Fiche Documentaire n° 4905

Titre L’esprit de solidarité peut-il être objet d'apprentissage pour les managers de l’action sociale ?

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Auteur(s) TRUBERT Olivier  
     
Thème  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

L’esprit de solidarité peut-il être objet d'apprentissage pour les managers de l’action sociale ?

Psychologue travaillant dans le champ des formations au management, j’ai pu observer de près les tendances managériales à l’œuvre dans notre secteur, ainsi que leurs effets sur la dynamique des équipes de professionnels.
Le secteur social et médico-social français a entamé une transformation en profondeur ces dernières années, caractérisée par la responsabilisation des individus, l’évaluation des parcours d’accompagnement et la méthodologie de projet comme axe principal de l’accompagnement des usagers et comme colonne vertébrale du management des équipes, sous l’impulsion notamment de plusieurs réformes successives (cf. Bibliographie).

En terme managérial, cette logique de professionnalisation renvoie aux sources étymologiques du management, à savoir maneggiare (mener vers un objectif) et/ou mesnager (gérer ses biens). Le « bon manager » est donc celui qui conduit un individu ou un groupe vers un but. Par extension, le projet, comme méthode phare de l’intervention sociale, semble être la méthode princeps pour parvenir à cette fin.

De l’autre côté, il est possible de définir la notion de solidarité (in solido) comme l’obligation faite à plusieurs personnes de s’engager de manière collective et interdépendante pour un tout.
La professionnalisation des managers fait donc écho à la notion de solidarité, de par le primat de la méthodologie de projet comme outil principal de l’intervention sociale, puisqu’elle implique « un travailler ensemble » en vue de répondre à l’atteinte d’un ou plusieurs objectifs.

Cette proposition de communication constituera un témoignage et une réflexion personnelle concernant l’impact de certaines formes de management sur la capacité des professionnels à agir entre eux de manière solidaire et sur leur capacité à agir dans un esprit de solidarité avec les personnes accompagnées. Elle interrogera aussi les contenus de formation et les modalités d’accompagnement des étudiants concernant le management d’équipe et de proximité. Elle s’appuiera sur un exemple de contenu de formation de cadres intermédiaires, décliné à titre d’illustration, et soulèvera plusieurs questions :
- Comment rendre compatible cette notion de management avec celle de solidarité, forcément liées l’une à l’autre si l’on considère que le lien social d'engagement et de dépendance réciproque entre des personnes existe au sein d’une organisation de travail ?
- Le danger n’est-il pas que, sous la contrainte gestionnaire, le management par projet fasse la part belle à des dimensions opératoires au détriment de la dimension solidaire ?
- Une conception uniquement opératoire du projet ne peut-elle pas produire une vision dans laquelle la variabilité humaine en termes de conduite et de comportement peut être considérée sur le plan managérial comme « problématique » ?
- Sur le plan formatif, l’enjeu n’est-il pas, pour les formateurs, de mettre l’accent sur la notion de transmission des solidarités ?

Enfin, je conclurai sur deux formes de positionnement managérial m’apparaissant pertinentes :
- Le management fondé sur le leadership dans la conception développée par Mary Parker Follet ;
- La promotion de la conflictualité dans les équipes au sens psychosociologique du terme.

Bibliographie

Boutinet, J-P (1998). Anthropologie du projet, Paris, P.U.F

Boutinet, J-P (1993). Psychologie des conduites à projet, Paris, P.U.F

Diet, A-L (2011). Se soumettre ou résister ?, Connexions N°95, ERES

Eirenberg , A (1998) La fatigue d'être soi, Paris, Odile Jacob

Melier, D (2003). Conflits, conflictualité et fonction contenante, Cliniques méditerranéennes N°68, ERES

Mousli,M (2000). Mary Parker Follett, pionnière du management (série recherche N°2), Paris, Librairie des Arts et Métiers.

Soula Desroche,M (2013). L'analyse d'institutions sous une emprise gestionnaire, Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe N°61, ERES

La loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale

La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté de personnes handicapée

La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance

Présentation des auteurs

Olivier Trubert
Responsable des formations de niveau 1 en management et ingénierie sociale à l'IRTS Normandie Caen
Formation :
DESS de Psychologie
Master 2 en Management des organisations sociales

Communication complète

L’esprit de solidarité peut-il être objet d'apprentissage pour les managers de l’action sociale ?

Psychologue travaillant dans le champ des formations au management, j’ai pu observer de près les tendances managériales à l’œuvre dans notre secteur, ainsi que leurs effets sur la dynamique des équipes de professionnels.
Le secteur social et médico-social français a entamé une transformation en profondeur ces dernières années, caractérisée par la responsabilisation des individus, l’évaluation des parcours d’accompagnement et la méthodologie de projet comme axe principal de l’accompagnement des usagers et comme colonne vertébrale du management des équipes, sous l’impulsion notamment de plusieurs réformes successives (cf. Bibliographie).

En terme managérial, cette logique de professionnalisation renvoie aux sources étymologiques du management, à savoir maneggiare (mener vers un objectif) et/ou mesnager (gérer ses biens). Le  «  bon manager » est donc celui qui conduit un individu ou un groupe vers un but. Par extension, le projet, comme méthode phare de l’intervention sociale, semble être la méthode princeps pour parvenir à cette fin.
De l’autre côté, il est possible de définir la notion de solidarité (in solido) comme l’obligation faite à plusieurs personnes de s’engager de manière collective et interdépendante pour un tout.
La professionnalisation des managers fait donc écho à la notion de solidarité, de par le primat de la méthodologie de projet comme outil principal de l’intervention sociale, puisqu’elle implique « un travailler ensemble » en vue de répondre à l’atteinte d’un ou plusieurs objectifs.
Les éléments présentés forment un témoignage et une réflexion personnelle concernant l’impact de certaines formes de management sur la capacité des professionnels à agir entre eux de manière solidaire et sur leur capacité à agir dans un esprit de solidarité avec les personnes accompagnées dans le cadre du management « de et par » projet.

Concernant la fonction de chef de service, l’IRTS Normandie-Caen propose dans le déroulé pédagogique de la formation un contenu d’Accompagnement à la Fonction Cadre. Ce contenu repose essentiellement sur un échange en lien avec les pratiques professionnelles et une mise en commun de retour d’expérience concernant le positionnement de cadre intermédiaire.
Certaines thématiques en lien avec le management d’équipe apparaissent comme récurrentes depuis plusieurs années, au nombre desquelles il est possible de citer :

La responsabilisation des acteurs au sein de l’organisation de travail ;
Le management participatif ;
La conduite du changement.

Ces thématiques sont directement reliées aux questions de cohésion d’équipe et à celles concernant la solidarité interprofessionnelle.

La responsabilisation des acteurs : Le management de et par projet produit une dynamique proche de la notion d’empowerment. Il est coutumier de présenter l’empowerment comme une modalité de travail produisant une certaine valorisation des activités fournies par un professionnel se trouvant dans cette situation d’autonomisation. Sans remettre en doute les avantages certains de l’empowerment, on peut légitimement se poser la question de l’effet de tels niveaux de responsabilisation sur le psychisme de certains professionnels. Cette façon de penser le travail se doit d’être finement accompagnée afin de ne pas produire, par excès de confiance dans la méthode, une forme de fatigue professionnelle au détriment de l’effet escompté initialement : un regain de motivation par une responsabilisation plus importante. En effet, un management par projet introduit une logique de management par objectifs. Par soucis d'harmonisation des pratiques professionnelles cet état de fait ferait migrer les professionnels d'un travail définit par leurs fonctions, dans laquelle la dimension d'exécution prime, à un travail traduit en objectifs dans lequel le niveau de responsabilisation passe avant tout autre forme de considération. Ces logiques de performance peuvent avoir pour conséquence sur l'usager, mais aussi sur le professionnel de l’organisation concernée, de devoir se confronter à une injonction à se situer dans une logique volontariste favorisant la mise en concurrence des individus. Ehrenberg nous avertit en ce sens en stipulant que  « le développement de ce type de logique s’accompagne d’une augmentation de la souffrance psychique car un vécu professionnel uniquement marqué par la performance se présente comme une maladie de la responsabilité dans laquelle domine le sentiment d’insuffisance. »Comme le souligne Ehrenberg la pression implicite est de «produire l'effort de devenir soi-même», avoir un projet de vie pour l'usager, s'inscrire dans un projet professionnel pour le salarié.Il ne s'agit pas de fustiger les logiques d'empowerment qui ont de plus en plus cours dans nos organisations de travail mais plutôt de d'inscrire la réflexion collective et individuelle concernant ces pratiques dans un espace permettant d'avoir constamment à l'esprit une forme de vigilance en lien avec de possibles dérives liées au management par projet.
Le management participatif
Le management participatif, pierre angulaire du management par projet est devenu le leitmotiv de beaucoup d’équipe de direction. Lorsque l'on évoque le management par projet, le management participatif s'avère être le pendant managérial de la logique projet. Cependant, il faut se garder de considérer les démarches participatives comme étant la panacée en termes de management par projet. En effet, trop souvent ces démarches sont appliquées de manière réflexe, comme si elles étaient porteuses de manière automatique de démocratie et de qualité au sein des organisations. Norbert Alter explique que le management participatif est susceptible de produire ses propres dérives. La consultation « à tout va » des équipes est trop compliquée à gérer et ne résiste pas à l’incertitude qu'elle génère. Mal pensées en amont, les modes de management participatifs vont à l'encontre, parfois, de l'objectif qui les sous-tend, c'est à dire, l'instauration d'une démarche démocratique dans la prise de décision ainsi qu'un renforcement du lien social au sein des organisations. Néanmoins, largement réfléchies en amont et bien menées ensuite, les démarches participatives permettent réellement le renforcement de l’adhésion collective à un projet ainsi que le renforcement de l'expression des professionnels.
La conduite du changement
Le projet, sur le plan managérial, n’est pas seulement un outil de mise en conformité réglementaire ou de développement de réponses innovantes en termes d’actions sociales dans un univers contraint. Il peut également se penser comme un outil de «gestion» de l’incertitude. De ce fait, il sous-entend un management dépassant la simple opérationnalité pensée sous l’angle du pilotage mais il nécessite une vraie réflexion sur l’ajustement entre acteur.
Le fait de concevoir le management par projet sous l'angle de la gestion de l'incertitude amène de manière quasi naturelle à interroger la conduite du changement. En effet, en termes de management par projet, la principale incertitude est à mettre en relation avec la notion de changement.Cette notion de changement dans les organisations est reliée le plus souvent à la notion de résistance dans sa version «négative» ou d'accompagnement dans sa version la plus «positive». Quoi qu'il en soit, elle est au cœur de nos préoccupations managériales depuis quelques années déjà. Norbert Alter déclare que la trajectoire se substitue au concept d’organisation, que celle-ci représente une succession infinie d’actions tendant à déformer des cadres organisationnels établis, puis à en construire de nouveaux. Le changement serait l’aboutissement de l’innovation (but final du projet), mais celle-ci n’est jamais aboutie. De ce fait, dans un souci d'efficacité managériale et pour prévenir un possible repli sur soi de la part des salariés il apparaît souhaitable d'accompagner psychologiquement ces mouvements du fait de leur irréductibilité plutôt que de les penser uniquement en termes de forces, de conflits ou d'opposition.
CONCLUSION 
On peut constater qu’un excès de responsabilisation, qu’un management participatif mal réfléchi ainsi qu’une conception classique du changement peuvent être des facteurs de déliaisons au sein d’équipes de travail. En prenant un raccourci on pourrait considérer que ce qui est sensé produire de la solidarité entre professionnels peut potentiellement produire l’effet inverse.Aux vues de ce constat, deux pistes de travail apparaissent pertinentes. Travailler le positionnement managérial selon deux axes : celui du leadership et celui de l’accompagnement de la conflictualité. Le management actuel (essentiellement par projet) nécessite de plus en plus que le manager-expert, celui qui sait, s’efface au profit d’un manager-leader. C’est à dire celui qui occupe une fonction d’incarnation du projet avec toute la variabilité humaine que ce glissement de posture présuppose. Cette vision nous apparaît encore à bien des égards comme nouvelle et s'inscrivant réellement dans une vision du management permettant l'expression de solidarités interprofessionnelles nécessaires au management par projet. Il nous apparaît essentiel d'encourager les cadres du secteur social et médico-social à investir ces approches afin d'optimiser la capacité des professionnels à agir de manière solidaire entre eux et surtout envers les usagers qu'ils se doivent d'accompagner.

Résumé en Anglais


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