Fiche Documentaire n° 4272

Titre LE LIEN AU CŒUR DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE

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l'auteur principal

Auteur(s) DUVAL Michelle  
     
Thème Table ronde sur l’action communautaire
VIe congrès de l’AIFRIS – Porto (Portugal) – 7 au 10 juillet 2015
 
Type Autre (poster, ...)  

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Résumé

LE LIEN AU CŒUR DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE

Table ronde Porto

Parlant de lutte contre la multiplication des précarités, c’est la dimension politique davantage qu’économique qui sera retenue. Dans une perspective d’intervention, l’accent est alors mis sur le développement de la capacité des personnes de participer, en tant que citoyens, aux décisions touchant la vie collective. Or pour que les gens se regroupent afin de décider ensemble d’enjeux qui les touchent et d’actions à mener, il faut d’abord que des liens se soient tissés entre eux.
C’est ce que démontre l’expérience vécue dans des organismes communautaires au Québec, notamment dans les Auberges du cœur, ces ressources d’hébergement pour jeunes en difficulté. Les pratiques d’affiliation mises en œuvre dans ces Auberges visent à créer, recréer ou consolider le lien que les jeunes ont avec les autres et avec la communauté . Ces pratiques seront examinées en nous référant aux dimensions de l’affiliation définies à partir du concept de désaffiliation élaboré par Robert Castel .
Nous nous tournerons ensuite vers le milieu communautaire plus large. Le premier attribut de ces organismes est que leurs assises soient communautaires et qu’ils alimentent le lien social . Offrir un espace de citoyenneté à leurs membres est partie intégrante de leur mission. Mais lorsqu’ils sont réduits à leur fonction de dispensateurs de services, leur contribution à l’élargissement de l’espace démocratique s’amenuise jusqu’à disparaître . Comment intervenir pour éviter de telles dérives? La réflexion menée par des formateurs en intervention auprès des collectivités offrira des éléments de réponse .
Favoriser l’agir ensemble est au cœur de l’intervention auprès des collectivités. Comment y parvenir? Nous identifierons des pistes en nous référant aux concepts développés par Hannah Arendt pour définir l’exercice du politique . Là encore, nous verrons que le lien est au cœur de l’action collective, le sentiment d’appartenance à un monde commun étant indispensable à la volonté de comprendre ce monde commun afin d’agir ensemble pour le façonner.
En conclusion, nous réfléchirons à notre rôle de formateurs en intervention sociale, celui de former des intervenants qui vont stimuler et supporter l’action collective. Nous avons un rôle capital à jouer. L’occasion nous est donnée aujourd’hui de réfléchir ensemble à comment jouer ce rôle et pourquoi, nous engageant ainsi à notre tour dans une démarche d’action collective.

Bibliographie

DUVAL, M., RENÉ, J.-F., CLOUTIER, G. et A. PONTBRIAND (2007), «Séjourner dans une Auberge du cœur au Québec : des jeunes témoignent», Pensée Plurielle, No 14, pp. 215-226.

CASTEL, R. (1991), « De l'indigence à l'exclusion, la désaffiliation », dans Face à l'exclusion le modèle Français, Paris, Éditions Esprit, pp. 137-168.

DUVAL, M., FONTAINE, A., FOURNIER, D., GARON, S. et J.-F. RENÉ (2004), Les organismes communautaires au Québec - pratiques et enjeux, Montréal, Gaëtan Morin.
DUVAL, M. (2007), «Chapitre 28 – Les organismes communautaires comme lieux d’élargissement de l’espace démocratique» dans FLEURY, M.-J., TREMBLAY, M., NGUYEN, H. et L. BORDELEAU, Le système sociosanitaire au Québec- Gouvernance, régulation et participation, Montréal : Gaëtan Morin, pp. 467-478

DUVAL, M., FILION, E. et P. FOURNIER (2011), «Intervenir pour favoriser l’agir ensemble», Nouvelles Pratiques sociales, vol. 23 no 2.
DUVAL, M. (2008), «L’action collective pensée par Hannah Arendt : comprendre l’agir ensemble pour le favoriser», Service social, vol. 54 no 1.

Présentation des auteurs

Michelle Duval
Professeure retraitée de l’École de travail social de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM), Michelle Duval enseigne actuellement l’intervention auprès des collectivités à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT).

Communication complète

LE LIEN AU CŒUR DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
Table ronde sur l’action communautaire
6e congrès de l’AIFRIS – Porto (Portugal) – 7 au 10 juillet 2015
Conférence présentée par Michelle Duval, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT)

Parlant de lutte contre la multiplication des précarités, c’est la dimension politique davantage qu’économique qui sera retenue. La précarité est alors définie comme l’absence, ou un déficit de participation aux décisions touchant l’ensemble de la collectivité. Dans une perspective d’intervention, l’accent sera mis sur le développement de la capacité des personnes de participer, en tant que citoyens, aux décisions touchant la vie collective. Or pour que les gens se regroupent afin de décider ensemble d’enjeux qui les touchent et d’actions à mener, il faut d’abord que des liens se soient tissés entre eux. Voyons comment le lien est au cœur de l’action communautaire.
1. L’expérience des Auberges du cœur
Les Auberges du cœur sont des maisons d’hébergement pour jeunes sans abri ou en difficulté. Au nombre de 28 réparties dans 10 régions du Québec, elles accueillent chaque année plus de 2500 jeunes, garçons et filles, qui ont entre 15 et 30 ans. Se définissant comme des organismes communautaires autonomes, les Auberges sont ouvertes sept jours par semaine, 24 heures par jour. Elles offrent, en plus du gîte et du couvert, un soutien aux jeunes qui ont choisi librement d’entreprendre une démarche en vue d’améliorer leur situation .
Un tel soutien prend la forme de pratiques qui favorisent l’affiliation sociale, laquelle a été définie en référence au concept de désaffiliation élaboré par Robert Castel . Celui-ci définissait la désaffiliation comme un phénomène résultant d’un double décrochage par rapport aux modes d’intégration dominants, soit l’exclusion du marché du travail et la perte de liens sociaux. C’est ce 2e pôle qui marque davantage la désaffiliation, tout particulièrement lorsque l’on est jeune, constatent les intervenants des Auberges. Les jeunes souffrent d’être mis à l’écart, ils se sentent non reconnus, ils ont l’impression d’être hors du monde sans disposer des outils et des ressources pour parvenir à y faire leur place.
Dans cette perspective, les pratiques d’affiliation mises en place dans les Auberges visent à favoriser la création de racines et de repères qui vont au-delà des réseaux de relations. Plus précisément, avons-nous constaté , l’affiliation comprend quatre dimensions : le rapport à soi (développer sa confiance en soi en misant sur ses forces et ses capacités et d’abord s’accepter), le rapport aux autres (entrer en relation avec les autres de manière à développer des liens significatifs), le rapport à la communauté (s’inscrire dans la communauté par le travail, les études, la création artistique, le bénévolat,…) et le rapport à la cité (se mettre en mouvement avec d’autres afin de bâtir le monde). Un responsable affirmait déjà en 2003: «L’affiliation est une logique où le jeune n’est plus un client mais un être d’appartenance, de citoyenneté et de participation.» L’affiliation suppose alors un mouvement à double sens où le jeune tend à s’insérer dans un ensemble en même temps que cet ensemble s’ouvre au jeune. Ainsi, les pratique développées par les Auberges du cœur favorisent chacune des dimensions de l’affiliation d’une part en soutenant le jeune dans sa démarche d’affiliation, d’autre part en favorisant l’ouverture des autres (amis, communauté, cité) à accueillir les jeunes. Visant à créer, recréer ou consolider le lien que les jeunes ont avec les autres et avec la communauté , ces pratiques reposent sur un contexte d’intervention particulier, à savoir le milieu de vie .
Les Auberges sont des maisons où l’on habite ensemble, où l’on mange autour de la même table, où l’on partage le même canapé pour regarder la télé, où l’on discute de tout et de rien en cuisinant ou en nettoyant la cour arrière. Un tel environnement fournit certes les conditions matérielles pour qu’émerge un milieu de vie, mais celui-ci ne deviendra significatif pour les jeunes que si des relations de qualité s’y développent, relations d’abord avec les intervenants qui sont présents de façon continue. Les jeunes identifient plusieurs caractéristiques qui confèrent de la qualité à cette présence : caractère personnalisé de l’intervention, attention portée par les intervenants aux intérêts de chacun, rapports basés sur un échange mutuel plutôt que sur une relation d’expert-aidé où la franchise et le respect mutuel sont primordiaux et où le plaisir d’être ensemble est capital. Au-delà des liens qui se développent avec les intervenants et entre les résidents, le lien le plus significatif pour les jeunes est celui qu’ils créent avec l’Auberge. Ainsi, ils se réfèrent souvent à l’Auberge plutôt qu’à un intervenant spécifique pour décrire leur séjour. Ils développent par ailleurs un sentiment d’appartenance à l’Auberge qui se poursuit après la période d’hébergement. Les témoignages des anciens sont fort éloquents à cet égard, et c’est l’image d’une famille qui est évoquée.
Par des pratiques visant à favoriser l’affiliation des jeunes et reposant sur la qualité du lien développé par les jeunes avec les intervenants et l’Auberge elle-même, voilà comment le lien est au cœur de l’intervention dans les Auberges du cœur. Cette importance du lien dans l’intervention n’est pas réservée aux Auberges du cœur; elle fait partie des spécificités qui caractérisent les organismes communautaires autonomes, selon la façon dont ces organismes se définissent eux-mêmes.
2. Le rôle des organismes communautaires : offrir d’abord un espace de citoyenneté à leurs membres
La conviction que les gens qui fréquentent les organismes communautaires ne sont pas des clients qui utilisent les services mais des membres et des citoyens n’est pas particulière aux Auberges du cœur et soulève un enjeu plus que jamais d’actualité. Dans un contexte politique marqué au Québec par le désengagement de l’État, sous couvert de réduction des dépenses publiques (les fameuses mesures d’austérité!), les pressions sont fortes pour que les organismes communautaires prennent le relai de l’État pour la dispensation des services. Or les organismes communautaires, enracinés dans leur communauté en plus d’être sans but lucratif et de reposer sur une vie associative et démocratique sont, par définition, libres de déterminer leur mission, leurs pratiques, leurs orientations.
Une telle autonomie est particulièrement revendiquée par les organismes communautaires dits autonomes, lesquels ont été constitués à l’initiative de la communauté; ils poursuivent une mission sociale qui leur est propre et qui favorise la transformation sociale, à l’aide de pratiques citoyennes et d’approches qui visent à transformer le contexte social, économique et politique. Ces organismes se sentent particulièrement menacés ces temps-ci. C’est pourquoi ils ont entrepris à l’automne 2013 une démarche collective de réflexion sur leur avenir, les États généraux du mouvement communautaire autonome , d’abord au niveau local où 620 organismes ont été consultés; ensuite au niveau régional à l’automne suivant, enfin au niveau national en mai dernier.‘’Une telle démarche de consultation et d’échanges est un exercice citoyen précieux et rare en ces temps où tout va vite et où nous perdons plusieurs lieux démocratiques’’ , souligne un des responsables de la démarche.
Le premier attribut des organismes communautaires est que leurs assises soient communautaires et qu’ils alimentent le lien social . Offrir un espace de citoyenneté à leurs membres est partie intégrante de leur mission. Mais lorsqu’ils sont réduits à leur fonction de dispensateurs de services, leur contribution à l’élargissement de l’espace démocratique s’amenuise jusqu’à disparaître . Afin d’éviter de telles dérives, il faut développer des pratiques d’action collective.
3. Le lien à la base de l’action collective
Favoriser l’agir ensemble est l’essence même de l’intervention auprès des collectivités. Comment y parvenir ? Afin d’identifier des pistes, référons-nous aux concepts développés par Hannah Arendt pour définir l’exercice du politique . Selon cette philosophe, il y a exercice du politique dès que des personnes se rassemblent pour parler d’une situation commune et décider d’agir ensemble afin de changer cette situation, donc de se mobiliser pour mener une action collective. Et là encore, le lien est au cœur de l’action collective, le sentiment d’appartenance à un monde commun étant indispensable à la volonté de comprendre ce monde commun afin d’agir ensemble pour le façonner.
La parole et l’action ne sont jamais possibles dans l’isolement; l’être isolé est privé de la faculté d’agir. La parole et l’acte, selon Arendt, n’existent que si elles s’insèrent dans le réseau des relations humaines, si elles s’actualisent dans le monde commun, si elles interviennent dans ce monde commun. Ces gens qui se rassemblent pour parler, c’est de sujets concernant leur existence commune dont ils discutent. Et par ces actions qu’ils décident de mener ensemble, c’est leur monde commun qu’ils tentent de transformer. D’où le caractère politique d’un rassemblement. Il ne faut dès lors pas s’étonner qu’une des premières mesures mises en place par un régime totalitaire soit d’interdire les rassemblements.
Dans les sociétés de masse, précise Arendt, le monde commun ne peut se développer en raison de l’isolement et du manque de rapports sociaux : «Il n’existe pas d’échange entre les gens en place. Ils n’ont entre eux aucun lien.» Isolés, n’ayant aucun groupe auquel se référer, les individus de masse ne peuvent développer de sentiment d’appartenance, ils ne poursuivent pas d’objectifs communs, ils n’ont pas de lieu commun fondé sur l’intérêt commun. Ces individus isolés sont des proies faciles pour les idéologies totalitaires qui leur offrent un sentiment d’importance et de sécurité.
Le rassemblement peut-il être virtuel? Les échanges sur les réseaux sociaux peuvent-ils donner lieu à des débats où la pluralité s’exprime et où on décide d’agir ensemble? J’en doute, pour différentes raisons que je n’ai pas le temps de développer ici. Mais prenons un exemple, la réaction des gens lors des attentats contre Charlie Hebdo en janvier dernier; c’est sur les réseaux sociaux que la nouvelle s’est propagée comme une traînée de poudre, mais spontanément, les gens ont ressenti le besoin de sortir dans le rue pour être physiquement avec les autres et pour se parler.
Du rassemblement des gens naît la puissance. La puissance, dit Arendt, «jaillit parmi les hommes lorsqu’ils agissent ensemble, et retombe dès qu’ils se dispersent.» Selon elle, la puissance est bien différente de la force, «qui est la qualité naturelle de l’individu isolé». Le seul facteur matériel indispensable à son existence, c’est le rassemblement des personnes. Et quiconque «s’isole au lieu de prendre part à cette cohésion renonce à la puissance et devient impuissant, quelles que soient ses forces».

Conclusion
Il nous incombe donc à nous, formateurs en intervention sociale, de former des intervenants qui vont stimuler et supporter l’action collective. Nous avons en ce sens un rôle capital à jouer pour qu’advienne un monde meilleur. Parce que le monde va mal, c’est le moins qu’on puisse dire : inégalités socioéconomiques croissantes, hégémonie du profit économique comme finalité, montée des intégrismes, populations entières déplacées, environnement lourdement menacé. Les solutions pour remédier à ces maux ne viendront pas d’une élite éclairée, mais des citoyens concernés qui parleront ensemble et décideront des actions à mener. La première condition pour pouvoir jouer ce rôle de formation d’agents de changement social, c’est de croire nous-mêmes à l’action collective et d’amener nos étudiants à en être convaincus.
L’occasion nous est donnée aujourd’hui de réfléchir ensemble à comment jouer ce rôle et pourquoi, nous engageant ainsi à notre tour dans une démarche d’action collective. Qu’en dites-vous?

Résumé en Anglais


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