dernier.
13 Déjà, la revue a été présente à des forums nationaux (ACFAS et ACFTS) et, à l’été 2015, à un forum international (AIFRIS, Portugal).
14 Nous incluons ici Michèle Kérisit, qui a beaucoup contribué à la revue, décédée en 2011.


Bibliographie

ARENDT, Hannah (2002). Les origines du totalitarisme : Eichmann à Jérusalem; édition établie sous la direction de Pierre Bouretz; traductions de Micheline Pouteau, Gallimard, Paris, 2002.

ARENDT, Hannah (2002). Les origines du totalitarisme, t. 2, L’impérialisme, trad. fr. M. Leiris, Paris, Gallimard, « Quarto ».

ARENDT, Hannah [1958](1983). Condition de l’homme moderne, Calmann-Lévy, coll. Pocket Agora, Paris.

BELLAH, Robert N., et collab. (c1985). Habits of the heart: individualism and commitment in American life, Berkeley: University of California Press.

BENEDICT, Anderson (1983). Imagined Communities, London, New York.

BENJAMIN, Walter, (2003) « Paris, capitale du XIXe siècle », Écrits français, Gallimard, Paris.

BERNSTEIN, Richard (2005). “Hannah Arendt on the Stateless”, dans Paralax, special issue on Seeking Asylum, Vol. II, No 1, 46-60, Routledge.

BOCK, Michel (2001). Comment un peuple oublie son nom. La Crise identitaire franco-ontarienne et la presse française de Sudbury, 1960-1975 (Prise de parole et Institut franco-ontarien.

BOCK, Michel (2008). « Se souvenir et oublier : la mémoire du Canada français, hier et aujourd’hui », dans Joseph Yvon Thériault, Anne Gilbert et Linda Cardinal, dir., L’espace francophone en milieu minoritaire au Canada. Nouveaux enjeux, nouvelles mobilisations, Montréal, Les Éditions Fidès.

BOCK, Michel et GERVAIS, Gaétan (2004). L’Ontario français des Pays-d’en-Haut à nos jours, Ottawa, Centre de ressources pédagogiques de l’Ontario, 2004.

CARRIÈRE, Richard (1995). « Présentation – Reflets, revue ontaroise d’intervention sociale et communautaire », Reflets, revue d’intervention sociale et communautaire, Vol. 1, N° 1, printemps, p. xi.

CASTEL, Robert (1994). « La dynamique des processus de marginalisation : de la vulnérabilité à la désaffiliation », Cahiers de recherche sociologique, No 32, p. 11-27.

CHARTIER, Roger (1982). « Intellectual History or Socio-cultural History? The French Trajectories », dans Dominick LaCapra and Steven L. Kaplan, Modern European Intellectual History Reappraisals and new perspectives, Cornell University Press.

CHOQUETTE, Robert (1977). Langue et Religion. Histoire des conflits anglo-français en Ontario, Les Éditions de l’Université d’Ottawa, Ottawa, Canada.

DE CERTEAU, M (1980). L’invention du quotidien, U.G.E., Paris.

DERRIDA, Jacques (1967). L’Écriture et la différence, Seuil, Paris.

DIALLO, Lamine et Marge Reitsma-Street (1995). « Stratégies de survie et d’identité : les dynamiques culturelles dans un projet d’intervention en prévention communautaire » Reflets, revue ontaroise d’intervention sociale et communautaire, Vol.1, No 1, printemps, p. 43-69.

FOUCAULT, Michel (1966). Les Mots et les Choses. Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines ».

FOUCAULT, Michel (1994). Dits et écrits, Paris, Gallimard.

FREUD, Sigmund (1970). « Remémoration, répétition, perlaboration », traduction de A. Berman dans La Technique psychanalytique, Paris, PUF.

GRISÉ, Yolande (1982). « Ontarois : une prise de parole », Revue du Nouvel-Ontario, No 4, 1982, p. 81-82.

HARTOG, François (2003). Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Seuil, La librairie du XXe siècle.

LEDUC-BROWNE, Paul (1995). Déjà Vu: Thatcherism in Ontario, in: Open for Business, Closed to People: Diana Ralph, André Régimbald and Nérée St-Amand ed, Firnwood Publishing, Halifax.

LIANOS, Michalis (2006). « Le contrôle social après Foucault », in Surveillance & Society 1(3): 431-448, article consulté le 16 mars, dans sa variante électronique : http://www.surveillance-and-society.org/articles1(3)/ApresFoucault.pdf

MA MUNG, E. (1999). La dispersion comme ressource spatiale, Cultures et conflits, No 42, p. 43.

MOLGAT, Marc et Denise Lemire (1995). « Des jeunes à l’écart du social? Histoires des jeunes francophones sans abri à Ottawa-Carleton », Reflets, revue ontaroise d’intervention sociale et communautaire, Vol. 1, No 1, p. 141–163.

MARGALIT, Avishai (2002). The Ethics of Memory, Harvard University Press.

NORA, Pierre, direction (1997). Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard.

PARÉ, François (1994). L’Institution littéraire franco-ontarienne et son rapport à la construction identitaire des Franco-Ontariens, La question identitaire du Canada francophone. Récits, parcours, enjeux, hors lieux, sous la direction de Jocelyne Létourneau, Roger Bernard (Coll.), Sainte-Foy, Les presses de l’Université Laval.

RICŒUR, Paul (2000). La mémoire, l’histoire, l’oubli, Éditions du Seuil, Paris.

RICŒUR, Paul (2002). « Mémoire : approche historienne, approche philosophique », Le débat, No 122, nov-déc.

RICŒUR, Paul (2004). Parcours de la reconnaissance, Gallimard, Ed. Stock.

RIGNEY, Ann (1992). “The Point of Stories: On Narrative Communication and Its Cognitive Functions”, Poetics Today, Vol. 13, No 2, Duke University Press, p. 263-283

ST-AMAND, Nérée (2011). Repenser le service social?, Ottawa, Merriam Print.

TAURRIUS, A. (2002). La mondialisation par le bas. Les nouveaux nomades de l’économie souterraine, Balland, Paris.

WELCH, David (1995). « Les Franco-Ontariens : la résistance comme mode de vie », Reflets, revue ontaroise d’intervention sociale et communautaire, Vol 1, No 1, p. 2.

WHITE, Hayden (1987). The Content of the Form: Narrative Discourse and Historical Representation. Baltimore and London: Johns Hopkins University, Press.

Y GASSET, Ortega (1992). España invertebrada, Liga de Educación Política.
Annexe 1
Opposition au Règlement 17 en Ontario
En 1912, le gouvernement de l’Ontario adopte le Règlement 17 qui interdit qu’on enseigne et même qu’on parle français dans les écoles ontariennes. Les hommes défendent les droits des francophones par le discours politique. Par exemple, le Père Charlebois crée le journal Le Droit et Louis-Philippe Landry démissionne avec fracas de son poste de président du Sénat canadien pour se consacrer à la présidence de l’Association canadienne-française d’éducation de l’Ontario (l’ACFO d’aujourd’hui). Il dénoncera, en 1917, l’œuvre subversive de l’évêque irlandais Fallon et blâmera aussi l’archevêque anglophone d’Ottawa. Son fauteuil de sénateur est aujourd’hui aux bureaux de l’ACFO où il est l’apanage du président. Samuel Genest, président de la Commission des écoles séparées d’Ottawa, pendant toute la crise du Règlement 17 (1912-1927), sera traîné devant les tribunaux et accusé d’avoir rémunéré des enseignants. Il sera aussi président de L’ACFÉO. La crise scolaire atteint son paroxisme. Monseigneur Élie Latulipe d’Haileybury et d’autres évêques et dirigeants francophones appuient l’ACFÉO. Mais les femmes décident de défendre leurs droits en passant à l’action! Les enseignantes Diane et Béatrice Desloges sont expulsées de leur École Guigues à Ottawa pour avoir continué d’enseigner en français. Forcées de quitter l’École Guigues, les enseignantes Diane et Béatrice Desloges ouvrent des classes privées. La Commission des écoles séparées d’Ottawa veut reprendre l’École Guigues mais les policiers leur barrent la route. En janvier 1916, les deux enseignantes et 19 mères de famille reprennent possession de leur école. Les policiers encerclent l’édifice, mais les femmes montent la garde avec leurs fameuses épingles à chapeau. Les femmes occupent l’école pendant des semaines et continuent d’enseigner en français aux enfants. Puis, trente policiers défoncent la porte pour essayer de reprendre l’école avec leurs matraques. Ils sortent en courant et abandonnent après avoir reçu leur part de coups de rouleaux à pâte, de poêles de fonte et d’épingles! Ce jour-là, les Gardiennes de l’École Guigues ont fait un geste qui a inspiré tout l’Ontario à défendre l’éducation de langue française. D’autres femmes continueront le combat, telles Florence Quesnel à Green Valley, Anne-Marie Lemelin à Welland et Jeanne Lajoie à Pembroke. La crise scolaire se résorbe en 1921. Le Règlement 17 devient inopérant en 1927 et sera officiellement abrogé par le gouvernement qu’en 1944. Cette loi infâme aura toutefois permis aux Franco-Ontariens de se regrouper et de s’affirmer comme collectivité.

http://echo.franco.ca/guerredesepingles/index.cfm?Id=32864&Sequence_No=&Voir=journal

Revendications et luttes scolaires
Le domaine de l’éducation est un lieu de débats et de revendications pour les Franco-Ontariens. Depuis la fin du XIXe siècle, les Franco-Ontariens doivent lutter pour obtenir et conserver des droits à des écoles élémentaires et secondaires de langue française. En effet, le développement des écoles franco-ontariennes est régulièrement compromis. L’adoption du tristement célèbre Règlement XVII par le gouvernement ontarien en 1912 représente la plus importante menace au développement des écoles franco-ontariennes. Pendant quinze ans, la crise scolaire provoquée par le Règlement XVII est ponctuée de plusieurs luttes acerbes. Mais cette crise permet néanmoins l’émergence d’une plus grande cohésion et une meilleure convergence des forces en faveur de l’éducation de langue française en Ontario. Créée en 1910, l’Association canadienne-française d’éducation d’Ontario (ACFEO) est la porte-parole incontestée de la communauté franco-ontarienne. Entre 1945 et 1950, les assises de la Commission royale d’enquête sur l’éducation en Ontario (Commission Hope), permet à la communauté franco-ontarienne de constater que ses acquis au niveau de l’enseignement élémentaire et secondaire demeurent précaires. Encore une fois, l’ACFEO se porte à la défense des droits des Franco-Ontariens. Après l’obtention du droit à des écoles secondaires de langue française en 1968, les Franco-Ontariens doivent à nouveau lutter pour obtenir des écoles homogènes de langue française dans de nombreuses localités. Les années 1970 et 1980 sont le théâtre de nombreuses crises scolaires qui ébranlent les rapports entres les francophones et les anglophones en Ontario et au Canada. L’obtention de la pleine gestion des écoles élémentaires et secondaires devient le cheval de bataille des Franco-Ontariens.
http://crccf.uottawa.ca/passeport/IV/IVD.html


Annexe 2
Message envoyé aux personnes invitées à participer au sondage de Reflets – avril 2015

La revue Reflets, créée en 1995, fête cette année ses vingt ans d’existence. À date, elle a publié 34 numéros et plus de 370 articles. L’objectif de ce questionnaire est de nous aider à évaluer la portée de la revue. L’article qui se dégagera de cette recherche-ci devrait être publié dans le numéro de l’automne 2015.

Dans ce contexte, vous êtes invitéE à répondre à quatre questions, qui devraient prendre environ quinze minutes de votre temps et qui vont nous aider à dresser un bilan aussi juste que possible de l’impact de la revue.
1. Tenant compte des objectifs visés par la revue, considérez-vous qu’elle remplit sa mission? SVP expliquez en quel sens.
Pour vous aider à répondre à cette première question, nous vous rappelons les objectifs visés par Reflets:
- Promouvoir la pensée critique interdisciplinaire sur les politiques, les pratiques institutionnelles et communautaires et sur la formation professionnelle dans les domaines des services sociaux et de la santé, en tenant compte des particularités historico-socio-politiques des francophones en contextes minoritaires;
- Offrir aux intervenantes et aux intervenants un outil de communication permettant de diffuser leurs recherches, de partager des réflexions en lien avec leurs pratiques et l’analyse des politiques sociales, lois et structures organisationnelles et de leurs répercussions sur les populations francophones minoritaires;
- Créer un espace favorisant l’expression et la diffusion de pratiques novatrices ou alternatives dans les secteurs d’intervention touchant les communautés francophones vivant en contextes minoritaires.
2. La revue Reflets vise les cibles suivantes : le domaine de la formation, de la recherche et de l’intervention, dans un contexte minoritaire. Estimez-vous que ces diverses dimensions se retrouvent adéquatement dans la revue? - La formation? - L’intervention? - La recherche? - Le contexte minoritaire? En quel sens?
3. Selon votre expérience (en tant qu’étudiantE, professeurE, auteurE, lecteurE, etc), quel est l’impact de la revue Reflets, tant sur la formation, la recherche que sur la pratique du travail social?
4. Que suggérez-vous? Dans quelle direction est-ce que vous souhaitez que la revue Reflets évolue?

Résumé en Anglais

Reflets, a francophone journal published in Ontario, Canada, is celebrating in 2015 its 20 years of existence. This article will present its mission and objectives and will discuss some of the repercussions of its presence, both at the academic level as well as within the professional community.
Based on a content analysis of the articles published, some of the themes (violence, poverty, exclusion, francophone minorities, etc), will be explored during this presentation.
The author will also accompany his talk with illustrations from the journal.

Keywords: francophone minorities, violence, social exclusion, discrimination, oppression.