Fiche Documentaire n° 4295

Titre Crises humanitaires, innovations sociales et paix civile : expérience du Liban

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Auteur(s) TANNOUS JOMAA Maryse  
     
Thème Conférence pour le congrès de Porto 2015  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

Crises humanitaires, innovations sociales et paix civile : expérience du Liban

Table ronde Porto

« Crises humanitaires et innovations sociales » : un titre paradoxal pour une réalité paradoxale. Celle du Liban, zone chaude du Moyen Orient qui, déjà fragilisé par ses longues années de guerre subit aujourd’hui les conséquences dramatiques du « printemps arabe » vécu par les pays voisins et « réinvente » le social en associant travail humanitaire et développement durable.

En effet, et depuis Mars 2011, le Liban accueille le plus grand nombre de réfugiés syriens qui a atteint en Mai 2015 le tiers de sa population.

- Comment sont répartis ces réfugiés sur le territoire libanais et dans quelles conditions vivent-ils ?
- De quelles ressources disposent-ils et comment les partagent-ils avec les libanais dont la situation se précarise et ce, en raison d’un contexte en crise permanent et d’un système de protection déjà faible à la base ?

Pour y répondre, des chiffres et des illustrations seront exposés lors de la communication.

Par ailleurs, dans un climat socio-politique conflictuel et d’explosion militaire constante, pèse un sentiment d’insécurité et d’incertitude quant à l’avenir régional et le retour des réfugiés dans leurs pays d’origine.

- S’agit-il d’un abri momentané dans le pays d’accueil ou d’un séjour à plus long terme à envisager ?
- Entre considérations sécuritaires dûes à la montée de l’intégrisme et aux craintes d’un déséquilibre sociodémographique, quels enjeux socio-politiques influencent l’action du travail social ?
- Quelle position tente le travail social d’adopter face à ce changement ?

Fort de ses valeurs et de ses principes de base, et muni de son expérience précédente lors de la guerre au Liban, le travail social se lance dans l’aventure de la réalité. C’est là où il soulage les souffrances humaines d’une part et exerce sa fonction militante d’autre part.

- Comment se traduit la contribution du travail social à répondre aux urgences, à lutter pour les droits humains et à œuvrer pour la paix civile ?

En parallèle, la dynamique du terrain et sa complexité ne peuvent qu’interpeller la formation. L’Ecole libanaise de formation sociale de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth se mobilise pour accompagner le processus et anticiper les changements.

Dotée d’une mission académique dont la portée est essentiellement citoyenne, elle s’engage à travers la formation, la recherche-action et les projets pilotes.

- Quelles sont ses pratiques innovantes pour accompagner les mutations sociales et tendre vers un développement plus durable ?
-Comment l’Ecole sociale modélise-t-elle sa formation pour soutenir l’ancrage des travailleurs sociaux dans ce contexte ?

Plusieurs questions auxquelles la communication se propose de répondre ou de ne pas y répondre…. Laissant le débat ouvert sur les défis à relever notamment au niveau de la gestion efficace du risque et la responsabilité collective à l’échelle internationale dans l’appui au développement local.

Bibliographie

- Banque mondiale (2014), « Risques et opportunités ; la gestion du risque à l’appui du développement », in Rapport sur le développement dans le monde, une publication phare du groupe de la banque mondiale.
- Ecole libanaise de formation sociale, Université Saint-Joseph (2013-2014), (2014-2015). Rapports d’activités.
- Government of lebanon and the United Nations (Décembre 2014), Lebanon crisis response plan, 2015-2016, 50p.
- KEVORKIAN, Rita-Flora, (May 2015), Syrian refugees in Lebanon, UNHCR.
- UNHCR, The UN Refugee Agency (February 2015), Innovative approaches : Response Lebanon.
- Sources de données empiriques : Entrevues guidées par Maryse TANNOUS JOMAA auprès de travailleurs sociaux exerçant dans des organisations locales et internationales.

Présentation des auteurs

Maryse TANNOUS JOMAA,
Phd Sciences de l’homme et de la société : option travail social
Professeur associé
Directrice de l’Ecole libanaise de formation sociale
Université Saint-Joseph de Beyrouth

Communication complète

6ème Congrès AIFRIS du 7 au 10 Juillet 2015 à Porto
« Multiplication des précarités : quelles interventions sociales ? »


Titre :
“Crises humanitaires et innovations sociales »


Par : Dr.Maryse TANNOUS JOMAA,
Directrice
Ecole libanaise de formation sociale
Université Saint-Joseph de Beyrouth



“Crises humanitaires et innovations sociales » un titre paradoxal pour une réalité paradoxale, celle du Liban, zone chaude du Moyen Orient qui, déjà fragilisé par ses longues années de guerre subit aujourd’hui les conséquences dramatiques du « printemps arabe » et réinvente « le social » en associant travail humanitaire et développement durable.

- Quelles sont les caractéristiques du Liban et quel type de mutation sociale vit-il en tant que pays d’accueil des réfugiés des pays voisins ? Dans quelles conditions vivent ces réfugiés et de quels services bénéficient-ils ? Comment la formation sociale accompagne-t-elle le processus ? Quelles innovations et quelles perspectives de développement à tracer dans ce chaos ? Quels défis affronter et à quels niveaux ?
Des questions auxquelles nous tenterons de répondre lors de cet exposé.


Le contexte Libanais et ses mutations

Le Liban connait aujourd’hui une profonde mutation due à l’accueil d’un flux de réfugiés qui a atteint en Mai 2015 le tiers de sa population.

En effet, le Liban est un pays démocratique ; son régime est capitaliste libéral. Sa constitution multiconfessionnelle unique au monde (19 communautés religieuses) a poussé sa sainteté le pape Jean Paul II à dire : « Le Liban est plus qu’un pays, c’est une mission … », sa sainteté parlait du vivre-ensemble dans la liberté et le respect de la diversité.
Néanmoins la force au Liban a constitué une faiblesse pour 2 raisons :
1. La première est relative à 15 ans de guerre (1975 à 1990) dont les conséquences se manifestent puisqu’à date en termes d’affaiblissement du rôle de l’Etat central, notamment dans la gestion des services aux citoyens. Résultats : corruption et infrastructures défaillantes.
Quant aux politiques sociales, le système de protection sociale n’assure pas suffisamment la sécurité des citoyens notamment les plus vulnérables.
En revanche, le secteur associatif est très actif et assure l’assistance aux groupes défavorisés, soutenu par les organisations internationales, l’Etat, les entreprises privées et les initiatives individuelles.
2. La 2ème raison de la faiblesse du Liban est relative à sa situation géopolitique. Entouré de pays en crise, il subit tous les conflits régionaux, politiques soient-ils, militaires ou religieux. Son activité économique est freinée, sa population s’appauvrit, ses jeunes sont au chômage et empreintent la voie de l’immigration. C’est au prix de la souffrance et du sang que le Liban tente aujourd’hui de sauver sa démocratie alors que paradoxalement, les dictatures environnantes se démantèlent.
En même temps l’intégrisme gagne du terrain et les mouvements fanatiques menacent, agressent et frappent dans tous les sens.


Qui sont ces réfugiés depuis Mars 2011 et jusqu’à date ?

Des millions de personnes fuient et se réfugient dans les coins du monde entier. Une bonne partie se retrouve au Liban en raison de sa proximité et la perméabilité de ses frontières avec la Syrie. N’ayant pas signé la convention de Genève en 1951 relative aux droits des refugiés, le Liban ne reconnait donc pas le droit d’Asile. Cependant il traite les demandes d’asile sur le territoire libanais en vue d’une réinstallation dans un pays tiers. Ainsi, le Liban représente un pays de transit pour des milliers de réfugiés fuyant la guerre et les régimes dictatoriaux.

Selon le Gouvernement Libanais et les Nations Unies , la population au Liban a augmenté de 30% (min), ce qui correspond à 1 Million 200 mille réfugiés syriens enregistrés, sur un total de 4 millions de Libanais, le reste est non enregistré (estimé à 800.000) ; Selon UNHCR (2014) 80% des refugiés sont des femmes et des enfants, 72% des ménages ont un enfant de moins de 5 ans , 72 % sont incapables de satisfaire à leurs besoins de base et 39 % ont des besoins spécifiques.

On compte 7.500 réfugiés d’autres pays.

En lien avec la population libanaise vulnérable, le Gouvernement Libanais et les Nations Unies affichent une proportion égale de réfugiés vulnérables (1 million 500 mille) auquel s’ajoutent 313 mille réfugiés palestiniens. Au total 1 personne/4 est déplacée au Liban. Les pertes économiques sont énormes.

Lors de sa visite au Liban, le Président de la Banque mondiale, a rencontré les jeunes universitaires pour partager sa vision pour le monde arabe (paix et prospérité). Lorsque les jeunes ont pris la parole, ils ont, à l’unanimité, souligné la situation économique précaire du peuple libanais et le problème du chômage. Ils réclamèrent que l’aide soit également offerte aux libanais qui accueillent les réfugiés et partagent avec eux leurs maigres ressources.


Dans quelles conditions vivent ces réfugiés ?

Aux premiers moments de la crise, la plupart des refugiés se sont abrités chez certains libanais avec qui ils entretiennent des relations familiales ou amicales. Plus tard, et avec le flux en masse, il fallait prévoir des points de rassemblement et des nouvelles locations. Les cartes suivantes démontrent (à travers les points rouges) la progression de leur répartition selon les années.

Selon UNHCR : 67% louent des appartements et le reste réside dans des abris de fortune. Selon le Gouvernement Libanais et les Nations Unies (Avril 2015), 92 % des eaux usées sont sans traitement, et on note 40% d’augmentation des coûts municipaux pour le traitement des déchets. Sur d’autres plans, les chiffres annoncent que 55 % des réfugiés, sont endettés, et 348,300 enfants demeurent non-scolarisés. Sans parler des conditions désastreuses d’Hygiène, de santé, de proportions de femmes enceintes et de personnes à besoins spécifiques.


Quels services sont offerts ?

Naturellement, les services dispensés sont à caractère humanitaire, et consistent à :
- Assurer l’accueil sur les frontières :
- Assurer le logement et les services de base en termes de distribution de nourriture, vêtements, soins médicaux.
- Assister psychologiquement les personnes traumatisées.
- Soutenir et protéger les femmes et les enfants victimes d’abus sexuels.

Plus tard et avec la dégradation militaire, le retour des réfugiés à leur pays d’origine est devenu une polémique aussi bien politique qu’humanitaire :
- S’agit-il d’un abri momentané dans le pays d’accueil ou d’un séjour à plus long terme à envisager ?
- Que pensent les communautés d’accueil et comment réagissent- elles au vivre-ensemble imposé et qui risque de perdurer ?
- Quelle position tente d’adopter le travail social dans ce contexte mouvant et piégé ?

En effet, et avec la persistance de l’explosion militaire dans la région, le gouvernement a pris la décision d’arrêter l’accueil de nouveaux venus à partir de Janvier 2015, estimant que le nombre de réfugiés dépasse déjà notre capacité d’accueil.

Quant aux hôtes libanais, leurs attitudes varient entre : favorables à la présence des réfugiés, moins favorable ou pas du tout. Force est de constater que les considérations d’ordre historiques, économiques, humanitaires, politiques et culturelles interfèrent à ce propos.

Ainsi et dans ce climat de menace qui perdure, répondre aux urgences s’est avéré insuffisant ; il fallait penser au plus long-terme, où libanais et réfugiés simultanément avaient à s’entraider et résister à la crise. C’est là où le travail social, fort de son expérience précédente lors de la guerre du Liban, s’est lancé pour promouvoir les droits et contribuer à la paix civile.

Dorénavant, les actions sociales entreprises ont pris une tournure plus éducative et développementale et certaines étaient innovatrices :

Pour les enfants et les jeunes :

- Il fallait assurer leur réintégration scolaire : ce fut un grand défi puisque ces derniers présentaient plusieurs problèmes de langue, de retard et d’abandon scolaire.
Une organisation de taille a permis à 300,000 enfants, d’intégrer les classes normales avec les enfants libanais dans les différentes écoles publiques ; des roulements d’horaires, des programmes de rattrapage et même d’alphabétisation ont été prévus.
- Par ailleurs, les travailleurs sociaux sont confrontés à des jeunes réfugiés traumatisés souvent endeuillés, tiraillés entre la nostalgie du passé et la cruauté du présent. Un présent qu’il fallait assumer à l’heure où ils se retrouvent brusquement démunis de leurs biens, de leurs réseaux, de leur culture bref de leur identité. Un présent où on les considère soit comme des chiffres au compte des organisations internationales, soit comme une curiosité humanitaire, soit comme une provocation qui éveille la mémoire du passé libanais. D’où la nécessité de programmes adressés conjointement aux libanais et réfugiés et dont les objectifs sont axés sur l’instauration de la cohésion, le développement personnel, l’éducation et la socialisation. A titre d’exemple, je cite :
- La culture de la résilience.
- La gestion des conflits et la médiation.
- L’éducation à la paix.
- La promotion de la parole, de la pensée critique et du leadership.
- et la création de ce qu’on appelle « Child friendly spaces » ; des espaces récréatifs entièrement sécurisées, pour permettre aux enfants de tout bords de se fréquenter et de s’épanouir.

Pour la communauté dans son ensemble

- Il fallait impliquer les populations réfugiées dans la recherche de solutions à leurs problèmes et les rendre plus actifs dans le processus. Ainsi, elles ont été sollicitées à des « participatory assesments » pour exprimer leurs besoins et les proposer aux ONGs qui les encadrent.
- De même, une mobilisation importante de volontaires (+ de 400) a été effectuée, l’idée étant de constituer des réseaux d’entraide incrustés dans la population et assurer des liens entre les ONGs prestataires de services et les réfugiés notamment les non-assistées
- Par ailleurs, le recours à la dimension technologique a constitué, une innovation de taille pour assurer une meilleure efficacité. Des dispositifs furent crées pour enregistrer les réfugiés, contourner les fraudes et éviter la duplication de l’assistance.
- De plus, et à l’aide d’un site web accessible en ligne, les réfugiés ainsi que les communautés d’accueil libanaises peuvent mettre à jour leurs coordonnées, recevoir des informations régulières sur les services existants et même vérifier leur éligibilité aux différents programmes d’aide. Dans le même sens, une liste de personnes-ressources est affichée pour offrir des services professionnels dans différents domaines. Au niveau du logement, une application telle que tripadvisor a été développée pour fournir des annonces de location à des prix accessibles avec les avis des utilisateurs.
- Ceci dit et telles qu’exposées, ces actions reflètent la dynamique du terrain et des professionnels en exercice. Voyons ensemble ce qui se passe du côté de la formation des travailleurs sociaux plus spécifiquement à l’Ecole libanaise de formation sociale (ELFS) de l’Université Saint-Joseph (USJ). Qui est l’Ecole sociale à Beyrouth ?


Formation

- C’est une institution d’enseignement supérieur faisant partie d’une université catholique fondée par les Pères Jésuites. Depuis sa création et jusqu’à date, sa fonction ne s’est jamais limitée à la formation professionnelle mais a toujours englobé des recherches et des actions-pilotes a portée essentiellement citoyenne et militante.
- Le pari auquel elle se trouve confrontée aujourd’hui se base sur 2 questions essentielles :
o 1ère question : Comment modéliser sa formation pour soutenir l’ancrage des travailleurs sociaux dans la complexité du contexte en mutation ?
o 2ème question : Quels projets innovants promouvoir pour anticiper les changements et tendre vers un développement plus durable ?

- A la première question concernant la formation, plusieurs initiatives ont été prises, d’une part dans le cadre des cursus académiques de formation et d’autre part dans le programme de formation continue adressé aux professionnels : Ainsi, des enseignements ont été renforcés en matière d’intervention en situation d’urgence, d’approches interculturelles, de violence et paix civile, de précarité et d’inclusion sociale, et de gestion de risques et développement durable.

Plusieurs stages d’étudiants se sont déroulés auprès des réfugiés. Les mémoires de fin d’études témoignent de l’originalité des approches. Certains au niveau du Master ont été jusqu’à souligner les retombées positives de la présence des réfugiés au Liban. Et ce n’est pas un aspect à négliger.

Dans le cadre de la formation continue, des formations ont été dispensées sur les frontières libano-syriennes pour former des volontaires actifs sur le territoire syrien.

- Par ailleurs et concernant notre 2ème question en rapport avec les projets innovants de l’Ecole sociale, l’intérêt a porté essentiellement sur le développement du macro-système, laissant la pratique quotidienne aux professionnels et étudiants.
Dans ce cadre, nos projets étaient souvent soutenus par des partenaires locaux et internationaux, selon 3 axes à savoir le développement institutionnel des organisations sociales, des entreprises sociales et des politiques de protection. A titre d’exemple nous citons :
- Les multiples expertises menées à la demande des organisations sociales, soit pour les aider à se réorganiser, soit pour évaluer leurs programmes d’action auprès des réfugiés, soit pour réviser leurs méthodes d’intervention en fonction des besoins émergents.
- La mise en place d’un projet de « capacity building des ONGs» qui vise à renforcer les compétences des ONGs naissantes au Liban de manière à ce qu’elles puissent augmenter leur performance tout en assurant leur pérennité.
Loin d’avoir des finalités innocentes, ce projet se veut comme une contribution au renforcement de la société civile libanaise voire comme une forme de renforcement de la démocratie.
- Le 3ème projet consiste en la mise en place d’un diplôme universitaire en Entrepreneuriat social. Il s’agit d’une formation innovante de haut niveau, pionnière au Moyen-Orient, adressée aux entrepreneurs potentiels, en vue de rallier leurs objectifs économiques à des finalités sociales et citoyennes.
- Un dernier projet en rapport avec les politiques sociales dans le domaine de la protection des enfants en danger.

Avec l’arrivée des réfugiés, la problématique des mineurs victimes prend de l’ampleur.
En (2012-2013) une recherche exploratoire a mis en relief les faiblesses du système de protection et a été suivie en (2013-2014) par des procédures opérationnelles standardisées et un case management incluant des instruments et des outils unifiés pour faciliter les prises de décision éclairées. Actuellement (2014-2016) des formations et des « coachings » se déroulent sur tout le territoire libanais pour favoriser l’appropriation du dispositif.

Ceci dit, nous pouvons avancer que l’ensemble des projets précités se sont distingués par leur caractère développemental et national, et ont propulsé l’école sociale comme acteur dans la sphère des débats internationaux.


Des défis à relever

Il est vrai que le tableau que nous venons de brosser est sombre mais une lueur d’espoir transparait quand même.

En effet, et à l’heure où l’absurdité des guerres se prolonge n’entrainant que la déchirure humaine, des synergies se construisent et transpercent l’aberrance. N’est-ce pas sur ces synergies qu’il faudrait miser pour que l’aspiration à la paix devienne une réalisation ?

Dans son rapport qui vient de paraître sur le Liban (Juin 2015), le groupe de la banque mondiale a qualifié les conflits violents au Moyen-Orient comme étant une contrainte chronique au développement du Liban. Sur ce, il propose 2 stratégies, l’une substantielle, à long-terme et la seconde à court-terme qui serait plus adaptée mais à effets limités . Elle propose de transformer l’importante présence des réfugiés syriens en opportunité. Bien que cette logique soit déjà déclenchée en réalité, il n’en demeure pas moins qu’elle mérite d’être plus élaborée.

Ceci dit, il nous serait opportun de ne plus considérer nos initiatives comme des actes isolés où réactionnels mais de les intégrer à une démarche planifiée appelée de gestion de risques. Cette dernière peut-être un puissant outil de développement dans la mesure où elle nous permet de faire face aux troubles qui nous menacent et d’exploiter les opportunités qui s’offrent.

C’est là où réside notre principal défi ; un défi qui exige des interventions concertées et une responsabilité collective ; depuis les individus et les familles jusqu’à la communauté internationale.

En quoi consiste cette responsabilité et quelles sont ses implications majeures ?
- Au niveau des individus, familles et réseaux informels, la solidarité et la chaleur humaine inhérentes à nos sociétés orientales doivent se manifester dans un contexte où les collectivités se doivent de s’entraider pour résister – l’appel serait aux libanais pour continuer à faire preuve d’hospitalité et de faire triompher leurs valeurs humanistes sur leurs considérations historiques, politiques ou confessionnelles. L’appel est aussi aux réfugiés pour s’adapter à leur nouvelle réalité tout en respectant sa culture et ses règlements.

- Le grand défi est à relever par les ONGs locales, principalement celles qui sont aujourd’hui partenaires des ONGs internationales. Elles sont en effet appelées à se préparer à : poursuivre l’action par elles-mêmes ; assurer un développement avec le maximum de performance et le minimum de ressources ; établir les priorités et négocier ardemment des projets appropriés aux besoins des refugiés et de la communauté d’accueil.

Sur le plan de la promotion de la citoyenneté et de la démocratie, le défi de ces ONG est de se positionner comme de véritables militants pour les droits et non pas comme de simples prestataires de services.

- Ainsi identifiés, les défis des ONGs nous conduisent naturellement à ceux de la formation.

Au niveau de chaque étudiant, il s’agit d’une maturité à cultiver et à tous les niveaux pour qu’il se dégage des idées reçues et des préjugés et s’élever au rang du citoyen humaniste œuvrant pour le bien commun.

Il s’agit aussi d’une posture et d’un esprit à inculquer et qui transcendent l’aspect technique de la formation. Autrement dit, des travailleurs sociaux concernés par la réalité qui les entoure, conscients des contradictions culturelles, politiques et sociales et engagés dans la lutte pour la paix.

Quant au défi de l’Université au Liban. La formation académique doit se conjuguer avec la formation culturelle pour promouvoir la culture libanaise et ce qu’elle contient comme richesse au niveau de la pluralité et de la coexistence par lesquelles nous affrontons, les dictatures stupides et le fanatisme haineux .

- Les défis de l’Etat : Les pouvoirs publics ont un rôle primordial à jouer que La banque mondiale résume ainsi : assurer la gestion du risque systémique ; créer un environnement propice à la mise en œuvre d’intervention concertées et apporter un soutien direct aux populations vulnérables .
Le défi majeur du Liban est relatif à la prévision du long-terme où l’Etat doit anticiper, établir des budgets, promouvoir les politiques publiques et mettre en place des mécanismes institutionnels flexibles voire indépendants des cycles politiques.

- Finalement, et pour la communauté internationale que le terrorisme n’a pas épargné ces derniers temps, l’appel consiste non-seulement à combattre les actes isolés qui s’y produisent mais à mettre fin à l’expansion de l’idéologie « Daachiste » et son influence apparente sur des groupes de citoyens.

L’appel serait aussi à renforcer sa solidarité avec le Moyen-Orient pour favoriser les Etats de droits et promouvoir une bonne gouvernance. Entretemps, ouvrir ses portes à un plus grand nombre de réfugiés (les plus vulnérables) et leur offrir un abri à court-terme. Dans un article publié dans la presse libanaise, la directrice générale d’Amnesty international considère que « face à une crise mondiale il faut une réponse mondiale ». Elle invite la communauté internationale à accroitre ses programmes d’aide et à sortir de son déni face aux problèmes des réfugiés. Je cite : « si le Liban a pu accueillir 1.5 millions de personnes, il est certain que les pays riches peuvent en accueillir beaucoup plus… » .
Quant à la communauté scientifique spécifiquement, l’appel serait à mettre ses compétences spécialisées à contribution, raison de plus s’il s’agit d’une communauté internationale en travail social comme l’AIFRIS. Permettez-moi au nom des travailleurs sociaux libanais de saluer ses efforts et son initiative pour nous avoir offert sa plateforme et faire entendre notre voix.
Si le printemps arabe est un immense bouleversement, il est aussi une formidable espérance ; et comme le dit si bien un poète allemand, Hölderlin : « Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve »…


Bibliographie

- Banque mondiale (2014), « Risques et opportunités ; la gestion du risque à l’appui du développement », in Rapport sur le développement dans le monde, une publication phare du groupe de la banque mondiale.
- Ecole libanaise de formation sociale, Université Saint-Joseph, Rapports d’activités (2013-2014), (2014-2015).
- Government of Lebanon and the United Nations (December 2014), Lebanon crisis response plan, 2015-2016.
- KEVORKIAN, Rita-Flora, (May 2015), Syrian refugees in Lebanon, UNHCR.
- L’Orient-Le-Jour, Entretien avec la direction générale d’Amnesty International, 28 Juin 2015.
- USJ-INFO, N° 42 – Automne Hiver 2014-2015.
- The world Bank Group – Middle East and North Africa Region « Lebanon : promoting poverty reduction and shared prosperity » - 15 Juin 2015.
- The world Bank, « International community should ‘prepare for peace ‘ in Syria and throughout region – Word Bank Group president », 3 June 2014.
- The world Bank, « World Bank Group President Praises Lebanon and Jordan for Hosting Syrian Refugees and calls on Global community to do more », 4 June 2014.
- UNHCR, The UN Refugee Agency (February 2015), Innovative approaches : Response Lebanon.
- UNHCR, The UN Refugee Agency? Briefing Kit, Mai 2015.
- United Nations Chilren’s Found (UNICEF) – Ecole libanaise de formation sociale – Université Saint-Joseph, Goverment of Lebanon, Ministry of social affairs « Strenthening the child protection system in Lebanon : Challenges and opportunities », 2012.

- Sources de données empiriques : Entrevues guidées par Maryse TANNOUS JOMAA auprès de travailleurs sociaux exerçant dans des organisations locales et internationales.

Résumé en Anglais


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