Fiche Documentaire n° 4484

Titre Les entreprises à l’épreuve du social : Design d’une solidarité en émergence

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Auteur(s) TANNOUS JOMAA Maryse  
     
Thème  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

Les entreprises à l’épreuve du social : Design d’une solidarité en émergence

Dans certains pays, la Providence est loin d’être un qualificatif associé à l’État, et le Liban n’en fait pas exception. Les catégories vulnérables de la société n’ont d’autres choix que de compter sur la Providence Divine ou mieux sur celle des organisations sociales non gouvernementales. Néanmoins le secteur associatif n’ayant pas les moyens requis pour répondre aux besoins croissants de la population se retourne vers le secteur économique privé pour tisser de nouvelles solidarités et inscrire ses projets dans un développement social plus durable.
De son côté, le secteur économique affiche une plus grande sensibilité aux problèmes de société; il intègre progressivement dans sa culture la notion de Responsabilité Sociale des Entreprises, connue sous le nom de « RSE ». Régi au départ, par une volonté de promouvoir son image de marque ou d’obtenir une certification de qualité, ce secteur commence à contracter un engagement déterminé en faveur d’une implication sociétale plus ou moins solide.
Ainsi, ces deux « mondes », associatif et économique traditionnellement séparés tentent aujourd’hui de se rapprocher en adhérant à des valeurs communes. En effet, nombreuses sont les initiatives menées en partenariat et qui se profilent en direction des services à la communauté. Cependant la plupart d’entre elles demeurent volontaires, sporadiques, organisées au gré des circonstances, ou encore initiées sur la base de relations interpersonnelles.
Compte tenu de ce bref aperçu de la réalité, la question essentielle est de savoir si cette solidarité naissante entre les entreprises économiques du secteur privé et les ONGs du secteur associatif s’oriente véritablement vers un ancrage social durable, en faveur de populations fragilisées.
En l’absence de données empiriques locales à ce sujet, une étude exploratoire de type qualitatif a été menée par l’Ecole Libanaise de formation sociale ( il s’agit d’une étude institutionnelle, menée par un chercheur principal (moi-même) et deux assistants de recherche) dans le but de fournir un éclairage sur la manière dont les entrepreneurs et les acteurs sociaux s’organisent pour assumer ensemble leurs responsabilités sociales envers les collectivités.
Elle cherche plus spécifiquement, à savoir : dans quel cadre organisationnel se déroule le partenariat ? Qui sont les unités institutionnelles en charge ? Quels types de projets sont-ils retenus et selon quels critères ? À travers quel processus ont-ils été sélectionnés ? Quels sont les dispositifs mis en place pour les encadrer et mesurer leur impact ? Quelles sont les difficultés rencontrées, les enjeux et les défis à relever ?
Une série de questions auxquelles la communication tentera de répondre à travers l’analyse d’entretiens menés respectivement auprès des professionnels concernés au sein d’ONGs et d’entreprises du secteur privé (Les professionnels concernés sont ceux désignés respectivement par les entreprises et les ONGs pour gérer les projets conjoints)..
Les résultats mettent en relief des perspectives en termes de modélisation de formations spécifiques et de création de plates-formes de projets transdisciplinaires au sein des universités et plus particulièrement des Écoles de Travail Social.
La nature des solidarités émergentes montre que la dite solidarité même si elle paraît comme une valeur sûre en Orient, il n’en reste pas moins qu’elle reste à repenser dans le contexte libanais en profonde mutation. Pour le travail social, un repositionnement est impératif : celui d’aller au-delà de sa logique conventionnelle pour adopter une posture plus inclusive lui permettant d’harmoniser ses pratiques avec celles d’autres disciplines, en l’occurrence le business dans sa dimension citoyenne.

Bibliographie

- Dwayne Baraka « Lebanon’s Progress in CSR for continuing sustainability” in Responsible Business , N° 20, October –December 2016 , P 36-43

- CSR Lebanon (2016), the state of CSR in Lebanon, Trends and observations of National Corporate Social Responsibility, the country Report.

- Rizkallah Siham, “ L’introduction de la RSE au Liban et dans son entourage arabe”, 7-11-2016, https://www.rse-magazine.com

Présentation des auteurs

Professeur associée - Directrice de l'Ecole libanaise de formation sociale de l'Université Saint-Joseph
Doctorat ès sciences humaines, option travail social, Université Saint-Joseph

Communication complète

Dans certains pays, la Providence est loin d’être un qualificatif associé à l’Etat, et le Liban n’en fait pas exception. Ses catégories vulnérables n’ont d’autres choix que de compter sur la Providence Divine ou mieux, sur celle des organisations sociales non-gouvernementales. Néanmoins le secteur associatif n’ayant pas les moyens requis pour répondre aux besoins croissants de la population se retourne vers le secteur économique privé pour tisser de nouvelles solidarités et tenter d’inscrire ses projets dans un développement social plus durable.
De son côté, le secteur économique affiche une plus grande sensibilité aux problèmes de société ; il intègre progressivement dans sa culture la notion de Responsabilité Sociale des Entreprises, connue sous le nom de « RSE ». Régi, par une volonté de promouvoir son image de marque ou d’obtenir une certification de qualité, ce secteur commence à contracter un engagement déterminé en faveur d’une implication sociétale plus ou moins solide.
Ainsi, ces deux « mondes », associatif et économique traditionnellement séparés tentent aujourd’hui de se rapprocher en adhérant à des valeurs communes. Selon une étude récente menée par CRS Lebanon (2016), nombreuses sont les initiatives menées en partenariat et qui se profilent en direction des services à la communauté. Cependant et par rapport à nous, la question essentielle est de savoir quelle est la nature de cette solidarité naissante entre les entreprises du secteur privé et les ONGs du secteur associatif et si elle s’oriente véritablement vers un ancrage social durable, en faveur de populations fragilisées.
En l’absence de données empiriques à ce sujet (au niveau de notre pays) nous menons actuellement une étude exploratoire de type qualitatif, dont le processus et les résultats préliminaires seront exposés dans cette présente communication.
L’objectif de cette étude est celui de dresser l’état des lieux des rapports existants entre les acteurs sociaux du secteur associatif et les acteurs économiques du secteur privé et examiner la manière dont ces derniers s’organisent pour assurer ensemble leurs responsabilités sociales envers les populations vulnérables.
Notre cadre de référence s’appuie sur 2 concepts principaux :
- Celui de la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) dont les définitions sont nombreuses et englobent plusieurs dimensions. Pour notre étude nous avons privilégié la dimension philanthropique dans la mesure où elle est en lien avec le travail social et inscrit l’entreprise dans un rapport étroitement lié à la société et aux individus qui la composent. Dans ce cadre, et selon A. Caroll 1979, « l’entreprise contribue à améliorer la situation de ces derniers sans s’attendre à une rétribution quelconque de leur part. Dans cette catégorie nous retrouvons les actions charitables, le soutien aux ONG, aux écoles, aux orphelinats etc…à travers des dons ou des ressources financières et humaines ».

- Le 2ème concept est celui du développement durable en lien avec la RSE. Selon Jamali et al 2012, il s’agit « d’une forme plus institutionnalisée de la philanthropie moderne, qui préserve les valeurs sociales originales, mais mobilise plus efficacement les ressources pour faciliter les changements sociaux et promouvoir le développement durable (…). Dans ce cadre, les auteurs évoquent une forme de « philanthropie stratégique » qui nécessite une allocation de ressources plus déterminée, planifiée et plus attentive afin d’obtenir un résultat spécifique en terme d’impact ».

Population à l’étude :
Deux types d’acteurs furent retenus. Leur sélection s’est effectuée par réseau. Il s’agit :

- D’ONGs locales (nombre 15), ayant à leur actif une ou plusieurs expériences de collaboration avec des entreprises, et ce, depuis 5 ans jusqu’à date. Leurs domaines d’exercice sont variés.

- D’entreprises locales (nombre 15), dont la majorité est de type PME puisque ces dernières constituent la force économique majeure au Liban. Identifiées par les ONGs avec lesquelles elles collaborent, leur secteur d’activité s’est avéré diversifié.

Collecte des données :
La collecte des données empiriques s’est réalisée à travers des entretiens semi-ouverts et ouverts auprès d'interlocuteurs des deux bords dont la responsabilité est celle d’assurer la coopération mutuelle (Nombre 20 jusqu’à date)

Résultats préliminaires :
Les principaux résultats préliminaires dégagés à partir de l’analyse thématique des entretiens révèlent les données suivantes :
- Au plan de la fréquence des collaborations, la plupart des ONGs reflète le support de certaines entreprises à leurs actions « cependant à un rythme très irrégulier les empêchant de compter sur leur aide dans toute activité de planification ». En ce sens, les interlocuteurs évoquent « des initiatives ponctuelles » dont le caractère est sporadique « plutôt qu’un partenariat permettant de co-construire à long terme ». Ceci n’exclut pas l’existence de collaborations à moyen-terme mais dans des cas très rares.
- Quant à la nature des actions, celle-ci est décrite comme étant variée mais « ayant une valeur » pour les ONGs : Dons en nature, engagement des ressources humaines, support technique et financier pour mettre en place certaines activités, campagnes de sensibilisation à une cause.
A ce niveau, plusieurs entreprises soulignent leur tendance à diversifier la destination de leur support : « chaque période on aide une ONG différente ». Rares sont celles qui préfèrent s’engager à long terme avec la même ONG.

- Ces mêmes entreprises ajoutent que leur motivation est plutôt liée à leur visibilité, mais certaines se considèrent « appartenant à une communauté dont les besoins relèvent de leur responsabilité ».

- Quant à leur politique d’action RSE, les entreprises reflètent que la « philanthropie ou le community investement constitue un axe d’intérêt parmi d’autres, telles que la responsabilité environnementale (…) et la responsabilité envers les salariés ». Généralement localisée dans les départements de marketing, de communication ou de ressources humaines, la RSE n’a jamais fait l’objet d’une unité institutionnelle distincte.

- Du côté de la demande et de la sélection des projets, les ONGs s’accordent à refléter que « les relations personnelles jouent un rôle prépondérant dans la demande de financement ou de soutien ».
Propos confirmés par nos interlocuteurs des entreprises qui avouent « avoir privilégié cette ONG puisqu’ils connaissent son directeur (…) ou son fondateur… ». Cependant certains ajoutent que ce n’est pas le seul critère puisqu’ils ont « déjà refusé des projets qui ne rentrent pas dans leurs priorités ».
D’ailleurs ces priorités, lorsqu’elles sont identifiées, semblent changer d’une année à l’autre et ne sont jamais affichées.

- Quelle analyse font nos interlocuteurs de leurs expériences ?
Les éléments positifs rapportés sont les suivants :
• Les entreprises :
 * « L’impact positif sur l’image de l’entreprise qui « lui procure un visage plus humain »
 * Les rapports agréables avec les ONGs notamment celles qui comprennent les exigences des entreprises.
 * Le professionnalisme du personnel des ONGs et leur engagement profond.
• Les ONGs :
 * La flexibilité des entreprises qui « permet de répondre d’une façon plus souple et adaptée aux besoins des populations ». (Contrairement aux bailleurs de fonds internationaux)
 * Le souci de visibilité des entreprises qui favorise par conséquent la visibilité des ONGs.

Quant aux éléments négatifs soulevés par nos interlocuteurs, ils se présentent comme tels :
• Les entreprises évoquent surtout leurs contraintes financières qui les obligent à réduire les montants par ONG afin de répondre au plus grand nombre.
• Les ONGs évoquent : « les tabous et les préjugés autour de certains problèmes sociaux comme la drogue et le SIDA » qui empêchent les entreprises d’aider. « Ces dernières préfèrent s’occuper des problèmes qui engendrent plus de compassion».
• Les expériences négatives précédentes entre certaines ONG et entreprises ont créé des barrières à la poursuite de la collaboration : « le travail non accompli, le manque de transparence et de professionnalisme ont généré un sentiment de réticence et de réserve chez les entreprises »
• La compétition entre les ONGs pour obtenir les fonds s’avère une difficulté de taille pour certaines, considérant que les « plus fortes bouffent les moins fortes, en raison de la grande publicité qu’elles se font et qui attire l’intérêt des financeurs ».
• Le personnel des ONGs chargé de la collecte des fonds ont généralement une formation en Marketing ou H.R. Leur capacité à sensibiliser les entreprises aux dimensions de la problématique sociale est limitée. Inversement, « le personnel ayant une formation sociale ne parle pas le langage des entreprises. » Dans les deux cas, des faiblesses sont notées.

Contraintes inhérentes aux entreprises et à leur conception de la RSE :
• La plupart des ONGs reflètent la difficulté de planifier des projets développementaux à moyen terme estimant que les priorités des entreprises changent soudainement, « que leur appui est irrégulier, pouvant s’interrompre subitement sans préavis ni explication ».
• De même, les ONGs critiquent la conception qu’ont certaines entreprises de leur responsabilité sociale, notamment lorsqu’il s’agit de dons en nature : « Les entreprises ne nous demandent pas de quoi on a besoin, elles offrent ce qu’elles veulent, et parfois ce dont elles veulent s’en débarrasser (…). On peut accepter ou refuser- On le prend du bon côté mais pour nous ce n’est pas un partenariat (…). Elles sont rarement régies par le désir de partager ». Lorsqu’il s’agit de dons en espèces, plusieurs expériences révèlent qu’ils sont collectés des clients et rarement déduits des bénéfices (cas des supermarchés).
• « Le souci des entreprises n’est pas toujours celui d’arriver aux ONGs les plus performantes, non plus aux problématiques les plus pertinentes », ajoutent nos interlocuteurs pour déplorer la déperdition des fonds et la faiblesse de l’impact social.
• Quant à la dimension éthique évoquée par plusieurs ONGs, ces dernières soulignent qu’elle n’est pas souvent respectée par les entreprises qui recherchent une visibilité à tout prix : « On ne peut pas assurer la visibilité aux dépends des enfants ; l’entreprise veut exposer les émotions des enfants sur les réseaux sociaux, ça ne marche pas, surtout que 37% sont sous protection juridique. »

Conclusion : une solidarité à cultiver :
Ainsi dégagés, les résultats préliminaires de notre étude reflètent la richesse des initiatives dont la valeur n’est pas à contester. Cependant, si cette valeur prend la forme d’une solidarité naissante à caractère souvent sporadique, il n’en reste pas moins qu’elle mérite un ancrage plus profond dans le sens d’une nouvelle culture de la solidarité et d’un développement plus durable. En effet, celle-ci déjà enracinée dans les traditions Moyen-Orientales gagnerait à être plus institutionnalisée, inscrivant la philanthropie dans un modèle de changement planifié plutôt que dans la charité bienveillante mais peu innovante.

Pour s’y faire, l’Etat, les entreprises, les ONGs, les universités et les populations vulnérables sont appelées à se repositionner en de véritables partenaires œuvrant pour la création de la valeur sociale durable. Et comme l’a récemment hissée le droit européen, il s’agit d’élever la solidarité au rang de principe fondamental, à l’instar de la liberté, de l’égalité et de la justice. N’est-ce pas là des principes de base qui sous-tendent le Travail Social et dont les voies de consolidation s’ouvriraient à travers la solidarité ?

Résumé en Anglais


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