Fiche Documentaire n° 4680

Titre La traduction juridique de la solidarité en droit de la protection sociale

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l'auteur principal

Auteur(s) BOUDJEMAI Michel
POUGUE-BIIGA Jeanne
 
     
Thème  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

La traduction juridique de la solidarité en droit de la protection sociale

Tout notre système de protection sociale repose sur le paragraphe 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 qui dispose que la Nation « garantit à tous … la protection de la santé. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ».

La protection sociale se compose de la sécurité sociale d’une part et de l’aide sociale d’autre part. L’une et l’autre sont fondées sur un principe de solidarité qui trouve sa source dans la devise républicaine. En effet, la solidarité constitue l’une des principales traductions juridiques de la fraternité qui figure à l’article 2 de la loi fondamentale après la liberté et l’égalité. Historiquement l’aide sociale précède la sécurité sociale créée par l’ordonnance du 4 octobre 1945 alors que l’aide sociale, sous sa forme actuelle, remonte à la III ème République (courant solidariste porté par Léon BOUGEOIS). Outre cet aspect historique, la sécurité sociale est financée par des cotisations prélevées sur le salaire (part salariale et patronale) alors que l’aide sociale est financée par l’impôt. Ajoutons aussi que les prestations de sécurité sociale sont universelles sous la seule condition d’avoir cotisé préalablement, alors que les prestations d’aide sociale sont attribuées sous conditions de ressources. Enfin, d’un point de vue institutionnel, la sécurité sociale relève de la compétence de l’Etat alors que l’aide sociale de celle des collectivités territoriales.

Ces précisions étant données, remarquons également que les frontières qui séparent les deux piliers ainsi présentés peuvent être qualifiées de poreuses. En effet, un double phénomène semble se dessiner. D’une part, la sécurité sociale est financée de plus en plus par l’impôt (CSG, taxes sur les contrats d’assurances automobiles, sur les alcools, les jeux…). Aujourd’hui, la sécurité sociale n’est financée qu’au 2/3 par les cotisations. D’autre part, les conditions d’éligibilité à certaines aides sociales ne sont plus soumises à conditions de ressources (c’est notamment le cas de la prestation de compensation du handicap – PCH – et de l’allocation personnalisée d’autonomie – APA). La prise en compte des ressources n’intervenant que dans un second temps pour définir le montant de l’aide attribuée.

Ce brouillage des logiques réinterroge bien évidemment les modes de financement de notre système de protection sociale dans son ensemble. Pour autant, 82% des Français sont très attachés à notre modèle social et 90% voient comme une « chance de disposer d’une protection sociale plus forte que dans les autres pays » (sondage Harris interactive, 2012). Au-delà de cette opinion favorable, La Cour d’appel de Limoges a rappelé dans un arrêt remarqué du 23 mars 2015 le caractère obligatoire de l’affiliation des travailleurs indépendants, commerçants, artisans et professions libérales au Régime Sociale des indépendant (RSI) en précisant que les régimes légaux sont fondés sur le principe de solidarité nationale dans le cadre d’une affiliation obligatoire des intéressés et de leur ayants droits.

A y regarder de plus près, la solidarité n’est en définitive que la traduction d’un altruisme intéressé, d’un égoïsme social qui implique un devoir et une attente de réciprocité. Pour autant, « il faut rappeler avec fermeté que la protection sociale n’est pas seulement l’octroi de secours en faveur des plus démunis pour leur éviter une déchéance totale. Au sens le plus fort du mot, elle est pour tous la condition de base pour qu’ils puissent continuer d’appartenir à une « société de semblables » (Robert Castel, 1983). Nous ajouterons que la solidarité au sens du droit de la protection sociale constitue le ciment de notre société.

Bibliographie

Michel BORGETO et Robert LAFORE Droit de l'aide sociale, Editions Montchrétiens
Castel Robert, l'insécurité sociale, Editions du seuil.

Présentation des auteurs

BOUDJEMAÏ Michel
Juriste. Formateur en droit à l'IRTS de Champagne Ardenne.
Spécialiste du droit appliqué au secteur social et médico-social

Jeanne POUGUE-BIIGA (IRTS Champagne-Ardenne).

Communication complète

La référence au concept de solidarité suffit à justifier l’ensemble de notre dispositif de protection sociale. De plus, il entretient des liens étroits avec celui de fraternité. Par conséquent, cela implique pour mieux comprendre l’étude simultanée des deux concepts.
D’abord utilisé dans le droit romain des obligations, les romanistes ont mis en exergue deux types de solidarité : l’une dite active, l’autre passive. La première, se traduit par l’existence d’une pluralité de créanciers, l’autre, par l’existence d’une pluralité de débiteurs. Cela se concrétise, dans le premier cas, par la possibilité offerte à l’un quelconque des créanciers de demander au débiteur unique mais commun, le paiement de la totalité de la dette. Dans le second cas, à l’un quelconque des débiteurs, de devoir payer la totalité de la dette au créancier unique, qui en réclame le paiement. Dans les deux cas, il n’existe qu’une seule dette autour de laquelle on peut rencontrer une pluralité de créanciers ou de débiteurs. L’obligation qui pèse alors sur le débiteur actionné en paiement concerne la totalité de la dette. On retrouve ici l’étymologie du mot solidarité issu du latin « solidus » qui signifie entier. Dans le dictionnaire culturel d’Alain Rey, on trouve une référence à Declareuil, qui explique l’origine de ce mécanisme juridique dans un ouvrage publié en 1924, sous le titre, « Rome et l’organisation du droit ». On peut y lire l’extrait suivant : « Cette solidarité juridique eut pour origine la solidarité familiale sans laquelle elle ne fût sans doute pas née. Les membres d’une même famille, d’un même groupe, stipulaient ou promettaient ensemble ce qu’ils devaient recevoir ou payer pour le rachat de la vengeance. Cette pratique fût ensuite utilisée comme une sûreté ou commodité dans la poursuite d’un droit ; mais l’usage de la solidarité passive se manifeste surtout, reléguant presque l’active à une hypothèse d’école » . Dans le même sens, la référence au terme d’origine saxonne « wergeld » exprime une idée similaire. En effet, le « wergeld » désigne le paiement que doit effectuer l’auteur ou son groupe familial au profit du groupe familial de la victime d’un meurtre dans le but de neutraliser l’application du talion. Étant précisé, qu’outre l’auteur, n’importe quel membre de sa famille peut être frappé par la vengeance. En fait, chaque membre du groupe est à la fois comptable et garant des actes perpétrés par l’un des membres de la communauté.

En droit public, l’une des applications de cette solidarité se retrouve dans l’idée de solidarité ministérielle dans un régime parlementaire. Chaque ministre représente l’ensemble du gouvernement auquel il appartient. Par conséquent, et fort logiquement, sa démission s’impose s’il entre en conflit avec la politique générale du gouvernement, à laquelle, il est tenu d’adhérer. De la même manière, la démission collective du gouvernement est automatique s’il y a vote d’une motion de censure ou refus de la confiance demandée par le gouvernement.

Au-delà du droit, le terme solidarité va entrer dans le champ de la sociologie d’abord par le biais de son père fondateur, Auguste Comte, qui y voit la loi générale qui préside à l’ensemble des faits sociaux. Puis, ce concept va être théorisé par Émile Durkheim qui distingue la solidarité par similitude qualifiée de mécanique et la solidarité due à la division du travail qualifiée d’organique. La première, se retrouve principalement dans les sociétés anciennes, non spécialisées, contrairement à la seconde. Il convient de bien comprendre, qu’à l’origine du concept sociologique de solidarité, la référence utilisée était celle de fraternité. Autrement dit, les deux concepts dans leur sens politique se confondent pour désigner le passage de la société inégalitaire de l’Ancien Régime où la charge des pauvres pesait principalement sur l’Église, au nom de la charité chrétienne et de l’œuvre de bienfaisance, à une société postrévolutionnaire où l’entraide, les secours mutuels semblaient naturellement découler d’une société de citoyens considérés comme égaux. Pour autant, il convient de ne pas les considérer comme parfaitement synonyme dans la mesure où la fraternité renvoie à la notion de charité chrétienne mais également de Patrie ce qui ne l’empêche pas de constituer, malgré tout, le troisième terme de la devise républicaine. On peut dire, que la fraternité constitue un principe philosophique et moral qui ne peut servir véritablement de norme de référence, contrairement au principe d’égalité. La Constitution du 4 novembre 1848 y fait référence dans son préambule. Selon ce dernier, « Les citoyens doivent aimer la Patrie, la défendre au prix de leur vie, participer aux charges de l’État en proportion de leur fortune ; ils doivent s’assurer par le travail, des moyens d’existence, et, par la prévoyance des ressources pour l’avenir ; ils doivent concourir au bien être commun en s’entraidant fraternellement les uns les autres, et à l’ordre général en observant les lois morales et les lois écrites qui régissent la société, la famille et l’individu ». La fraternité s’entend d’un « lien ou idéal d’affection entre ceux qui se traitent comme frères, principe de solidarité entre concitoyens consacré par certaines constitutions » dont la Constitution actuelle, 4 octobre 1958, qui y fait explicitement référence dans la devise républicaine (art. 2).

Mais, comme le dit très justement Virginie Donier, cela n’empêche pas ces deux principes d’entretenir « une relation quasiment fusionnelle » . Toutefois, nous avons d’un côté un concept, celui d’égalité, qui constitue un objectif à atteindre par le législateur. Et d’un autre côté, un autre concept, celui de fraternité, qui n’oblige pas juridiquement parlant le législateur. Une relation fusionnelle, certes, qui n’interdit pas de différencier les deux notions assez clairement, même si, l’une découle de l’autre comme nous l’avons précédemment expliqué. Bien que différentes, ces deux notions trouvent aussi à se compléter. La fraternité comble les insuffisances de la solidarité nationale qui exclue, stricto sensu, les non nationaux. En revanche, la solidarité à une effectivité juridique qui manque à la fraternité. Ajoutons, que fraternité et égalité sont les deux piliers du caractère social de notre démocratie. Il ne faut pas oublier que le principe d’égalité se « réduit » à créer de l’égalité juridique entre citoyens, alors que, le principe de fraternité vise un objectif plus large de justice sociale. Autrement dit, le principe d’égalité ne prend pas en compte les inégalités de fait contrairement au principe de fraternité qui vise à les corriger.

Le préambule de la Constitution de 1946 constitue le siège du principe juridique de solidarité. En effet, l’article 12 dispose que « La Nation proclame la solidarité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales ». En pratique, cela s’est traduit, par exemple, par le vote d’un « impôt de solidarité nationale » dans le budget de l’État en 1946 en lien, bien entendu, avec les conséquences de la Seconde Guerre Mondiale. En 1976, la sécheresse qui frappe la France a amené les parlementaires à adopter un « impôt sécheresse » destiné aux paysans sinistrés. Dans le même ordre d’idée, on trouve, dans le code général des collectivités territoriales, un article L 1613-6 se situant dans une section 2 intitulée « Dotation de solidarité en faveur de l’équipement des collectivités territoriales et de leurs groupements touchés par des événements climatiques ou géologiques ». Par conséquent, la référence au concept de solidarité concerne les personnes physiques mais aussi les personnes morales de droit public. Au niveau ministériel, le terme solidarité va également constituer les titres des ministères. Par exemple, en 1981 existe un ministère de la Solidarité et en 1997 un ministère de la Solidarité et de l’emploi. Plus récemment, entre 2010 et 2012, un ministère des solidarités et de la cohésion sociale.

Pour Michel Borgetto, « c’est dans les liens de solidarité qui unissent et doivent unir tous les membres de la société qu’il faut rechercher le fondement véritable de l’aide et de l’action sociales » . Il s’agit, pour cet auteur, de solidarité sociale, ce qui, bien entendu, va au-delà du concept restrictif de solidarité nationale, locale ou professionnelle. L’idée même de solidarité renvoie à un fait objectif et, en même temps, à une prescription. Le fait objectif réside dans la situation subjective de la personne dans le besoin que la solidarité appelle à secourir. La prescription, dans l’obligation d’intervention de l’État. Obligation conditionnée, toutefois, par la volonté d’agir du législateur. La référence à la solidarité sociale « rend compte dans sa globalité du processus de légitimation du droit de l’aide et de l’action sociale » . En réalité, l’intervention de l’Etat dans le domaine social trouve toute sa justification dans le concept de solidarité. Concept qui présente l’inconvénient majeur de pouvoir se réduire aux versements de prestations sans jamais intégrer la dimension humaine de la relation d’aide. Par l’impôt, notamment, chacun est froidement solidaire. Pour Michel Borgetto, la solidarité est incluse dans la fraternité. Le paradoxe réside sans doute dans le fait que l’on parle davantage de la première que de la seconde. Pourtant, seule la fraternité constitue le troisième pilier de la devise républicaine. A la différence de la solidarité, la fraternité implique la relation à l’autre. Dit autrement, elle se distingue de la solidarité par la chaleur humaine qu’elle dégage. Pour aller plus loin, nous pourrions dire que la fraternité est consubstantielle de l’idée de démocratie et de république. Sa place dans la devise républicaine en est une preuve irréfutable. Nier cet état de fait revient à nier l’histoire même de cette notion. Bien qu’indiscutablement rattachée, à l’origine, à des valeurs religieuses, la deuxième république marque la laïcisation du concept. D’aucuns, dont Léon Bourgeois, critique le concept de fraternité. Selon ces auteurs, contrairement aux deux autres piliers de la devise républicaine, la fraternité ne se décrète pas. Par conséquent, ils lui refusent toute juridicité. Cet argument, peu convaincant au demeurant, repose sur un postulat erroné. Il est rare en effet, que la fraternité soit opposée dans le débat judiciaire ou qu’une loi soit déclarée contraire à la Constitution pour cette seule raison. Pour autant, et jusqu’à nouvelle ordre, rien n’interdit de l’imaginer d’une part, et, d’autre part, elle constitue un concept constitutionnellement protégé. Ce qui de toute évidence permet d’inclure la solidarité dans la fraternité et non l’inverse. Pour nous, la fraternité constitue un idéal vers lequel on doit tendre. La solidarité n’est alors qu’une partie du versant opératoire de cet idéal. Pour Weber le droit est rationnel ce qui, toujours selon cet auteur, exclu tout référence aux sentiments. Là où le droit semble davantage relever de la physique, la fraternité semble appartenir au champ de la métaphysique. En réalité, et selon nous, le droit ne peut se concevoir que dans un système fraternel ou, dit autrement, qu’en intégrant la dimension sentimentale et morale dans la relation juridique. Pour autant cette opposition apparente entre les deux concepts peut aussi s’analyser comme une complémentarité. Michel Borgetto voit dans la fraternité la face humaine du droit social ce qui permet d’insuffler de l’humanité dans les rapports entre l’Administration qui distribue l’aide et le bénéficiaire qui l’a reçoit. Il est à noter que nous assistons, sans doute, à un retour de la fraternité dans le champ lexical du politique depuis la fin des années quatre-vingts Ce qui, de toute évidence, ne peut constituer un fait anodin.
Nous pensons, malgré tout, que la référence au principe de solidarité ne suffit pas à juguler les inégalités de traitement territorial. Sans doute, parce que la proximité avancée comme argument majeur, pour répondre la plus efficacement possible aux situations locales, réduit d’autant le contrôle de l’État. Nous constatons, un glissement de la solidarité nationale vers des solidarités locales. Ce processus, qui tend à s’accentuer dans un système décentralisé, présente sans doute des avantages mais également des inconvénients.

Résumé en Anglais


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