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La définition et le terme de « théâtre d'intervention » font débat mais la tendance tend à y inclure toutes les techniques théâtrales dont la première vocation est la transformation personnelle et sociale, ce devant l'aspect artistique ou esthétique. Ces techniques vont donc souvent chercher à sensibiliser le public, le faire réfléchir, de façon collective, à des problématiques sociales, et semer chez lui des graines qui germeront au-delà de la représentation pour, avec le temps, amorcer une transformation personnelle, voire sociale. C'est par l'opportunité d'échange qu'il offre, la somme de ces transformations, et l'effet de masse qu'il peut créer, qu'il est considéré que ce théâtre est un outil de transformation sociale et politique. Le théâtre d'intervention sort en effet souvent des salles de théâtre traditionnelles pour aller vers son public, jusque dans la rue.
De nombreuses techniques rentrent dans le théâtre d'intervention. Dans cette communication, nous présenterons dans une approche critique certaines techniques, la liste n'étant pas exhaustive. Ce domaine est en constante évolution, s'adaptant à la société, aussi nous nous concentrerons ici sur les techniques participatives car ce sont celles qui permettent l'exercice d'une solidarité active.
Un volet important des formes du théâtre d'intervention, dérivé de la « Pédagogie de l’Opprimé » de Paulo Freire (1970), est constitué par les techniques du « Théâtre de l’Opprimé », créé par Augusto Boal (1974). Cela prend souvent la forme d'un « théâtre-forum », qui présente une scène d'oppression dans le quotidien et sur laquelle on demande au public de proposer des alternatives (faire « forum ») afin d'aider « l’opprimé » à s'en sortir. En descendant sur scène pour jouer leur « proposition de transformation », les spectateurs expriment leur solidarité envers ceux qui se trouvent dans la même situation dans la vraie vie. Ils deviennent alors « spect-acteurs », acteurs pouvant se lire au sens propre et figuré : l’acteur qui joue sur scène mais aussi l’acteur de la transformation sociale.
En réponse à certains contextes complexes, certaines associations ont intégré des approches systémiques ou communautaires, s'affranchissant d'un rapport binaire « Opprimé - Oppresseur ». Si le contexte d'application fut la base de ces évolutions, ces approches permettent d'approcher la problématique comme le symptôme d'un problème social moins explicite au niveau de la communauté.
Nous pouvons ici citer comme exemple notre récent projet de théâtre-image sur la question du partage des routes entre ses différents usagers. Le théâtre-image est une technique du Théâtre de l’Opprimé mais qui se présente sous la forme de statues muettes. Elle permet une intervention plus courte, le plus souvent dans la rue. Nous avons utilisé cette technique pour faire une intervention dans le cadre du Mois du Vélo, au mois de mai dernier. Conformément aux approches systématiques, nous avons refusé de prendre le parti-pris du vélo mais plutôt présenter la problématique sous ses différents points de vue, même si en choisissant une seule image nous avons dû faire des choix.
Un autre volet consiste les techniques dont la source d'inspiration vient du public, sans pour autant que celui-ci descende sur scène comme dans le Théâtre de l'Opprimé. Ceci était ce qui caractérisait le théâtre « d'agit-prop », théâtre affilié au parti communiste dans les années 1930 et ayant pour vocation d'amener le théâtre aux ouvriers, tout en soutenant les actions politiques de ce parti. Aujourd'hui, l'affiliation politique de ce type de théâtre n'existe plus mais la même forme se trouve dans le théâtre playback. Celui-ci prend la forme d'une d'improvisation sur une idée émise par le spectateur. Un thème est lancé et cela permet aux spectateurs de voir l'interprétation de leurs idées en scène et ainsi de les découvrir sous un autre angle. La série d'improvisations représente alors la vision collective sur le thème. Il existe une compagnie pratiquant ce théâtre ici-même à Montréal.
Ces techniques permettent donc de mobiliser une communauté autour d'une cause sociale, et ce, dans un processus démocratique et bienveillant. Nous avons pu le voir dans notre projet de théâtre-image : il ne laissait pas les spectateurs indifférents. Une personne est d’ailleurs venue nous encourager à présenter notre action dans les écoles afin de sensibiliser les jeunes : même peu nombreux, le public a vu la valeur et le potentiel de ce théâtre d’action. Cependant, nous devons convenir que notre ambition au départ était de faire un théâtre-forum mais il nous fut difficile de mobiliser des acteurs ayant la disponibilité pour un projet d’une telle envergure. Pourtant, ce n’était pas la motivation qui faisait défaut. Nous avons réduit l’ambition du projet pour une formule plus simple afin d’accommoder la disponibilité des acteurs. D’ailleurs, il fut très facile de convaincre la Coop Roue-Libre – atelier de vélo coopératif – et Accès Transports Viables - organisme promouvant le transport durable dans la région de Québec - de mettre le projet à la programmation du Mois du Vélo. D’une initiative personnelle, ce projet est devenu un évènement officiel qui a attiré l’attention, y compris des médias, sur une problématique actuelle et quotidienne. C’est la première forme sous laquelle ce projet a fédéré des solidarités, en offrant une activité ludique autour d’une question vécue par tous.
En effet, trouvant leur source dans le quotidien, ces techniques sont accessibles à tous les membres d'une société. Tous se retrouvent alors engagés autour d'une même cause lors d'un événement de théâtre participatif. C'est en cela qu'elles contribuent à faire renaître une solidarité, en rassemblant tous les citoyens impliqués, peu importe leur catégorie sociale, pour réfléchir ensemble à une problématique sociale. En effet, dans le domaine des sciences sociales, ces techniques sont souvent utilisées pour des activités de prévention, notamment auprès des jeunes, tel que l’a compris notre spectatrice. Un exemple de thème souvent traité ainsi est la prévention contre le SIDA. Dans ce cas, on connaît à priori les solutions mais le processus encourage les participants à les trouver par eux-mêmes et à les intégrer, tout en faisant l'apprentissage des erreurs à ne pas faire. Dans le cadre de notre projet de théâtre-image, il a été conclu par le public que dans l’attente de meilleures infrastructures, nous avions tous – piéton, cycliste, automobiliste- en notre pouvoir la capacité d’agir dès aujourd’hui en exerçant une certaine vigilance par rapport à notre environnement.
Ce théâtre constitue donc un outil de mobilisation collective original et pragmatique qui offre une alternative intéressante d'expression de la solidarité. Il permet de réfléchir, non pas sur des textes ou des discours, mais sur des situations concrètes auxquelles le public s’identifie. Aussi, il permet d’effacer la notion de classes sociales et les disparités qui en découlent. En effet, ces techniques offrent à chacun la possibilité d’intervenir. Et, ainsi, lui fait prendre conscience qu’il peut, lui aussi, agir. Boal disait : « Le théâtre est dans la salle ». Par cette phrase, il faut lire l’action et donc le changement, est dans la salle, sous-entendu chez le public. Le théâtre d’intervention est un moyen de faire prendre conscience au public de cette capacité de changement qui leur incombe. Enfin, le jeu (pour enfants ou adultes) est connu pour fédérer des liens sociaux et créer des solidarités. Or ne parle-t-on pas aussi de Jeu au théâtre ? Ces techniques évitent aussi les débats musclés que l’on peut trouver dans les médias ou les réseaux sociaux. Qui n’a pas lu d’article critiquant le cycliste hivernal ? Et la réponse critiquant l’automobiliste ? Ces outils théâtraux ouvrent la porte à une autre façon de communiquer, plus ouverte, plus respectueuse et plus démocratique.
En conclusion, nous avons présenté aujourd’hui quelques-unes des techniques du « théâtre d’intervention » et illustré par un exemple leur utilisation. Dès le lancement d’un projet et par leur processus créatif, ces techniques permettent de rassembler des personnes autour d’une problématique sociale. En se basant sur des situations concrètes, elles permettent au public de devenir solidaire mais aussi responsabilisé par rapport à l’enjeu présenté.
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