Fiche Documentaire n° 4864

Titre L’outil relationnel du travailleur social : le lien humain bienveillant et cadré.

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l'auteur principal

Auteur(s) FAGNY Manuel  
     
Thème Proposition retravaillée.  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

L’outil relationnel du travailleur social : le lien humain bienveillant et cadré.

L’outil relationnel du travailleur social : le lien humain bienveillant et cadré.

La solidarité envers des individus ou des communautés passe généralement par un soutien matériel, administratif et parfois financier. Bien sûr, toute démarche de solidarité s’appuie sur des bases logistiques et un cadre idéologique, institutionnel, déontologique et légal. Mais il est fondamental de rappeler et de souligner à quel point la solidarité est aussi et avant tout un acte relationnel où un être humain s’intéresse à un autre et s’en préoccupe. Cette rencontre singulière est davantage qu’un paramètre de l’action solidaire : elle en est, d’après moi, la clé essentielle.

Mes recherches s’appuient d’une part sur mon expérience de psychologue en institutions (notamment dans une prison et dans un service de santé mentale situé dans un quartier défavorisé à Bruxelles), et d’autre part sur mon travail d’enseignant auprès de futurs assistants sociaux.

L’intervention sociale, quelle qu’elle soit, constitue d’abord un engagement d’une personne auprès d’une autre personne. Ce qui peut aider et faire soin pour l’autre, c’est ce que je propose d’appeler le « lien humain bienveillant et cadré » (ce concept s’appuie notamment sur les théories de W. Bion sur la « fonction alpha », celles de D. Winnicott sur le « holding », de même que sur plusieurs études scientifiques qui mentionnent l’importance de l’alliance thérapeutique dans toute démarche de soin).
Il est en effet question de « lien humain bienveillant » dans le travail social : deux individus sont émotionnellement engagés dans la poursuite d’un objectif souvent commun. Il s’agit donc d’une intervention douée d’humanité et de respect, où la personnalité (et donc l’histoire individuelle) de chacun des protagonistes est complètement impliquée. Ainsi, aucun robot, aussi perfectionné soit-il, ni aucune procédure standardisée, ne pourra remplacer efficacement le rapport humain constitutif de toute intervention sociale.

Mais ce lien travailleur-usager est bien entendu « cadré », c’est-à-dire qu’il s’inscrit dans un savoir-faire et un savoir-être dont les contours sont définis par l’institution qui emploie, par le bon sens et l’usage professionnel, par les théories, la déontologie et les lois en vigueur. Ce cadre transforme donc le mouvement spontané de solidarité, de sympathie et d’empathie en une intervention professionnelle.

Ce qui soutient une personne en souffrance, c’est avant tout le fait d’exprimer ses émotions perturbantes, de les partager et de les faire ressentir à une autre personne qui doit les métaboliser et leur donner un sens dans l’intimité d’une rencontre singulière. Ce type d’aide représente l’un des fondements du travail psycho-médico-social en particulier, et donc de la solidarité humaine en général.

J’illustrerai mon propos par l’analyse d’une émeute à laquelle j’ai assisté dans le cadre de mon travail en prison. Cette émeute a précisément pris sa source dans une communication brutale, ni bienveillante ni cadrée, que la direction de la prison a faite à un détenu.
En outre, on ne peut envisager la formation des travailleurs sociaux sans accorder une place capitale à cette question des enjeux relationnels, ce qui passe nécessairement par une attention particulière au lien enseignant-étudiant. A titre d’exemple, je raconterai comment, suite aux récents attentats de Bruxelles, la discussion et l’élaboration commune avec les étudiants, de manière bienveillante et cadrée, a été nécessaire pour dépasser collectivement le traumatisme.
Les mouvements de solidarités collectives que l’on impulse prennent en partie leur source dans les solidarités individuelles dont on a bénéficié préalablement. En d’autres termes, « recevoir » apprend à « donner ». Tel un effet domino, la solidarité n’émerge-t-elle pas toujours, quelque part, d’un lien humain antérieur ?

Bibliographie

Manuel FAGNY est psychologue et psychothérapeute. Il est enseignant à la Haute Ecole Bruxelles-Brabant et assistant chargé d’exercices à l’Université Libre de Bruxelles.

Présentation des auteurs

Bibliographie :

BIEMAR S., CHARLIER E. et coll. : Accompagner : un agir professionnel, De Boeck, Bruxelles, 2012.
BION W. : Aux sources de l’expérience, PUF, Paris, 2003.
BOUJUT S. : Le travail social comme relation de service ou la gestion des émotions comme compétence professionnelle, revue Déviance et Société, Chêne-Bourg, 2005.
CICCONE A. et FERRANT A. : Partage d’affect. Transformations intimes de la honte et de la culpabilité, journées d’Accords, Avignon, 2012.
FAGNY M. et HAUZOUL C. : La supervision de groupe, lieu de déploiement de l’ « être » travailleur social, congrès de l’AIFRIS, Porto, 2015.
KAES R. et coll. : Le travail psychique de la formation. Entre aliénation et transformation, Dunod, Paris, 2011.
MARTENS F. : Pour une approche économiquement responsable et scientifiquement fondée en matière de soins de santé et de santé mentale en particulier, bulletin de l’APPPsy, Bruxelles, 2015.
VINOT-COUBETERGUES M., MARC E. et coll. : Les fondements des psychothérapies. De Socrate aux neurosciences, Dunod, Paris, 2014.
WINNICOTT D. : L’enfant et sa famille : les premières relations, Payot, Paris, 1991.
ZECH E. : Que reste-t-il des conditions nécessaires et suffisantes au changement thérapeutique ?, revue ACP Pratique et Recherche, Paris, 2008.

Communication complète

La solidarité envers des individus ou des communautés passe généralement par un soutien matériel, administratif et parfois financier. Bien sûr, toute démarche de solidarité s’appuie sur des bases logistiques et un cadre idéologique, institutionnel, déontologique et légal. Mais il est fondamental de rappeler et de souligner à quel point la solidarité est aussi et avant tout un acte relationnel où un être humain s’intéresse à un autre et s’en préoccupe. Cette rencontre singulière est davantage qu’un paramètre de l’action solidaire : elle en est, d’après moi, la clé essentielle. C’est précisément sur cet aspect que je souhaite mettre le focus dans cet article.

Mes recherches s’appuient d’une part sur mon expérience de psychologue en institutions (notamment dans une prison et dans un service de santé mentale situé dans un quartier défavorisé à Bruxelles), et d’autre part sur mon travail d’enseignant auprès de futurs assistants sociaux.

Le concept de « lien humain bienveillant et cadré », que je vais introduire ici, s’appuie sur différentes théories : Wilfred Bion a développé la notion de « fonction alpha » (la capacité d’un individu à recevoir et à métaboliser la parole brute et l’angoisse d’un autre), Donald Winnicott a défini le concept de « holding » (l’apport d’un environnement stable capable de soutenir physiquement et psychiquement quelqu’un, et ainsi le protéger de l’envahissement de l’angoisse), Albert Ciccone et Alain Ferrant, entre autres, ont décrit le modèle de la « contenance »… Ce qui soutient une personne en souffrance, c’est avant tout le fait d’exprimer ses émotions perturbantes, de les partager et de les faire ressentir à une autre personne qui doit les métaboliser, les penser, et leur donner un sens dans l’intimité d’une rencontre singulière.

Par ailleurs, plusieurs études scientifiques convergent vers l’idée que l’efficacité de toute psychothérapie dépend moins de la méthode utilisée que de l’alliance thérapeutique, c’est-à-dire de la qualité de la relation thérapeute-patient. En outre, depuis une cinquantaine d’années, de nombreuses recherches médicales mettent en évidence l’effet dit « placebo » qui indique que le lien entre le patient et l’équipe soignante revêt autant d’importance que l’acte technique et les médicaments, et ceci pour toutes les pathologies et dans toutes les disciplines de la médecine.

Dans le même ordre d’idées, l’intervention sociale, quelle qu’elle soit, constitue d’abord un engagement d’une personne auprès d’une autre personne. Ce qui peut aider et faire soin pour l’autre, c’est ce que je propose d’appeler le « lien humain bienveillant et cadré ». Il s’agit d’un outil relationnel et d’une condition nécessaire (mais pas toujours suffisante) à la notion de soin. Ce type d’aide représente l’un des fondements du travail psycho-médico-social en particulier, et donc de la solidarité humaine en général.

Il est en effet question de « lien humain bienveillant » dans le travail social : deux individus sont émotionnellement engagés dans la poursuite d’un objectif souvent commun. L’un estime qu’il peut aider l’autre à aller mieux, et l’autre accepte généralement et croit en cette aide. Il s’agit donc d’une intervention douée d’humanité et de respect, et d’une certaine forme d’amour (accueil, disponibilité, souci pour l’autre, souhait de le voir aller bien/mieux,…). La personnalité (et donc l’histoire individuelle) de chacun des protagonistes est complètement impliquée, un peu comme quand un parent s’occupe d’un enfant : ordinairement le parent soutient les compétences et les potentialités de l’enfant pour l’aider à bien évoluer ; le parent fait cela de tout son être, avec bonne volonté et amour. Ainsi, aucun robot, aussi perfectionné soit-il, ni aucune procédure standardisée, ne pourra remplacer efficacement le rapport humain constitutif de toute intervention sociale.

Mais ce lien travailleur-usager est bien entendu « cadré », c’est-à-dire qu’il s’inscrit dans un savoir-faire et un savoir-être dont les contours sont définis par l’institution qui emploie, par le bon sens et l’usage professionnel, par les théories, la déontologie et les lois en vigueur. Ce cadre transforme donc le mouvement spontané de solidarité, de sympathie et d’empathie en une intervention professionnelle. Autrement dit, à l’instar des poupées russes (les matriochkas) qui sont successivement contenues par des poupées de plus en plus grandes, le travailleur social prend soin de l’usager, le soutient et le contient en quelque sorte, mais est aussi lui-même contenu par différents référents qui lui servent à baliser le champ de son intervention. Ces cadres de référence l’aident à aider l’usager, ils permettent au travailleur d’entendre l’autre dans sa différence, de prendre le temps d’accueillir ses inquiétudes, de comprendre les enjeux de la situation, de co-créer du sens et d’apporter une réponse adéquate. En d’autres termes, ces cadres lui permettent de supporter les « traumatismes de l’écoute ».

Le « lien humain bienveillant et cadré » est une sorte de posture professionnelle de soin, jamais définitivement acquise, qui doit être continuellement remise en question et améliorée. (Cf. mon exposé avec Chantal Hauzoul, au congrès de l’AIFRIS à Porto en 2015 : La supervision de groupe, lieu de déploiement de l’ « être » travailleur social.)

En outre, on ne peut envisager la formation des travailleurs sociaux sans accorder une place capitale à cette question des enjeux relationnels, ce qui passe nécessairement par une attention particulière au lien enseignant-étudiant. (A titre d’exemple : suite aux récents attentats de Paris et de Bruxelles, la discussion et l’élaboration commune avec les étudiants, de manière bienveillante et cadrée, a été nécessaire pour dépasser collectivement le traumatisme… Autre exemple, également en lien avec les récents attentats : deux victimes directes des attentats de Bruxelles m’ont relaté à quel point, au-delà des soins matériels de première ligne, c’est bien le lien humain, la main sur l’épaule, le regard attentif, le mot affectueux des secouristes et des autres personnes, qui les ont précieusement soutenus dans les minutes et les heures qui ont suivi le drame...)

Et pour conclure, je rappellerais que les mouvements de solidarités collectives que l’on impulse prennent en partie leur source dans les solidarités individuelles dont on a bénéficié préalablement. En d’autres termes, « recevoir » apprend à « donner ». Tel un effet domino, la solidarité n’émerge-t-elle pas toujours, quelque part, d’un lien humain antérieur ?



Auteur :

Manuel FAGNY est psychologue. Il est enseignant à la Haute Ecole Bruxelles-Brabant et assistant chargé d’exercices à l’Université Libre de Bruxelles.



Bibliographie :

BIEMAR S., CHARLIER E. et coll. : Accompagner : un agir professionnel, De Boeck, Bruxelles, 2012.
BION W. : Aux sources de l’expérience, PUF, Paris, 2003.
BOUJUT S. : Le travail social comme relation de service ou la gestion des émotions comme compétence professionnelle, revue Déviance et Société, Chêne-Bourg, 2005.
CICCONE A. et FERRANT A. : Partage d’affect. Transformations intimes de la honte et de la culpabilité, journées d’Accords, Avignon, 2012.
FAGNY M. et HAUZOUL C. : La supervision de groupe, lieu de déploiement de l’ « être » travailleur social, congrès de l’AIFRIS, Porto, 2015.
KAES R. et coll. : Le travail psychique de la formation. Entre aliénation et transformation, Dunod, Paris, 2011.
MARTENS F. : Pour une approche économiquement responsable et scientifiquement fondée en matière de soins de santé et de santé mentale en particulier, bulletin de l’APPPsy, Bruxelles, 2015.
VINOT-COUBETERGUES M., MARC E. et coll. : Les fondements des psychothérapies. De Socrate aux neurosciences, Dunod, Paris, 2014.
WINNICOTT D. : L’enfant et sa famille : les premières relations, Payot, Paris, 1991.
ZECH E. : Que reste-t-il des conditions nécessaires et suffisantes au changement thérapeutique ?, revue ACP Pratique et Recherche, Paris, 2008.

Résumé en Anglais


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