Fiche Documentaire n° 4889

Titre Pour des pratiques et des politiques sociales émancipatrices

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Auteur(s) BOUCHAT Damien
Donnet Nathalie
 
     
Thème  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

Pour des pratiques et des politiques sociales émancipatrices

Les logiques économiques et de gestion s’immiscent dans le champ du travail social, poussant les acteurs à développer des stratégies d’adaptation, de résistance, de contestation et de changement. Comment, en s’appuyant sur les initiatives qui proposent une alternative, promouvoir des politiques sociales émancipatrices ?
1.Les logiques qui gagnent le champ de l’intervention sociale
L’individu se voit enjoint de se produire lui-même (Ehrenberg, 1998). Un « individu-trajectoire », à la conquête de son identité personnelle et de sa réussite sociale, est sommé de se dépasser dans une aventure entrepreneuriale. De Gaulejac (2008) parle de procès de personnalisation. L’échec conduit à une blessure narcissique et à ce qu’il nomme la désinsertion sociale.
Les logiques économiques et de gestion structurent les relations sociales de notre société et envahissent le champ social par la domination de la responsabilité individuelle sur la responsabilité collective. Les crises sociales sont assimilées à des crises individuelles (Foucart, 2005). Dès lors que les services sociaux ne peuvent agir sur les conditions sociales, ils se focalisent sur l’état psychique de l’individu en mettant en œuvre des processus d’activation qui s’appuient sur des contrats sibyllins.
Des institutions sociales sont prises dans une contradiction qui consiste à affirmer la nécessité de la part des bénéficiaires d’être acteurs, citoyens, autonomes tout en ayant des modalités concrètes de fonctionnement qui sont objectivantes, normatives, bureaucratiques et favorisent la désinsertion sur les plans relationnel et symbolique. Les contraintes de gestion (ce qui semble faisable) l’emportent sur les attentes des usagers. L’individu devient objet de procédure.
2.Les acteurs et le système
Pour des ayant-droit, entrer dans une institution d’aide sociale est souvent vécu comme culpabilisant, stigmatisant et disqualifiant socialement. Pour exister en tant que sujet, ils peuvent choisir d’agir en dehors du système, de renoncer à leurs droits, au risque de perdre pied. Pour résoudre cette contradiction existentielle, mieux vaut parfois être sujet de désinsertion que de s’insérer en perdant sa dignité.
Les travailleurs sociaux et leurs organisations, adoptent, différents modes de gestion identitaire (Franssen, 2005). Certains se replient sur une définition minimale de leur rôle, une protection bureaucratique, un désinvestissement (mode de gestion anomique). D’autres adoptent un mode de gestion défensif : ils ne remettent pas en question le contexte, … D’autres enfin adoptent un mode de gestion offensif qui peut recouvrir différentes modalités : l’adaptation centrée sur une logique de professionnalisation; la logique revendicative axée sur la reconnaissance et l’obtention de moyens ; la révolte axée sur la remise en question des rapports sociaux et la lutte solidaire avec les exclus ou encore l’innovation qui consiste à agir sur les finalités en créant une alternative.
3.Pour des politiques sociales émancipatrices
Des espaces d’autonomie se créent, en dehors de la normalisation, de la standardisation, de la quantification pour des conduites non-conformes à l’injonction de l’aventure entrepreneuriale. Au sein de ces espaces d’échange souples, chaleureux, inscrits dans la durée, qui prennent en compte plus qu’ils ne prennent en charge, des ayant-droit peuvent se sentir reconnu dans leur potentiel d’autonomie et se reconstruire. Des «passeurs » (Jamoul, 2002) contribuent à tisser du lien et de la ré-affiliation. Partant du constat que la norme elle-même est le résultat d’un processus social qui produit de l’exclusion, des actions sociopolitiques dénoncent les contradictions du système, qu’elles soient institutionnelles ou identitaires, et proposent d’autres modes d’intervention et d’autres politiques sociales. Ceux-ci auraient tout avantage à se fonder sur la mise en réseau des ressources des ayant-droit et des travailleurs sociaux plutôt que de chercher à pallier des déficits.

Bibliographie

Boutinet, J-P. (2002). Questionnement anthropologique autour de l’accompagnement. EDUCATION PERMANENTE (153), 241-250.

Castel, R. (1995). Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat. Paris : Fayard.

de GAULEJAC, V., TABOADA LEONETTI, I. (2008). La lutte des places – sociologie clinique. Bruxelles : Desclée de Brouwer.

Dubet, F. (2006). Empan. Management et idéologie managériale, Au-delà de la crise : le cas du travail social. Eres (61).

Ehrenberg, A. (1998). La fatigue d’être soi : dépression et société. Paris : Odile Jacob.

Foucart, J. (2005). Relation d'aide, fluidité sociale et enjeux symbolico-identitaires. Pensée plurielle (10), 97-117. doi : 10.3917/pp.010.0097.

Franssen, A. (2005). État social actif et métamorphoses des identités professionnelles : Essai de typologie des logiques de reconstruction identitaire des travailleurs sociaux. Pensée plurielle (10), 137-147. doi : 10.3917/pp.010.0097.

Jamoulle, P. (2002). La débrouille des familles. Récits de vie traversés par les drogues et les conduites à risques. Bruxelles : De Boeck.

Présentation des auteurs

Nathalie Donnet est Maître-Assistante au département social de la Haute Ecole Namur LIège Luxembourg

Damien Bouchat est Coordinateur pédagogique et Maître-Assistant au département social de la Haute Ecole Namur LIège Luxembourg. Il est aussi conseiller à la formation à la Faculté Ouverte de Politique Economique et Sociale et chatgé de cours à l'Institut Provincial de Formation Sociale

Communication complète

Impliqués dans la formation des travailleurs sociaux et en contact régulier avec des partenaires de stage, nous observons et expérimentons constamment les tensions entre d’une part, le mandat professionnel qui nous sert de référence dans la formation des futurs travailleurs et d’autre part le mandat sociétal qui leur est imposé. Les logiques économiques et de gestion s’immiscent dans le champ du travail social. Sous prétexte d’efficience, elles enjoignent les institutions sociales de s’inspirer de pratiques qui sont peu adaptées à un contexte dont la relation n’est pas un moyen mais une fin. Elles poussent les acteurs, qu’ils soient accompagnants ou accompagnés, à développer des stratégies d’adaptation, de résistance, de contestation et de changement. Ceux-ci développent parfois des initiatives qui proposent des alternatives. Comment, en s’appuyant sur ces initiatives qui ouvrent des perspectives, promouvoir des politiques sociales émancipatrices ?
Les logiques qui gagnent le champ de l’intervention sociale
L’individu se voit enjoint de se produire lui-même (Ehrenberg, 1998). Un « individu-trajectoire », à la conquête de son identité personnelle et de sa réussite sociale, est sommé de se dépasser dans une aventure entrepreneuriale. De Gaulejac (2008) parle de procès de personnalisation. L’échec conduit à une blessure narcissique et à ce qu’il nomme la désinsertion sociale.
Les logiques économiques et de gestion structurent les relations sociales de notre société et envahissent le champ social par la domination de la responsabilité individuelle sur la responsabilité collective. Les crises sociales sont assimilées à des crises individuelles (Foucart, 2005). Dès lors que les services sociaux ne peuvent agir sur les conditions sociales, ils se focalisent sur l’état psychique de l’individu en mettant en œuvre des processus d’activation qui s’appuient sur des contrats sibyllins.
Des institutions sociales sont prises dans une contradiction qui consiste à affirmer la nécessité de la part des bénéficiaires d’être acteurs, citoyens, autonomes tout en ayant des modalités concrètes de fonctionnement qui sont objectivantes, normatives, bureaucratiques et favorisent la désinsertion sur les plans relationnel et symbolique. Le moindre des paradoxes n’est sans doute pas qu’elles rejettent en partie ceux qui en auraient le plus besoin et par là même, deviennent productrices d’exclusion.
Les contraintes de gestion (ce qui semble faisable) l’emportent sur les attentes des usagers. Le bénéficiaire est invité à adapter sa demande à l’offre de l’institution. Le programme est pré établi. L’individu devient objet de procédure. Nous assistons à une procéduralisation comme le souligne M Autès (2013), c’est-à-dire à une gestion par la procédure et plus par la relation, comme si le travail social était un service comme un autre. Or, dans le travail social, l’ensemble des prestations sont au service de la relation. Le travail social n’est pas un service comme un autre dans la mesure où le service qu’il rend c’est la relation.
Les acteurs et le système
Les premiers acteurs concernés par ces évolutions sont les accompagnés et les accompagnants.
Pour des ayant-droit, entrer dans une institution d’aide sociale est souvent vécu comme culpabilisant, stigmatisant et disqualifiant socialement. Pour exister en tant que sujet, ils peuvent choisir d’agir en dehors du système, de renoncer à leurs droits, au risque de perdre pied. Pour résoudre cette contradiction existentielle, mieux vaut parfois être sujet de désinsertion que de s’insérer en perdant sa dignité. C’est une des causes à l’origine du non-recours aux droits, certains refus d’être aidés peuvent être compris comme le refus d’une place assignée quand cette place est disqualifiante.
Les travailleurs sociaux et leurs organisations, adoptent, différents modes de gestion identitaire (Franssen, 2005). Certains se replient sur une définition minimale de leur rôle, une protection bureaucratique, un désinvestissement (mode de gestion anomique). D’autres adoptent un mode de gestion défensif : ils ne remettent pas en question le contexte, … D’autres enfin adoptent un mode de gestion offensif qui peut recouvrir différentes modalités : l’adaptation centrée sur une logique de professionnalisation; la logique revendicative axée sur la reconnaissance et l’obtention de moyens ; la révolte axée sur la remise en question des rapports sociaux et la lutte solidaire avec les exclus ou encore l’innovation qui consiste à agir sur les finalités en créant une alternative.
Pour des pratiques et des politiques sociales émancipatrices
Des espaces d’autonomie se créent, en dehors de la normalisation, de la standardisation, de la quantification pour des conduites non-conformes à l’injonction de l’aventure entrepreneuriale. Au sein de ces espaces d’échange souples, chaleureux, inscrits dans la durée, qui prennent en compte plus qu’ils ne prennent en charge, des ayant-droit peuvent se sentir reconnu dans leur potentiel d’autonomie et se reconstruire. Des «passeurs » (Jamoul, 2002) contribuent à tisser du lien et de la ré-affiliation.
Partant du constat que la norme elle-même est le résultat d’un processus social qui produit de l’exclusion, des actions sociopolitiques dénoncent les contradictions du système, qu’elles soient institutionnelles ou identitaires, et proposent d’autres modes d’intervention et d’autres politiques sociales. Ceux-ci se fondent sur la mise en réseau des ressources des ayant-droit et des travailleurs sociaux plutôt que de chercher à ce que les uns pallient les déficits des autres.
Au fondement des pratiques émancipatrices se trouve un enjeu : repérer les potentialités d’une population pour qu’elle prenne la maîtrise de son cadre de vie, à travers la prise de conscience de ses problèmes, la définition d’objectifs communs, la réalisation d’actions concrètes valorisantes pour les individus, les groupes et le milieu (Dumas et Séguier, 1997). Cet objectif qui a pour visée de contribuer au développement social local, implique d’intégrer les personnes comme des acteurs porteurs de projets au travers d’un processus de conscientisation, des acteurs capables d’autonomie au travers d’un processus d’organisation, des acteurs capables d’exercer un pouvoir au travers d’un processus de mobilisation (Paul, 2016).
Et des travailleurs sociaux formés à leur mise en œuvre
Si l’engagement dans des politiques sociales qui favorisent l’émancipation est surtout déterminé par les possibilités et les conditions de leur mise en œuvre sur le terrain, il est aussi conditionné par les contenus de la formation initiale et continue.
Le système de base de formation du travail social a été inspiré du contexte des années 60 qui visait à réadapter individuellement les inadaptés sociaux. L’approche curative a pris le pas sur l’approche préventive. Si la singularité de certaines situations nécessite une écoute individualisée et une attention particulière, la dimension collective et sociétale des problèmes sociaux et des inégalités exige une orientation complémentaire. L’être humain est à la fois un être singulier et un être social. En travail social collectif, la posture attendue n’est pas tant dans une expertise sur les autres que dans une expertise avec les autres. L’enjeu est de passer du modèle de l’expert, inspiré du modèle médical, au modèle du catalyseur qui permet que la réaction se produise, puis se retire (Dagbert, 2015).
Les causes des problèmes sociaux sont complexes et sont reliées à des facteurs d'ordre individuel, familial, aux groupes, aux organismes et aux communautés. Cette interrelation des différents facteurs doit être reconnue non seulement au plan de la définition des problèmes mais aussi au niveau des moyens utilisés pour les réduire. Offrir des services afin de répondre à des besoins individuels et rechercher des réponses aux enjeux collectifs doivent être pensés de manière globale et articulée au travers d’une intervention sociale intégrée. Dans son sens le plus large, les intervenants définissent celle-ci comme le fait d’utiliser les 3 méthodes en travail social, individuel, de groupe et communautaire. Il nous semble essentiel d’insister sur certaines caractéristiques : permettre l’entrée en scène des usagers dans la définition de l’action collective en promouvant une dimension plus collaborative suppose que l’expert n’est plus le seul détenteur de « savoirs » ; il doit pouvoir reconnaître des savoirs d’expérience à mobiliser pour la coproduction d’actions. Dans ce cadre, le travail sur l’engagement en tant qu’acteur devient intrinsèque au mandat et demande créativité, inventivité. En effet, si les situations sont moins lisibles, les normes d’actions sont discutables, les procédures sont à chaque fois à renouveler, loin de la routine.
Ce type d’approche associe le développement humain à une approche territorialisée où, sans compartimentation, sont construites des réponses multidisciplinaires dans des lieux d’actions intégrés. Différents types de savoirs (dont les savoirs indigènes et en situation) sont articulés, au service de la coconstruction des situations problèmes et des buts à atteindre dans un langage commun nécessitant concertation et temporalité ouverte.

Résumé en Anglais


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