Fiche Documentaire n° 4732

Titre Dynamique collective, projet et solidarités

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l'auteur principal

Auteur(s) HAMMOUDI SELIM  
     
Thème Réflexions et expériences au sein d'une équipe éducative en situation de changements  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

Dynamique collective, projet et solidarités

Comment émergent les partages de pratiques solidaires entre professionnels en situation de changements organisationnels ?
Comment naissent, se développent les espaces de construction au sein des communautés éducatives, équipes d’intervenants sociaux ?
En mobilisant les éclairages théoriques des sciences sociales croisés à un parcours de jeune chercheur en sociologie d’intervention et de dirigeant de dispositifs sociaux œuvrant dans le champ de la protection de l’enfance, nous proposons de partager quelques réflexions issues d’une expérience professionnelle de conduite de changement.

En premier lieu, à partir d’une difficulté au sein d’un établissement relevant de la protection de l’enfance ou la spécificité est entre autre de contenir les comportements sociaux et des travaux d’analyse des violences institutionnelles (Danancier, 2000), nous apportons un éclairage pertinent sur des phénomènes observables au sein de cette institution socio-éducative.
La question de la contingence et de l’influence des contextes, les dimensions de tension générée par une répétition des actes violents dans le sens « d’acte de force dirigé vers des personnes ou des objets de l’environnement visant à la destruction, l’effacement, la soumission ou la contrainte » (Danancier, 2000), l’interdépendance des dimensions internes et externes : plus les pressions internes augmentent, plus les réactions des environnements augmentent (exigences des partenaires, audits, contrôles) et plus les pressions externes s’intensifient plus le climat interne se dégrade (disqualification des professionnels, épuisement des équipes, passages à l’acte répétitifs) (Danancier, 2000) ; servent de socle à notre démarche réflexive.
Cette typicité de situation systémique à laquelle nous avons été confronté, nous permets de présenter comment une équipe va développer des comportements pour tenter de retrouver, pour ramener l’établissement en tant que système à retrouver son état initial (Watzlawick, 1981), et à continuer à s’inscrire dans ses cadres de références (légales, éthiques).

Cependant, devant l’inscription « profonde » de ses dysfonctionnements dans les pratiques, de la persistance des difficultés, les professionnels développent de nouveaux comportements, de nouvelles régulations pour maintenir « l’outil de travail », ils re-questionnent les normes passées, en inventent de nouvelles (Duterne, 2002).

En mobilisant une analyse systémique des processus de changements et des processus communicationnels au sein de cette organisation (Bateson, 1984), sociologique (Bernoux, 2005) et en convoquant le concept de « management polyphonique » (Pichault, 2013) nous présenterons notre démarche d’accompagnement et de conduite du changement.
L’originalité de cette présentation repose sur le type de comportements développés prenant la forme de soutien, d’entraide, de solidarité au sein d’un « collectif de pratique », comme si la « mise en danger » avérée, avait renforcé un « destin commun » (Fraser, 2011 ; Honneth, 2002), une prise de conscience de leurs compétences « cachées » (Le Bossé, 2012). Ses nouveaux comportements serviront de « matériaux » à l’élaboration d’un nouvel projet d’établissement, se déclinant en valeurs partagées, objectifs de travail, actions éducatives et pédagogiques (Boutinet, 2015). On observera alors même une dynamique novatrice au sein de cette équipe (voyage d’étude, projets alternatifs, implications).

Bibliographie

Amblard Henri. Bernoux Philippe. Herreros Gilles. Livian Yves-Fréderic (2005) les nouvelles approches sociologiques des organisations, Paris, Seuil
Bateson Gregory (1984) la nature et la pensée, Paris, Seuil
Danancier Jacques (2000) la violence dans les établissements sociaux- Comprendre, évaluer, répondre, Paris, Dunod
Duterne Claude (2002) la communication interne en entreprise, Bruxelles, De Boeck
Fraser N. (2011) qu’est-ce que la justice sociale ? Reconnaissance et redistribution, Paris la Découverte
Honneth A. (2002) la lutte pour la reconnaissance, Paris, Editions du Cerf Le Bossé Yann (2012) sortir de l’impuissance, Paris, Broche
Pichault François (2013) la gestion du changement vers un management polyphonique, Paris, Broche
Watzlawick P. Fisch D. Weakland J. (1981) Changements, paradoxes et psychothérapies, Paris, Seuil

Présentation des auteurs

Selim HAMMOUDI est doctorant en sociologie à l’Université de Montpellier III et membre du laboratoire Communication Ressources Humaines et Interventions Sociales de Perpignan (CORHIS).
Son objet de recherche est l’influence des acteurs/usagers sur les transformations des pratiques professionnelles au sein des institutions socio-éducatives sous la direction de Mr Yves Gilbert.
Il est dirigeant de dispositifs sociaux œuvrant dans le champ de la protection de l’enfance te de la protection judiciaire de la jeunesse.
Mail : s.hammoudi@anras.fr

Communication complète

Dynamique collective, projet et solidarités, réflexions et expériences au sein d’une équipe éducative en situation de changements »

Axe 3 - La transmission des solidarités, ses modalités et ses enjeux


Présentation de l’auteur :
Selim HAMMOUDI est doctorant en sociologie à l’Université de Montpellier III et membre du laboratoire Communication Ressources Humaines et Interventions Sociales de Perpignan (CORHIS). Son objet de recherche est l’influence des acteurs/usagers sur les transformations des pratiques professionnelles au sein des institutions socio-éducatives sous la direction de Mr Yves Gilbert. Il est dirigeant de dispositifs sociaux œuvrant dans le champ de la protection de l’enfance te de la protection judiciaire de la jeunesse.
Mail : s.hammoudi@anras.fr


Résumé :
Comment émergent les partages de pratiques solidaires entre professionnels en situation de changements organisationnels ?
Comment naissent, se développent les espaces de construction au sein des communautés éducatives, équipes d’intervenants sociaux ?
En mobilisant les éclairages théoriques des sciences sociales croisés à un parcours de jeune chercheur en sociologie d’intervention et de dirigeant de dispositifs sociaux œuvrant dans le champ de la protection de l’enfance, nous proposons de partager quelques réflexions issues d’une expérience professionnelle de conduite de changement.

Abstract :
Collective dynamics, project and solidarity, reflections and experiences within an educational team in a situation of change.
How do we share the practices of solidarity between professionals in a situation of organizational change?
How do the construction spaces develop within educational communities, teams of social workers?
By mobilizing the theoretical insights of the social sciences and a path of researcher in sociology of intervention and director of social mechanisms working in the field of child protection, we propose to share some reflections resulting from a professional experience of driving of change.

Approche définitionnelle

A partir d’une problématique au sein d’un établissement relevant de la protection de l’enfance ou la spécificité est en partie de contenir les comportements sociaux et des travaux d’analyse sur les violences institutionnelles (Danancier, 2000), nous tenterons d’apporter un éclairage sur ces phénomènes observables au sein de cette institution socio-éducative. Tout d’abord il apparait important de clarifier les termes de « violence » et d’ « institution », le terme de « violence », d’origine latine, provient de la racine « vis » qui signifie « vigueur, force ». Il est à noter que dans la culture anglaise, il ne possède qu’une dimension négative : il traduira dans ce cadre culturel un usage abusif de la force à l’encontre de soi-même ou d’autrui.
En cela, la langue anglaise se base sur les dérivés de « vis » tels que « violare », « agir de force sur quelqu’un » et « violentus », « abus de force ».

En revanche, dans la culture française, on constate deux acceptions : l’une est négative (et similaire au sens anglo-saxon) tandis que l’autre est positive, on parle de « violence amoureuse et légitime » (Pascal, 2004) ; au sens de vigueur et de force plutôt que d’abus. Dans un autre registre, on envisage la « violence prolétarienne » comme l’usage d’une force venant défier celle de la bourgeoisie (Sorel, 1908). Afin d’éviter toute confusion sémantique, le terme de violence utilisé dans notre communication fera référence à l’aspect négatif existant dans les deux cadres culturels, celui « d’abus par l’usage d’une force imposée à soi-même ou à autrui ».

Au sujet de la notion d’«institution», elle provient du latin «instituo», lui-même dérivé de « statuo » qui signifie « établir, placer comme principe, organiser quelque chose qui existe ». Il s’agit donc de l’action d’établir et d’organiser. Dans son acceptation contemporaine, l’institution désigne un ensemble de principes constituant la base d’un système ou d’une organisation. On parle alors d’institution scolaire, politique…Nous proposons la définition suivante de l’institution socio-éducative « système social rendant possible et organisable l’accueil et l’accompagnement de personnes vulnérables ».

Elle est à différencier de la notion d’ « établissement » social qui désigne par nature une structure concrète « établissant », dans la réalité sociale, "elle est davantage liée à la désignation de tout le système de pensée déterminant leurs modes de fonctionnement et la mise en œuvre de leurs missions auprès des usagers accueillis, inscrit dans un cadre instituant tant politique, symbolique qu’imaginaire de la civilisation dans laquelle il existe " (Bemden, 2015).

L’expression « violence institutionnelle » prendra alors la signification première « d’abus de force à l’encontre des personnes vulnérables, commis dans et par le système d’accueil et d’accompagnement » ; cette violence est présente par la définition même de la mission de protection et d’éducation des personnes. L’expérience du quotidien souligne également des points de rencontre permanents entre violence des personnes (par leur pathologie) mais aussi une violence institutionnelle (par ses modes de fonctionnement imposés).

On peut souligner que la littérature en travail social a fait apparaitre des aspects complexes au sein de ces institutions que sont les M.E.C.S : évolution d’accueil de publics avec des problématiques multiples, renvoyant à des champs d’interventions spécifiques : pédopsychiatrie, judiciaire, social, médico-social, sanitaire ; chacun de ses champs renvoyant à des cadres réglementaires propres, à des services de tutelles différents (services départementaux pour l’aide sociale à l’enfance, services de l’état pour l’enfance délinquante, services régionaux pour le sanitaire) ; à des financements différents dans le cadre des prises en charge. L’hétérogénéité des politiques départementales, les divergences tarifaires, les logiques entrepreneuriales induites ont généré de nombreuses contraintes et certains paradoxes, il est important de préciser que les MECS sont devenues l’écho de certaines mutations sociales et sociétales (Batifoulier, 2012), la question de la violence qui traverse les différents aspects de notre vie en société, touche forcément les sphères de l’accompagnement social.


Le cadre institutionnel…un cadre mouvant et complexe

Les MECS sont confrontées à des logiques de fonctionnement en continu, à des évolutions des contextes légaux, à la raréfaction des moyens et à une nécessité d’innovations souhaitées par les cadres légaux qui inscrivent les établissements dans une forme d’injonction paradoxale : « faites mieux, avec moins ». La MECS « Accueil Commingeois » se situe dans le Département de la Haute Garonne (31), elle n’a pas été exempt de ses mutations : en 2013, une série de passage à l’acte ont marqué l’actualité de l’institution : fugues récurrentes de jeunes avec actes délictueux, agressions verbales orientées vers le personnel éducatif, actes de vandalisme (espace de vie, bureau des éducateurs). En réponse, l’institution décide de renforcer le cadre : sanctions, exclusions provisoires de certains jeunes (mise en place de séjours de rupture).

Ce type de réponse même s’il parait adapté et vient signifier l’inscription des passages à l’acte dans un principe de responsabilité « tu dois assumer la responsabilité de tes actes » néanmoins si ce cadrage n’est pas « adossé » à une réflexion sur le « pourquoi », cela se traduit souvent par une « escalade symétrique » (Bateston, 1984) : chacun des protagonistes du conflit cherchant à sortir de cette symétrie pour prendre « l’avantage » dans la situation.

Cette escalade a créé un état de tension du collectif (Danancier, 2000), l’interpellation de la direction comme régulateur, est venu renforcer cet état (la direction ne pouvant discréditer les actions posées par les professionnels) et d’une certaine manière, elle renforcera cette « escalade symétrique », on peut parler alors « d’attisements » des tensions (Danancier, 2000).
Cet état de « tension du collectif » s’est observé également au sein de l’équipe de professionnels : apparition de discours négatifs, sentiments de dévalorisation : « nous ne sommes pas capables… » ; volonté de trouver « des responsables » à cet état fait insupportable : désignation de boucs émissaires, dans notre cas cela s’est traduit par l’exclusion définitive de deux jeunes désignés comme instigateurs des passages à l’acte : « c'est depuis leurs arrivées, que les choses se sont dégradées ». Mais également par la désignation d’un professionnel « responsable », dans les faits ce travailleur social paraissait plus en difficulté pour poser un cadre autoritaire, ce qui ne l’empêchait pas d’avoir une certaine réussite avec les jeunes notamment au travers d’une activité sportive, cependant dans la situation de crise, l’équipe a considéré que ses actions étaient « dissonantes » avec la nécessité de « tenir un cadre contraignant », alors qu’il aurait pu présenter une issue aux tensions en proposant un espace d’apaisement ; au contraire on a vu apparaitre un « développement des stratégies de pouvoir » (Danancier, 2000) et une difficulté à reconnaitre à l’autre la possibilité de faire autrement. Les attaques du cadre ont produit une augmentation du sentiment d’insécurité chez les professionnels (Danancier, 2000) qui s’est traduit par des demandes adressées à la direction de soutien et de protection mais aussi d’exclusion des fauteurs de trouble. La tentative de maîtrise de la situation s’est traduite par une rigidification de l’organisation : « tenir » une règle unique censée permettre à tous les professionnels de faire front. L’échec de ces tentatives a entraîné au sein de la MECS des replis individuels (chacun pour soi) ainsi qu’une perte de repères éducatifs, de solidarité et également par un effet d’augmentation de la perte de coopération et de coordination ainsi que l’incohérence des réponses.


Danancier synthétise au travers de son schéma d’émergence de violences institutionnelles au sein d’une organisation, la succession de ces étapes définies ainsi : état de tension collectif, attisement et développement des stratégies de pouvoir, émergence de potentialités individuelles perverses et apparitions des maltraitances ; la situation de la MECS « accueil Commingeois » est passée par ses différentes phases.

Trois séquences ont été observées dans le développement de la violence institutionnelle :

Le premier temps : je le qualifie de « congruence des tensions » : d’une part, les services prescripteurs (services d’Aide Sociale à l’Enfance et les services de la Protection Judiciaires de la Jeunesse) exigent auprès des équipes la réalisation d’accueil d’urgence, situations « dégradées » inscrites dans des placements successifs ; d’autre part, ces services sont également interpellés par l’institution pour trouver des alternatives pour les jeunes posant des difficultés au sein de l’institution, les pressions externes sont alors accrues et cela se traduit par une rigidification du cadre institutionnel ; l’intérêt de ses éléments est d’observer que l’augmentation des tensions de l’environnement est « interprétée » par l’institution comme un « appel à plus d’autorité » (Danancier, 2000) et donc une rigidification des postures qui amplifie « l’escalade symétrique » ; mais également qu’un épisode de crise institutionnelle s’inscrit souvent dans des environnements eux même en tension (difficultés importantes pour les prescripteurs de trouver des solutions d’hébergement pour les mineurs confiés).

Le second temps : il s’est traduit par un état de « fatigue » du personnel, une dégradation de l’ambiance de travail, difficultés à tenir les réunions institutionnelles : l’urgence « occupant » tous les espaces travail collectif, le nombre d’arrêts maladie en augmentation (jusqu’à 60 % des effectifs). Cela a également produit des discours pessimistes, phénomènes d’usure des membres de l’équipe de direction, une certaine « dépression de la direction » (Danancier, 2000).La crise est vécue comme une fatalité, des postures passives se développent au sein de l’équipe de professionnels.

Le troisième temps : le recours à des embauches de dernière minute (souvent inexpérimentées) pour assurer le fonctionnement, le renforcement du sentiment d’insécurité génèrent une impossibilité temporaire pour l’institution de remplir la fonction de contenance, l’objectif est alors d’assurer le « service minimum », les règles de fonctionnement au sein du collectif ne sont plus « tenues », un professionnel me dira « le but est de survivre » ; on assiste alors à un « éclatement du contenant » (Danancier, 2000).

La mobilisation des grilles de lecture proposées par Danancier sur les phénomènes de violences institutionnelles, nous ont permis de repérer des séquences, des imbrications entre des facteurs externes et internes, de mettre en perspective le fait que les évènements peuvent inscrire l’institution dans une « logique de l’agir » (action/réaction), ce qui a eu pour effet d’amplifier les tensions, même si la nécessité de contenir les comportements en situation de crise s’inscrit dans les cadres de mission de nos institutions socio-éducatives, cette contenance doit s’accompagner d’un temps réflexif. L’invitation à réfléchir sur la pratique et à adopter de nouvelles postures est difficilement « envisageable » dans ces épisodes de vie institutionnelle : l’évocation de la violence auprès des professionnels génère régulièrement un sentiment de méfiance et de blocage de la capacité réflexive de l’institution (Danancier, 2000) et de l’acte réflexif du professionnel (Schön, 1983).

Une lecture contingente de l’institution socio-éducative

L’approche analytique s’est appuyée sur les rapports d’audit conjoints réalisés par les services prescripteurs, les observations et les entretiens avec les professionnels ; mon exercice de direction proprement dit, s’est mis en place à partir des dernières séquences, dans ce cadre il me fallait « confronter » cette analyse avec d’autres grilles de lecture.

La mobilisation de la théorie de la contingence structurelle, apparait pertinente pour les raisons explicitées plus bas dans ma communication. Tout d’abord, il faut souligner que cette théorie de la contingence présente plusieurs courants : les théories de la contingence technologique (Woodward, 1953) centrée sur l’analyse de l'influence de la technologie sur la structure organisationnelle.

Les théories de la contingence stratégique, dans cette approche une organisation est en quelque sorte attirée vers une certaine configuration, ne serait-ce qu'en raison de l'interdépendance des composants, paramètres organisationnels et des données de contexte : comme l'âge de l'organisation, sa taille, la technologie qu'elle utilise, les caractéristiques de l'environnement, ce que l'on définit à travers le concept de facteurs de contingence (Mintzberg, 2009).
Les théories de la contingence structurelle qui étudient l'environnement comme une contrainte déterminante sur la structure et les performances d'une organisation (Lawrence, Lorsch, 1969).

De manière synthétique, la théorie de la contingence structurelle, présente une approche qui va à l'encontre de l'idée classique de l'existence d'un « one best way », c'est-à-dire de l'existence d'un modèle organisationnel applicable pour toute organisation indépendamment de ses environnements. Ce modèle d’analyse propose au contraire de réfléchir à la meilleure organisation en prenant en compte les variables économiques et les conditions du marché.

Cette approche sans vouloir « offusquer » le corps de travailleurs sociaux peut être transposable aux réalités des institutions socio-éducatives : impossibilité de proposer un modèle unique d’organisation lié aux typicités des publics, aux diversités des problématiques, aux trajectoires, aux vécus des personnes accompagnées, aux aspects hétérogènes des contextes territoriaux (chaque département, région est confrontés à des démographies différentes), aux inégalités de financements publics, aux applications différentes des cadres légaux (on constate des niveaux différents de compréhension et d’application des cadres légaux en fonction des techniciens). Leur méthode systémique se distingue également de la démarche analytique : la méthode analytique consiste à séparer un phénomène complexe en éléments simples afin de comprendre les relations qui existent entre eux. En revanche, la méthode systémique envisage les phénomènes complexes dans leur totalité en se focalisant sur leur dynamique et leur complexité et en intégrant la dimension temporelle. L'organisation est vue alors comme un système ouvert composé d'acteurs ayant non seulement des intérêts propres, mais cherchant aussi à défendre les intérêts de leurs collègues.

Cette approche met en avant deux concepts : la différenciation et l’intégration qui m’apparaissent pertinents de mobiliser dans notre étude :

La différenciation renvoie aux différentes attitudes et comportements qui ne résultent pas simplement de la spécialisation, à savoir : le degré de hiérarchie des divisions de l'entreprise, la nature des objectifs de chaque division, l'orientation temporelle de chaque division et les relations interpersonnelles dans chaque division. A partir de ces quatre variables, il est ensuite possible de dire si les divisions d'une entreprise sont peu ou fortement différenciées. Le niveau de différenciation de ces variables dépend de l'environnement industriel de l'organisation, étant entendu qu'une organisation qui n'adapte pas son niveau de différenciation à son environnement est moins efficace que les autres.

L’intégration concerne la qualité de la collaboration entre les divisions dont l'objectif doit être in fine d'unir leurs efforts pour satisfaire aux demandes de l'environnement. Plus une organisation est différenciée et plus l'intégration est nécessaire. Dans ce cadre, la performance organisationnelle est en lien dans cette approche avec le niveau d’intégration et avec les niveaux de différenciation adaptés à l’environnement.

En substance, dans cette approche les variables externes de l'organisation sont en interaction avec les variables internes de différenciation et d'intégration de l'organisation. Dans une organisation efficace, l'état de différenciation est compatible avec chacun des secteurs de l'environnement et l'état d'intégration est compatible avec l'exigence d'interdépendance de l’environnement. Dans mon cadre institutionnel, le concept de différenciation renvois à la pertinence de clarifier les rôles et fonctions des professionnels, à l’adéquation des qualifications et des compétences, à la compréhension partagée des prérogatives de chacun dans un cadre de mission compris collectivement. Le concept d’intégration interroge les modes de collaborations internes, les différents niveaux de cohérence des organigrammes hiérarchiques et fonctionnels, le niveau de compréhension des professionnels des cadres de référence (lois, environnement) et des politiques sectorielles.

Sans laisser cours à « l’envahissement du champ socio-éducatif par la vulgate entrepreneuriale » pour reprendre l’expression de Brichaux (Brichaux, 2006), l’ouverture vers des modèles d’analyse en dehors du champ « pur » du travail social m’a permis de mobilier de nouvelles grilles de lecture, sans quand cela ne s’inscrivent pour autant dans ce que certains pourraient qualifier de « nomadisme conceptuel » (Stengers, 1987) mais simplement dans une volonté de comprendre différemment et donc d’agir différemment.

Cette deuxième analyse fait apparaitre des éléments intéressants qui ont précédé aux phénomènes de violences institutionnelles : manque de clarté des rôles et missions des professionnels (absence des fiches de postes), manque de clarté quant aux espaces institutionnelles (réunions, absence d’ordre du jour, difficultés dans les conduites de réunions), arrêt des Groupes d’Analyse de Pratiques, difficultés pour les professionnels de repérer la ligne hiérarchique notamment face aux situations de crise (qui fait quoi ?), pas de participation des professionnels à l’élaboration du Projet d’Etablissement (des contraintes temporelles ont amené la direction a le produire seule), absences de transversalité des quatre services constituant l’établissement (espaces de concertation) et non tenue des instances représentatives du personnel. Des points forts sont également repérés : engagement des professionnels, existences d’outils et de procédures pertinentes mais sous utilisées, des locaux proposant des possibilités de restructuration, des compétences professionnelles importantes (à la lecture des dossiers RH et des entretiens réalisés au moment de la prise de fonction).

Une méthodologie de la compréhension du changement

Nous avons fait le choix théorique d’analyser cette situation de crise institutionnelle sous l’angle de l’approche systémique, en s’appuyant sur le fait que les institutions socio-éducatives obéissent à des règles différentes des systèmes mécaniques, prévisibles ; la multiplicité des acteurs et des enjeux conditionnent les comportements individuels et collectifs (Crozier, 1977).
Cette typicité de situation systémique, nous a permis d’observer comment les professionnels ont développé des comportements pour tenter de retrouver, pour ramener l’institution après cette crise à son état initial (Watzlawick, 1981), et à continuer à s’inscrire dans ses cadres de références (légales, éthiques). L’Ecole de Palo Alto a élaboré une théorie de la communication qui s’intéresse en premier lieu aux situations d’interaction humaine et sert de base à une approche originale du changement. Cette approche envisage la question du changement dans la lignée de la théorie de l’apprentissage (Bateson, 1995). Dans le domaine des conduites et des relations humaines, tout comportement, résulte d’un processus d’apprentissage (sauf ceux résultant d’une programmation génétique), le changement peut être conçu comme une modification du comportement des acteurs dans une situation donnée et donc une situation nouvelle peut être l’occasion d’apprentissage de nouveaux comportements. Cette approche distingue différentes sortes de changements pouvant intervenir dans un système : changement d'un élément du système (changement de surface, changement I) qui ne vient pas en perturber l’équilibre et le changement des règles du système (changement du système, changement II) qui amène celui-ci à un nouvel équilibre.

Ces notions, développées dans le cadre de la théorie générale des systèmes, se révèlent fort utile dans des petits systèmes où les relations ont un rôle prépondérant (lors de thérapies familiales). De ce fait notre accompagnement se focalisera sur l’équipe de professionnels de l’unité d’accueil sur laquelle les tensions ont été prédominantes ; lors des séquences de crise la direction a opté pour des « ultra solutions » : exclusion des jeunes perturbateurs, changement des professionnels d’affection « jugés inefficaces ». La direction remplace donc un élément du système sans en changer les règles. Or, à ce stade, il est manifeste que l'organisation rencontre un problème important et les solutions qu’elle préconise ne font qu’en réalité que renforcer celui-ci (cercles vicieux). Dans la situation évoquée, seul un changement de nature plus profonde est pertinent. Il ne s'agira pas seulement de trouver les causes des phénomènes de violence, mais d'élargir la vision du problème à l'ensemble de l'institution et de redéfinir de nouvelles règles du système qui feront apparaître les anciennes comme étant « aberrantes ». On peut dire que les « solutions » préconisées lors des séquences de violence n’ont généré qu’un changement de niveau I selon l’approche de l’Ecole de Palo Alto : résolution du problème avec les mêmes normes, les mêmes règles, le même contexte, pour reprendre une formule chère aux thérapeutes « toujours plus de la même chose » : le système et ces règles restent inchangés.

La situation de l’institution a retenu l’intérêt des services de placement (prescripteurs) et de services de tarification (financeurs) cela s’est traduit par une « injonction » à changer, l’idée d’une fermeture administrative a même été évoquée, ce positionnement a eu un effet anxiogène auprès des professionnels. De ce fait, mon action a résidé à faire entendre aux partenaires la nécessité de « prendre le temps » de l’analyse et d’associer les professionnels aux réflexions, étant partie intégrante du processus de changement, mais également d’inscrire les professionnels dans un principe de réalité : « il est nécessaire de changer ».

Le passage d’un contexte contraignant à un espace d’apprentissages

Dans notre cas d’étude, nous avons favorisé les situations de micro changements : réorganisation des espaces de vie, mise en place de séjours avec les jeunes, mise en place d’outils de conduite et de suivis de réunions, présence de la direction plus importante sur l’unité de vie (présence aux repas) etc… « L’être humain a tendance à commettre une erreur fondamentale qui se base sur l'a priori selon lequel, vu l'énormité de la tâche, seule une solution gigantesque et transcendantale, à la mesure du problème, a des chances de succès » (Watzlawick, 1990), les travaux de l’Ecole de Palo Alto fait apparaitre que ce type de conduite génère des résistances fortes des acteurs et donc une diminution des chances de réussite du programme d’accompagnement. De ce fait, le plus petit changement effectué au sein d'un système rigide « entraîne une réaction en chaîne qui finit par modifier le système tout entier. » (Watzlawick, 1990). La "politique des petits pas" (Popper, 1962)) a eu plusieurs incidences : celle de provoquer par le jeu des rétroactions, de phénomène de réactions en chaînes et de réduire la résistance au changement vu que les objectifs fixés semblent facilement atteignables.

Bateson considère l'apprentissage dans un sens large comme un changement d'un type quelconque et le contexte, en tant que cadre d'apprentissage, c’est cet aspect que j’ai mobilisé :
le risque de fermeture administrative de l’institution a provoqué au sein de l’équipe de professionnels un renforcement des liens (distendus lors de la crise), le positionnement des partenaires (autorités de contrôle, prescripteurs) ont généré une nouvelle dynamique « c’est comme si, le risque de fermeture, nous a fait prendre conscience d’un destin commun » me confiait un professionnel.

Le contexte nouveau a développé des nouveaux comportements, dans ce cadre, ce concept de « contexte d'apprentissage » décrit, non pas les qualités et caractéristiques individuelles, mais les échanges et les influences réciproques entre l'individu et l'environnement. En tant que directeur je suis inscrit dans cette dynamique (faisant parti du système), s’appuyant sur une capacité à identifier les signes de reconnaissance du contexte et de connaître ses propres contextes d'apprentissages, « j’avais conscience que ce que je pouvais changer dans cet accompagnement était moi-même » c’est-à-dire mes propres comportements-communications-réponses et d'adapter mes propres modalités relationnelles aux divers contextes.

L’objectif de mon intervention a été finalement de provoquer un changement de type 2. En effet, en visant une nouvelle compréhension de la réalité par les professionnels pour « provoquer » l'instauration de nouvelles "règles du jeu" qui ne soient pas en contradiction avec les règles précédentes mais qui les fassent apparaître comme étant obsolètes, inutiles. Il était important que ces nouvelles règles du système ne soient pas en totale contradiction avec les anciennes pour éviter des résistances, mais également pour éviter « de disqualifier » mon accompagnement (Bateston, 1984). En réalité c’est le regard collectif porté sur l’institution qui a changé et qui a permis de saisir ses nouveaux contextes et d’en faire des occasions de repenser nos relations.


En guise de conclusion

Devant l’inscription « profonde » de ses dysfonctionnements dans les pratiques, de la persistance des difficultés, les professionnels ont développé de nouveaux comportements, de nouvelles régulations pour maintenir « l’outil de travail », ils ont re-questionné les normes passées, en inventant de nouvelles (Duterne, 2002). Nous avons constaté également que la perspective proposée par l’école de Palo Alto présentait une approche intéressante en ce qui concerne l’explication du changement et l’analyse de la communication au sein d’un système, ainsi qu’un modèle d’intervention pertinent. Ce modèle systémique permet d’analyser et de trouver des voies de résolution de problèmes lorsqu’on a affaire à un groupe d’individus en relations, comme c’est le cas dans une institution socio-éducative.

Cependant, ce modèle ne peut agir que sur des relations interpersonnelles (celles-ci étant tout de même au cœur de toute organisation) et non pas sur les tâches et les fonctionnements plus opérationnelles qui relèvent plus d’un travail sur le projet d’établissement.

De plus, cette approche fut élaborée pour la thérapie familiale et non pour des systèmes aussi complexes que des organisations, où le niveau et le nombre de variables est plus important. Il convient de mentionner que ce « modèle » n’en est justement pas un, car il ne propose pas de recettes d’intervention ayant fait ses preuves, mais une capacité d’adaptation à de nouveaux contextes, à de nouvelles réalités. C’est un modèle constructiviste qui ne se veut pas prescriptif.

De plus l’originalité de cette présentation repose sur le type de comportements développés prenant la forme de soutien, d’entraide, de solidarité au sein d’un « collectif de pratique », comme si la « mise en danger » avérée, avait renforcé un « destin commun » (Fraser, 2011 ; Honneth, 2002), une prise de conscience de leurs compétences « cachées » (Le Bossé, 2012). Ses nouveaux comportements serviront de « matériaux » à l’élaboration d’un nouvel projet d’établissement, se déclinant en valeurs partagées, objectifs de travail, actions éducatives et pédagogiques (Boutinet, 2015).

C’est ainsi qu’une solidarité face à l’épreuve se reconstruit en acceptant la diversité des styles de chacun. On voit bien qu’on est loin ici d’une prescription de normes ; nous sommes dans le travail clinique collectif en situation où la normativité est remise en jeu dans chacun des choix quotidiens d’intervention en opposition à une approche « précipitée » sur un mode action/réaction où les enjeux entre jeunes et professionnels se limitent souvent à « sauver » ou « à ne pas perdre la face ».

Il ne s’agit donc pas de proposer aux équipes un savoir-faire censé représenter « la » solution, mais plutôt de tenter d’explorer des pistes de solutions en jouant la carte du droit à l’erreur et de l’incertitude. Cependant, cette position encourage souvent l’équipe à se mobiliser : les professionnels s’engagent dans des controverses créatives (Latour, 2006).

Ce travail implique l’élaboration collective des controverses en justification plutôt que la mise en œuvre « dépersonnalisées » de grille de lecture théorique

Bibliographie :
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Résumé en Anglais

Abstract :
Collective dynamics, project and solidarity, reflections and experiences within an educational team in a situation of change.
How do we share the practices of solidarity between professionals in a situation of organizational change?
How do the construction spaces develop within educational communities, teams of social workers?
By mobilizing the theoretical insights of the social sciences and a path of researcher in sociology of intervention and director of social mechanisms working in the field of child protection, we propose to share some reflections resulting from a professional experience of driving of change.