Fiche Documentaire n° 4871

Titre Invisibles et pourtant créateurs de lien social

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Auteur(s) TOCQUEVILLE MELANIE  
     
Thème Solidarités quotidiennes en actes dans le champ des services à la personne  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

Invisibles et pourtant créateurs de lien social

« Je suis la seule qui pousse cette porte chaque semaine. Donc avec moi, c’est le monde extérieur qui entre dans cette maison isolée de tout et de tous. »
Pascale, assistante de vie

Tisser, c’est broder, c’est coudre pas à pas, c’est entrelacer ; parfois avec un modèle, parfois sans. Des mains invisibles tissent au quotidien des liens sociaux qui tendent à lutter contre les solitudes en France.

D’aides à domicile à assistants de vie, des millions de professionnels sillonnent des territoires isolés pour aider à maintenir des solidarités de proximité.

Iperia l’Institut est l’Institut National de professionnalisation des emplois de la famille. Mandaté par les branches professionnelles, il est l’acteur national qui met en place l’ensemble de l’offre de professionnalisation pour les métiers d’assistants maternels, gardes d’enfants, employés familiaux et assistants de vie. En 2016, c’est plus de 40 000 salariés qui sont venus se former sur l’ensemble des dispositifs. Il s’est doté d’une Direction Scientifique et d’un Conseil de l’Innovation Sociale dont un des objectifs est de mener des recherches auprès des salariés du secteur, au plus près du terrain en allant à leur rencontre. Le maitre mot est « travailler avec » et non pas « travailler sur ».

Dans le cadre de cette proposition, nous mettrons en lumière les recherches-actions que nous avons menés au cours de ces deux dernières années, auprès d’assistants de vie et d’employés familiaux au service des familles, sur les territoires de la Corrèze et du Nord. Ce sont spécifiquement les professionnels qui s’occupent des adultes dépendants qui ne sont pas en mesure de réaliser seuls les actes de la vie quotidienne. De ces recherches émanent des problématiques jusque-là pensées mais non explicitées aussi clairement. Qu’est-ce que la solidarité en actes ? Comment se déploie-t-elle au fil des jours dans le champ des services à la personne ? Filmés ensemble dans leur salon ou leur cuisine, les propos recueillis s’intègrent et s’analysent dans une approche environnementale complexe marquée par des ruptures sociales.

S. Paugam (2008) rappelle combien cette notion de lien social ne s’inscrit que dans les actes qu’on lui confère.
« Par homo-sociologicus, j’entends l’homme liée aux autres et à la société non seulement pour assurer sa protection face aux aléas de la vie, mais aussi pour satisfaire son besoin vital de reconnaissance, source de son identité et de son existence en tant qu’homme. »

Les métiers avec lesquels nous travaillons souffrent d’une invisibilité sociale : au service de millions de familles, ces professionnels se disent non-reconnus alors même qu’elles remplissent des fonctions de passeurs ou tisseurs de lien social sur des territoires parfois dépourvus de services publics.
Tisser du lien social, accompagner, être solidaire s’ancrent souvent pour ces professionnels dans des réalités quotidiennes à forte charge mentale. Voici le témoignage d’Isabelle :

« Vous voyez ce costume ? C’est celui de M. Duval. Il a 93 ans. Il m’a confié ce costume car le jour où il partira il veut être enterré avec ce costume que sa femme lui avait offert. Ses enfants sont loin le jour où ça arrivera il n’y aura que moi. Il est tout seul. C’est important pour lui et pour moi. Bien sûr je sais où se trouve tous les papiers pour faire les démarches. »

Le parcours de reconnaissance de ces métiers invisibles, ancrés dans une disqualification sociale dont il reste les contours à déterminer, interroge sur ce qui est aujourd’hui, des solidarités de proximité forgées par la confiance. L’accès à la formation pour ces professionnels mais également les recherches -actions menées, avec une approche praxéologique, tendent à renforcer ce nécessaire déploiement de forces vives animées par la lutte contre l’isolement des personnes âgées et la désertification des territoires et services appropriés.

Bibliographie

Honneth A. (2002), La lutte pour la reconnaissance, Paris, Editions du Cerf
Lhotellier, A. et St-Arnaud, Y. (1994). Pour une démarche praxéologique. Nouvelles pratiques sociales, 7
Paugam, S. (2014), L’intégration inégale. Force, fragilité et rupture des liens sociaux, Paris : PUF
Tocqueville, M., Bedel, C., A. Touahria-Gaillard (sous la dir. D’I. Puech), (2016), Etude sur les assistants de vie, Iperia les Editions
Sitographie :
Fondation de France, (2014), Les solitudes en France, https://www.fondationdefrance.org/sites/default/files/atoms/files/solitudes142_0.pdf, l’observatoire de la Fondation de France

Présentation des auteurs

Docteure ès sciences de l'éducation, auteure d'une thèse sur l'intégration des jeunes enfants en situation de handicap, je suis actuellement responsable de la direction scientifique à Iperia l'Institut. Notre Institut est l'Institut national de professionnalisation des emplois de la famille chargé de mettre en oeuvre l'ensemble de la professionnalisation pour les métiers de gardes d'enfants, d'assistants de vie, d'employés familiaux et d'assistants maternels.
En tant que responsable de la direction scientifique, je suis chargée de mener la politique de recherche en France, en Europe et à l'International sur l'ensemble des problématiques du champ des services à la personne et de la formation professionnelle.
Enseignante à l'université de Rouen puis de Paris, sur le site de la Pitié Salpétière, j'ai travaillé particulièrement autour des notions de philosophie de l'alter ego, de l'éthique sociale et des reconnaissances identitaires.

Communication complète

Invisibles et pourtant créateurs de lien social.
Solidarités quotidiennes en actes dans le champ des services à la personne.
« Je suis la seule qui pousse cette porte chaque semaine. Donc avec moi, c’est le monde extérieur qui entre dans cette maison isolée de tout et de tous. »
Pascale, assistante de vie
Tisser, c’est broder, c’est coudre pas à pas, c’est entrelacer ; parfois avec un modèle, parfois sans. Des mains invisibles tissent au quotidien des liens sociaux qui tendent à lutter contre les solitudes en France.
D’aides à domicile à assistants de vie, des millions de professionnels sillonnent des territoires isolés pour aider à maintenir des solidarités de proximité.
Iperia l’Institut est l’Institut National de professionnalisation des emplois de la famille. Mandaté par les branches professionnelles, il est l’acteur national qui met en place l’ensemble de l’offre de professionnalisation pour les métiers d’assistants maternels, gardes d’enfants, employés familiaux et assistants de vie. En 2016, c’est plus de 40 000 salariés qui sont venus se former sur l’ensemble des dispositifs. Il s’est doté d’une Direction Scientifique et d’un Conseil de l’Innovation Sociale dont un des objectifs est de mener des recherches auprès des salariés du secteur, au plus près du terrain en allant à leur rencontre. Le maitre mot est « travailler avec » et non pas « travailler sur ».
Dans le cadre de cette proposition, nous mettrons en lumière les recherches-actions que nous avons menées au cours de ces deux dernières années, auprès d’assistants de vie et d’employés familiaux au service des familles, sur les territoires de la Corrèze et du Nord. Ce sont spécifiquement les professionnels qui s’occupent des adultes dépendants qui ne sont pas en mesure de réaliser seuls les actes de la vie quotidienne. De ces recherches émanent des problématiques jusque-là pensées mais non explicitées aussi clairement. Qu’est-ce que la solidarité en actes ? Comment se déploie-t-elle au fil des jours dans le champ des services à la personne ? Filmés ensemble dans leur salon ou leur cuisine, les propos recueillis s’intègrent et s’analysent dans une approche environnementale complexe marquée par des ruptures sociales.
S. Paugam (2008) rappelle combien cette notion de lien social ne s’inscrit que dans les actes qu’on lui confère.
« Par homo-sociologicus, j’entends l’homme liée aux autres et à la société non seulement pour assurer sa protection face aux aléas de la vie, mais aussi pour satisfaire son besoin vital de reconnaissance, source de son identité et de son existence en tant qu’homme. »
Les métiers avec lesquels nous travaillons souffrent d’une invisibilité sociale : au service de millions de familles, ces professionnels se disent non-reconnus alors même qu’elles remplissent des fonctions de passeurs ou tisseurs de lien social sur des territoires parfois dépourvus de services publics.
Tisser du lien social, accompagner, être solidaire s’ancrent souvent pour ces professionnels dans des réalités quotidiennes à forte charge mentale. Voici le témoignage d’Isabelle :
Vous voyez ce costume ? C’est celui de M. Duval. Il a 93 ans. Il m’a confié ce costume car le jour où il partira il veut être enterré avec ce costume que sa femme lui avait offert. Ses enfants sont loin le jour où ça arrivera il n’y aura que moi. Il est tout seul. C’est important pour lui et pour moi. Bien sûr je sais où se trouvent tous les papiers pour faire les démarches.

La question de l’invisibilité sociale renvoie à la problématique des reconnaissances de ces métiers qui, sous couvert, d’être « naturellement » féminins, ne sont pas élevés au rang de véritables professions au sens qu’ils demandent des compétences particulières.
Le champ des services à la personne n’est pourtant pas un secteur d’emploi comme les autres. En France, il a fallu des années de combats, de luttes, d’échanges, de co-construction avec les politiques publiques, les institutionnels, les syndicats pour arriver à promouvoir les millions d’emplois qui sont en jeu.
La question est dérangeante mais pourtant nécessaire : n’y a-t-il pas une volonté pérenne de « cacher » ces emplois sous prétexte que les pouvoirs publics ne peuvent répondre à leurs obligations, notamment envers les personnes les plus fragilisées ? Les presque deux millions de salariés du secteur, ou plus justement salariées, s’attachent quotidiennement à pourvoir à des missions de service public sur des territoires français et métropolitains où ce dernier se fait rare. L’assistante de vie est celle à qui l’on confie le système d’appel d’urgence si un ou plusieurs de ses employeurs ont un souci, parce que les pompiers sont loin, parce que les services d’urgence de l’hôpital ne sont qu’accessibles après des dizaines de kilomètres.
Toutes les recherches menées par la direction scientifique et les entretiens associés auprès des professionnels, confortent notre idée selon laquelle les pratiques quotidiennes s’inscrivent dans des symboliques fortes de sens : le meilleur exemple en est la clé de la maison. Qui aujourd’hui confie ses clés à un inconnu ou presque ? De quelle relation parlons-nous lorsqu’au-delà d’une relation professionnelle se crée une relation de confiance pouvant engager des responsabilités accrues, quand une urgence se fait jour ?
Travailler à la reconnaissance de ces métiers c’est réfléchir à la responsabilité de la société toute entière sur les enjeux donc nous sommes acteurs. Le vieillissement de la population, la place et les difficultés des aidants professionnels et informels, l’intégration des personnes en situation de handicap, le non-respect des obligations éducatives envers certains enfants comme ceux souffrant d’autisme etc. sont des réalités devant lesquelles des millions de familles se doivent de trouver des solutions.
Si nous osions, nous ferions des professionnelles rencontrées des praticiennes de la philosophie de Jacques Derrida (XXXX):
C’est au moment du “je ne sais pas quelle est la bonne règle” que la question éthique se pose. (…) Ce moment où je ne sais pas quoi faire, où je n’ai pas de normes disponibles, où je ne dois pas avoir de normes disponibles, mais où il faut agir, assumer mes responsabilités, prendre parti
De ces actes quotidiens de solidarité se nouent et se créent cette éthique de proximité et de responsabilité où les normes, les instants, les temps, les silences, les espaces sont autant d’axes de travail pour nous. De la nécessaire vision inclusive de la société dans le secteur des services à la personne, notre approche méthodologique se fonde sur une conviction assumée : la complexité des situations ne peut s’aborder qu’en pensant dans une dimension complexe. Ici la complexité n’est pas une difficulté, elle est un postulat.
Nous avons cadré notre travail sur une posture méthodologique spécifique. Nous avons emprunté ce concept à Russel (2005) qui se réfère directement à Bronfenbrenner’s (1977), ce dernier ayant développé le modèle écologique de développement.
Quatre variables sont à prendre en compte :
- le microsystème constitué de la famille du bénéficiaire et des autres contextes dans lesquels celui-ci évolue dont le recours aux services à la personne fait partie ;
- le mésosystème correspond au contexte dans lequel les différents milieux de vie entrent en relation ;
- l’exosystème s’ancre dans les lois et les règlements ;
- le macrosystème qui est lié aux valeurs de la société.
A cela, nous prenons le soin de considérer le domicile où se font les interventions comme un axe d’investigation à part entière. Nous posons la sémantique de domicile investi : ce domicile où se crée la confiance entre le salarié et le bénéficiaire ; ce domicile investi par des souvenirs familiaux plus ou moins heureux ; ce domicile où des apprentissages mutuels s’opèrent ; ce domicile privé devenu quelques heures par semaine lieu de liens sociaux.
Le triangle éthique proposé par Paul Ricoeur (1977) rappelle combien la sollicitude ne s’écrit que dans les relations croisées entre un « Je », un « Tu » et un « Il ». Se reconnaitre, le reconnaitre, nous reconnaitre impliquent liberté, réciprocité et justice.
Le parcours de reconnaissance de ces métiers invisibles, ancrés dans une disqualification sociale dont il reste les contours à déterminer, interroge sur ce qui est aujourd’hui, des solidarités de proximité forgées par la confiance. L’accès à la formation pour ces professionnels mais également les recherches -actions menées, avec une approche praxéologique, tendent à renforcer ce nécessaire déploiement de forces vives animées par la lutte contre l’isolement des personnes âgées et la désertification des territoires et services appropriés.
Nous emprunterons à Marcel Proust ces quelques lignes pour conclure nos propos :
Soyons reconnaissants aux personnes qui nous donnent du bonheur ; elles sont les charmants jardiniers par qui nos âmes sont fleuries.

Bibliographie :
Bronfenbrenner’s U., (1977). Toward an experimental ecology of human development. In American Psychologist, 32, 513-531.
Honneth A. (2002), La lutte pour la reconnaissance, Paris, Editions du Cerf
Lhotellier, A. et St-Arnaud, Y. (1994). Pour une démarche praxéologique. Nouvelles pratiques sociales, 7
Paugam, S. (2014), L’intégration inégale. Force, fragilité et rupture des liens sociaux, Paris : PUF
Ricœur, P. (1955) Le socius et le prochain in Histoire et vérité, Paris, Seuil, p. 107.
Ricœur, P. (1990) Soi-même comme un autre, Paris, Seuil
Tocqueville, M., Bedel, C., A. Touahria-Gaillard (sous la dir. D’I. Puech), (2016), Etude sur les assistants de vie, Iperia les Editions



Sitographie :
Fondation de France, (2014), Les solitudes en France, https://www.fondationdefrance.org/sites/default/files/atoms/files/solitudes142_0.pdf, l’observatoire de la Fondation de France

Résumé en Anglais


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