Fiche Documentaire n° 4541

Titre Enseignement universitaire en alternance et dynamiques relationnelles

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Auteur(s) GODFRIN Cédric
SYLIN Michel
 
     
Thème Quand l'Alma Mater engendre des actes de solidarité  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

Enseignement universitaire en alternance et dynamiques relationnelles

Enseignement universitaire en alternance et dynamiques relationnelles
Quand l'Alma Mater engendre des actes de solidarité

En 2016, l’Université libre de Bruxelles a initié un master en sciences du travail, en alternance, dans le cadre d’un projet financé par le Fonds social européen. Une des spécificités de ce master se traduit par le public prioritairement visé, à savoir des demandeurs d’emploi inoccupés. Pour sa première année, le master en alternance compte 80% d’étudiants ayant un statut de demandeur d’emploi.

D’un point de vue conceptuel, l’alternance place l’étudiant dans un processus d’apprentissage expérientiel (Kolb, 1984) accordant au sujet du pouvoir pour se former ainsi que la capacité d’agir sur la (re)construction de ses représentations de soi et des autres (Clenet, 1998). Dans ce cas d’espèce, la formation en entreprise, centrée sur l’activité professionnelle, apparait également comme un terreau propice à l’activation de l’identité de « travailleur » au détriment de celle de « chômeur », plus soumise à la « menace de stéréotype » (Dagot, 2007), conduisant normalement les étudiants concernés à aborder le cursus avec une meilleure estime de soi.

En pratique, en vue de rejoindre le master en alternance, les étudiants ont dû rechercher un lieu de stage. Ce qui pourrait en première lecture être assimilé à un état de concurrence, effet pervers de l’alternance (Vanhulle, Merhan & Ronveaux, 2007), stimula en réalité le tissage de nœuds de solidarités au sein du collectif des étudiants du master en alternance, et ce sous des manifestations protéiformes : création d’un groupe Facebook, recherche collective de lieux de stage, réunion de réflexion, groupe d’étude, covoiturage…

Le groupement de demandeurs d’emploi pour mener des actions collectives solidaires n’est pas novateur en soi, à l’instar des Comités de Travailleurs Sans Emploi (Faniel, 2006). Cependant, ce qui caractérise l’objet d’analyse ici est la collectivisation des dynamiques relationnelles pour autoriser et garantir des trajectoires de formation individualisée.
D’un point de vue méthodologique, afin de comprendre les mécanismes de solidarité mis en place par les étudiants du master en alternance, une étude des traces d’activité a été menée, dont notamment une analyse textuelle, effectuée avec le logiciel Iramuteq, des échanges tenus sur la page du groupe Facebook. Au niveau temporel, l’étude couvre la période du mois d’août au mois de décembre 2016.

L’analyse des échanges et des dynamiques communicationnelles de groupe étudiés démontre que le « web participatif », défiant les « conceptions classiques de la solidarité » (Auray, 2009 et 2011), consacre un espace de construction de solidarités relativement efficace pour une communauté universitaire. Plus concrètement, l’étude discerne trois thématiques structurées autour de la recherche d’un lieu de stage, l’entraide pour la réussite des cours et la résolution de problèmes administratifs ainsi que le renforcement des liens sociaux au-delà du cadre académique. L’étude pointe également l’apport motivationnel dégagé par ces dynamiques, décelable directement par les messages d’encouragement réciproques ou via l’organisation de rencontres relevant du « concept d’organizing » (Donzelot & Mevel, 2002). En outre, on constate que le collectif d’étudiants a mis en place une production de « liaisons durables et utiles » (Bourdieu, 1980) permettant de construire un réseau entretenu régulièrement par l’activité des membres du groupe.

En marge de ces processus solidaires conscients et volontaires se dégage le rôle institutionnel de l’université, soit la place qu’elle devrait occuper au sein de ce dispositif d’entraide bâtit, a priori, sur « les dimensions d’altruisme et de sympathie » (Blais, 2008), enzymes naturels de l’idée de solidarité. La prescription en la matière cantonnerait plutôt l’institution à une fonction de « facilitateur », n’intervenant pas directement dans les dynamiques relationnelles, mais collaborant activement (sur demande) aux activités, et allouant le cas échéant des espaces de rencontres et de discussions.

Bibliographie

AURAY Nicolas, Le Web participatif et le tournant neo-liberal : des communautes aux solidarités, In : PROULX Serge, MILLERAND Florence & RUEFF Julien (Dir.), Web relationnel : mutation de la communication ?, Presses Universitaires de Québec, 2009, pp.11-48
AURAY Nicolas, Solidarités, in : Communications, n°88, 2011/1, pp.159-167
BLAIS Marie-Claude, La solidarité, In : Le Télémaque, n° 33, 2008/1, pp.9-24
BOURDIEU Pierre, Le capital social : notes provisoires, in : Actes de la recherche en sciences sociales, Vol. 31, janvier 1980, pp.2-3
CLENET Jean, Représentations, formations et alternance : être formé et/ou se former ?, L’Harmattan, Collection Alternances et Développements, Langres, 1998
DAGOT Lionel, Menace du stéréotype et performance motivationnelle : le cas des demandeurs
d’emploi, in : L'orientation scolaire et professionnelle, 36/3, 2007
DONZELOT J. & MEVEL C., La participation : entre construction d’un pouvoir et accomplissement d’un devoir. Les corporations de développement communautaire et le développement social urbain, in : Lien social et Politiques, n° 48, 2002, pp.81-93
FANIEL Jean, L'organisation des chômeurs dans les syndicats, in : Courrier hebdomadaire du CRISP, 2006/24, n° 1929-1930, pp.5-76
KOLB David, Experiential learning : experience as the source of experiential
learning and development. New Jersey : Prentice Hall, Englewood Cliffs, 1984
VANHULLE Sabine, MERHAN France & RONVEAUX Christophe, Introduction du principe d’alternance aux alternances en formation des adultes et des enseignants : un état de la question, In : MERHAN France, RONVEAUX Christophe & VANHULLE Sabine (Éds), Alternances en formation, Collection Raisons éducatives, De Boeck, Bruxelles, 2007, pp.7-45

Présentation des auteurs

GODFRIN Cédric
Chercheur du CeRePOI inscrit au Doctorat en Sciences sociales et politiques.

SYLIN Michel
Professeur de psychologie du travail et des organisations, il est Directeur du CeRePOI.

Communication complète

L’université représente un espace de socialisation au sein duquel se développent des dynamiques relationnelles. Plus particulièrement, suivre et réussir des études, au-delà des capacités cognitives individuelles, repose bien souvent sur la constitution d’un réseau permettant de faciliter la vie universitaire, lato sensu. L’étude de cas exposée ci-dessous tend à confirmer que l’Alma Mater est une terre arable propice à la culture de l’entraide et de la solidarité.

En 2016, l’Université libre de Bruxelles a initié un master en sciences du travail, en alternance, dans le cadre d’un projet financé par le Fonds social européen. Une des spécificités de ce master se traduit par le public prioritairement visé, à savoir des demandeurs d’emploi inoccupés. Pour sa première année, le master en alternance compte 80% d’étudiants ayant un statut de demandeur d’emploi.

D’un point de vue conceptuel, l’alternance place l’étudiant dans un processus d’apprentissage expérientiel (Kolb, 1984) accordant au sujet du pouvoir pour se former ainsi que la capacité d’agir sur la (re)construction de ses représentations de soi et des autres (Clenet, 1998). Dans ce cas d’espèce, la formation en entreprise, centrée sur l’activité professionnelle, apparait également comme un terreau favorable à l’activation de l’identité de « travailleur » au détriment de celle de « chômeur », plus soumise à la « menace de stéréotype » (Dagot, 2007), conduisant ainsi les étudiants concernés à aborder le cursus avec une meilleure estime de soi et à acquérir un sentiment de compétence (Bandura, 1986).

En vue de rejoindre le master en alternance, les étudiants ont dû rechercher un lieu de stage. Ce qui pourrait en première lecture être assimilé à un état de concurrence, effet pervers de l’alternance (Vanhulle, Merhan & Ronveaux, 2007), stimula en réalité le tissage de nœuds de solidarités au sein du collectif des étudiants du master en alternance, et ce sous des manifestations protéiformes : création d’un groupe Facebook, recherche collective de lieux de stage, réunion de réflexion, groupe d’étude, covoiturage…

Le groupement de demandeurs d’emploi pour mener des actions collectives solidaires n’est pas novateur en soi, à l’instar des Comités de Travailleurs Sans Emploi (Faniel, 2006). Cependant, ce qui caractérise l’objet d’analyse ici est la collectivisation des dynamiques relationnelles pour autoriser et garantir des trajectoires de formation individualisée.

D’un point de vue méthodologique, afin de comprendre les mécanismes de solidarité mis en place par les étudiants, une étude des traces d’activité a été menée, dont notamment une analyse textuelle, effectuée avec le logiciel Iramuteq, des échanges tenus sur la page du groupe Facebook « master en alternance » créé pour favoriser la recherche d’un lieu de stage et le partage d’informations. Au niveau temporel, l’étude couvre la période du mois d’août au mois de décembre 2016.
Dans la pratique, le contenu de la page a été alimenté par 18 contributeurs sur l’intervalle observé, donnant un corpus comptant 15674 occurrences après lemmatisation. Dans une optique de simplification, l’étude se concentre sur les productions textuelles, excluant des données comme les photos, les hyperliens et le nombre de « likes » par exemple. Au niveau de la fréquence des formes actives, les mots les plus utilisés sont « cours » (110), « travail » (93), « stage » (85) et « aller » (75). Ces termes se veulent significatifs des discussions abordées et de la manière dont les étudiants se projettent vers l’avenir.

Plus concrètement, l’étude discerne trois thématiques globales. La première se structure autour de la recherche d’un lieu de stage, avec notamment la mise en commun de listings d’entreprises, d’informations relatives à l’organisation de salons de l’emploi ou d’invitations à des conférences politiques dans l’optique de nouer des contacts. Le point d’orgue de cette collectivisation des idées pour rechercher un stage se traduit à travers la publication par plusieurs étudiants d’une annonce en ligne sur des sites spécialisés pour l’emploi, ainsi que la rédaction d’une lettre à l’attention des autorités de l’université en vue de prolonger la date butoir pour trouver un stage. La deuxième thématique se forge sur l’entraide pour la réussite des cours, à travers notamment le partage de notes et l’organisation de groupes d’étude en vue de préparer les travaux et les examens. Cette thématique regroupe aussi la résolution de problèmes administratifs que les étudiants ont rencontrés tels que la connaissance des horaires de cours ou encore les problèmes d’accès au portail de l’université virtuelle. La dernière thématique se focalise sur le renforcement des liens sociaux au-delà du cadre académique, à savoir les félicitations pour les heureux événements (contrat de travail, déménagement…) et les marques de sympathie circonstanciées (maladies, décès…). Dans cette dernière thématique se retrouvent également des initiatives de covoiturage initiées sur la page Facebook.

Parallèlement, l’étude pointe l’apport motivationnel dégagé par ces dynamiques, décelable directement par les messages d’encouragement réciproques entre les étudiants et observable entre autres dans l’analyse textuelle via les vocables « merci », « félicitation » et « courage ».

L’étude souligne par ailleurs un autre phénomène concernant l’organisation de rencontres proches du « concept d’organizing » (Donzelot & Mevel, 2002) au cours desquelles les étudiants vont réfléchir collectivement à une problématique, à l’instar de la communication à mettre en place pour trouver un stage. Ces manifestations collectives, coordonnées par un ou deux membres actifs du groupe, ont indiscutablement contribué à structurer les dynamiques de travail et à mettre en place une production de « liaisons durables et utiles » (Bourdieu, 1980) au sein du collectif d’étudiants permettant de construire un réseau entretenu régulièrement par l’activité des membres du groupe.

En définitive, l’analyse des échanges et des dynamiques communicationnelles de groupe étudiés démontre que le « web participatif », défiant les « conceptions classiques de la solidarité » (Auray, 2009 et 2011), consacre un espace de construction de solidarités relativement efficace pour une communauté universitaire en proie à l’adversité.

Gardant à l’esprit le statut spécifique de demandeur d’emploi de la majorité des adultes en reprise d’étude du master en alternance, la volonté affichée et les actions développées à travers le groupe Facebook (et en dehors) peuvent s’assimiler à la réappropriation d’un pouvoir d’agir pour ces personnes enlisées dans les difficultés socio-économiques mais qui « parviennent progressivement à s'affranchir de leur condition et à développer de manière consistante une attitude proactive face aux obstacles qu'ils rencontrent » (Le Bossé et al., 2002).

En marge de ces processus solidaires conscients et volontaires se dégage le rôle institutionnel de l’université, soit la place qu’elle devrait occuper au sein de ce dispositif d’entraide bâtit, a priori, sur « les dimensions d’altruisme et de sympathie » (Blais, 2008), enzymes naturels de l’idée de solidarité. La prescription en la matière cantonnerait plutôt l’institution à une fonction de « facilitateur », n’intervenant pas directement dans les dynamiques relationnelles, mais collaborant activement (sur demande) aux activités, et allouant le cas échéant des espaces de rencontres et de discussions en mettant à disposition des locaux universitaires et du personnel pouvant contribuer efficacement aux échanges. Enfin, cette étude met clairement en évidence le manque d’exploitation des espaces de discussion en ligne ménagés par l’université, dont notamment les forums disponibles sur l’université virtuelle, les étudiants affichant clairement leur préférence pour les réseaux sociaux couramment usités (en l’occurrence Facebook dans ce cas-ci). En soi, il semblerait pertinent de s’interroger sur cette volonté d’utiliser des canaux de communication non institutionnels, et d’analyser les facteurs concourant au choix de l’étudiant en matière d’espace d’expression privilégié pour organiser la solidarité universitaire.

Résumé en Anglais


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