Fiche Documentaire n° 4763

Titre L'itinérance féminine autochtone dans la vallée de l'Or

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l'auteur principal

Auteur(s) GRENIER Stéphane
ROUSSY Geneviève
 
     
Thème  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

L'itinérance féminine autochtone dans la vallée de l'Or

La politique de lutte à l’itinérance adoptée par le gouvernement québécois, en 2014, a placé la question des droits humains au cœur de la définition de l’itinérance en considérant cette situation comme une atteinte aux droits fondamentaux des femmes en termes de sécurité, de dignité, d’intégrité et d’égalité et aux droits. Les crises que la ville de Val-d'Or a traversé en octobre 2015 et en octobre 2016 suite aux allégations d’abus sexuels de la part de policiers sur des femmes autochtones, nous ont montré l'extrême vulnérabilité (voir invisibilité) des femmes itinérantes autochtone. La communication s’inscrit dans cette volonté de changement de regard et d’action, en s’intéressant non pas simplement aux besoins des femmes autochtones, mais à la compréhension des formes d’injustices vécues et de la manière dont les réponses offertes ou à offrir peuvent contribuer à leur assurer réellement la sécurité, l’intégrité, la dignité et l’égalité auxquelles elles ont droit. La communication tentera de répondre aux questions suivantes: 1) Quelles sont les manifestations des atteintes à la dignité, à la sécurité, à l’intégrité et à l’égalité que les femmes autochtones ont vécues et vivent et qui les ont conduites à l’itinérance? 2) Comment se façonne l’invisibilisation sociale des femmes autochtones en situation d’itinérance et leur expérience d’une vie moindre (Namian, 2012) dans leur trajectoire et leur quotidien ? 3) Comment les femmes autochtones en situation d’itinérance perçoivent, définissent, et résistent aux violations de leurs droits? Nous répondrons à ces questions en trois temps. D'abord, nous présenterons une cartographie des services offerts dans la Vallée-de-l'Or, puis nous présenterons nous présenterons un récit de pratiques en itinérance à Val-d'Or et finalement, nous présenterons quelque témoignage de femmes autochtones qui ont vécu l’itinérance et qui aujourd’hui ont retrouvé leur dignité. L'enjeu de cette communication est de montrer la solidarité en question et en actes réels.

Bibliographie

Dannatt, H. (2015). Responding with rights: Remote aboriginal housing and homelessness. Parity, 28(2), 21.
Grenier, S., Ménard-Dunn, M. et Laliberté, A. (sous presse). L'itinérance autochtone au Québec et au Canada : circonscrire le phénomène pour développer des pratiques adaptées. Canadian Psychology.
Grenier, S., Bergheul, S. et Labra, O. (2015). L’itinérance dans les collectivités rurales et éloignées : Le cas de la Vallée-de-L’Or. Dans S. Bergheul (Dir.), Regards croisés sur l’itinérance. Montréal : Presses de l’Université du Québec.
Guay, C. (2015). Les familles autochtones : Des réalités sociohistorique et contemporaine aux pratiques éducatives singulières. Revue intervention, 141 (2015.01), 17-28.
Latimer, E., McGregor, J., Méthot, C. et Smith, A. (2015). Dénombrement des personnes en situation d’itinérance à Montréal le 24 mars 2015. Montréal : Douglas (Institut Universitaire).
Lévesque, C., Cloutier, É. et Turcotte, A-M. (2013). Caractéristiques et particularités de la condition itinérante chez les personnes autochtones : mieux comprendre pour mieux agir. Montréal : ODENA.
Memmott, P. (2014). What is aboriginal spiritual homelessness? Parity, 27(8), 43.
Namian, D. (2012). Entre itinérance et fin de vie : sociologie d’une vie moindre. Québec : Presses de l’Université du Québec.

Présentation des auteurs

Stéphane Grenier est professeur/chercheur à l'université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. Il travaille avec les communautés autochtones du nord du Québec.

Geneviève Roussy est étudiante en travail social à l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.

Communication complète

L’itinérance féminine autochtone dans la Vallée-de-l ’Or
Le phénomène de l’itinérance n’a plus besoin de présentation. Bien qu’il revêt parfois différents visages, se fait connaître sous maintes formes et définitions, il demeure tout de même un sujet d’actualité qui semble sans issue. Cependant, il y a certaines populations qui se trouvent plus à risque face à l’itinérance et ce sont principalement les femmes et les Autochtones. Une chose les rallie toutes : la maltraitance et la négligence (physique, mentale et/ou sexuelle) prenant généralement racine dans l’enfance (La rue des Femmes, 2011). Nul besoin de dire qu’elles se retrouvent dans une situation extrêmement précaire les rendant grandement vulnérables.
Il est donc très important de s’attarder sur ce sujet non seulement pour faire état de la situation mais également pour tenter d’y trouver des solutions pertinentes et durables. Nous tenterons de répondre aux questions suivantes: 1) Quelles sont les manifestations des atteintes à la dignité, à la sécurité, à l’intégrité et à l’égalité que les femmes autochtones ont vécues et vivent et qui les ont conduites à l’itinérance? 2) Comment se façonne l’invisibilisation sociale des femmes autochtones en situation d’itinérance et leur expérience d’une vie moindre (Namian, 2012) dans leur trajectoire et leur quotidien ? 3) Comment les femmes autochtones en situation d’itinérance perçoivent, définissent, et résistent aux violations de leurs droits? Nous répondrons à ces questions en trois temps. D'abord, nous présenterons une cartographie des services offerts dans la Vallée-de-l'Or, puis nous présenterons quelques témoignages de femmes autochtones qui ont vécu l’itinérance et qui aujourd’hui ont retrouvé leur dignité et finirons avec des pistes de solution pour s’attaquer de front à ce problème. L'enjeu de cette communication est de montrer la solidarité en question et en actes réels.
Cartographie des services offerts dans la Vallée-de-l’Or
La vie dans la rue est particulièrement difficile pour les femmes car elles doivent se protéger et éviter les sévices physiques dont elles sont malheureusement trop souvent victimes (Walsh et al., 2011). Une brève analyse des services en itinérance dans la Vallée-de-l ’Or tend à démontrer le manque de diversité dans ce secteur. Le nombre exact d’itinérants n’est pas précisé mais la maison d’hébergement La Piaule, située dans la ville, a hébergé 589 personnes pour un total de 6289 nuitées en 2016 (Rapport d’activités, 2016-2017). Bien que nombreuse, la quantité de personnes recourant à ce type de service ne justifie pas l’ouverture d’une seconde maison d’hébergement dédiée aux femmes. Cela fait donc en sorte que ces dernières doivent parfois cohabiter avec leurs agresseurs (Grenier, 2017). Une réalité bien typique à la région de l’Abitibi-Témiscamingue, à la ville de Val-d’Or plus particulièrement, repose sur le fait que qu’elle est une plaque tournante pour de nombreuses communautés du Nord-du-Québec, notamment les Cris de la Baie-James. Cela apporte son lot de situations particulières où des familles se déplacent pour divers besoins (activités sportives, achats de biens de consommation, soins médicaux), le mari abuse de substances ou va miser son argent en laissant ainsi le reste de sa famille sans le sou et sans endroit où rester et ce, dans un milieu non-familier.
Les femmes vont donc se retrouver seules avec leurs enfants et parfois même avec un nouveau-né puisqu’elles viennent ici pour accoucher. Puisque ce n’est pas de la violence en bonne et due forme mais plutôt de la violence financière (Montminy et al., 2010), la maison d’hébergement ne peut pas se permettre de les garder plus longtemps puisqu’elles ne cadrent pas dans leur offre de services. C’est une façon de plus de marginaliser ces femmes qui ont des besoins auxquels les organismes sont incapables de répondre. L’éloignement de la communauté d’origine complique la situation puisque les distances entre les territoires sont importantes et les coûts engendrés le sont tout autant. À titre d’exemple, il est plus dispendieux de faire un vol aérien entre Val-d’Or et Chisasibi que de faire un vol entre Montréal et Paris. C’est près de 1000 km qui séparent les deux villes et le chemin est majoritairement parcouru sur des routes forestières.
La Vallée-de-l’Or a vécu une véritable crise à l’automne 2015 avec la sortie de l’émission Enquête à Radio-Canada où des femmes autochtones accusaient des policiers d’avoir été abusées, humiliées et maltraitées. Ces incidents ont été rapidement suivis par une tragédie qui a eu lieu sur la communauté anishnabe de Lac Simon, à quelques kilomètres de Val-d’Or où un résidant de la communauté a fait feu sur un policier, le blessant mortellement, avant de retourner l’arme contre lui-même. La semaine suivante, c’est un policier qui a utilisé son arme contre un homme de la communauté, causant ainsi sa mort. Depuis, il y a un véritable effort de la part des policiers pour éviter la judiciarisation ; ils préfèrent utiliser la référence aux ressources et le travail collaboratif avec les services en place. Un poste de police mixte conçu spécialement pour traiter ce type de problématique a ouvert ses portes à Val-d'Or en mars 2017. Cependant, ces actions ne suffisent pas à combattre la discrimination systématique dont les Autochtones sont victimes dans la région. À cet effet, au moment d’écrire ces lignes, la Commission d’enquête Écoute, réconciliation et progrès (CERP) commence tout juste à investiguer sur le sujet des relations entre les Autochtones et certains services publics, notamment la Sûreté du Québec (SQ).
Témoignages
Quelles sont alors les manifestations des atteintes à la dignité, à la sécurité, à l’intégrité et à l’égalité que les femmes autochtones ont vécues et vivent et qui les ont conduites à l’itinérance? La violence est non seulement omniprésente dans la vie des femmes itinérantes autochtones mais elle est plus grave, tant en quantité qu’en qualité (Montminy et al., 2010). « Une femme est pas à l’abri de rien de ça parce que moi, j’y ai gouté. Pis loin d’être à l’abri. Cherche-toi une poubelle ou un container avec un toit dessus pour être sûre avec les rats que tu te feras pas voler dans nuit. Voler ou malmener. Pis c’est de vivre le stress d’être dans rue, de te faire pogner. Ouf. » (Femme 1, 2016). Une autre femme rencontrée parle d’un parcours similaire mais met l’emphase sur les blessures causées par les pensionnats. Elle mentionne: « I feel like I’ve been robbed, not of my language but of opportunities” (Femme 2, 2016).
Comment se façonne l’invisibilisation sociale des femmes autochtones en situation d’itinérance et leur expérience d’une vie moindre (Namian, 2012) dans leur trajectoire et leur quotidien ? Un tel parcours démontre les liens étroits entre les traumatismes, les liens familiaux, les violences et le chemin vers l’itinérance. La difficulté d’accès aux services est un facteur considérable de l’invisibilité des femmes où : « les femmes autochtones semblent particulièrement touchées par ces difficultés d’accès aux services » (Benoit, Carroll et Chaudhry 2003 dans MMFIM, 2016). La protection de la jeunesse est une autre institution qui dépossède grandement les femmes de leur pouvoir d’agir. Une autre femme a subi des menaces de mort d’un ancien locataire, ce dernier lui disant que cela ne dérangerait personne puisqu’elle est autochtone.
Comment les femmes autochtones en situation d’itinérance perçoivent, définissent, et résistent aux violations de leurs droits? Le témoignage de Femme 2 résiste à sa situation et elle s’oppose particulièrement au manque de liberté dont elle dispose en maison d’hébergement, disant qu’elle se sent étouffée, qu’il y a trop de restrictions et de règlements. Les deux femmes rencontrées partagent un parcours semblable mais aussi une importante spiritualité qui les aide à passer au travers des moments les plus durs. Elles ont développé des forces telles que la résilience, l’entraide, la solidarité et la débrouillardise mais aussi une grande sagesse au fil des années. Dans Patrick (2015), Berman et al. (2009:422) fournissent un bon exemple de cela et disent que
« les filles autochtones qui ont été déracinées sont marquées par leur sexe, leur race et leur classe et évoluent dans des espaces frontières à la recherche de connexions et de reconnexions... Toutefois, c’est là qu’elles apprennent une nouvelle façon d’être, de se connecter et d’appartenir. Leurs vies sont façonnées par des structures imbriquées de domination. À travers ces structures, elles s’efforcent de développer une image d’elles-mêmes forte et résiliente qui favorise la sensation de libre arbitre et qui peut venir à bout de la détresse, du désespoir et du pessimisme qui paraît souvent si intense. » (Berman et al., 2009, p.422)
Des solutions mieux adaptées
La clé du succès repose sur la notion d’offrir des services spécialisés aux Autochtones, qui leur sont culturellement respectueux et valables et ce, spécialement au niveau de la violence conjugale (Montminy et al., 2009). En effet, comme nous l’avons vu précédemment, c’est souvent pour cette raison bien précise que les femmes vont quitter leur communauté et ainsi enclencher la spirale de l’itinérance. Les Autochtones ont une vision holistique de la vie et il faut traiter ce problème de manière à cadrer avec cette perspective. Ainsi, il faut agir autant verticalement qu’horizontalement, c’est-à-dire de travailler au niveau intergénérationnel ainsi qu’au niveau intra et extrafamilial (Montminy et al., 2009; 2010). Il faut aussi privilégier un lien entre la communauté et la ville pour éviter de perdre de vue ces femmes. Au demeurant, s’il est important que les Autochtones explicitent leurs besoins, il est aussi crucial qu’ils participent à l’élaboration des pratiques d’intervention et aux recherches les concernant. Les institutions et les organismes qui offrent des services aux Autochtones en situation d’itinérance ont la responsabilité de susciter et de faciliter cette participation. (Grenier, 2017). De plus, tel que nous avons pu le démontrer avec les témoignages de femmes itinérantes, ces dernières développent des forces phénoménales, « forces sur lesquelles les interventions gagneraient à s’appuyer. Nommons : la volonté de (sur) vivre, la prise de contrôle sur certains aspects de leur vie, l’ouverture aux autres et au monde. (Spirale de l’itinérance, 2008). Plus encore, elles parviennent à surmonter la double discrimination dont elles sont victimes, être femme et autochtone, en tournant ces facteurs préjudiciables en formes de fierté.

Résumé en Anglais


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