Fiche Documentaire n° 4122

Titre Multiplication des précarités chez les jeunes, multiplicité des professionnels, quelles marges de manœuvre pour ces acteurs ?

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Auteur(s) FUGALDI ANNE-SOPHIE  
     
Thème  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

Multiplication des précarités chez les jeunes, multiplicité des professionnels, quelles marges de manœuvre pour ces acteurs ?

Les multiples précarités chez les jeunes entraînent bien souvent une multiplication des professionnels à leurs côtés. Ils sont appelés des jeunes dits «incasables » qui passent d’institution en institution. L’accompagnement est de ce fait plus soutenu et plus complexe. C’est pourquoi des institutions du champ social, médico-social, sanitaire, judiciaire gravitent autour d’eux. Une instance de concertation départementale pluri-professionnelle est mise en place sur le territoire afin d’analyser ces problématiques.

Ces jeunes sont dans une précarité sociale, économique, relationnelle, affective, culturelle ce qui pourrait laisser penser que toutes ces difficultés les submergent au point de diminuer voir annihiler leur capacité d’agir. La notion de précarité fait écho à l’instabilité, à la fragilité, à l’incertitude, à l’isolement, à la stigmatisation, à la souffrance, souffrance qui se traduit souvent par des passages à l’acte et/ou par de l’errance. Leur vie est parsemée de ruptures. S’enclenche le mécanisme de l’exclusion. Maisondieu dans « La fabrique des exclus » la décrit comme un syndrome, « un mélange de honte et de désespérance qui conduit l’exclu à la mise en panne de son affectivité et de ses facultés cognitives pour survivre à défaut de vivre ».

Aux prises avec des histoires familiales complexes et douloureuses, la violence au cœur de ces trajectoires, la souffrance physique et/ou psychique, des ruptures de parcours, l’errance, la délinquance, les liens sociaux de ces jeunes sont ténus.
Vulnérables, désaffiliés au sens de Castel, sont-ils écrasés par leur situation ou acteurs de leur prise en charge ?

A partir d’une recherche inductive dans le cadre d’un diplôme d’Etat en Ingénierie Sociale et d’un Master en Sciences Humaines et Sociales, grâce à la "grounded theory », la question serait de vérifier si réellement ces jeunes ne sont plus en capacité de maîtriser leur parcours à l’instar des professionnels qui sont eux-mêmes désorientés.
A la lumière de la théorie de Crozier et Friedberg, cette communication apportera des éléments de compréhension grâce à l’analyse de cinq monographies et aux stratégies développées par les travailleurs sociaux et les jeunes en difficultés multiples. Un étrange « effet miroir » apparaît…

Bibliographie

BARREYRE (J.Y), FIACRE (P), JOSEPH (V), MAKDESSI (Y), 2008, Une souffrance maltraitée. Parcours et situations de vie de jeunes dits « incasables ». Recherche réalisée pour et financé par l’Observatoire National de l’Enfance en Danger, le conseil général du Val de Marne et le conseil général du Val d’Oise
CROZIER (M), FRIEDBERG (E), 1977, L’acteur et le système, Paris, Seuil
DERIVOIS (D) 2010, Les adolescents victimes/délinquants. Observer, écouter, comprendre, accompagner, Paris, De Boeck
COENEN (R.), 2001/2, L’exclusion est une maltraitance, clinique des adolescents difficiles, Médecine et Hygiène, thérapie familiale, n°22, pp. 121-132
MAISONDIEU (J), 2010, La fabrique des exclus, Essai, Broché
CASTEL (R), 1999, Les métamorphoses de la question sociale, Folio Essai
PAUGAM (S), 2013, La disqualification sociale: Essai sur la nouvelle pauvreté, Broché

Présentation des auteurs

Anne-Sophie FUGALDI, Cadre Pédagogique à l’IRTS Nord- Pas-Calais, diplômée en Ingénierie Sociale, Prix ALEFPA 2013, asfugaldi@irtsnpdc.fr

Communication complète

Mon mémoire de recherche s'intitule « Jeunes en rupture, Professionnels désorientés, une ingénierie nouvelle pour supporter des jeunes dits incasables. »
Il s'agit pour cette recherche d'une démarche inductive. Je me suis intéressée aux jeunes en difficultés multiples passant de structures en structures et mettant à mal les diverses institutions. Ce sont des jeunes en souffrance, souvent perçu comme « ingérables » par les professionnels. Ils se sont retrouvés fréquemment devant le juge pour enfants comme victimes et/ou auteurs de violences.
Ma thématique était donc axée dans un premier temps sur les pratiques institutionnelles et interinstitutionnelles autour de ces jeunes. Je me suis inspirée de la "grounded theory", la théorie venant d'en bas, fondée sur les faits pour découvrir les hypothèses.
C’est une recherche qui s’est déroulée sur une période de 2 ans de mars 2010 à janvier 2012.
La première méthode utilisée fut l’observation directe de 2 Comités Techniques Territoriaux où ont été évoquées 5 situations de jeunes (4 garçons et une fille âgés de 15 à 17 ans et 8 mois). Intéressée par les pratiques professionnelles, la « pertinence sociale » m’amenait donc à étudier ces réunions.
Le CTT est un dispositif départemental et territorial regroupant diverses institutions et leurs professionnels autour d’une table afin d’analyser des situations, de faire des préconisations pour ces jeunes en souffrance et qui font souffrir les intervenants et les équipes. Il s’agit d’enrayer un processus d’«incasabilité» et d’effectuer un travail préventif.
Les professionnels dits « permanents », présents à chaque réunion, sont en grande majorité des cadres.
Les professionnels occasionnels sont pour la plupart des professionnels éducateurs, ils accompagnent le jeune au quotidien et viennent exposer la situation au CTT.
La deuxième méthode utilisée est l’entretien compréhensif. 13 entretiens ont été effectués un an après les CTT.
En effet, que retirent pour leurs pratiques quotidiennes ceux qui ont assisté au CTT? Quelles ont été les suites, notamment l’usage des préconisations? Des stratégies professionnelles impliquant l’articulation de différentes institutions ont-elles été créées ? Quelle est la situation du jeune un an après?
J’ai eu beaucoup de difficultés à retrouver les professionnels, soit le jeune n’était plus accueilli dans l’institution, soit le professionnel avait changé…
En effet, les 10 professionnels concernés en 2010 ne l’étaient plus en 2011 et étaient remplacés par 9 nouveaux professionnels.
Les premiers résultats de l’enquête ont donc été le poids de la mobilité professionnelle sur la fragilité des coopérations amorcées…un véritable travail d’enquête fut nécessaire pour retrouver les professionnels et par là même la trace des jeunes…le caractère insaisissable de ces jeunes était en corrélation avec le caractère tout aussi insaisissable des professionnels…
Nous verrons par la suite que cet effet-miroir se retrouvera dans les stratégies d’action des uns et des autres.
J’ai construit 5 monographies à partir des données du CTT et des entretiens en reprenant tous les éléments de leur parcours.
Les caractéristiques communes aux 5 situations sont :
Des histoires familiales complexes et douloureuses
 4 familles monoparentales
 Pères peu ou pas présents
 Mères dépassées, ambivalentes et dans le rejet de leur enfant, deux mères ont des pathologies psychiatriques
 3 familles connues de la justice
 Situations sociales précaires
 Répétitions dans placements, actes délinquants, consommation drogue, alcool, violences physiques, verbales et sexuelles
La violence au cœur de ces trajectoires
Classiquement, deux types de violences sont à noter : les violences subies et les violences agies. Dans ces situations, une trilogie paraît plus pertinente. Les jeunes occupent trois positions. Ils peuvent être témoins, victimes, auteurs. On note une multiplicité des places selon les parcours, les âges, les moments. Ils n’occupent pas forcément ces places tour à tour mais souvent simultanément.
Des jeunes en souffrance physique et/ou psychique
3 de ces jeunes ont des propos suicidaires, présentent une dépression et/ou des troubles bipolaires. On observe des refus de soins. Les addictions sont courantes (alcool, drogues, jeux vidéos). Les troubles alimentaires et du sommeil sont fréquemment évoqués.

Des ruptures de parcours
 Ruptures qui concernent : famille, cadre de vie, scolarité, insertion professionnelle
 Les ruptures les plus importantes et les plus graves concernent les ruptures familiales et celles du cadre de vie dues aux placements
Les jeunes ont vécu dans 6 à 8 lieux différents
 Scolarité est en dents de scie ponctuée de déscolarisations momentanées ou totales
 Ces ruptures peuvent résulter d’une exclusion de l’école mais intervenir aussi au moment d’une hospitalisation, d’une fugue ou d’un changement de lieu de placement
 Ruptures dans les suivis psychologiques

L’errance
Ces jeunes ont fugué à plusieurs reprises, trois sont en fugue au moment du CTT. Parfois, c’est la cause première invoquée par le foyer pour expliquer qu’il ne peut le garder.
Pour un des jeunes, il a « usé » les gendarmes et bien qu’il soit toujours sous la responsabilité de l’ASE, personne ne sait où il se trouve.
Pour 4 jeunes, ils retournent souvent chez eux. Ils vivent une fois de plus le rejet ou le manque de cadre.
Une descente dans la délinquance
L’observation des parcours met en évidence une descente dans la délinquance. Les actes posés vont crescendo sans se heurter à des limites. Il semblerait que ces jeunes commettent ces actes par identification à certains membres de leur famille. Le jeune est pris dans un modèle d’imitation ou d’identification. La délinquance est ici un moyen d’exister aux yeux des siens.
4 jeunes ont une ou plusieurs affaires en cours au pénal.

Les situations sont extrêmement lourdes et j’observais que le jeune était bien plus qu’un acteur de sa prise en charge et qu’il en devenait pilote…
A la lumière des apports théoriques de Crozier et Friedberg, j’ai repris l’itinéraire des jeunes en ne retenant que ce qui concernaient leurs stratégies d’action et la manière dont répondaient ou réagissaient les institutions et leurs professionnels :
Comment un jeune placé s’assure-t-il d’une place d’acteur? Les contraintes du placement et les diverses précarités n’entravent-elles pas sa marge de liberté et de manœuvre?
La pluralité des professionnels suscite-t-elle des marges d’incertitude et un espace d’initiatives pour les jeunes ?
L’analyse des données laisse entrevoir un certain nombre de stratégies en miroir comme le retrait et le refus.
La stratégie du retrait utilisée par les jeunes est classique. Les travailleurs sociaux se plaignent de non-collaboration des jeunes et/ou de leurs familles. Le fait de ne pas adhérer donne du pouvoir à ces jeunes et amènent les professionnels à se retrouver dans de véritables impasses et donc d’être dans le retrait à l’instar du jeune. Lorsque le jeune se met en retrait, l’institution se retire également. Cette stratégie lui permet d’accroître son pouvoir en se libérant des contraintes liées aux mesures prises.
La stratégie du refus permet aussi au jeune d’accroître son pouvoir et de choisir son lieu de placement, par exemple en n’adhérant pas à la pré-admission dans l’institution.
Les jeunes construisent des alliances avec certains professionnels. Ils demandent à voir le juge seul, le juge abonde dans le sens du jeune contrairement aux préconisations des professionnels. Les jeunes font également des efforts avant les audiences qu'ils abandonnent juste après.
Ils adaptent leurs discours et leurs comportements et selon les interlocuteurs et sont dans un rôle de séduction et/ou de victimisation.
Lorsqu'ils n'obtiennent pas ce qu'ils demandent, on peut observer des comportements menaçants ou violents.
Il existe une palette de stratégies, les deux premières, le retrait et le refus, sont concordantes aux acteurs. Les alliances servent aux jeunes pour parvenir à leurs fins. Ils menacent et les professionnels hésitent à sanctionner ce qui augmente les comportements déviants.
D’une position d’acteurs, les jeunes deviennent pilotes de leurs prises en charge. Le pouvoir se situe davantage de leur côté. Le jeune est mis dans une position où il peut être manipulateur. Il a compris le fonctionnement des institutions et sait montrer de lui ce que l’institution s’attend à voir. Les multiples intervenants créent des zones d’incertitude dans lesquelles le jeune s’engouffre. Malgré cela, l’insécurité et le mal-être demeurent face à un cadre non-contenant.
Le manque de lisibilité est assez criant dans les CTT, les professionnels n'ont parfois pas d'indication sur les raisons des placements. Ils leur manquent "des bouts" d'histoire du jeune...Il y a un manque de lien entre les évènements du passé, les manifestations du jeune et les conditions actuelles de prise en charge. Le poids de la mobilité des professionnels montre une réelle difficulté à accompagner ces jeunes dans une continuité et une cohérence. Les pertes d'information sont énormes.
Ces jeunes ont tous vécu une forme de violence institutionnelle (rejet, exclusion…)
Les nombreuses mainlevées sont génératrices de discontinuités. Elles sont décidées quand le jeune met en échec le placement mais aussi quand le jeune a trouvé une certaine stabilité, un mieux-être…Il s’agit ici d’une inversion des causalités.
Des difficultés de coordination et de concertation sont observées. L’usure professionnelle est fréquemment évoquée. Les professionnels déplorent des placements trop tardifs, les situations étant déjà trop dégradées…
Au vue de la mobilité, aucune des préconisations faites au CTT n’ont été mises en place. Il n’y a pas eu de communication entre les « anciens » professionnels et les « nouveaux ».

Quatre points essentiels émergent de cette recherche :
• l’importante mobilité des professionnels sur un période d’un an
• des professionnels désorientés, tourmentés face à des jeunes en rupture qui saisissent les occasions d’influer sur leur prise en charge
• un dispositif dont les préconisations sont difficiles à communiquer et à mettre en œuvre compte-tenu du nombre et de la diversité (du socio-éducatif au judiciaire, en passant par le médical) des institutions concernées
• les cadres des institutions et des actions ne tiennent pas par rapport à ces jeunes, ils s’entrechoquent au point de paraître bien fragiles, parfois même en voie de déconstruction

Parce qu’il n’existe pas de connaissance sur l’enchaînement des différentes mesures de protection et sur les parcours des jeunes, cette production de connaissances vise à intéresser, d’une part, les décideurs, par sa dimension d’évaluation des politiques publiques et, d’autre part les acteurs du territoire par l’analyse de la pertinence des mesures prises en fonction des problématiques et profils des jeunes.
La soudure entre les adultes est primordiale, en sachant que le jeune rejoue dans l’espace institutionnel les traumatismes qu’il a vécus. L’accompagnement de ces parcours peut rapidement devenir chaotique en l’absence d’un travail interinstitutionnel.
Reprendre les itinéraires des jeunes, comprendre les dysfonctionnements permet de ne pas reproduire ce qui a été mis en échec.
L’ingénierie sociale apporte une expertise nouvelle dans le secteur de la protection de l’enfance. Elle met en exergue des besoins de coordination, de réflexion collective, de coopération.
Garantir une continuité dans l’accompagnement, évaluer collectivement, mettre en place des préconisations opérationnelles sont des axes de vigilance et de travail. Le dépassement des clivages institutionnels en est l’enjeu. Ces jeunes nous demandent de TENIR comme l’affirme Daniel Derivois.

Résumé en Anglais


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