Des "logiques de la réciprocité" suffisamment engageantes?
Alors qu’aujourd’hui un débat agite les sociétés occidentales relativement au revenu inconditionnel d’existence, les bénéficiaires du Revenu de Solidarité Active, continuent d’être accompagnés avec plus ou moins d’efficacité dans les espaces dédiés. Mise en application en France en 2009, le Revenu de Solidarité Active concourt à la réalisation de l’impératif national de lutte contre la pauvreté et les exclusions en favorisant l’insertion durable dans l’emploi (Loi n°2008-1249 du 1er décembre 2008).
Le bilan réalisé en 2011 par le Comité National d’Evaluation du RSA apparaît mitigé, indiquant notamment un taux élevé de non recours, un faible impact du RSA sur la pauvreté et un taux d’accompagnement et de contractualisation insuffisant. Seuls 50% des bénéficiaires sont en capacité d’identifier leur référent unique et 40% signent un contrat. Le Contrat d’Engagement Réciproque (CER) est pourtant envisagé par le législateur comme la pierre angulaire du dispositif misant sur l’activation des allocataires par l’implication réciproque des parties prenantes. Qu’en est-il de l’impact de la contractualisation sur l’issue du dispositif ? Si la contractualisation n’est pas la clé de l’accompagnement efficace vers l’insertion sociale et professionnelle, quels en sont alors les leviers ?
Une étude exploratoire (Vaudelin, 2016) nous permet de montrer tout d’abord l’absence d’effet de la contractualisation sur l’issue du dispositif, positive (emploi) ou négative (suspension/radiation). L’examen de 91 sorties révèle en effet que la signature conjointe d’un CER n’a aucune incidence. Si la contractualisation ne favorise pas l’engagement dans le dispositif, quelles en sont alors les conditions ?
Dans la lignée des travaux sur la soumission librement consentie (Joule et Beauvois, 1998, 2002 ; Sanquirgo, 2010), nous avons entrepris dans un second temps de tester l’existence d’un lien entre la qualité de la sortie du dispositif et la présence versus absence d’indicateurs clés d’engagement conçu par Kiesler (1971) comme le lien qui unit l’individu à ses actes. Force est de constater, à l’issue de l’analyse de contenu de 83 CER, l’existence d’un lien positif significatif par exemple entre d’une part la sortie négative et l’absence d’occurrence de pronom, signant l’absence de prise en charge du discours, et d’autre part la sortie positive et la précision de la description des actions déjà entreprises. Ainsi, l’engagement apparaît bien être un prédicteur de l’issue de l’accompagnement mais la contractualisation n’en est pas le moteur.
Joule et Beauvois (2002) posent dans leur théorie de la rationalisation de la soumission que tout individu amené, pour le compte d’une autorité, à réaliser librement des actes qui contreviennent à ses motivations ou attitudes, ressentira de l’inconfort psychologique. Motivés pour réduire cet inconfort, les individus rationalisent leur soumission en transformant la perception qu’ils ont du contexte de dissymétrie statutaire dans le sens d’une plus grande égalité perçue (Sanquirgo, 2010). Cette euphémisation de la relation de pouvoir (Vannereau, 2005) instaurée entre l’allocataire et le référent unique, supposée être un corollaire de l’engagement dans le dispositif, apparaît en effet cruciale dans les réponses aux questions ouvertes fournies par des référents et des allocataires interrogés par voie de questionnaire.
Une étude expérimentale réalisée auprès de 60 travailleurs sociaux en formation, nous permettra de tester plus avant l’effet de l’euphémisation de la relation de pouvoir, comme support d’une alliance de travail forte et résultante de l’engagement dans un dispositif contraint, sur l’issue de l’accompagnement. L’euphémisation de la relation de pouvoir est supposée favoriser l’instauration d’une alliance de travail, partant la probabilité perçue d’insertion professionnelle, en particulier pour les bénéficiaires les plus réfractaires à la situation de dépendance générée par l’accompagnement (Duvoux, 2009).
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