Le travail social vise à favoriser le changement en encourageant l’émancipation des personnes concernées dans une perspective de cohésion et de développement social. Pour ce faire le développement du pouvoir d’agir de ces publics est incontournable. La dynamique de participation, les actions collectives et le développement social font partie intégrante du projet pédagogique de nos Instituts et de nos modalités d’intervention en soutien aux secteurs professionnels. L’articulation de ces dimensions constitue un enjeu majeur pour répondre aux problématiques sociales du territoire. Il n’y a selon nous pas de développement social sans co-construction avec tous les représentants des parties prenantes d’un territoire. Le développement social est une orientation politique qui doit être porté par tous. Ainsi, il s’inscrit au cœur de nos formations. C’est en sensibilisant les personnes formées à ces dimensions qu’une transformation des représentations et des postures professionnelles est envisageable. Afin de promouvoir cette conception du travail social, nous avons défini ce qui relevait de la philosophie commune de nos centres de formations. Puis nous avons identifié les enjeux pour nos centres de formation. Enfin nous avons précisé les partis-pris pédagogiques qui sous-tendent notre ambition et proposons quelques outils et méthodes pouvant être utilisés à ces fins.
I. Une philosophie commune
1. Une éthique et des valeurs à affirmer
Nos trois Instituts affirment que la participation citoyenne peut :
- induire ou permettre une transformation sociale,
- être à la fois un processus et un résultat.
2. Une conception partagée de la participation
a) Les fondamentaux
Quelques fondamentaux, constituent sans doute des garde-fous pour éviter que la participation se résume à un slogan ou une instrumentalisation.
- la transparence dans les démarches : afficher l’ambition et ses limites,
- la clarté de l’information : diffuser des messages accessibles et compréhensibles,
- « aller vers » : construire des démarches permettant d’aller vers tous les publics sans discrimination,
- la mixité et la diversité : associer des publics hétérogènes,
- la co-construction : faire avec tous les participants,
- la réflexivité : apprendre collectivement de l’expérience partagée,
- l’horizontalité : lutter contre toute hiérarchie des compétences et des capacités,
- la gestion des imprévus : accepter de découvrir des choses au cours de la démarche.
b) Trois niveaux de participation
Au regard du champ social qui nous concerne, nous repérons trois niveaux de participation et donc du développement du pouvoir d’agir :
• la participation individuelle. Cette participation individuelle peut également s’entendre dans un sens élargi de participation citoyenne tel que l’évoque Marion Carrel .
• l’action collective (qui permet de se retrouver autour d’intérêts communs), ;
• le développement social qui est une stratégie politique sur un territoire .
c) Des principes à respecter
- Les risques d’instrumentalisation : La participation citoyenne que nous défendons doit permettre une prise de conscience individuelle et collective. Les animateurs et initiateurs de cette participation doivent être en même temps vigilants à ne pas instrumentaliser les publics dont ils suscitent la participation ;
- Une prise de risque à assumer/revendiquer : par nature, l’émergence d’espaces citoyens de discussions et de confrontations ne permet pas de connaître à l’avance la nature des débats ni leur forme.
- La co-construction : Le pouvoir d’agir s’inscrit donc dans une des attentes contemporaines, où le travail social éviterait de penser à la place des personnes concernées. Lors du congrès international 2015 sur la participation des personnes, le conseil scientifique nous amenait une réflexion sur cette dynamique de développement du pouvoir d’agir : favoriser la participation des personnes contribuerait à l’avènement d’une société plus juste.
3. Une manière spécifique d’appréhender le développement social
Au-delà d’objectifs tels que la « libération » ou l’« émancipation » des personnes, notre secteur a aujourd’hui à développer une approche plus ancrée dans les territoires et tenant mieux compte des dynamiques locales, qu’elles soient politiques, économiques, associatives ou citoyennes.
Le développement social peut s’envisager autour de 4 entrées :
- Le territoire comme lieu d’une autonomie politique locale .
- L’articulation entre pouvoir local et démocratique directe .
- Le territoire comme lieu de l’éducation civique et de la citoyenneté.
- L’innovation sociale locale pour changer les rapports sociaux .
4. Une volonté de développer le pouvoir d’agir individuel et collectif
Favoriser le pouvoir d’agir, c’est considérer le désir des personnes. La philosophie sociale, d’Axel Honneth suppose l’acceptation de l’autre dans son caractère unique.
Pour le professionnel, il s’agit de renoncer à quelques habitudes, du type « j’ai la solution pour toi ». La personne (ou le groupe) est (sont) détentrice (détenteurs) de la solution. Il s’agit d’offrir un contexte permettant la mise à jour ou l’émergence de celle-ci.
Favoriser l’agir, la participation des personnes est en résonance avec les valeurs du travail social. C’est un processus par lequel des personnes accèdent ensemble ou séparément à une plus grande possibilité d’agir sur ce qui est important pour elles-mêmes, leurs proches ou le collectif auquel elles s’identifient » (LeBossé, 2012).
Marie Hélène Bacqué précise que la notion d’Empowerment, très proche de celle du pouvoir d’agir, «indique le processus par lequel un individu ou un groupe acquiert les moyens de renforcer sa capacité d’action, de s’émanciper. Elle articule ainsi deux dimensions, celle du pouvoir, qui constitue la racine du mot, et celle du processus d’apprentissage pour y accéder» . Le pouvoir d’agir a ainsi une connotation individuelle et collective comme le soulignent de nombreux auteurs dont Ninacs ou le Bossé.
La transformation d’un agir faible en un agir significatif vise à donner à la personne un triple statut :
- celui d’acteur
- celui de critique,
- celui d’auteur.
II. Les incontournables dans nos formations pour être en accord avec cette philosophie
1. Une place centrale pour les démarches participatives et/ou collectives
Il s’agit d’associer au sein de nos pratiques pédagogiques une pluralité de participants :
- les apprenants ;
- les professionnels;
- les publics accompagnés.
Les associer signifie aussi co-construire les contenus formatifs (fonds et forme)avec les participants.
Cette dimension collective et participative est, tout à la fois sollicitée en interne et en externe. La participation des différents acteurs permet d’alimenter les dynamiques collectives, de s’inscrire, en tant qu’institut de formation comme acteur sur le territoire, de tisser des liens, des réseaux, tant pour les uns que pour les autres.
Les matériaux possibles et mobilisables pour développer la participation et les actions collectives peuvent être fournis par :
- un contenu pédagogique (qu’un formateur souhaite décliner de manière participative) ;
- une demande d’une structure ou d’un terrain partenaire (qui a besoin d’un appui) ;
- un territoire (collectivité locale, par exemple).
Les différentes formations présentes dans nos instituts, constituent un ensemble de sujets pouvant être investis de manière participative. C’est déjà le cas de certains contenus identifiés comme « collectifs » par les référentiels nationaux des diplômes ; ce pourrait être beaucoup plus le cas, notamment aux travers des stages et de l’alternance (cf Rapport sur la professionnalisation Unaforis).
Cependant les notions de dynamiques participatives et collectives peuvent rester une coquille vide si plusieurs éléments ne sont pas pris en compte.
- La nécessité de sortir de l’opposition « intervention individuelle/intervention collective »
- L’apprentissage du passage de l’un à l’autre en fonction des besoins
- La prise en compte des freins à la participation dont certains peuvent être liés à la division genrée des tâches (heures de réunions, garde des enfants par exemple.)
- L’évolution du profil des apprenants et ce que « collectif » signifie pour eux
- Les modes de sociabilité liés à l’usage des outils numériques et leur utilisation avec les dynamiques collectives et participatives
- La place réservée aux plaisirs, talents, potentiels dans les cursus de formation et les logiques participatives afin de repenser/renouveler les dispositifs d’apprentissage
- Les espaces et les places de participations au sein même de nos instituts de formation et ailleurs
2. La place réservée à l’approche expérientielle dans nos Instituts
Respecter la philosophie présentée dans la première partie c’est aussi, la nécessité de faire une place centrale à l’expérience et à l’éprouvé dans les démarches participatives. Il ne s’agit pas seulement de « faire avec » ou « faire ensemble », mais d’accompagner également des prises de consciences, seules garanties de conduire les participants vers une réelle autonomie et émancipation (cf Paulo Freire ).
L’alternance, ayant une place centrale dans la plupart de nos formations, s’appuie déjà sur cette conviction que l’expérience construit la professionnalité. Trop souvent, elle se limite encore essentiellement à une dimension individuelle. Il s’agit ici d’interroger nos pratiques pédagogiques sur la place accordée à l’expérientiel dans les dispositifs formatifs.
Les dynamiques collectives visant l’émancipation doivent s’éprouver, s’expérimenter autant pour les apprenants que pour les formateurs. Ce principe de l’expérience et de l’éprouvé pourra contribuer au travail de conscientisation et d’émancipation si un certain nombre de points de vigilance sont pris en compte.
Considérant que cette expérimentation passe par les milieux professionnels, dans le cadre de l’alternance, nous devons nous interroger avec les sites qualifiants sur les possibilités de :
- Vivre le stage comme une expérience participative
- Investir les diagnostics, études de terrains, monographies de manière plus collaborative/participative
- Exploiter les pistes de projets collectifs à partir du stage
- Mobiliser l’analyse de la pratique sur l’intervention collective
Par ailleurs, capitaliser et se professionnaliser à partir du savoir expérientiel s’apprend et nécessite la prise en compte de éléments suivants :
- La mise en tension entre objectifs de co-formation et les contraintes réglementaires de certification,
- Le besoin d’accompagnement des étudiants et stagiaires,
- Les expériences participatives sur les sites qualifiants et le besoin d’accompagnement des professionnels et des organisations.
- Une approche expérientielle qui passe par :
• l’individuel, le sous-groupe, le collectif (avec des liens constants entre les trois)
• une alternance de phases de centrage et de décentrage
• le traitement de l’expérience (pas de côte, réflexivité)
- L’interrogation sur comment mobiliser le vécu de formation
III. Les partis-pris et les méthodes
Nous défendons l’idée d’une posture formative qui puisse concilier fondements théoriques et méthodologiques, une place centrale de l’expérience et de l’éprouvé et une qualité des relations humaines dans le collectif.
1. L’individu et le collectif sont indissociables
L’enjeu en termes de méthode est de créer les conditions pour qu’un groupe devienne un collectif : d’abord pour que chacun y trouve sa place et soit en capacité d’y apporter sa contribution, de s’exprimer ; ensuite pour que l’expression et l’écoute des points de vue individuels soient susceptibles d’amener/d’emmener une dynamique collective qui transcende les individus.
Si différentes approches sont possibles pour y arriver, toutes supposent un cadre (un contenant) et une personne pour l’animer (un tiers) afin de garantir une place pour chacun des participants (dimension égalitaire), la participation de chacun au meilleur de ses potentiels et de sa créativité (dimension libertaire), en vue de créer du commun (dimension communautaire).
Différentes inspirations alimentent les méthodes qui permettent l’animation d’un collectif. Nous pouvons citer entre autres : Paolo Freire (dans l’idée que l’énergie du collectif permet aux individus de se transcender pour une cause commune en faveur de leur émancipation) ; Edgar Morin (dans l’idée que des effets dialogiques complexes animent les communautés humaines et que seule l’appréhension de cette complexité permet à un collectif humain de se dépasser) ; Jean-Pierre Boutinet (dans l’idée qu’un collectif a besoin de se représenter le projet à la fois son moteur et son but) ; Yann Le Bossé (dans l’idée que des individus peuvent se retrouver autour de questions concrètes à affronter) .
2. La mise en mots est un passage obligé et complexe
La mise en mots permet d’abord une expression singulière qui mêle le cognitif et le sensible, cette dernière caractéristique nous semblant primordiale à prendre en compte. Souvent sous-estimée, elle peut parasiter des dynamiques collectives qui paraissaient pourtant rassembler des potentiels créatifs.
Deux dialogiques peuvent être utilement mobilisées pour favoriser la mise en mots. La dialogique individu/collectif, dans laquelle pour passer d’une somme d’expressions individuelles à une expression collective, le travail en sous-groupe est souvent pertinent. La dialogique oral/écrit, dans laquelle l’écrit favorise la réflexion et la formalisation quand l’oral privilégie la spontanéité et la mise en scène.
Quelle que soit la nature de la réflexion menée en collectif, deux défis majeurs nous semblent devoir être relevés : l’exploration d’une part, l’explicitation d’autre part.
Nos inspirations sont nombreuses, parmi lesquelles : Paul Vermersch (sur la méthode d’explicitation qui invite à faire parler celui qui a l’expérience) , Augusto Boal (pour sa méthode du théatre-forum qui met en scène une réalité vécue pour mieux y voir les possibilités de changement) , Yves Clot (pour son approche de l’activité, mais également pour son triangle autour du travail prescrit/réel/empêché) , Jean Piaget (sur l’importance du sensible dans la perception du monde et la construction de l’individu) , Pierre Bourdieu (pour son analyse des processus de domination à travers le langage) .
3. De l’éprouvé au traitement de l’expérience
Les écoles en travail social mettent en œuvre depuis longtemps l’approche expérientielle qui constitue un élément central de l’alternance intégrative . Dans le même esprit, l’analyse des pratiques professionnelles propose un cadre permettant à un groupe de traiter de situations par une mise en récit, à travers notamment les résonnances et les échos qu’il suscite. La logique est comparable avec des démarches participatives dans lesquelles, en bout de course, il s’agit de relier des savoirs et des expériences pour leur donner sens.
Nous nous retrouvons dans l’idée qu’un espace collectif constitue (toujours) une ressource pour les individus qui le composent, malgré et au-delà des difficultés personnelles qu’ils peuvent rencontrer. L’espace commun est émancipateur justement parce qu’il dépasse les problématiques singulières, les relativise en même temps qu’il les inscrit dans une communauté de destin plus large, porteuse et soutenante.
Parmi nos inspirations, nous pouvons citer entre autres : Joffre Dumazedier (au travers de son approche de l’entraînement mental qui visait à autonomiser des groupes dans la résolution de problèmes concrets) , Joseph Rouzel (pour son apport à l’analyse des pratiques professionnelles, dont le cadre et certains éléments de méthode sont valable dans d’autres espaces collectifs) , Geneviève Defraigne Tardieu (pour son approche qui vise à reconnaître les savoirs profanes pour les transformer en savoirs émancipatoires) , Adalberto Barreto (notamment autour de l’idée qu’aucune personne n’est véritablement isolée et qu’un groupe est force de soutien s’il mobilise l’ensemble de ses ressources dans une logique horizontale de co-construction) .
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