Fiche Documentaire n° 4164

Titre Histoires de vie et photographies

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l'auteur principal

Auteur(s) BERTON jacques  
     
Thème Recits de vie et intervention sociale  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

Histoires de vie et photographies

Comme de nombreux travailleurs sociaux j’étais quotidiennement confronté dans mon travail à des fragments d'histoires, de puzzles, de bouts de vie menacée par le chaos économique, social, familial.
Le cadre de mon intervention visait pour une grande part à aider les personnes rencontrées à exprimer leur vécu jusque dans ce qu’il pouvait avoir de douloureux et à s’en réapproprier le sens. Cette expression se concrétisait le plus souvent par des récits de soi, des histoires de vie. Trés vite je me suis aperçu combien les albums de photographies de famille entretenaient des rapports privilégiés avec la mémoire et le récit de soi,et provoquaient le travail de la mémoire, comme un excellent embrayeur qui contenait en réserve des histoires qui ne demandent qu'à être racontées, « comme un appel vers le langage ». Plus que tout autre, ce type d'images est chargé d'imaginaire, lourd d'affect. C'est bien les qualités de trace, d'enregistrement, c'est-à-dire de mémoire qui font de la photographie un outil privilégié pour "entrer" dans l'Histoire.
Peu à peu a émergé, pour moi, l’idée d’une tentative méthodologique pour que ces recueils d'histoires ne soient plus seulement des bouts, des miettes mais se constituent petit à petit dans une histoire plus large (familiale, sociale). avec plusieurs questions qui revenaient en boucle :Que faire quand le drame coloré de pauvreté constitue la colonne vertébrale du récit ? Comment passer d’histoires à dormir debout à des histoires à tenir debout pour ces sujets qui se révèlent les moins doués pour la participation au jeu, à l'échange social? Est ce que les sujets concernés par ce travail, pris dans une représentation de leur histoire où souvent le destin est maître des lieux, sont réellement en situation de changer quelque chose à leur vie, à leur histoire ?

Je faisais pourtant l'hypothèse que c'était justement pour eux que le travail de l'histoire de vie pouvait s’avérer utile. C’était dans l'analyse de leur histoire passée qu'ils (qu'elles) allaient découvrir les moments où, malgré les déterminismes externes, ils pouvaient posé des actes qui orienteraient le cours ultérieur de leur vie. L’enjeu était moins de s’intéresser à un sujet porteur d’un symptôme, d’une pathologie, que de l’envisager dans sa globalité en tant qu’il était porteur d’une histoire singulière. Mais cette histoire ne peut avoir de sens que si le sujet se trouve en capacité de pouvoir lui en donner un pour conjurer l’absurdité apparente de sa situation et se projeter dans l’avenir. Il s’agissait donc de permettre à ces sujets d’opérer un tentative de réconciliation avec une trajectoire chaotique pour chercher à identifier avec eux les compétences acquises dans l’éprouvé des difficultés rencontrées.
J’avais appris, expérimenté cela pour moi, avec d’autres : Faire son récit peut provoquer chez le sujet la conscience de trames existentielles, de fréquences, de répétitions, de logiques dominantes.

Le travail autour de l'album-photo facilite, provoque le travail de la mémoire qui produit du sens. Avec un vecteur tout à fait singulier: l'image. Celle-ci dans sa banalité, son apparente pauvreté signifiante, si on sait la regarder, n'est pas avare de confidences sur les comportements sociaux.

Bibliographie

BERTON J (2000), « Récits de vie et intervention sociale » in Les histoires de vie. Théories et pratiques, Education permanente, N° 142, pp 159-168
GAULEJAC V de (1999), L’histoire en héritage, Desclée de Brouwer. Paris
LAINE A (1998), Faire de sa vie une histoire, Desclée de Brouwer. Paris

Présentation des auteurs

BERTON Jacques, Docteur en Sciences de l'éducation? Formateur IRTS Aquitaine

Communication complète

Photographies, histoires de vie et intervention sociale

De manière un peu intuitive, j’ai commencé à pratiquer des histoires de vie dans un service d'action éducative sans repères théoriques précis. Plusieurs questions m'agitaient à ce moment là. Un peu comme dans la photographie, je m'interrogeais sur « une distance suffisante » permettant à chacun des protagonistes (Assistant/Assisté) de porter un regard sur l'autre dans le cadre du travail social. Travailler avec autrui (et non sur autrui comme le suggère François Dubet ) consistait alors à l'accompagner dans l'élaboration d'un projet. Ce projet pouvait tout aussi bien concerner l'espace privé, l'intimité, la vie professionnelle, la santé, la scolarité, la formation, l'insertion sociale...
Comme de nombreux travailleurs sociaux j’étais quotidiennement confronté dans mon travail à des fragments d'histoires, de puzzles, de bouts de vie menacée par le chaos économique, social, familial. Beaucoup de travaux sur l'éducation spécialisée, ont montré que l'éducateur partage avec sa clientèle des éléments d'histoire et de vécu commun : position marginale dans un groupe social, cursus scolaire difficile, événements vécus dans l'enfance. Ici, la justice tendait un miroir aux sujets plongés dans les schémas confusionnels les plus forts afin qu'ils s'emparent de l'image qu'elle leur renvoyait comme sujets de droit. C'était donc bien un travail de production identitaire que je menais, travail à usage autant de la personne concernée que de ses juges.

L'enjeu de l'intervention judiciaire était bien la reconstruction de l'identité narrative du sujet dans le champ du droit. Donner le moyen à chacun de retrouver le fil de l'histoire perdue au moment même où ils sont enchevêtrés dans des événements incompréhensibles pour eux. Peu à peu a émergé, pour moi, l’idée d’une tentative méthodologique pour que ces recueils d’histoires ne soient plus seulement des bouts, des miettes mais se constituent petit à petit dans une histoire plus large (familiale, sociale).
La méthode que j’utilisais, visait à aider les personnes interrogées à exprimer leur vécu jusque dans ce qu'il pouvait avoir de plus douloureux et à s'en réapproprier le sens. Le sens, il revenait au su¬jet de le choisir et de le construire en formulant un projet et en passant contrat avec son environnement, en s’appuyant pour cela sur l’accompagne¬ment d’un professionnel.
De plus en plus fréquemment utilisées, les notions de parcours, trajectoire ou trajet étaient signe d’une volonté de saisir l’individu dans sa dynamique personnelle, tout en le situant dans l’environnement social commun.
J'ai eu le sentiment à travers cette expérience d’ouvrir des espaces non codés, décalés, comme des petits espaces de liberté.
L’histoire de vie comporte deux aspects :
« - Elle désigne ce qui s'est réellement passé au cours de l'existence d'un individu, c'est-à-dire l'ensemble des événements, des éléments concrets qui ont caractérisés la vie de cet individu, de sa famille de son milieu.
- Elle désigne l'histoire qui se raconte sur la vie d'un individu, c'est-à-dire l'ensemble des récits produits par lui-même ou par d'autres sur sa biographie. »
L’expérience du récit de vie est sensée favoriser chez le narrateur une vision synthétique de son histoire avec des effets d’unification et de renforcement du sentiment d’identité. Elle apporte un éclairage précieux sur la position du sujet dans sa famille, sur ses représentations, les conflits auxquels il a été confronté, les événements qui l’ont bouleversé, les épreuves vécues, les espoirs, les résistances, ses rapports aux institutions.
Elle permet également de pointer des pratiques du quotidien, celles qui marquent les parcours biographiques d'inflexions fortes, de saisir les projets de vie. Il s'agit donc, à travers la narration, d'une véritable entreprise de « mise en cohérence du passé », mais toujours orientée vers le futur. Mais qu'en est-il pour les sujets que les travailleurs sociaux rencontrent ? Que faire quand le drame coloré de pauvreté constitue la colonne vertébrale du récit ? Comment passer d’histoires à dormir debout à des histoires à tenir debout pour ces sujets qui se révèlent les moins doués pour la participation au jeu, à l'échange social?
Comment bâtir son destin avec la mort et l’absence pour éléments fondateurs ?
Est ce que les sujets concernés par ce travail, pris dans une représentation de leur histoire où souvent le destin est maître des lieux, sont réellement en situation de changer quelque chose à leur vie, à leur histoire ?
Ces questions venaient à porter un regard étrange sur notre action qui, même si elle se justifiait par des valeurs telles que la solidarité, la bienveillance, avait toujours à voir avec une intrusion dans un espace intime. Intrusion plus ou moins violente, plus ou moins sollicitée, plus ou moins bien tolérée, plus ou moins bénéfique, selon les cas, mais intrusion quand même. On le sait bien, dans la majorité des cas, ce sont les familles d'origine populaire ou en extrême précarité sociale qui se trouvent « mises à nu », comme si , seuls les pauvres n'auraient pas droit au respect de leur vie privée. Aux nombreuses inégalités sociales qu'ils subissaient, s'ajoutait celle de l'inégalité devant le secret ! La famille bourgeoise, elle, a toujours su mettre en place des dispositifs et des stratégies pour protéger son intimité, en particulier en clôturant le domicile.
Je faisais pourtant l'hypothèse que c'était justement pour eux que le travail de l'histoire de vie pouvait s’avérer utile. C’était dans l'analyse de leur histoire passée qu'ils (qu'elles) allaient découvrir les moments où, malgré les déterminismes externes, ils pouvaient posé des actes qui orienteraient le cours ultérieur de leur vie. L’enjeu était moins de s’intéresser à un sujet porteur d’un symptôme, d’une pathologie, que de l’envisager dans sa globalité en tant qu’il était porteur d’une histoire singulière. Mais cette histoire ne peut avoir de sens que si le sujet se trouve en capacité de pouvoir lui en donner un pour conjurer l’absurdité apparente de sa situation et se projeter dans l’avenir. Il s’agissait donc de permettre à ces sujets d’opérer un tentative de réconciliation avec une trajectoire chaotique pour chercher à identifier avec eux les compétences acquises dans l’éprouvé des difficultés rencontrées. « En effet le parcours d’un « exclu » n’est pas réductible à la somme de ses déboires existentiels et de ses revers de tentatives d’insertion. Outre le fait que le sujet est souvent tributaire du poids des déterminismes et de la stigmatisation qui affecte les groupes sociaux dits défavorisés, le fait de s’être trouvé « en galère » pendant plusieurs années n’est pas plus un destin figé qu’une expérience anodine qu’il faudrait tout à coup gommer en faisant table rase du passé. »
J’avais appris, expérimenté cela pour moi, avec d’autres : Faire son récit peut provoquer chez le sujet la conscience de trames existentielles, de fréquences, de répétitions, de logiques dominantes.
« Seul cet examen permet à des individus, qui se vivaient jusque là comme entièrement soumis à une histoire-destin, de passer du statut d'objet à celui de sujet de leur histoire, et d'acquérir ainsi la conviction qu'ils peuvent changer quelque chose à leur vie à venir. »
Cette démarche des « Récits de vie » dans le cadre de l’intervention était pour moi une posture potentielle qui ferait passer de la confrontation à l’accompagnement, peut-être de l’angoisse à la méthode. De cette manière, le projet ne pourra que se co-construire avec les personnes accompagnées dans une dynamique de réciprocité et de compréhension mutuelle qui exclut le souci de maîtrise. L’accompagnement suppose donc, dans un premier temps, de se joindre au sujet pour le soutenir, pour lui permettre de ne pas chavirer et de ramasser ses forces afin qu’il puisse se projeter dans un avenir porteur d’espoir.
L’exigence du sujet est que son existence fasse sens, que sa construction du monde soit cohérente pour lui, c’est-à-dire conforme à ses demandes identificatoires. Chacun a besoin de penser que son existence fait sens, qu’elle n’est pas, comme dit Shakespeare, « une histoire pleine de bruit et de fureur contée par un idiot »

Par expérience, je savais que dans ce travail d’accompagnement, le récit servait souvent de pont entre la problématique de crise et la problématique de fond. Travailler ainsi, c’était donc à la fois accepter de différer l’action souvent utilisée comme outil-écran, mais aussi de se défier des hypothèses interprétatives qui ne prenaient pas sens pour l’autre.

Evidemment cette approche s’inscrivait totalement dans un type de démarche clinique qui mettait au centre de mes préoccupations la manière dont les individus étaient capables à la fois de sortir de leurs déterminations sociales et psychiques, donc de leur aliénation, et de se constituer comme sujets, c’est à dire comme des êtres susceptibles de prendre en main leur propre destin.La perspective restait pour moi toujours la même : il s’agissait bien à la fois de montrer comment les sujets rencontrés négociaient des espaces de liberté, développaient des stratégies et d’analyser comment, tout en étant insérés dans des rapports sociaux qui leur préexistaient, ils participaient à leur construction et à leur structuration, faisant ainsi leurs histoires (histoires individuelles et sociales). Il est nécessaire ici de citer Sartre, orfèvre en la matière : « Pour nous, l'homme se caractérise avant tout par le dépassement d'une situation, par ce qu'il parvient à faire de ce qu'on a fait de lui.» Utiliser la démarche auprès de ce public n’avait rien de très inédit. La lecture d’ouvrages comme « Les récits de vie. Théorie et pratique. » ou « Histoires de vie » m’indiquait bien que le recueil de récits de vie a d'abord visé avec l’Ecole de Chicago, par exemple, les groupes dominés pour les « réhabiliter » dans leur participation au mouvement social en leur donnant une parole d'acteur. On sait d’ailleurs de mieux en mieux que l’Ecole de Chicago n'était pas une « école de pensée et qu'elle réunissait des sociologues d'inspirations différentes. Tout au plus peut-on invoquer un attachement à la démarche inductive (« partir du terrain ») et, dans la plupart des cas, un souci de recueillir l'expérience sociale (« être à l'écoute ») de sujets engagés dans une activité commune, porteurs d'une culture commune ou simplement partageant les mêmes conditions de vie. Certes la plupart de ces recherches s'inscrivent dans une conjoncture favorable à la prise en compte « compréhensive » des subjectivités, sinon de ce qu'on a pu appeler « le retour du sujet », après celui de l'acteur, en sociologie.
Evidemment la dimension éthique spécifique à l’utilisation d’une telle approche apparaissait d’emblée incontournable. La notion de sujet apparaissait fondamentale. Considérer l'autre comme sujet, c’est considérer l'individu comme un interlocuteur et lui reconnaître la capacité de comprendre les difficultés dans lesquelles il est pris comme l’aptitude à élaborer des significations lui permettant un certain dégagement, une remise en mouvement ayant des effets sur lui même et sur la situation. C’est aussi penser ces sujets comme tout êtres humains ne sont pas leur vie durant, ils deviennent, ils ne cessent de devenir jusqu’au moment où ils ne deviennent plus. Leur être ne se donne pas à lire à livre ouvert, ni ne peut faire l’objet d’un déchiffrement complet, d’une transparence sans reste.

Quand je proposais un récit de vie à un parent, à un adolescent, je savais que je le mettais dans une situation tout à fait singulière. Je savais que la personne en face de moi puisait dans une double réserve mentale; d'une part dans le stock de ses souvenirs que lui restituait plus ou moins fidèlement sa mémoire mais aussi dans celui des représentations des images qui s'associaient dans son esprit à mon personnage.

La question du contexte

Entrer dans cette démarche, la partager avec les familles m’a d’abord et surtout permis de saisir l’importance des enjeux de pouvoirs liés à l’intervention et à en faire un objet d’échanges prioritaires dans la co-production spécifique à ce travail
Les sujets rencontrés donnaient à entendre, à voir un matériau dont les intervenants faisaient souvent toute une histoire. Histoires reconstruites, interprétées, le plus souvent lues, entendues (enquêtes, bilans, rapports, synthèses) comme repérage de symptômes, de pathologies qui justifiaient les prises en charge par des spécialistes. Elles devenaient essentiellement des objets à « observer » et à mesurer..

Ces sujets savaient que dire et donner à entendre à autrui des informations relatives à leurs vies, à leurs histoires, à leurs identités privées et intimes avec ses atouts et ses failles, c’est fournir des éléments qui facilitaient les prises de pouvoir par l’autre. C'était mettre en jeu son identité. Ils avaient tout à fait raison de craindre des abus, alors ils tronquaient, tordaient, déformaient leurs histoires pour qu’elles deviennent acceptables. Malgré la contractualisation inhérente à la démarche « Histoires de vie », les butées liées à ce dispositif étaient nombreuses. Tout contrat oblige chacun des partenaires impliqués à assumer ses engagements, ce qui appelle, a minima, l'établissement d'une relation de confiance. L'idéal de tout professionnel de l'aide est de mettre en place ce type de rapport. En fait, ce contrat n'en est pas réellement un dans la mesure où il n'est pas réellement librement souscrit puisque parler de soi répond souvent à une injonction.
Les secrets et les mensonges étaient, ainsi, autant de stratégies de réponse, de détournement.
Alors, comment oublier le contexte d'interlocution et ses enjeux de pouvoir ?
J’étais bien, dans le cadre de l’intervention sociale, lié à une instance de pouvoir qui produisait du parler de soi. Je pouvais reprendre, là, la structure de l’examen et de l’aveu si parfaitement décrite par M Foucault. « Au cœur des procédures, il manifeste l’assujettissement de ceux qui sont perçus comme des objets et l'objectivation de ceux qui sont assujettis. La superposition des rapports de pouvoir et des relations de savoir prend dans l'examen tout son éclat visible. (...). L’examen, entouré de toutes ses techniques documentaires, fait de chaque individu un cas : un cas qui tout à la fois constitue un objet pour une connaissance et une prise pour un pouvoir. Le cas, c’est l'individu tel qu'on peut le décrire, le jauger, le mesurer, le comparer à d'autres et cela dans son individualité même; et c'est l'individu qu'on a à dresser, ou à redresser, qu'on a classer, à normaliser, à exclure, etc. » L'objectif était de prendre les rapports de pouvoir au sérieux, pour ce qu'ils étaient. La question restait posée : quelle position prendre pour pouvoir vraiment rentrer dans l'analyse de ces rapports de pouvoir ? Mandatés, missionnés par des instances du pouvoir, J’étais porteur d'une parole, d'une règle, d'une évaluation, d'une référence morale. Mes pratiques remettaient en question l’espace privé, l'intimité familiale avec l’intention de changer des comportements familiaux. Ces pratiques, je l’ai déjà indiqué, ont été décrites par de nombreux auteurs comme un des multiples visages que prend le contrôle social en particulier dans les travaux pionniers de Foucault, de Donzelot et de Verdès-Leroux. Pour autant je n’étais pas face à un rapport brutal d'oppression entre des travailleurs sociaux tout puissants et des usagers passifs et soumis. Des marges de manœuvre existaient, des espaces de jeu étaient permis.
Il est clair que la question des intérêts individuels (des personnes rencontrées) et la mission institutionnelle étaient au cœur du débat quant à l'intégration de cette méthodologie dans le cadre d'intervention sociale.
De même, l'analyse des surdéterminations qui conditionnaient les relations des personnes avec qui je travaillais paraissait indispensable. Vincent De Gaulejac m’indiquait que, dans le cadre de la recherche, j’étais dans « un rapport social qui condense des phénomènes interpersonnels (donc transférentiels et affectifs) et des enjeux de pouvoirs. Ces situations mettent en présence des acteurs sociaux dans un cadre institutionnel ou organisationnel qui détermine leur place et la nature de leur interaction »
Je me référais d’emblée à plusieurs questions spécifiques à l'analyse institutionnelle, entre autre autour de l'institutionnalisation du dispositif : Qui demande quoi ? à qui ? pourquoi? Ces questionnements m’aidaient dans la difficulté que j’avais à m’extraire d’un rapport immédiat aux évènements pour questionner cet enchevêtrement de pouvoirs dans lesquels j’étais moi-même impliqué.
J’avais conscience d’être dans une organisation structurée et hiérarchique qui développait des relations de pouvoir vis à vis des personnes, d’être « embarquer » dans une structure dont la mission était d'éviter ou de diminuer l'apparition de comportements non souhaitables ou interdits et qui disposait pour se faire des moyens traditionnels de tout pouvoir : celui entre autre d'évaluer les comportements produits.
Mettre en avant la coproduction de la relation d'aide supposait pratiquement que je reconnaissais des compétences (relationnelles) aux sujets : capacité à codéfinir l’aide dont ils avaient besoin, capacité à coopérer en s’engageant dans la relation. Le risque était de se contenter de brouiller les cartes en sortant le bénéficiaire de son statut d'assujetti sans pour autant l'intégrer comme personne.
Le mandat surdéterminait toute ma pratique, donc les conditions et les objectifs de l'usage éventuel de l'histoire de vie. Or raconter sa vie c'est mettre en jeu l'image de soi, l'image que les autres se font de soi, l'image de soi pour soi-même. C'est aussi prendre le risque de souvenirs enfouis parce que douloureux. C’est mettre en jeu son identité.
Dans ce cadre, parler de soi s’apparentait aux situations où les communications sont sou-mises à l’évaluation, situations où le professionnel est en position dominante. Je pouvais penser, en toute bonne foi, proposer un espace de parole aux sujets rencontrés, espace de sécurité, protégé des bruits et des violences du monde. Il y avait évidemment une dimension de leurre dans cette représentation L’extérieur était fortement présent déjà par l'origine de l'intervention qui répondait toujours à une commande sociale, ou de protection de l'enfance. On retrouve les analyses classiques de Goffman qui montrent que, dans toute rencontre sociale, chacun des acteurs vise à créer chez autrui une « impression de réalité » pour faire croire à l'image qu'il veut donner de lui-¬même et à revendiquer un « moi acceptable ».¬ Se met en place quelque chose de l'ordre du simulacre : verbaliser sa subjectivité pour « séduire » le praticien, se dévoiler pour mieux se dissimuler. On arrive à ce paradoxe bien connu des psychanalystes, l’exhibition de son inti¬mité utilisée comme masque défensif pour protéger son Moi.
La question des intérêts individuels (des usagers) et la mission institutionnelle était au cœur du débat quant à l'intégration de cette méthodologie dans un service d'action éducative.
Donc proposer un travail sur soi n'avait de valeur que s'il était articulé aux enjeux institutionnels.
A quoi ça sert ? A qui ça sert ?
Ces deux questions vont colorer de manière indélébile mon positionnement d’éducateur et de formateur.
La production d'un récit ne se faisait donc qu'à travers une série d'écrans dont celui du rapport entre locuteur et interlocuteur. Mon questionnement se situait spécifiquement sur le plan cette relation.
De quelle manière allais je influer la démarche de construction de sens des personnes que j’accompagnais ?
Ce type de questionnement venait se « coller » à une attitude courante chez les travailleurs sociaux qui est de réfléchir aux aspects relationnels et psychologiques et de laisser dans le non-dit, dans l’opacité, l’ensemble des déterminismes institutionnels, économiques et culturels. La centration sur des aspects très interactionnistes de la relation risquait fort d’occulter toute la dimension socio-politique de la question du pouvoir et donc de la sur-détermination des interactions.

Le risque d’une personnalisation à outrance était fréquent. D’où l’importance de la prise en compte des dimensions culturelle et politique des problèmes rencontrés Restituer ces dimensions, ce n’était pas dévaloriser le travail de l’intériorité, mais empêcher que chacun ne s’enferme en soi-même.
Mireille Cifali ajoutait sa pierre à la nécessité d’une lecture plurielle : « Aujourd’hui, ce sont des réalités telles que le groupe, l’institution, le pouvoir, la collaboration, le lien social, l’éthique de la discussion et de la responsabilité que nous ne saurions ignorer. Quotidiennement, il nous faut contextualiser les phénomènes vécus, les inscrire dans un mouvement, une tendance et une histoire, en entreprenant un travail de compréhension - psychique et sociale - avec les personnes concernées. Ce travail permet alors à quelques-uns de supporter ce qu’ils perçoivent souvent en premier lieu comme une régression et de sauvegarder les groupes où il est parfois si difficile de rester ensemble. De ces rencontres multiples se dégage alors au moins de l’étonnement. »

Le « tout psychologique » qui pousse vers la pente d'une responsabilité personnelle minimisent les conditions institutionnelles et les détermi¬nations sociales. Cette dérive antisociologique surgit si l'on referme la subjectivité sur elle-même et qu'on ne défend pas une articulation nodale entre psychique et social, entre subjectivité et intersubjectivité. En d’autre termes nous avions à assumer l’accompagnement de la quête identitaire des sujets tout en contournant l’écueil de la « psychologisation » des problèmes sociaux rencontrés.
C'était aussi pour ça que la fameuse coupure psychologique-sociologique n'était pas acceptable.
D’un côté un sujet peut se trouver chargé de toute la responsabilité de ses maux, dans une causalité qui met en veilleuse les effets dans cette fabrication, de certaines politiques et conditions historiques. D’un autre, le social peut se trouver chargé de toute la responsabilité, chacun allant vers un usage de sa vie et des malheurs qui la bouleversent pour se désintéresser de son destin en repor¬tant le dommage et la cause sur un extérieur. On continue ainsi d'osciller entre une conception d'un sujet comme victime et d'un sujet comme tout puissant.
D’où encore la nécessité d’une lecture multiréférentielle, puisque, dans l’accompagnement des familles il n’y avait jamais de problème purement social, ni purement psychique ou éducatif. « Cette réalité différentielle implique nécessairement une prise en compte diversifiée, qui respecte l’hétérogénéité fondamentale des phénomènes en jeu : à la pluralité des facteurs et des registres à considérer doivent correspondre des lectures, des approches et des réponses plurielles.»
Il n’y a pas d’un côté des sujets et de l’autre du social. Le social et le sujet sont intimement imbriqués. Pas de social sans sujet ; pas de sujet sans social. Ce à quoi ont affaire les éducateurs, c’est justement à cette imbrication, à cette insertion du sujet dans l’espace social, à son mode d’inscription dans la collectivité.
J’étais déjà dans une position que j’allais toujours revendiqué ensuite : dés que l'on coupe la continuité, soit on psychologise, soit on sociologise et ça a aussi des effets de pouvoir. Ceci représentait une disposition théorique forte dans le refus de renoncer à l'articulation de plusieurs lectures. Il était donc essentiel d'analyser la situation que tous les éléments structuraient. Là, encore, cette position théorique va constituer le ciment de ce que je considère comme une clinique éducative nécessaire. L’approche clinique dont il est ici question ne dénie pas le sujet singulier désirant de la clinique psychanalytique mais se propose d’y associer une lecture sociologique afin de travailler de manière dialectique l’articulation du « je » et du « nous », c’est à dire de proposer une clinique du sujet-social.
A partir d’une situation souvent proche de la contrainte, quelle possibilité avais-je de dialectiser cette situation de la retourner en quelque chose qui rende effectivement le sujet autonome ? Mais prendre au sérieux la question du sujet supposait à minima la réciprocité. Il ne suffisait donc pas que je considère l'autre comme sujet pour que :
1) Il se considère comme sujet dans la situation dans laquelle il était.
2) Il me considère comme un sujet c'est à dire quelqu'un avec lequel un échange qui permette effectivement que la relation est du sens malgré toutes les sur-déterminations dans lesquelles nous étions.
Pouvait-on concevoir un processus d'évaluation qui s'efforce de respecter l'autonomie des personnes en les situant aussi comme acteurs de cette évaluation.
Pouvait-on, encore, se représenter nos interventions comme « des exercices de convivialité maîtrisée » ?
J’étais renvoyer au fondement éthique de la démarche : Est-ce que les acteurs avaient la possibilité d'intervenir sur le cadre, donc sur les conditions de production de la relation dans laquelle je vais leur proposer de travailler sur leurs histoires de vie?
Il s’agissait, à la fois, de comprendre les règles du jeu, d'analyser le système avec ses enjeux de pouvoir et en même temps, de par les processus d'intériorisation, d'aider les gens à comprendre en quoi ils avaient intériorisé les normes, ou en quoi leur refus d'intérioriser les normes les mettait dans des fragilités psychologiques.

Ainsi pendant six années je vais tenter d’articuler deux objets de recherche : la photographie de famille et les histoires de vie.
Ma communication se centrera sur le récit d'un accompagnement où l'album photo me servira de médiation.

Dans un premier temps, j’ai utilsé des éléments du livre d’Anne Marie GARAT « Photos de Familles » puis l'approche de Roland.BARTHES dans "la chambre claire" me servira de fil conducteur en tant que discours dont la théorie est constamment "affective."

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