Fiche Documentaire n° 4689

Titre Les « recherches citoyennes » : un levier pour la solidarité

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Auteur(s) JAEGER Marcel  
     
Thème  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

Les « recherches citoyennes » : un levier pour la solidarité

Dans son rapport remis en 2015, Refonder le rapport aux personnes - « Merci de ne plus nous rappeler usagers », le conseil supérieur du travail social a donné une place décisive à la participation des personnes accompagnées aux actions qui les concernent, y compris en matière de recherche. Une de ses préconisations a été : « Impulser des travaux de recherche collaborative, au-delà de la recherche-action n’impliquant que les professionnels de la recherche et du travail social ». Pour ce conseil et maintenant pour le Haut conseil en travail social, la recherche permet une meilleure intelligence « de l'agir » ; elle est indispensable pour envisager l’avenir, anticiper, innover…, faute de quoi les convictions, les certitudes l'emportent sur les connaissances et empêchent de sortir de la répétition des discours et des pratiques. Elle permet surtout, en associant les personnes accompagnées en raison de leurs difficultés, d'aider à passer, selon la formule Michel Dinet et Michel Thierry, de la solidarité par les droits à une « solidarité d’engagement ».

Cependant, la reconnaissance de la possibilité pour des personnes vulnérables non seulement d'être associées à des recherches, mais aussi à en produire elles-mêmes se heurte, tout particulièrement en France, à une conception restrictive du savoir scientifique et aux rigidités de cultures professionnelles. Or, les contributions d'acteurs très différents peuvent amener les chercheurs à se décentrer de leurs références habituelles, tandis que, de leur côté, les « usagers/ères » sont susceptibles de sortir d’un positionnement contraint de « bénéficiaires » passifs. De nombreux travaux évoquent des collaborations utiles à la fois aux « usagers/ères » et aux chercheurs, même si la notion de « recherche usagère » suggère une certaine dissymétrie dans ce qui peut passer pour une confrontation entre deux sources de légitimité. Ce point a été travaillé, notamment au Conservatoire national des arts et métiers, dans le cadre d'un séminaire sur l’épistémologie des démarches participatives et en croisement des savoirs avec des personnes en situation de pauvreté. Initiée par le Mouvement ATD (Agir Tous pour la Dignité)-Quart Monde, la démarche de croisement des savoirs avec des personnes en situation de pauvreté repose sur un a priori éthique et épistémologique : toute personne, même la plus démunie, détient potentiellement les moyens de produire un savoir utile aux chercheurs professionnels.

L'idée n'est pas très éloignée de la thématique des « sciences participatives » et des « sciences citoyennes ». Un rapport de deux chercheurs de l'INRA, François Houllier et Jean-Baptiste Merilhou-Goudard (2016), évoque les « sciences participatives, à savoir des formes de production de connaissances scientifiques auxquelles des acteurs non-scientifiques-professionnels — qu’il s’agisse d’individus ou de groupes — participent de façon active et délibérée ». Cela inclut, poursuivent-ils, « tout dispositif de recherche dans lequel des acteurs de la société civile participent au processus de production scientifique ». Pour le moment, l'expression « science citoyenne » concerne surtout la recherche sur l'environnement, le numérique et, plus récemment, les sciences sociales (Alliance Athena) et les sciences de la vie et de la santé (Alliance Aviesan). Il reste à préciser les apports possibles pour le travail social et l'intervention sociale.

Bibliographie

Marcel Jaeger (dir.), Usagers ou citoyens ? De l’usage des catégories en action sociale et médico-sociale Dunod, 2011.
Marcel Jaeger (coord.), Le travail social et la recherche, Dunod, 2014.
Marcel Jaeger (coord.), Refonder le rapport aux personnes, « Merci de ne plus nous appeler usagers », Conseil supérieur du travail social, 2015.

Présentation des auteurs

Marcel Jaeger, licencié en philosophie, docteur en sociologie, est titulaire, depuis avril 2010, de la Chaire de Travail social et d'intervention sociale au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), où il dirige l'équipe pédagogique nationale « Santé Solidarité ». Il est membre du Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique (LISE-CNRS). Depuis 2012, il préside le Conseil scientifique de l’Observatoire National de l’Enfance en Danger, aujourd'hui Observatoire National de la protection de l'Enfance. Il est membre du Conseil scientifique de l’Agence nationale d’évaluation des établissements sociaux et médico-sociaux (ANESM) et du Haut conseil du travail social (HCTS).

Communication complète

Dans son rapport remis en 2015, Refonder le rapport aux personnes - « Merci de ne plus nous rappeler usagers », le conseil supérieur du travail social a donné une place décisive à la participation des personnes accompagnées aux actions qui les concernent, y compris en matière de recherche. Une de ses préconisations a été : « Impulser des travaux de recherche collaborative, au-delà de la recherche-action n’impliquant que les professionnels de la recherche et du travail social ». Pour ce conseil et maintenant pour le Haut conseil en travail social, la recherche permet une meilleure intelligence « de l'agir » ; elle est indispensable pour envisager l’avenir, anticiper, innover…, faute de quoi les convictions, les certitudes l'emportent sur les connaissances et empêchent de sortir de la répétition des discours et des pratiques. Elle permet surtout, en associant les personnes accompagnées en raison de leurs difficultés, d'aider à passer, selon la formule Michel Dinet et Michel Thierry, de la solidarité par les droits à une « solidarité d’engagement ».

Cependant, la reconnaissance de la possibilité pour des personnes vulnérables non seulement d'être associées à des recherches, mais aussi à en produire elles-mêmes se heurte, tout particulièrement en France, à une conception restrictive du savoir scientifique et aux rigidités de cultures professionnelles. Or, les contributions d'acteurs très différents peuvent amener les chercheurs à se décentrer de leurs références habituelles, tandis que, de leur côté, les « usagers/ères » sont susceptibles de sortir d’un positionnement contraint de « bénéficiaires » passifs. De nombreux travaux évoquent des collaborations utiles à la fois aux « usagers/ères » et aux chercheurs, même si la notion de « recherche usagère » suggère une certaine dissymétrie dans ce qui peut passer pour une confrontation entre deux sources de légitimité. Ce point a été travaillé, notamment au Conservatoire national des arts et métiers, dans le cadre d'un séminaire sur l’épistémologie des démarches participatives et en croisement des savoirs avec des personnes en situation de pauvreté. Initiée par le Mouvement ATD (Agir Tous pour la Dignité)-Quart Monde, la démarche de croisement des savoirs avec des personnes en situation de pauvreté repose sur un a priori éthique et épistémologique : toute personne, même la plus démunie, détient potentiellement les moyens de produire un savoir utile aux chercheurs professionnels.

Le récent Appel pour le développement des recherches participatives en croisement des savoirs, lancé par ATD en septembre 2016 se veut très offensif : « Sur le plan épistémologique, le croisement produit un renouvellement des savoirs. Sous certaines conditions de méthode, chaque groupe d'acteurs peut produire, apporter, traduire ses propres connaissances, révéler les questions telles qu'elles sont vécues ou étudiées et générer de la connaissance partagée. Ce type de démarches permet de faire émerger de nouvelles questions, de nouveaux objets de recherche et conduit à produire de nouveaux concepts. Les travaux participatifs en croisement des savoirs visent à produire des connaissances utiles pour la science et mobilisables pour l’action, pour les politiques publiques, pour les acteurs associatifs ».

L'idée n'est pas très éloignée de la thématique des « sciences participatives » et des « sciences citoyennes ». Un rapport de deux chercheurs de l'INRA, François Houllier et Jean-Baptiste Merilhou-Goudard (2016), évoque les « sciences participatives, à savoir des formes de production de connaissances scientifiques auxquelles des acteurs non-scientifiques-professionnels — qu’il s’agisse d’individus ou de groupes — participent de façon active et délibérée ». Cela inclut, poursuivent-ils, « tout dispositif de recherche dans lequel des acteurs de la société civile participent au processus de production scientifique ». Pour le moment, l'expression « science citoyenne » concerne surtout la recherche sur l'environnement, le numérique et, plus récemment, les sciences sociales (Alliance Athena) et les sciences de la vie et de la santé (Alliance Aviesan). Il reste à préciser les apports possibles pour le travail social et l'intervention sociale.

La participation des personnes à la recherche pose, certes, des problèmes considérables, avec des questions épistémologiques et de philosophie de la connaissance, notamment autour des distinctions entre savoir « instruit », savoirs pratiques, savoirs d'expérience dont ATD vise le croisement. Des spécialistes des sciences de l'éducation adoptent d'autres formulations ; ils distinguent des savoirs théoriques qui aident à conceptualiser, des savoirs procéduraux, des savoirs pratiques, des savoir-faire. D'autres parlent encore de « savoirs en usage », de « savoirs de la pratique » ou de « savoirs d’action », mais l'idée est la même et nous la retrouvons dans le récent décret définissant, en France, le travail social.

La thématique de la recherche contribue à valoriser l'expertise des travailleurs sociaux, au-delà de leurs savoirs-faires. Elle semble parachever, avec la création d'un doctorat en travail social un long processus de professionnalisation. Mais tout cela s'effectue au regard de transformations profondes qui ne se limitent pas à un secteur professionnel aux contours d'ailleurs assez flous, élargis à « l'intervention sociale ». Le lien mérite d'être établi avec au moins trois types de mutations : de la société, des publics concernés, des politiques d'action sociale et médico-sociale.

Pour une grande part, cela correspond aux caractéristiques d'une société démocratique à laquelle contribue le travail social et dans laquelle le travail social inscrit ses valeurs que de favoriser les interrogations et la production de connaissances nouvelles. Ainsi, l'appel du Plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale (janvier 2013) à « refonder le travail social » a pu être perçu comme une désagréable mise en question d'une légitimité qui semblait acquise une fois pour toutes, alors que l'on y verra tout au contraire l'occasion de renouveler un retour sur soi, en se demander notamment si l'émergence de nouvelles relations avec les personnes accompagnées n'oblige pas à repenser les pratiques professionnelles.

Jusqu'à présent, le besoin de connaissances nouvelles ne semblait concerner que les formateurs, dans le prolongement de la tradition hygiéniste du début du XX° siècle. Mary E. Richmond avait beaucoup mis en avant la double responsabilité des travailleurs sociaux : poursuivre les voies explorées par les médecins avec l'épidémiologie pour chercher les corrélations entre les difficultés des personnes et leur environnement, mais de cette façon, agir pour le changement social, pour ce travail effectué par la société sur elle-même. L'enjeu de la professionnalisation était donc déjà, très tôt, politique et scientifique. On se lasse pas de la citer : « Je ne crois pas qu’on puisse donner meilleur conseil aux assistantes du service familial des cas individuels que celui d’étudier et de développer la partie de leur sphère d’activité qui touche aux recherches sociales, aux services sociaux collectifs et aux réformes sociales ou à l’amélioration « en gros » du sort des masses. Je ne veux pas dire qu’elles doivent renoncer à leur propre tâche, ni la négliger, afin d’entreprendre des études spéciales ou de se lancer dans des campagnes législatives, mais j’entends par là que leur activité doit être plus féconde au point de vue scientifique qu’elle ne l’est actuellement » .

Or, la recherche a permis à une partie des formateurs de se décentrer par rapport à des relations pédagogiques fondées sur la répétition, de demander la rupture avec un statut de répétiteur, d'instructeur ou de moniteur, de ne pas réduire leur rôle à l'accompagnement de stages pratiques et au quotidien peu valorisé de la formation des professionnels par leurs pairs. L'attrait des horizons universitaires a conduit quelques formateurs à obtenir, grâce à un lobbing efficace la création du diplôme supérieur du travail social (DSTS) en 1978. Mais ce n'était qu'une première étape dans un processus de lutte pour la reconnaissance de soi qui n'a cessé de s'accélérer ces derniers temps. En effet, le DSTS comportait trois options : cadre, formateur et « chargé d'études ». A l'époque, l'enjeu était la conquête d'un diplôme professionnel supérieur, associé à un diplôme universitaire, la maîtrise. La référence à un emploi de « chargé d'études » suggérait des compétences en matière de recherche, mais nous étions encore loin de la « recherche en travail social » et de l'idée d'une sorte de duplication des sciences de l'éducation. Le vrai changement viendra dans un second temps avec la circulaire Nicole Questiaux consacrée aux « orientations principales sur le travail social » (28 mai 1982), qui mentionnait explicitement les liens entre « l’expérience pratique, la formation théorique, ainsi que la recherche en travail social ». En fait, la question de l'objet de la recherche restait de côté : chercher quoi, « en » travail social ? La réponse viendra plus tard et confirmera l'étroitesse de l'approche : l'objet sera le travail social lui-même. Tel est le sens de l'arrêté du 22 août 1986 sur les missions des instituts régionaux du travail social : selon l'article 1, les IRTS doivent « contribuer à la recherche et à l'animation dans les milieux professionnels de l'action sociale », mais en considérant, selon son article 6 que ces instituts « ont vocation à conduire des actions d'étude et de recherche orientées vers l'analyse des qualifications professionnelles ainsi que des modes d'interventions sociales et de leur adaptation aux besoins de l'action sociale ».

Résumé en Anglais


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