L’arbre à palabres: une institution traditionnelle communale africaine au service des travailleurs sociaux
Mamadou M. Seck
Professeur Associe, Cleveland State University
La forme d’organisation sociale et l’idéologie dominante en Afrique sont basées sur le principe de collectivisme, défini comme un système économique fondé sur la propriété collective des moyens de production (Larousse, 1976). Ce principe de collectivisme requiert l’aide mutuelle et la primauté des relations sociales entre les membres de la communauté. C’est dans ce cadre que s’inscrit le concept de l’arbre à palabres. Dans le contexte du village, il représente un symbole. Les activités qui y sont menées, et ses principes de fonctionnement pourraient améliorer les méthodes d’intervention des travailleurs sociaux de groupe
L’arbre à palabres est une institution précoloniale africaine qui illustre la philosophie communale africaine, basée sur la démocratie et le consensus entre l’ensemble des membres de la collectivité. Cet arbre, comme un symbole, est souvent majestueusement dressé au milieu du village. C’est l’endroit le mieux désigné pour les rencontres quotidiennes des chefs de familles de la localité. Plusieurs raisons sont ȃ la base de son choix; parmi celles-ci, son ancienneté, son emplacement, et son ombrage perpétuel. En fait, souvent, l’histoire du village révèle que le fondateur du premier hameau, l’ancêtre de la majorité de la population, a posé ses bagages sous cet arbre, dès son arrivée sur les lieux pour établir sa première demeure. A tous ses enfants, accompagnants, et autres nouveaux venus, le patriarche attribue les terres aux alentours de sa maison. Une autre raison à la base du choix de cet arbre est qu’il est de type vivace, offrant son ombrage durant toute l’année.
Du fait du régime patriarcal de la majorité des sociétés africaines, les rencontres quotidiennes et régulières, qui se déroulent sous cet arbre, regroupent les hommes. Ceux-ci se retrouvent en groupe fermé pour discuter de certains sujets très chargés, et de problèmes difficiles à résoudre. Tout participant peut y prendre la parole et s’exprimer librement. Cependant, il y a un certain protocole garantissant le respect total des personnes âgées (Murray, 2000) et la participation occasionnelle des femmes qui y sont parfois invitées pour être entendues sur certains événements les concernant directement. Il est de notoriété publique que, même en leur absence, certaines d’entre elles parviennent à influencer les décisions prises par les hommes. En fait, il peut arriver que ces derniers ne révèlent pas à leur épouse les sujets de discussion, et prennent des décisions pour les en informer a posteriori. Parfois il se révèle que certains hommes, même après avoir voté en faveur d’une résolution confidentielle, en discutent après avec leur épouse et le lendemain, revenir sur leur décision. Dès lors, le mythe soutenant “qu’en Afrique, les hommes décident de tout et les femmes ne sont que des subordonnées sans voix” ne représente pas la réalité.
Le temps passé sous l’arbre à palabre est parfois considérable puisque, très souvent, c’est tres tôt le matin, à l’issue de la prière que les chefs de famille s’y retrouvent; aussi, aux environs de cinq heures de l’après-midi, ils s’y retrouvent pour ne rentrer chez eux que très tard dans la soirée. Dans des situations d’urgence, c’est à des heures tardives qu’ils se retrouvent pour mener leurs activités qui peuvent durer des heures.
Les activités menées sous l’arbre à palabres
La revue de la littérature et les enquêtes sur le terrain ont permis de recenser un grand nombre d’activités menées sur cette place. C’est le lieu où les membres de la communauté partagent leur connaissance approfondie de l’histoire, de l’économie, et des évènements qui ont jalonné la vie de leur terroir. Certaines activités visent la résolution des crises et conflits (Lobondala, 2016; Lola, 2010), le maintien de la paix au sein du village ou entre deux hameaux, mais aussi entre différents groupes qui peuvent se distinguent sur la base de l’ethnicité (Wolofs, Sérères, Poulars, Diolas, etc), la religion (Musulmans vs Chrétiens), ou la profession (paysans vs éleveurs) (Seck, 2013). Donc, ces activités visent à réconcilier des individus à la suite de heurts et maintenir la coexistence pacifique entre les différents groupes auxquels ils appartiennent. Du fait du statut « sacre » attribué à cette place, les accords et décisions qui y sont pris à la suite de longues négociations et d’intenses médiations entres les belligérants sont rarement contestés.
Souvent, le but de ces activités est d’organiser la communauté, et renforcer la cohésion familiale et sociale. Par exemple, l’organisation et la planification de nombreux événements, mariages, baptêmes, et funérailles sont initiées et finalisées par les membres du groupe souvent lors de discussions tenues sur cette place, où ont lieu l’animation des évènements et mobilisations politiques, la réception des membres du gouvernement et d’autres organisations. Au Mali par exemple, l’importance de cette institution est illustrée par son intégration au système moderne politique (Sopova, 1999) et économique. L’arbre à palabres est aussi une place de formation où les jeunes se regroupent pour écouter des contes ou participer à des compétitions dans les domaines culturels et sportifs ; c’est une institution d’éducation dont les membres veillent sur les interdits, et les comportements individuels au sein de la communauté, particulièrement ceux des jeunes, comme un système de contrôle social. C’est sur cette base que l’expression “Il revient au village” (“It takes a Village”) prend son sens. Tout enfant est considéré comme l’enfant de tous; donc il revient à tout adulte, l’obligation de veiller à la conduite des jeunes et d’intervenir pour éviter ou réduire tout acte de délinquance.
En somme, il a été constaté que les principes de fonctionnement de l’arbre à palabres et les objectifs des activités qui y sont menées peuvent inspirer les professionnels visant à améliorer leurs modèles d’intervenant en service social de groupe.
En quoi les principes et le fonctionnement de l’arbre à palabres peuvent-ils contribuer à l’amélioration de la pratique des travailleurs sociaux de groupe ?
Notre expérience de travailleur social de groupe nous a permis de comprendre que la connaissance des principes de fonctionnement de l’arbre à palabres et la maîtrise des objectifs des activités qui y sont menées pourraient contribuer à améliorer la pratique professionnelle auprès des familles, groupes, organisations, et communautés. En outre, le fait de privilégier les principes démocratiques et le consensus dans le processus de prise de décision peut élever le niveau de participation des membres du groupe. Aussi, le symbole que représente l’arbre à palabres et sa situation en plein milieu du village renforcent l’autorité des décisions qui y sont prises et leur attribuent un caractère sacré. Le leadership partagé du chef de village, son délègue, ou son représentant peut revenir à l’un des chefs de familles de la localité qui peut ajuster son programme sur la base des suggestions des membres.
La durée des rencontres, la diversité des activités et le système d’aide mutuelle et de contrôle social qui illustrent ce modèle de pratique de groupe peuvent contribuer au développement de la recherche-action en favorisant les rencontres entre les populations et les chercheurs.
Créer un modèle de groupe fermé dont la mission et les objectifs sont en phase avec les principes de fonctionnement démocratique de l’arbre à palabres peut contribuer à établir et élargir un réseau de contacts entre professionnels, étudiants, et enseignants ayant la passion du travail social de groupe, et partageant des expériences typiques à certains pays. Ce modèle peut contribuer au renforcement et à la diversification des méthodes nord-américaines d’utilisation des ressources des membres d’un groupe et des potentialités d’aide mutuelle.
Références
Lobondala, I. (2016). La Démocratie en Palabre Africaine et l’Encadrement Juridique. Des Relations Politiques. Amazon Digital Services.
Lola, N. M. (2010). Résolution des Conflits en République Démocratique du Congo. Moderniser l’Arbre a Palabre.
Murray, A. (2000). Under the Palaver Tree: A Moratorium on the Importation, Exportation, and Manufacture of Light Weapons. Peace & Change 25(2), 265-281
Seck, M. M. (2013). Realities in Senegalese Rural Communities: The need for a Permanent Solution to a Social Problem Involving Farmers and Herdsmen. Social Development Issues 35(1), 13-23
Sopova, J. (1999). In the shade of the palaver tree. The UNESCO courrier
|