Fiche Documentaire n° 4556

Titre Le projet Monsieur...Trois mondes réunis dans une société fracturée

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l'auteur principal

Auteur(s) COURTOIS Nathalie
MOURIN Barbara
THIRION SAMUEL
 
Site de l'auteur www.ciep@ciep-hainautcentre.be ( THIRION SAMUEL )  
     
Thème « Casser » les jugements et stéréotypes réciproques, créer des espaces d’échange sur nos représentations, entre publics fragilisés et travailleurs sociaux en devenir pour influer sur les pratiques mais aussi se mobiliser et prendre la parole ensemble contre les inégalités  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

Le projet Monsieur...Trois mondes réunis dans une société fracturée

En Belgique francophone, la vie des mouvements d’éducation permanente est jalonnée de partenariats, parfois improbables, parfois porteurs de promesses qui débouchent sur des projets inédits, mobilisateurs et moteurs de dynamiques collectives réellement émancipatrices pour les principaux concernés, à savoir les citoyens. Le projet « Monsieur » est à compter parmi ceux-là.

La présentation dans les grandes villes wallonnes d’un spectacle théâtral traitant de la pauvreté a initié un long et impressionnant processus inédit réunissant trois mouvements d’éducation permanente (MOC avec le CIEP - Alpha - Equipes populaires - Vie féminine et une école supérieure (HELHA avec son implantation sociale à Mons) .

Notre pari, permettre à nos publics, personnes vivant des situations de grande précarité et étudiants, futurs assistants sociaux de se rencontrer, se comprendre, confronter leurs représentations. Cette rencontre de « trois mondes » que sont ceux de l’école, des professionnels de l’action sociale et des publics a permis de dépasser une approche théorique et académique et de toucher des AS en devenir pour influer sur les pratiques. Pour cela, nous avons créé des espaces et des temps d’échanges qui ont jalonné deux années académiques dans le cadre des cours de sociologie politique.

Au niveau de l’école, le projet a démarré en janvier 2016 avec un groupe de 110 étudiants en BAC 2 AS et s’est finalisé en avril 2016 avec ces mêmes étudiants alors en BAC 3. Au niveau des associations, les publics des associations ont été présents tout au long du processus et ont rassemblé une moyenne de 60 personnes, pas toujours de manière uniforme

Le résultat est allé au-delà de nos attentes puisque ces rencontres ont donné naissance à des constats communs, devenus revendications portées collectivement lors de manifestations publiques et des rencontres avec le monde politique.

Conscients du caractère inédit de ce projet, il nous semble pertinent de confronter les résultats de celui-ci aux théories développées par des auteurs tels que Saïd Bouamama et Abraham Franssen. Le premier interroge les mécanismes de domination à l’œuvre dans notre société et les manières de lutter contre ces dominations ? Quant au deuxième, il interroge la fonction du travailleur de terrain « tiraillé » entre les injonctions sociales, les commandes institutionnelles et l'éthique de la profession. De fait, la place accordée au vécu et au pouvoir des citoyens et la « solidarité » questionnent dans un contexte d’interventions sociales de plus en plus formatées où position d’alliance avec les publics et lien social s’effritent.

Comment sortir d’une position de professionnel dépositaire d’un savoir et d’un pouvoir ? Que mettre en place pour reconnaître la réelle expertise des publics et leur capacité d’action ? Quelles conditions réunir pour qu’une réelle convergence des luttes soit possible ?

Comme le théorise Castel (2003:29), « l’insécurité sociale n’entretient pas seulement la pauvreté. Elle agit comme un principe de démoralisation, de dissociation sociale à la manière d’un virus qui imprègne la vie quotidienne, dissout les liens sociaux et mine les structures psychiques des individus ». Dès lors, la construction du lien social, socle de toute société égalitaire selon Rosanvallon (2011) a été au cœur de notre travail. Nous avons veillé à faire vivre ce principe d’égalité alors même que notre société est fracturée et qu’elle fait de la division des citoyens sa principale source de domination.

Si ce projet nous a permis de mesurer à quel point la pensée de Robert Castel était lucide, celui-ci a également été une opportunité de lutte et de résistance collective à cette dissolution des liens sociaux en mobilisant la capacité d’analyse présente à des degrés divers chez les futurs travailleurs sociaux et chez les publics généralement muselés par notre société au nom de leur prétendue incapacité à penser et à agir par eux-mêmes.

Bibliographie

BOUAMAMA, S. (2014) Figures de la révolution africaine de Kenyatta à Zankara. Paris, Edition La Découverte, Collection Repères - Conférences à Marseille : présentation de son livre. 5 juin 2014. Disponible sur le web
BRACONNIER, C. & MAYER, M. (dir.) (2015). Les inaudibles. Sociologie politique des précaires. Paris, Presses de Sciences PO.
CASTEL, R. (2003). L’insécurité sociale. Qu’est-ce qu’être protégé ? Paris, Edition du Seuil.
FRANSSEN, A. (2005). État social actif et métamorphoses des identités professionnelles. Essai de typologie des logiques de reconstruction identitaire des travailleurs sociaux, Pensée plurielle, 2/2005 (no 10), p. 137-147.Disponible sur le web : < http://www.cairn.info/revue-pensee-plurielle-2005-2-page-137.htm>
GILBERT, Y. (2008). Changer le social. Logiques, enjeux et acteurs du développement social dans la modernité accrue. Presses Universitaires de Perpignan, Collection Etudes
LIENARD, G. & MANGEZ, E. (2015). Régimes d’action et rapports de pouvoir. Vers un approfondissement de la théorie bourdieusienne de la domination ?. In Recherches sociologiques et anthropologiques, Vol. . no.1, p. 147-165. Disponible sur le web :
MATHIEU, L. (1999). Une mobilisation improbable : l’occupation de l’église Saint-Nizier par les prostituées lyonnaises. Revue française de sociologie, XI-3, 475-499. Disponible sur le Web :

PANNECOECKE I., LAHAYE W., VRANCKEN J., VAN ROSSEM R. (Eds) (2016) Pauvreté en Belgique : Annuaire 2016. Gent, Académia Press
SANCHEZ-MAZAS, M. & TCHOPP, F. (dir.) (2010). La rationalisation des métiers du social. Revue Les politiques sociales. Bruxelles.
ROSANVALLON, P. (2011). La société des égaux. Editions du Seuil, Paris.
VERFAILLIE, B. (2016). Agir avec les pauvres contre la misère. Ivry-sur –Seine, Les éditions de l’Atelier/Les éditions ouvrières, Editions Quart-Monde.

Présentation des auteurs

COURTOIS Nathalie : AS diplômée en Sciences politiques UCL Mons chargée de l’UE sociologie politique et maître de formation pratique HELHA BAC AS. Mons
MOURIN Barbara : Éducatrice formée aux compétences transculturelles ((Université Paris 13) Directrice adjointe Picardie Laïque Mons
THIRION Samuel : Sociologue directeur CIEP - Centre d'Information et d'Education Populaire-Mons

Communication complète

Le projet Monsieur… trois mondes réunis dans une société fracturée
« Casser » les jugements et stéréotypes réciproques, créer des espaces d’échange sur nos représentations, entre publics fragilisés et travailleurs sociaux en devenir pour influer sur les pratiques mais aussi se mobiliser et prendre la parole ensemble contre les inégalités

Courtois N. Mourin B. Thirion S.

Le projet Monsieur est à nos yeux, et au final, un fameux pari que quelques travailleurs sociaux se sont lancés. Ce pari était de permettre à nos publics, personnes vivant des situations de grande précarité et étudiants, futurs assistants sociaux, de se rencontrer, confronter leurs représentations, se comprendre. Cette rencontre de « trois mondes » que sont ceux de l’école, des professionnels de l’action sociale et des publics a permis de dépasser une approche théorique et académique et de toucher des assistants sociaux en devenir pour influer sur les pratiques. Pour cela, nous avons créé des espaces et des temps d’échanges qui ont jalonné deux années académiques dans le cadre des cours de sociologie et de politique autour d’un partenariat avec les associations montoises que sont le CIEP- groupes Alpha, Lire & Ecrire, Equipes populaires, Vie féminine et Picardie Laïque. Mouvements d’éducation permanente, ces associations sont porteuses de nombreux projets inédits, mobilisateurs et moteurs de dynamiques collectives réellement émancipatrices pour les principaux concernés à savoir les citoyens. Le projet Monsieur est à compter parmi eux.

Le résultat est allé au-delà de nos attentes puisque ces rencontres ont donné naissance à des constats communs, devenus des revendications portées collectivement lors de la manifestation du 17 octobre 2016 érigée Journée mondiale de lutte contre la pauvreté.

Un des apports majeurs de ce projet a été de rassembler, autour d’enjeux partagés, des groupes de citoyens qui, a priori, ne se rencontrent que dans le cadre de relations très codées et institutionnalisées. Au fil du processus qu’ils ont partagé, ils se sont mutuellement reconnus en tant que pairs, reliés par des réalités qu’ils vivent chacun de là où ils se trouvent : futurs assistants sociaux, enseignants et professionnels du monde associatifs, usagers de ces associations et de services sociaux. Dans la présente communication, et afin de faciliter la lecture et la compréhension des étapes transformatrices que tous ont vécues à travers ce projet, nous nommerons les participants en les distinguant avec les termes d’étudiants, professionnels et usagers même si, vous l’aurez compris, ils sont à rassembler sous un vocable commun en tant que « groupes de citoyens ».

Arrêtons-nous un instant sur le terme de « citoyens » qui marque notre choix d’utiliser ce dernier pour évoquer l’ensemble des participants au projet. Si la citoyenneté est définie à la fois comme un statut correspondant à un ensemble de droits définis juridiquement et fondant la légitimité politique dans les sociétés démocratiques, le dictionnaire de sociologie (2004) renvoie aussi à « l’identité » qui repose sur un sentiment d’appartenance à la collectivité politique et donc source de lien social. Pour notre part, nous garderons l’idée de la participation citoyenne qui renvoie davantage à un processus identitaire individuel et collectif qui naît sur base d’une injustice sociale et fait appel à l’analyse, propice au déclenchement du pouvoir d’agir. Cette participation citoyenne fait écho aux droits acquis ou à acquérir dans la société, elle renvoie à la dynamique d’alliance nécessaire pour créer le changement social.
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En effet, le projet Monsieur a eu pour ambition de faire des questions de précarité, pauvreté, inégalité, une priorité et de mettre en lumière que la solidarité peut être une réponse aux problèmes actuels. L’idée était qu’à travers la parole recueillie auprès de cette diversité de citoyens, les aprioris mutuels et propres à notre société empreinte de nombreuses fractures pourraient être dépassés. Les participants amèneraient des pistes de modifications aussi modestes soient-elles pour lutter contre les inégalités et la pauvreté. Il s’agissait d’une opportunité de vivre une action collective et de se mobiliser pour contribuer au débat politique pour mieux lutter contre les inégalités et créer une société solidaire.

Aujourd’hui, à l’issue de cette expérience, nous nous interrogeons sur ce concept de solidarité.
En effet, ces alliances sont-elles synonymes de solidarité ou un marchepied vers celle-ci ? La solidarité n’est-elle pas un idéal à atteindre dans les projets menés ? Au-delà, il nous apparait évident, au terme de celui-ci, que la participation citoyenne reste au cœur des questions collectives, du destin collectif et donc de la question politique.

La question politique est finalement ce qui nous a rassemblés. En effet, quand le collectif d’associations engagées dans le projet a interpellé l’école pour prendre part à cette aventure, la réponse fut évidente. Celle-ci pourrait répondre aux attentes des cours de politiques dispensés dans le cadre du cursus de la formation d’AS.

Si l’approche théorique nous montre que le concept « politique » est porteur d’ambivalences, nos échanges lors de cette expérience sont venus confirmer ce constat auquel s’ajoute le fait qu’il est surtout sujet à de nombreuses résistances mettant en lumière une transformation de la politisation que Pierre Bréchon (2002 in Galland O. & Lemel Y. (2007) désigne comme une disposition générale à valoriser la politique et à y consacrer de l’attention. Selon lui, si nous n’observons pas un réel mouvement de dépolitisation au niveau de la moyenne européenne, elle se confirme chez les jeunes et d’autant plus dans la nouvelle génération et la partie la plus diplômée. La régression de la politisation chez les jeunes est un mouvement d’autant plus fort que les évolutions structurelles auraient dû conduire naturellement (du fait de l’élévation continue du niveau d’études) à une croissance de la politisation. Ce phénomène se retrouve dans d’autres dimensions chez les publics fragilisés. Même s’ils n’interrogent pas principalement les effets politiques de la précarité, les travaux sur la participation politique tout comme les études ciblées sur des populations en situation de grande précarité (…) suggèrent tous que cette dernière pourrait avoir un impact démobilisateur, favorisant le retrait et l’abstention (Braconnier C. & Mayer N. 2015 :137) tout en sachant que ces phénomènes sont observables transversalement dans l’ensemble de la société. Le peu d’intérêt qu’ils manifestent pour la politique s’explique avant tout par la fragilité des repères dont ils disposent pour comprendre les règles du jeu politique (Ibidem : 144). L’expérience de la précarité dresse un certain nombre d’obstacles à la politisation, tant matériels que psychologiques. Paul Lazarsfeld et ses collègues ont dès les années 1930 montré combien le chômage éloignait de la vie publique (Ibid. : 157).

Dès lors, selon nous, ce projet offrait la possibilité pour nos publics d’accéder à cette question politique qui renvoie à la participation citoyenne. Il offrait la capacité de dépasser ces résistances et de cheminer ensemble afin d’aller vers des changements de paradigme. Patrick Viveret (2011) évoque le troisième pouvoir de la société civile définie comme des groupes d’acteurs sociaux qui se concentrent sur les processus d’émergence de quelque chose de « nouveau » et qui peut devenir une société civique, c’est-à-dire qui influe et agit sur la construction du Politique et qui témoignent de la volonté des citoyens de se réapproprier le pouvoir d’agir et de créer.

Fort de ces constats et de cette ambition, le projet Monsieur est né ! Il a débuté en janvier 2016 avec la représentation théâtrale qu’étudiants, publics, professeurs et professionnels sont allés voir ensemble au Théâtre des rues à Cuesmes. La présentation dans les grandes villes wallonnes de la pièce « Monsieur » de la compagnie « le théâtre de la Communauté » a été initiée par le Réseau Wallon de lutte contre la pauvreté et a été à l’origine de nombreuses mobilisations partout en Wallonie. Pour notre part, elle a conduit au projet qui a pris assez naturellement le nom de la pièce. Celui-ci a rassemblé 110 étudiants qui étaient dans la première phase en BAC 2 et dans la seconde en BAC 3, une dizaine de professeurs, une moyenne de 60 usagers ainsi qu’une dizaine d’animateurs.

A partir de là, un travail de co-construction s’est réalisé au gré de l’avancement du projet. Il a rassemblé les acteurs à différents niveaux d’action. Un petit noyau « fondateur » formé de professionnels se rassemblait pour penser, proposer, débattre, décider et organiser les actions. Ce processus était nécessaire pour faire « sortir le projet de terre et commencer à lui donner une visibilité, une existence au monde » (Maltcheff, 2011). Ensuite, des actions, que nous détaillerons, se réalisaient dans chaque association et à l’école pour déboucher sur des actions communes rassemblant usagers et étudiants. C’est au sein de ces groupes que s’est vécue l’expérience faisant écho de la « combinaison des énergies de résistance, de créativité, et d’espérance (…) et de la construction d’un lien à l’autre différent » (Ibid.).
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Après la pièce de théâtre, la première action s’est réalisée au sein de chacune des institutions. Chaque partenaire avait pour mission de préparer avec ses publics des « bandelettes ». Celles-ci relateraient des situations vécues par chacun. Elles feraient écho à leurs représentations d’un côté de la pauvreté et d’un autre du travail social. Ces bandelettes seraient le support qui servirait à enclencher les échanges lors de la deuxième action.
Celle-ci a rassemblé usagers et étudiants lors de la journée du 17 mars 2016 qui a lieu dans les locaux du CIEP. Soulignons que les lieux revêtent ici un sens symbolique important. Pour cette première, ce sont les étudiants qui sont venus à la rencontre des publics, sur leur territoire, là où ils ont « leurs habitudes ». Chaque groupe a pris place. Dix groupes ont été formés, composés équitablement d’usagers et d’étudiants animés par un duo d’animateurs issus du monde associatif et scolaire. Chaque duo d’animateurs a utilisé des outils d’animation pour briser la glace et apprendre à se connaitre. Chacun a pioché des bandelettes et les débats ont progressivement émergé. Les peurs sont tombées doucement. A l’issue des échanges, et après un pique-nique voulu convivial, les groupes se sont rassemblés à nouveau pour réaliser des fresques. L’idée était que les participants laissent une trace…Chacun a mis la main à la pâte et a laissé place à ses talents !
Suite à cette première journée, un travail de débriefing a été organisé dans chaque association et à l’école mettant en avant qu’un sentiment général que quelque chose de « chouette » s’était passé. Maltcheff (Op. Cit.) dit que les rencontres physiques sont le véritable creuset de la transformation (…) et que durant celles-ci se jouent des échanges d’informations sur tous les niveaux de l’être, où ce qui n’est pas dit est plus important que ce qui est dit. Chacun a ressenti de la satisfaction, comme s’il s’était passé quelque chose sans trop pouvoir à ce stade décoder précisément quoi et gardant de interrogations sur la suite à donner.

Nous nous sommes retrouvés pour une deuxième rencontre le 21 avril 2016 qui, elle, a lieu dans les locaux de la Haute Ecole. Une manière pour le monde académique de « rendre la pareille » et d’accueillir les usagers et, par-là, de peut-être démystifier l’école lourde en symbole pour des publics engagés dans des processus d’insertion et de formation.
Cette rencontre a été marquée par deux temps. Le premier visait à réfléchir et produire des slogans. Les gens se reconnaissant, puisque les groupes formés se retrouvaient, il leur a été plus facile de prendre la parole. Ils ont partagé leurs idées, ce qu’ils avaient envie de dire, ont débattu, se sont mis d’accord et retenu ce qui parlait le plus au groupe. Le second a réuni tous les participants dans l’auditoire et chaque groupe a présenté ce qu’il avait produit, sa fresque et ses slogans en y apportant sa touche de créativité et un mot d’explication. Prendre la parole, s’exposer devant une salle de plus ou moins 150 personnes est certes un exercice très complexe pour tous les participants qui, au final, ont relevé haut la main ce défi.

A l’issue de ces quatre temps d’action, le rendez-vous fut donné pour se retrouver en septembre après les vacances scolaires. Il s’agissait de poursuivre le mouvement afin de dépasser les constats, construire des revendications, repérer les acteurs politiques qui se saisissent ou non des questions soulevées par les participants et de décoder les réponses politiques existantes ou à créer et plus concrètement préparer et participer à la manifestation du 17 octobre. Au-delà, nous souhaitions prendre une place en tant que citoyens dans le débat public, devenir acteurs alors même que la démarche n’a rien de simple ni d’évident tant pour des personnes précarisées que pour de jeunes étudiants.

Le 30 septembre 2016, c’est dans les locaux du CIEP que nous nous sommes retrouvés pour préparer avec les étudiants et les associations la journée de mobilisation prévue le 17 octobre 2016 à Namur. Tout le monde s’affaire pour préparer la manifestation. A partir des slogans préparés ensemble en avril, des groupes préparent des chants, d’autres des T-shirts personnalisés, des pancartes et banderoles. Les gens se connaissent maintenant, ce qui facilite les échanges. Ça réfléchit, ça bosse, ça discute…politique, et oui, mais pas que… ça rigole aussi !

Alors que tout est prêt, le rendez-vous est donné le 17 octobre 2016 devant la gare de Mons. Etudiants, usagers, profs et animateurs arrivent au compte-goutte. Une petite angoisse est là, la pression monte. Combien serons-nous ? Pour certaines personnes, ce sera la première fois qu’elles prennent le train. Ce sera aussi l’occasion pour certaines femmes de laisser le temps d’une journée les enfants et la maison… Les gens sont au rendez-vous !
De nombreuses activités sont prévues à Namur dans le cadre de cette journée mondiale de lutte contre la pauvreté, notre groupe composé de plus de 150 personnes se rend à l’exposition organisée aux abattoirs de Bomel. Des activités y sont proposées comme l’atelier miroir « un autre reflet, un autre regard » mais sont aussi exposées les fresques réalisées dans le cadre de notre projet.
Après un sandwich partagé au point de rassemblement, la marche commence. Pour la plupart des participants, étudiants et usagers, cette manifestation est une première. Ils ont quelques appréhensions, avec en tête, des images relayant certaines violences médiatisées lors de manifestations. Oui, il y a de la peur. Pour certaines personnes d’origine étrangère, le doute d’avoir leur place pour prendre la parole est présent. Des questions se posent, mon voile ne va-t-il pas être perçu comme une provocation dans le contexte des attentats ? Pour les étudiants, c’est le doute que tout ceci ne serve pas à faire changer les choses. Cela suffit-il à se faire entendre des hommes politiques, de la population ? Ces doutes renvoient à nos yeux à un mode de représentation du changement pensé par le « haut » alors que le projet Monsieur, tel que les professionnels l’ont pensé, défend l’idée d’une mise en œuvre par le « bas ». Concernant ce type de processus, Maltcheff (Op. Cit.) parle de dispositifs d’intelligence collective démocratique sachant que ceux-ci sont liés à l’existence de groupes singuliers. Or, certains groupes (le nôtre pensons-nous) ne se définissent pas encore comme tels.
La journée à Namur s’est prolongée au-delà de la manifestation. En effet, le Réseau Wallon de lutte contre la pauvreté, à l’origine de la mobilisation, a offert à travers cette journée une tribune pour faire entendre les revendications des personnes les plus précarisées. La manifestation s’est clôturée avec des discours mais aussi une « Foire de l’agir » qui a donné une visibilité à une multitude de projets novateurs offrant une diversité d’alternatives. Si la journée prend fin, le projet ne se termine cependant pas là…

Le 8 novembre 2016, chacun s’est retrouvé au sein de son institution pour débriefer et évaluer. Comment s’est déroulée cette journée de manifestation, le projet ? Quels sont les sentiments partagés par les participants ? Quelles suites pouvons-nous y donner car, certes, les participants ont pris conscience, non sans déconvenue, qu’une manifestation ne suffit pas à elle seule à changer les choses. Dès lors, une ultime rencontre usagers et étudiants est prévue le 18 novembre. Chacun cherche des moyens pour que leur mobilisation trouve une certaine visibilité et qu’ils puissent faire entendre leurs voix. Des propositions fusent…L’ouverture d’une page Facebook, une scénette, des lettres ouvertes pour interpeler des acteurs politiques, interpeler les médias si absents jusque-là…Et voilà que l’idée d’une exposition dans le cadre de la Journée Portes Ouvertes de la HELHa se dessine.

C’est ainsi que, plus d’un an après le démarrage du projet, le 20 avril 2017, une conférence-débat a rassemblé nos publics en présence de quatre acteurs de renom dans le champ politique francophone belge . Ils ont proposé leur expertise respective, une réponse aux interpellations des participants au projet. Ils ont mis en évidence les réponses du monde politique en y apportant un regard critique. Au-delà, défendant l’idée que de réels changements sont possibles, leurs interventions devaient aider à mieux comprendre en quoi et comment la parole de tous les citoyens, qui plus est exclus, peut faire bouger les choses. La présence de ces personnalités était aussi une reconnaissance pour ce public qui a osé sortir de sa réserve et de ses difficultés.
Le récit de cette expérience contribue à reconnaitre et donner une visibilité à la prise de parole de ces groupes de citoyens. Il est important pour mieux décoder l’enjeu de la démarche d’y apporter des clés de lecture. En effet, le projet « Monsieur » s’inscrit dans un contexte territorial singulier en termes socioéconomique, socioculturel et politique qu’il convient de préciser. Les indicateurs à la fois socio-économiques et ceux liés à la santé montrent un territoire appartenant à une Province où des constats restent alarmants. Selon l’Observatoire de la santé du Hainaut (Berra P. & Massot C., 2016), la proportion de diplômés de l’enseignement supérieur est limitée à 25 % en Hainaut contre 30 % en Wallonie et 33 % en Belgique. A l'inverse, de nombreux Hainuyers (14 %) ont au maximum un diplôme d’école primaire contre 11 % en Wallonie et 10 % en Belgique. En 2014, plus de 19 % des jeunes Hainuyers de 18 à 24 ans vivaient avec une allocation d’aide sociale ou une allocation de chômage. C’est nettement supérieur à la situation de cette même catégorie d’âge en Wallonie (16 %) et même presque deux fois plus qu’au niveau national. 11 % d’entre eux bénéficiaient d’une aide sociale du CPAS (Centre Public d’Action Sociale). D’autre part, dans la catégorie des plus âgés (65 ans et plus), 15 % de la population touchent une allocation d’aide sociale (majoritairement une allocation aux personnes handicapées), ce qui correspond au pourcentage observé en Belgique. Toujours selon l’Observatoire de la santé du Hainaut, l’effet des inégalités sociales se marque très tôt. Ces populations coexistent dans un environnement matériel et dans un contexte financier et socioculturel qui rendent plus difficile l’adoption de comportements favorables à la santé.
Au-delà, le Bassin Hainaut Centre regroupe 25 communes, pour une superficie de 1000km² avec près de 500.000 habitants. Ce territoire est marqué par l’exploitation des mines et par les luttes ouvrières aux 19ième et 20ième Siècles. Le noir du charbon et le rouge des luttes sociales illustrent le passé de ce bassin. Les migrations l’ont influencé également, comme terre d’accueil, forgeant une identité territoriale singulière. En Hainaut Centre, la situation politique est marquée par une forte majorité socialiste mettant l’accent sur l’action publique. Dans ce contexte, la reconnaissance et la visibilité des actions associatives prennent une forme particulière.
Les signes d’une décomposition de la classe ouvrière sont communs à des zones industrielles subissant un déclin en Europe. Cette décomposition est marquée par l’exclusion de manière durable de personnes peu qualifiées, socialement et culturellement plus faibles sur la marché de l’emploi et en perte de compétences professionnelles et de ressources personnelles face au monde du travail (flexibilité accrue, mobilité, compétences dans le champ des nouvelles technologies, mécanismes de sélection drastiques,…). Selon Patricia Vendramin (2014), les conditions de précarisation de l’accès à l’emploi ont des effets d’ordre économique (précarisation financière), culturel (qualifications obsolètes, peu de formation continue) et symbolique (manque de confiance en soi, stigmatisation et sentiment de honte).
En Belgique, depuis les années 90, les politiques publiques liées au travail ont évolué vers l’Etat social actif qui renvoie à un changement de paradigme pour l’intervention publique s’opposant à l’Etat providence et assurantiel. Il s’agit d’une volonté d’accroître l’employabilité des demandeurs d’emploi avec une responsabilisation individuelle, se substituant à la responsabilité collective. Ainsi, selon Georges Liénard et Eric Mangez (2015), de la solidarité institutionnalisée créée par le compromis social de l’après-guerre avec la mise en place des mécanismes de la sécurité sociale, nous assistons à la mise en place de l’Etat social actif qui prône une responsabilité et un traitement individualisé dans lequel les cadres de négociations collectives s’affaiblissent au profit de la domination exercée par l’Etat sur les allocataires sociaux.
Aux côtés des injustices liées à l’évolution du capitalisme, et les renforçant, d’autres souffrances sont engendrées, notamment auprès des personnes d’origines et de cultures différentes. Les personnes d’origine étrangère subissent d’autres types d’injustices et de discriminations et donc un autre rapport de domination. Ces citoyen-nes subissent une précarisation financière et une mise en cause de leur identité culturelle. Ainsi, un système d’exclusion durable est à l’œuvre. De manière générale, les allocataires sociaux se trouvent dans des situations d’infantilisation, réelle ou ressentie, dans leurs contacts avec les travailleurs sociaux. Un apriori de suspicion de mensonge, lié à la dimension contrôlante issue de l’Etat social actif, pèse également sur la relation. Pour les publics d’origine étrangère, s’ajoutent des obstacles tels qu’une faible maîtrise de la langue et une méconnaissance du fonctionnement des institutions d’aide sociale.

Dans un tel contexte, le chemin entre les représentations, souvent négatives, et la réelle rencontre humaine n’a pas été simple. Certes, la transformation sociale et donc politique est restée moins prégnante dans le projet mais il a permis la déconstruction des préjugés vis-à-vis des étudiants et des stéréotypes à l’encontre des usagers des associations.
D’autres images se sont construites, le travailleur social se bat aussi et n’est pas uniquement le bras armé d’un système de contrôle. Il peut se sentir, lui aussi, démuni. De leur côté, les étudiants ont pu constater, qu’au-delà de leur désir sincère de contribuer par leur travail à la réduction des injustices et des inégalités, une réalité les rattrape : les usagers se trouvent face à une machine à contrôler et à exclure, dont les travailleurs sociaux sont, malgré eux et au-delà de leur engagement, les instruments.
Des revendications communes ont émergé. Elles touchent au travail social désiré, celui du temps de l’échange et du partage, celui qui soutient et accompagne.

Jean Blairon (2016) rappelle que les nouveaux fonctionnements du champ social triomphent dans des sociétés où le capital culturel occupe une place sans précédent. Le développement des sociétés s’appuie en effet, comme jamais auparavant, sur les ressources culturelles, dont rend compte la trilogie capital de connaissances, capital de force créatrice, capital confiance. Le manque de ces formes de capital a malheureusement la particularité, (…) de produire une diminution du même capital: nous avons affaire à une régression/exclusion à l’infini [….] Pour beaucoup de nos concitoyens, surtout jeunes, les inégalités culturelles produisent une exclusion culturelle capable de s’aggraver elle-même, et ceci dans le contexte où chacun, invité à se « responsabiliser », est susceptible de se voir reprocher sa situation comme « l’ayant voulu parce que n’ayant pas cherché à en sortir ».

Si ces violences indissociablement culturelles et sociales s’exercent souvent dans le silence ou la méconnaissance, elles suscitent malgré tout des réactions de refus et des contre-offensives appropriées faites d’initiatives d’inspirations diverses: des dynamiques instituantes dans lesquelles se sont impliqués des travailleurs sociaux, révoltés par le constat que les formes traditionnelles d’action ne convenaient pas à ces situations nouvelles. Cela renvoie à une série de pratiques plus ouvertes, plus participatives (Ibidem). Cependant, force est de constater qu’avec l’arrivée de l’Etat social actif, c’est la définition de l’aide et de l’action sociale qui est revisitée à travers l’action publique. Elle renvoie à des fonctionnements tels le workfare, l’activation et la contrepartie. Des tensions existent donc. Les débats sont au cœur des réformes en Europe et, en lien direct avec les crises économiques relayées par Emmanuel Jovelin (2008). A l’instabilité du travail, se sont conjugués les effets de l’isolement social, de l’appauvrissement des supports relationnels pour dessiner une zone de vulnérabilité croissante de populations qui ne partagent pas à proprement parler le même état d’exclusion (…). Dans ce contexte, les politiques sociales se focalisent sur la lutte contre l’exclusion et le chômage (Ibid. 2008). Depuis plusieurs années, on voit donc apparaître une multiplication des dispositifs sociaux destinés aux exclus et aux précarisés. Ces dispositifs hétérogènes sont cependant tous marqués par des traits similaires qu’Abraham Franssen (2003) met en lumière. Ces quatre traits sont une logique de traitement et de projets individualisés, une logique de contractualisation, une visée d’activation sur le marché du travail et, enfin, une poursuite de l’objectif de l’autonomisation du citoyen. De cette transformation radicale des modes d’intervention de l’Etat, de réels enjeux se dessinent en termes de travail social. Nous constatons que l’aide sociale devient le reflet d’une relation bidirectionnelle entre droits et devoirs. La logique dans le cadre de l’activation est pensée uniquement comme devoir et non plus comme droit. Le mécanisme du « rendre compte est valable tant pour les usagers que pour les institutions. De plus, les assistants sociaux n’ont pas ou plus l’exclusivité dans le domaine de l’intervention sociale. Les différentes politiques sociales conduisent à un changement dans le rapport existant entre les travailleurs sociaux et les acteurs politiques. Certains pensent que ce changement remet en cause l’autonomie du travail social au profit d’une instrumentalisation et technocratisation de l’intervention sociale (Dartiguenave & Garnier, 2008). Dans ce contexte, l’affirmation de la primauté du politique constitue bien une donnée nouvelle dans le champ social (…) les injonctions à être plus performants et rentables, les appels répétés à l’accroissement de la productivité dans le champ de l’intervention ont constitué les instruments majeurs de la réintroduction du secteur social dans l’orbe politique, pour ne pas dire de sa soumission à celui-ci (Ibid.). Plus globalement, l’exercice du travail social est mis en question. Celle-ci a trait à une question de sens directement en lien avec la question des fondements théoriques et éthiques, des valeurs du travail social, des finalités et des méthodes.

Cet autre constat nous amène à nous pencher sur le métier et la formation des assistants sociaux.
Ceux-ci sont, et ce depuis 1945, tous deux réglementés en Belgique francophone. Plus récemment, le décret du 7 novembre 2013 appelé « Décret paysage » du Ministre Marcourt réorganise l’enseignement supérieur et universitaire au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). Ce dernier, qui a connu maintes controverses, a été validé par la cours constitutionnelle le 21 avril 2016. Nous ne nous appesantirons pas sur les détails techniques mais sur le concept de « référentiels de compétences » présents aujourd’hui pour organiser et valider le cursus d’un étudiant. C’est dans la perspective de ce décret et sous la pression normative exercée par l’UE que le référentiel de compétences pour le métier et la formation d’assistant social a été créé et approuvé par le Conseil Général des Hautes Ecoles dès avril 2010.

D’une part, signalons la volonté des professionnels assistants sociaux en FWB de mettre en évidence un cadre éthique et déontologique dans ce référentiel. Ce cadre est unanimement partagé et est repris en tant que tel comme « en tête » du document référent. Il nous semble important de le reprendre ici car il met en exergue la philosophie portée dans le projet Monsieur autour des grandes idées phares que sont la promotion de la justice sociale, le changement social, la citoyenneté, (…) l’émancipation des personnes et des collectivités, l’importance des capacités et des ressources propres des personnes et des collectivités afin d’améliorer leur bien-être. [….] la participation à des actions de prévention, de lutte contre les exclusions et à des projets de développement [….]. Précisant que l’assistant social agit en plaçant l’Homme au centre de ses préoccupations, qu’il fait émerger les enjeux sociétaux et oriente les politiques sociales, qu’il interpelle les différents acteurs des politiques sociales et participe à l’élaboration de propositions, de pratiques innovantes et de changement.

Le seul fait d’évoquer explicitement l’interpellation des acteurs des politiques sociales et la participation à l’élaboration d’un changement implique l’assistant social dans la dimension politique. Au-delà, en explorant les compétences et les capacités, deux participent plus particulièrement à cette dimension quand il s’agit d’identifier, analyser et questionner les contextes sociétaux pour en comprendre les enjeux et de soutenir et promouvoir le changement social et l’innovation en valorisant l’engagement et la participation citoyenne des usagers, en menant des actions de sensibilisation, de mobilisation, de conscientisation et s’y investir etc.

Si le référentiel de compétences identifie les compétences utiles et nécessaires à l’exercice de la profession, la place que doit tenir la question politique dans la formation reste entière au regard des représentations et des résistances évoquées plus haut et nous amène à la question « en quoi et comment la formation que dispensent nos écoles permet-elle la construction de ces compétences? ».

Le référentiel vient appuyer le postulat défendu au sein des cours de politique dispensés dans notre école. Nous sommes, en tant qu’assistants sociaux, porteurs d’un mandat politique. En effet, le travail social mise sur l’inclusion et la lutte contre les exclusions agissant là où les mécanismes d’exclusion se multiplient. Dans ce sens, « faire de la politique » reviendrait à développer une forme d’aide qui vise à inclure les usagers dans le système politique. Actuellement, un paradoxe existe en cela que, plus un individu est dépendant des politiques à travers les dispositifs d’aide, plus il en est exclu ! Cela renvoie au processus de politisation défectueux. Dès lors, le mandat politique du travail social devrait dans ce sens et, en vue d’inclure tous les citoyens, développer la participation citoyenne. Cette approche vient confirmer la nécessité d’accompagner les étudiants et les usagers dans cette démarche de « politisation ». Dès lors, la formation devrait permettre de mieux cerner l’univers politique et de décoder les conflits auxquels il est soumis. Conflits qui naissent de la pluralité des conceptions et de la médiatisation. En effet, l’univers politique est synonyme d’univers de langage dans lequel la notion de vérité n’a pas de réel statut. Cependant, il ne doit pas occulter l’acte politique par lequel le sujet peut devenir acteur social.

Dans cette perspective, l’innovation sociale devrait servir à accompagner les populations pour qu’elles élaborent une nouvelle image de la société dans laquelle elles souhaiteraient vivre. Le projet Monsieur concourait à cette ambition. Certes, la démocratie revêt un idéal porteur d’égalité, de liberté, de participation des citoyens à la vie publique. Mais, dans une démocratie, la gamme des comportements que l’on peut qualifier de « politiques » est très vaste et ne se réduit pas au vote ou l’appartenance partisane. Et donc, en tant qu’assistant social, se pose la question de la participation des usagers et du rôle que nous aurions à y jouer. Le projet Monsieur rencontrait cet objectif de permettre à des étudiants de mobiliser leurs compétences pour accompagner des « usagers » au-delà de l’exercice de leurs droits en les aidant « à transporter leur parole ». Démarche certes pas évidente dans un contexte en mutation actuel où les modes d’intervention de l’Etat exercent une influence directe sur le travail social et nos pratiques. Selon Abraham Franssen (2005), l’intervention de l’Etat social actif accroît les pratiques de contrôle social alors qu’il y a passage d’une responsabilité collective vers la stigmatisation de la personne. En termes de travail social, de réels enjeux se dessinent. Tiraillés entre une pratique de « prise en charge » des usagers et une pratique de « prestation », les travailleurs sociaux sont confrontés à des tensions. Nos étudiants arrivent de plus en plus dans des services traversés par d’importants changements à l’origine de crises parfois lourdes au sein des équipes de travail. Les professionnels connaissent des pratiques qui interrogent les questions éthiques, de sens de nos métiers, qui visent davantage à mobiliser une technicité, bien souvent d’ailleurs administrative plutôt que relationnelle. Pratiques parfois source d’épuisement professionnel.

Ces constats contribuent, au sein de notre école, à un cheminement réflexif autour des questions d’identité professionnelle et ceci, en partenariat avec les acteurs de terrain. La question est comment conçoit-on son métier ? Elle renvoie à des enjeux qui relèvent une fois de plus de la question politique présente au cœur du travail social. Il s’agit de trouver un équilibre entre les différentes composantes du travail social et, pour cela, aller vers ce que nous nommerons un « Etat citoyen ». Il s’agit de faire en sorte que chacun ait sa place au sein de la société et, pour cela faire de « l’usager » un citoyen. Notre manière de nommer les « participants » au projet, nous l’avons vu, n’est pas anodine. Elle démontre notre volonté de leur donner un statut différent. Dans cette optique, l’usager « consommateur d’une prestation » laisse la place à l’usager porteur du statut « d’acteur appartenant à la collectivité politique ». Plus concrètement, ce m2mandat politique imparti au travail social peut se manifester à travers diverses actions et à des niveaux différents. Le projet Monsieur vient concrétiser cette perspective et offrir aux étudiants l’opportunité d’expérimenter et plus encore, vivre l’action collective. Le projet Monsieur leur a permis d’agir et de promouvoir des revendications. Au-delà même de représenter les intérêts des « usagers » et de faire remonter leurs besoins, il leur a permis de partager cette action à leur côté. De fait, la place accordée au vécu et au pouvoir d’agir des citoyens et à la solidarité questionnent dans un contexte d’interventions sociales de plus en plus formatées où position d’alliance avec les publics et lien social s’effritent.

Comme le théorise Castel (2003), l’insécurité sociale n’entretient pas seulement la pauvreté. Elle agit comme un principe de démoralisation, de dissociation sociale à la manière d’un virus qui imprègne la vie quotidienne, dissout les liens sociaux et mine les structures psychiques des individus. Dès lors, la construction du lien social, socle de toute société égalitaire selon Rosanvallon (2011) a été au cœur de notre travail. Nous avons veillé à faire vivre ce principe d’égalité alors même que notre société est fracturée et qu’elle fait de la division des citoyens sa principale source de domination. Si ce projet nous a permis de mesurer à quel point la pensée de Robert Castel était lucide, celui-ci a également été une opportunité de lutte et de résistance collective à cette dissolution des liens sociaux en mobilisant la capacité d’analyse présente à des degrés divers chez les futurs travailleurs sociaux et chez les usagers généralement muselés par notre société au nom de leur prétendue incapacité à penser et à agir par eux-mêmes. Dans le livre « Agir avec les pauvres contre la misère », Bertrand Verfaillie (2016) écrit « la solidarité, ce n’est pas seulement donner à manger, ni s’entendre avec un maximum de personnes (…) Non, la solidarité, c’est faire partie de la société, sans se mettre sur le bas-côté ; ce n’est pas être seulement bénéficiaire du système…L’action solidaire : « c’est être acteur de soi-même ». Cela renvoie au concept de pouvoir d’agir. Reconnaitre à une personne le pouvoir d’agir, c’est lui reconnaitre le droit de construire elle-même son appartenance à un espace commun, à une citoyenneté. A l’instar de Pierre Worms , il faut parier sur la ressource qui se trouve en chaque être humain – même celui qui se situe à l’écart – les valoriser dans l’espace public, à travers la parole et l’action (…) L’action publique a cette responsabilité cruciale d’ouvrir des espaces où s’exprime et se réalise « le mieux des gens » (Ibidem). Le projet « Monsieur » porte cette ambition que les personnes en souffrance peuvent contribuer aux solutions à imaginer et le postulat que ces solutions fonctionneront d’autant mieux si les personnes participent à leur élaboration. Il évoque le croisement des savoirs comme la nécessité de se confronter à l’autre pour construire une plus-value. Il doit se vivre et se pratiquer de manière collective. Il pose la question de la coopération entre personnes de mondes différents et celle du partenariat entre assistants sociaux et usagers.

Le projet met en lumière que des rapports de réciprocité et de collaboration, hors des rapports habituels « aidant-usager » sont possibles même si parvenir à dialoguer sur un pied d’égalité reste difficile au regard des contextes sociétaux et institutionnels. Cela suppose d’aller chercher les personnes sachant que la violence de l’exclusion nous confronte à des gens tellement abîmés qu’ils ne peuvent plus donner. Pour cela, il faut veiller à créer des espaces de bienveillance et de sécurité. Il est alors nécessaire d’inventer à chaque fois, d’accepter d’être bousculé, donner de soi. Maltcheff (2011) dit que vouloir changer les choses, c’est accepter de se regarder fonctionner au regard de ce que l’on veut changer. La transformation consiste ensuite à faire l’aller-retour entre ce regard interne et le mouvement plus large du collectif et d’en tirer enseignements, pistes d’action et énergie pour le groupe et pour soi (…) la question de l’interaction entre la transformation personnelle et la transformation sociale devient centrale car elle est une des conditions de réussite de processus d’intelligence collective démocratique.

Les processus d’éducation permanente [voir-juger-agir] ont imprégné le projet. Ils permettent la recomposition de solidarité entre groupes et le développement de capacité d’agir collectivement, avec au préalable, un large temps consacré à l’expression des vécus. La force du projet tient également sur cet aspect : c’est bien à partir des réalités vécues de chacun que les revendications sont nées.
L’enjeu est de politiser ces vécus de manière collective et de les poser comme enjeu de société, nous concernant tous. Le travail sur les représentations de chacun a joué comme un miroir permettant une reconnaissance mutuelle comme citoyen pouvant établir des solidarités fortes, et agissant ensemble.
L’enjeu pour nos structures est de se décentrer de nos modes d’action classiques. Le pouvoir d’agir des citoyens et l’encadrement des structures ne font pas toujours bon ménage ou ne sont pas systématiquement dialectiques. De manière incontestable, être dans « le faire projet » paraît porteur. Néanmoins, la mise en évidence des enjeux de société sur les questions de pauvreté est nécessaire et elle est un enjeu démocratique. Le travail d’analyse des vécus donnant des clés de décryptage, de compréhension du fonctionnement de la société paraît incontournable auprès des deux publics (étudiants et usagers). Saïd Bouamama (2016) nous explique qu’une compréhension systémique est nécessaire pour que le dominé comprenne que ce ne sont pas les individus qui posent problème, c’est un système. Il faut avoir un regard sur la longue histoire car, chaque nouveau système réutilise à son profit les dominations du passé, même si, l’humm2anité avance au regard des formes de domination actuelles qui sont sûrement moins violentes que l’esclavage par exemple. Pour ce faire, selon lui, il faut rétablir la légitimité du conflit d’intérêts. Cela interroge notre capacité à sortir des luttes prises une par une et à comprendre la dimension systémique de la répression.

Le projet Monsieur, de manière humble, a participé à cette lecture avec nos publics. Il permet de tirer des enseignements à savoir que :

L’engagement dans ce type de projet sur le long terme apparaît comme un élément positif pour les structures tant les associations que l’école. Cependant d’un point de vue organisationnel, cette rencontre des trois mondes n’a pas été toujours facile à gérer. Sans entrer dans le détail, citons tout simplement les agendas à coordonner qui a montré que la notion de temps n’est pas la même pour chacun des acteurs. Au-delà, ce sont les codifications qui sont également différentes et qui impactent l’organisation. Et, donc oui, il s’agissait bien, au-delà des représentations, d’une réelle rencontre qui, il est primordial de le dire, a été possible grâce à l’engagement certes d’individus mais aussi celui de nos institutions. Celles-ci nous ont permis de réaliser ce projet se lançant dans ce défi en nous donnant une large autonomie d’action, acceptant d’avancer à petits pas, garantissant, et c’est important, le financement des actions. Certes, cela a demandé quelques négociations et aménagements mais chacun a pris conscience des enjeux respectifs et, nous garderons en tête la capacité créatrice dégagée par le projet.
Par contre, pour les publics et certaines personnes vivant des situations de vie précaire, cet investissement a été plus difficile à réaliser. Nous l’avons évoqué dans la contextualisation et le récit du projet, la démarche et l’investissement restent complexes. Face à cela, la question de la mobilisation et du pouvoir d’agir pour les usagers restent entière et nous renvoie à la participation citoyenne.

A nos yeux, la présence de deux associations actives dans les actions de militance aurait pu davantage contribuer à informer et accompagner les participants autour de l’engagement citoyen. En effet, les dynamiques associatives, les actions des associations s’occupant de la sécurité sociale, les dynamiques de concertation, de consultation et les rapports de force générés par l’action associative dans sa globalité sont mal connus et ne sont pas perçus comme des facteurs de changement social, alors qu’ils peuvent être des leviers.

Certes, le projet s’est étalé sur deux années académiques, et ce n’est pas rien, mais les objectifs visés demandent indéniablement du temps car ils touchent à des processus, nous l’avons compris, intériorisés. D’une part, Saïd Bouamama (2015) nous rappelle qu’il y a eu une désertification et que la question de l'éducation populaire est aujourd'hui criante. Il manque des espaces dans lesquels on peut, quand on est enfant, adolescent ou jeune, entrer en contact et se socialiser politiquement. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a plus rien, mais que les gens sont obligés de le faire tout seuls. D’autre part, Gramsci (in Bouamama, Ibid.) nous explique que les classes dominantes ne dominent pas seulement par la violence. Elles dominent par l'intériorisation par les dominés de leur domination. Il s’agit donc de se poser la question de nos modalités militantes, de nos capacités d'organisation pour retisser des espaces collectifs. Cela renvoie à trois besoins identifiés par Bouamama que sont le débat politique, l'organisation collective et l'action autour des problèmes concrets vécus. Nous avons avec le projet Monsieur tenté de répondre à ces besoins.

A l’issue du partage des évaluations réalisées au sein de chaque association, avec l’ensemble des participants, le bilan nous apparaît à tous positif. Cependant, il ne balaie pas notre question de départ relative au concept de solidarité. Les alliances construites sont-elles synonymes de solidarité ou un marchepied vers celle-ci ? La solidarité n’est-elle pas un idéal à atteindre dans les projets menés ?

Pour conclure, nous appuierons l’idée qu’une culture de la solidarité, de la fraternité et de l’espoir s’affronte à des obstacles considérables contre le culte de l’idéologie capitaliste et individualiste (Dumas B. & Séguier M., 2010). Pour L-J. Lebret, la perspective d’une civilisation solidaire passe par l’instauration d’une économie humaine qui suppose le respect actif des personnes et l’instauration efficace du bien-être commun (in Dumas B. & Séguier M., Ibid.). Dans ce sens, l’ampleur et la complexité des tâches à accomplir, nous le comprenons, sont immenses et il s’agit avant tout de politique et de culture c’est-à-dire de « transformer des mentalités individuelles et collectives, s’ouvrir au sens de l’autre et à la réciprocité ». Selon Dumas et Séguier, ces enjeux s’avèrent autrement difficiles que d’aménager des espaces physiques tels que le projet Monsieur l’a fait. Cependant, à l’instar du projet Monsieur, ce sont bien des projets collectifs d’acteurs qui construisent des solidarités autour d’objectifs communs, ouverts sur la sphère publique. Ces projets font écho à un champ d’action à taille humaine qui prend en compte l’ensemble des acteurs sociaux. Entendons par là, des acteurs retrouvant une capacité d’agir, de prendre en main leur destin au lieu de le subir.

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Verfaillie B. (2016) Agir avec les pauvres contre la misère. Ivry-sur –Seine, Les éditions de l’Atelier/Les éditions ouvrières, Editions Quart-Monde

Annexes – Disponibles sur le Web

Dossier PDf Pièce Monsieur Théâtre de la Communauté www.actc.be
Le Théâtre de la Communauté est, depuis 50 ans, un espace de créations et de rencontres théâtrales par et pour les publics. Dans une société où l’isolement, le manque de liens, de lieux de partage est fréquent, il est une réponse artistique et politique. Il invite tout qui le souhaite à venir assembler son vécu, ses émotions, un ouvrage collectif. Toutes les histoires y ont de la valeur. Toutes méritent une à recherche artistique, une écriture poétique.

Site du Théâtre de rue à Cuesmes www.theatredesrues.be
Le théâtre-action reconnaît à chacun un rôle critique et créateur, et s'attache à ce que soit prioritaire la parole des gens écartés par le système dominant.

Interview présentation du projet Monsieur par Nathalie Courtois, professeure en charge des cours de Sociologie politique et Politiques économiques et sociales – HELHa – Catégorie sociale – Campus UCL Mons https://www.youtube.com/watch?v=l504i0mKBKI

Site du RWLP - Programme manifestation http://www.rwlp.be/index.php/evenements/556-17-octobre-2016-gros-succes-de-la-journee-mondiale-de-lutte-contre-la-pauvrete-a-namur
Il y a plus de 25 ans, se développait un Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté organisé en association de fait QUI avait pour but d’être plus fort dans l’interpellation du monpolitique en matière de lutte contre la pauvreté à travers la participation des populations. Le Réseau Wallon composé aujourd’hui de 25 associations membres de l’assemblée générale et d’un ensemble de partenairm2es, active une démarche participative sur l’accès et l’exercice des droits des personnes en situation de pauvreté en Région wallonne, dans une préoccupation de Justice Sociale indispensable à une société démocratique.

Vidéo manifestation du 17 octobre 2016 à Namur – RWLP https://vimeo.com/196573003

Résumé en Anglais


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