Le congrès international de l’AIFRIS 2017 met en réflexion une thématique très actuelle autour des solidarités en questions et en actes en interrogeant leurs recompositions ; ce qui nous permet d’aborder la problématique suivante : comment l’expérience collective transforme le rapport à autrui et conduit-elle à des formes de solidarité ? Dans notre communication, nous proposons d’explorer deux modalités proposées dans le secteur de la formation permettant une mise en œuvre de cet agir individuel et collectif à travers la Pleine Conscience et la Découverte D’Espaces Créateurs de Liens et d’Innovations Collectives (D’ECLIC) ; modalités issues de deux recherches actions de l’institut de formation dans lequel nous travaillons (Institut de Formation en Travail Social d'Échirolles – Rhône-Alpes, France : https://www.ifts-asso.com/). Nous questionnerons, par là même, leur utilité quant au développement du pouvoir d’agir individuel et collectif en lien avec la création de formes de solidarité.
Le collectif est une construction dans lequel du dialogue prend place dans un espace d’intersubjectivité en devant composer avec un-autre-que-soi. Cependant, il est apparu que cela n’était pas aussi simple pour les participants aux différents dispositifs interactionnels proposés : en effet, pour un grand nombre, l’intérêt du lien est questionné à toutes fins utiles pour soi sans être perçu dans un prisme plus collectif. Ainsi, le collectif semble devoir permettre une identisation par laquelle « le sujet se démarque des influences, affirme sa différence, son style propre qui définit son identité personnelle » (QRIBI, 2014). Cette prévalence de l’identisation sur celle d’identification (qui permet quant à elle d’incorporer, assimiler des traits de l’autre) engage les personnes à un travail de re-précision sur soi-à-partir-de-l’Autre et non sur soi-à-travers-le-lien-à-l’Autre. L’Autre étant support d’un changement personnel, voire d’un épanouissement personnel, il est comme un objet de référence à partir duquel il est possible de se redéfinir ; cette redéfinition de soi s’opérant à partir d’un repérage de ce qui est différent et non dans une approche de ce qui pourrait être commun, dans la similitude - de ce qui ré-unit. Ceci remet en cause le rapport fraternel à l’autre puisqu’il va être question de choisir à qui je ressemble et éventuellement qui j’ai envie de rencontrer, d’aider… La conception d’un collectif choisi, en fonction de ressemblances qui rassemblent et dans lequel chacun a un intérêt pour soi, se dessine ; permettant, par la même, d’éviter un trop fort engagement relationnel, une rencontre avec la différence dérangeante et toute forme de conflit. Et c’est au travers de deux portes d’entrée, la participation et l’émotion, que nous pensons trouver un dépassement possible de ces perceptions.
La formation/action D’ECLIC : L’objectif est d’enrichir la réflexion sur les pratiques d’intervention collective et l’intérêt de la mise en œuvre d’actions auprès des personnes accueillies dans les services et établissements. Enrichir veut dire que de l’existant est déjà à l’œuvre et qu’il est important de le valoriser en le maillant à d’autres dimensions, d’autres modalités (comme celle de la Thérapie Communautaire Intégrative par exemple, qui est une modalité d’intervention sociale collective créée par Adalberto Barreto au Brésil en 1987. Elle s’inscrit dans une démarche co-participative et citoyenne dans une approche collective des problèmes psychosociaux). Dans sa réalisation, il s’agit d’expérimenter une trans-formation tant individuelle que collective dans un double mouvement entre Soi et l’Autre/les Autres : chaque-un des participants doit se départir, se décaler des modèles afin que des ressources internes puissent émerger et prendre corps dans le groupe. Pour la constitution de ces groupes, la mixité des fonctions est sollicitée, encouragée ; tout l’enjeu étant de poser pour le temps de formation sa casquette-fonction pour vivre l’expérience individuelle et collective proposée à travers l’horizontalité.
La mise au travail des participants se fait à partir de leurs savoirs expérientiels. Ce qui est recherché à travers les divers ateliers pratiques proposés aux participants est donc de se reconnecter aux expériences vécues des collectifs (tant personnelles que professionnelles) au travers de trois prismes importants : la tête (à quoi cela me fait penser ?), le corps (qu’est-ce que j’ai mis en œuvre dans l’agir ?) et le cœur (qu’est-ce que cela m’a fait ressentir, éprouver ?). L’approche émotionnelle étant sollicitée régulièrement, comme un fil rouge des différentes dimensions évoquées, tout autant que les approches culturelles, collectives et individuelles. Les ateliers sont donc pensés à partir de ces trois portes d’entrée, dans une dimension plus large, spirituelle, qui vient redonner du sens aux pratiques. Il n’est pas question ici d’un quelconque prosélytisme religieux mais bien de s’ouvrir à nos expériences intérieures, existentielles dans l’idée d’une meilleure connaissance de soi en conscientisant ce que l’on est et ce que l’on sait déjà, afin d’en faire des ressources propres qui peuvent être utiles à d’autres en se sentant relier à un Tout. La conscientisation passe ainsi par le corps, à partir des éprouvés et du vécu sensorimoteur, permettant dans un second temps de parler des intuitions et de les comprendre sur le plan cognitif en ayant comme support des modalités qui réveillent la créativité de chacun. Le partage de ces perceptions individuelles dans le groupe permet ainsi de multiplier les objets de connaissance et de réaffirmer l’importance de la dimension d’humanité avant tout, de la question fraternelle avant même de se construire en collectif. En expérimentant de leur place de personne, cette dimension du pouvoir d’agir et de mise en pensée, les participants dégagent collectivement des enseignements qu’ils mettent au service dans leurs pratiques professionnelles.
Les ateliers Pleine Conscience (Marie Bayot, Rebecca Shankland, Lionel Strub, Samuel Garnier, Nicolas Vermeulen, Moira Mikolajczak, Mindfulness and Empathic responding, Mindfulness and compassion, Conference San Francisco, Juin 2015) que nous avons construits se basent sur l’individu comme acteur du système, qui se doit de travailler autour de ses habitus pour ne pas rester enfermé dans un schéma de pensée et ne pas s’user progressivement. La technique de la Pleine Conscience se focalise sur le fait de devenir volontairement conscient de son corps, de ses émotions et de ses pensées en temps réel, au moment où elles apparaissent, en les accueillant, mais sans s'attacher ou s'identifier à elles et les repousser ni les juger. Cette pratique intègre des techniques de thérapie cognitive et de méditation. Méditer permet précisément de se centrer sur le présent, de se tenir à l’écart des ruminations négatives, de se déconnecter de cette spirale, de diminuer les réactions impulsives sur le coup de l'émotion et de s'engager consciemment dans des actions en lien avec ses valeurs. Être plus conscient des événements, des situations, de nous-mêmes et des personnes qui font partie de notre environnement engage une meilleure attention, meilleure inhibition des automatismes, meilleure flexibilité cognitive (créativité verbale, changement de focus attentionnel, décentration de ses pensées).
Concrètement, les groupes présentent des temps d'échanges, des apports théoriques, des temps d'expérimentation et des exercices à pratiquer : « Pratiquer ensemble est un plus à la pratique individuelle. Cela amène à des prises de conscience en résonance, à des échanges et apporte davantage de force à l'expérience qui prend en même temps une dimension collective » (paroles de participant). Au final les participants ont plus de discernement sur ce qu’ils sont et ce que sont les autres, sur les événements vécus, en étant plus clairs dans leurs pensées, leurs sentiments et leurs sensations physiques dans l’instant.
Ces deux modalités permettent ainsi aux participants un réel changement de posture pour redescendre de la position d’expert, de celui qui sait pour l’Autre et d’incarner le rôle de passeur qui soutient cet Autre dans ses ressources en co-construisant avec lui des dynamiques collectives. Expérience qui peut être douloureuse car elle nécessite de lâcher-prise, d’accepter le fait de ne pas pouvoir tout maîtriser.
Si « le plus court chemin de soi à soi, c’est l’autre » (Ricœur), faut-il encore accepter celui-ci dans ses différences tout comme dans ses similitudes pour que la rencontre ait lieu. Si le terme Fraternité peut paraître désuet, il est pour nous essentiel afin que les solidarités humaines soient envisagées dans un « entre-nous des singularités » (Mattei, 2004), à partir d’un lien fraternel. Il est important de réhabiliter la fraternité dans nos modalités pédagogiques qui accompagnent la professionnalisation en travail social. A notre manière, nous nous sommes saisis, pour ce faire, d’approches plus ouvertes sur la spiritualité en les maillant à celles plus techniques et scientifiques déjà très expérimentées dans la formation. Les savoirs théoriques et les savoirs faire rencontrent là les savoirs expérientiels dans une dimension plus ontologique de « l’Etre-en-présence ». Cette dynamique de mise au travail du lien à soi, à l’Autre et au Monde nous encourage ainsi à envisager une recomposition des solidarités quotidiennes dans la dimension de la reconnaissance de toutes nos « humainetés » et non dans l’exclusion de certaines qui ne nous correspondent pas.
Valérie PINTADO (v.pintado@ifts-asso.com) et Samuel GARNIER (s.garnier@ifts-asso.com)
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