Introduction : Les individus qui consultent sont souvent confrontés à des situations interpersonnelles difficiles. Ces situations suscitent généralement des affects négatifs qui s’aggravent à mesure que l’impasse perdure. Dans de tels cas, il n’est pas rare d’observer des individus qui éprouvent des problèmes de santé mentale (Wallach, 2015; Wicker, 2011), d’autres qui adoptent des comportements violents envers soi ou autrui ou encore qui s’isolent socialement (Houle, 2005; Tremblay & Roy, 2017). Le processus de changement face à de telles situations-problèmes suppose des épisodes de régression et de progression (Norcross, Krebs, & Prochaska, 2011), lesquelles peuvent être compris par l’apport de différents facteurs tels le soutien social et les SRA (Lakey & Orehek, 2011).
Définition des variables à l’étude : Le soutien social réfère à trois éléments, soit au réseau social, à l’aide reçu et à l’appréciation subjective du soutien (Beauregard & Dumont, 1996; Caron & Guay, 2005). Les affects sont des états physiologiques produisant une attraction ou une répulsion au sein desquels sont inclus les émotions, le stress, l’humeur, etc. (Scherer, 1984). Les SRA sont les moyens utilisés pour moduler les affects (p. ex., l’expression des émotions, la répression des émotions, etc.) et gérer les situations qui les génèrent (p. ex., la réinterprétation, la résolution de problème, etc.). Elles peuvent ainsi favoriser ou nuire à l’adaptation (Gross, 2015a, 2015b). Le soutien social est une SRA en ce sens que l’aide reçue de l’entourage influence les affects vécus et la façon de les réguler (Lakey & Orehek, 2011).
Recension des études : Les hommes seraient davantage isolés que les femmes en général (Caron & Guay, 2005; Tremblay, Cloutier, Antil, Bergeron, & Lapointe-Goupil, 2005). Lorsqu’ils ont des problèmes, ils seraient moins portés à en parler à leur entourage ou à consulter un professionnel de la santé (Roy, Tremblay, Guilmette, Bizot, & Dupéré, 2014; Tremblay & Déry, 2010; Tremblay & Roy, 2017; Vogel & Heath, 2016; Vogel, Wester, Hammer, & Downing-Matibag, 2014). Les femmes utiliseraient davantage le soutien social que les hommes et cela leur serait bénéfique (Nolen-Hoeksema, 2012; Zimmermann & Iwanski, 2014). Lorsqu’on examine plus en profondeur les résultats, le soutien social émotionnel serait davantage utilisé par les femmes alors que les hommes emploieraient davantage un soutien social informel qui s’inscrit dans des activités sociales axées sur le loisir et le sport (Nolen-Hoeksema, 2012; Tamres, Janicki, & Helgeson, 2002).
Fondements théoriques : Certaines approches comme la thérapie interpersonnelle (Klerman, Weissman, Rounsaville, & Chevron, 1984), l’intervention de réseau (Sanicola, 1994a, 1994b) et l’approche écologique (Gitterman & Germain, 2008) visent spécifiquement l’amélioration des transactions entre l’individu et l’environnement qu’il fréquente. Ces approches postulent que l’amélioration de ces transactions facilite le soutien social, la satisfaction mutuelle des besoins et l’adaptation aux stress. Des études tendent à montrer, par exemple, que la thérapie interpersonnelle contribue à accroître le soutien social et favorise le rétablissement lors d’un épisode dépressif, cette approche étant tout aussi efficace que d’autres plus centrées sur l’individu et ses cognitions (Cuijpers et al., 2011; Markowitz & Weissman, 2012). L’effet du soutien social s’expliquerait par la présence de ressources disponibles variées auxquelles l’individu peut faire appel au quotidien. L’utilisation de ces ressources permettrait de prévenir des stress ou de les contrer (Champion, 2012; Gitterman & Germain, 2008) et de réguler plus facilement les émotions (Nolen-Hoeksema, 2012; Tamres et al., 2002). Ce faisant, l’ensemble des ressources adaptatives serait plus aisément accessible et utilisé plus efficacement (Greenberg, 2004; Linehan, 1993).
Comme le souligne Champion (2012), même si l’importance du soutien social dans la santé mentale est bien démontrée, la façon de l’accroître reste méconnue et sous-exploitée en consultation. Le déficit de soutien social constaté chez les hommes et chez les individus qui vivent des événements stressants incite également à considérer plus attentivement l’apport du soutien social lorsque ceux-ci consultent. Dans cet esprit, la présente étude vise à mieux comprendre le rôle du soutien social dans le processus de changement et la façon dont la consultation en facilite l’exploitation chez les hommes.
Méthode de recherche : Pour ce faire, une étude de cas multiples (Stake, 2006) a été menée auprès de 13 hommes ayant consulté individuellement un professionnel de la relation d’aide au moins cinq reprises dans les six mois précédant la collecte des données. Les participants à l’étude ont été rencontrés à deux reprises afin de réaliser des entrevues semi-structurées. Puis, un résumé écrit de leur témoignage leur a été remis afin de valider la compréhension du chercheur et rectifier certaines perceptions au besoin. Les témoignages ont été enregistrés sur bande audio et transcrits. L’ensemble de ce contenu a été codifié à l’aide du logiciel MAXQDA. L’analyse qualitative des données a été réalisée selon les indications de Stake (2006) ainsi que Paillé and Mucchielli (2012). Cette étude a reçu l’approbation du comité d’éthique et de la recherche de même qu’obtenu le consentement écrit de chaque participant.
Résultats et analyse des données : Les résultats de cette étude sont présentés en quatre parties. La première décrits les changements perçus dans l’utilisation du soutien social. Avant de consulter, presque tous les participants notent qu’ils étaient peu portés à parler de leurs problèmes. Ils tendaient plutôt à s’isoler et à ne pas voir l’utilité d’en parler :
Parce que bien entendu je ne voulais pas vraiment en parler à personne au début parce que je trouvais ça compliqué, que ça ne valait pas la peine, pis quoi que ce soit (Octavian).
Après un certain cheminement en consultation, la plupart des participants (11 sur 13) estiment parler davantage de leurs problèmes et de leurs affects à des membres de leur entourage (famille, amis, etc.).
Je suis plus porté à demander de l'aide quand j'en ai besoin que de laisser la situation dans le caca comme on dit. C'est plus gratifiant aussi (Francesco).
La deuxième partie des résultats traite de l’influence perçue de l’isolement et du soutien social sur les autres SRA. Selon les participants, l’isolement les amenait à réprimer leurs émotions, à ruminer et à éviter certaines situations alors que le soutien social a été plutôt utilisé de pair avec des SRA aidantes comme l’expression des émotions, la réinterprétation, la résolution de problème et la réalisation d’activités agréables.
Oui pis la plupart du temps, j'explosais contre moi-même, tsé. J'étais impulsif... je ne m'exprimais pas beaucoup, je ne parlais pas de mes émotions. Ç'a pris du temps! C'est juste dans les dernières années que j'ai plus appris à dire : « Bon, je me sens comme ça » (Francesco).
La troisième partie des résultats aborde l’impact perçu de l’isolement et du soutien social sur la situation-problème et l’état affectif. Les participants jugent que l’isolement affectif a été néfaste pour eux alors que le fait d’aller vers les autres a été bénéfique.
Je m'étais isolé. Alors, quand tu n'as pas beaucoup de contacts avec les autres, bien, tu n'es pas nourri. Tu ris moins... Donc, la socialisation, c'est quelque chose que j'ai à travailler (Willy).
L’isolement les privait de ressources alors que le contact avec autrui leur a redonné accès à ces ressources grâce auxquelles ils ont pu répondre à divers besoins (faire baisser la tension, se réénergiser, avoir un autre point de vue, etc.).
La quatrième partie des résultats concerne le rôle attribué à la consultation dans les changements associés à l’utilisation du soutien social. De l’avis des participants, avant de s’ouvrir à leur entourage, la plupart ont d’abord apprivoisé leurs affects en consultation. Au début, certains étaient sceptiques par rapport à l’utilité de parler de leurs affects et de leurs problèmes. Cependant, après quelques rencontres, ils constataient des bénéfices à le faire.
Bien oui, je me rappelle que je lui ai dit, la deuxième fois que j'y suis allé, j'ai failli ne pas venir. Il m'a dit que c'est normal, c'est quelque chose de délicat comme une plaie qui revenait. C'était d'en parler que je me sentais le mieux. Après quatre ou cinq rendez-vous, c'était juste du positif par après (Francesco).
Discussion : Les résultats de cette étude vont dans le même sens que les recherches ayant trouvé que le soutien social contribue à la régulation des affects et à l’adaptation (Cuijpers et al., 2011; Markowitz & Weissman, 2012). Ils sont également semblables aux recherches qui décrivent la consultation comme un laboratoire social permettant aux hommes d’explorer un vécu souffrant, voire honteux, de façon sécurisante, et de rétablir une connexion avec l’environnement social (Bizot, 2011; Turcotte, 2002). On peut penser, à l’instar de Lakey and Orehek (2011), que le fait diversifier les sources de soutien social en facilite l’accès et que les expériences positives en encouragent l’utilisation. Ces derniers soulignent, tout comme les participants à cette étude, que le soutien social relié aux activités sociales ou à une présence quotidienne est tout aussi important que celui associé à la verbalisation des émotions. Quant à l’impact du soutien social sur l’utilisation des autres SRA, cet aspect semble avoir peu retenu l’attention des chercheurs jusqu’ici, mais mérite qu’on s’y intéresse davantage. En effet, les résultats laissent croire que la façon d’exploiter le réseau social influence la dynamique des SRA et l’adaptation.
Limites : Cette étude a été réalisée avec un petit nombre de participants qui ont eu une expérience positive en consultation décrivant son apport ainsi que la pertinence d’y avoir abordé les affects et les SRA. Il serait intéressant de conduire une étude semblable avec un échantillon plus diversifié composé d’hommes et de femmes qui n’ont pas discuté de leurs affects en consultation ou qui n’ont pas perçu l’utilité de l’avoir fait.
Retombées : Cette étude met en relief l’importance d’encourager, en cours de consultation, une plus grande utilisation du soutien social. Certes, l’intervenant doit respecter le rythme du client à se dévoiler, mais ajouter progressivement des défis qui permettront de briser davantage l’isolement social et affectif vécu par plusieurs hommes qui consultent.
|