Fiche Documentaire n° 4937

Titre Ecrire: quand les étudiants s'emmêlent, puis s'en mêlent

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l'auteur principal

Auteur(s) HEES Cécile  
     
Thème Analyse d'une démarche de conscientisation et d'intervention autour de l'écrit menée par des enseignants et des étudiants  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

Ecrire: quand les étudiants s'emmêlent, puis s'en mêlent

Depuis la fin de l’année 2015, nous menons quelques collègues et moi, avec des étudiants de notre Haute Ecole, une réflexion sur le rapport que ces derniers entretiennent avec l’écrit.
« Faut-il encore le rappeler, beaucoup de nos étudiants peinent avec l’écrit.
Cette compétence supposée acquise ne l’est pas (plus ?) suffisamment, au point que nous ne pouvons plus évacuer cette question de nos préoccupations d’enseignants.
En effet, la compétence en écriture constitue un critère incontournable de réussite scolaire, dit-on.
(Quoi que si les étudiants sont entrés dans le supérieur, c’est qu’ils ont réussi leur enseignement secondaire, malgré, ou avec ces difficultés, ce qui peut nous laisser songeurs quant au travail réalisé en amont dans ce domaine).
La réponse institutionnelle la plus fréquemment donnée aux difficultés en écriture, proposée par les enseignants, pour les étudiants, relève d’une lecture causale linéaire (si les étudiants ont des difficultés en écriture, c’est qu’il leur manque des outils, donc donnons-leur des outils pour qu’ils écrivent mieux) qui omet une part de la complexité de la problématique. Il en ressort une série de remédiations diverses (exercices dirigés, aide à la réussite, outils informatiques) qui requièrent de la part des enseignants temps et énergie pour un résultat pour le moins discutable (nombre d’étudiants qui en bénéficient= limité, nombre d’étudiants qui après remédiation écrivent correctement = limité). Ce qui ne met nullement en cause les compétences des enseignants en la matière, le problème n’est pas là ! »

Nous pensons que cette problématique relève de dimensions qui dépassent la seule question de lacunes en orthographe et qu’elle renvoie à des composantes multiples telles que sociologiques (par exemple touchant à des questions d’égalité, de justice sociale d’oppression), pédagogiques (comment l’enseignement fondamental et secondaire s’est-il emparé de ces questions ?), politiques (prééminence de questions économiques à court terme l’emportant sur des priorités éducatives), anthropologiques (chocs de cultures confrontant traditions orales et civilisations ancrées dans l’ère de l’écriture), etc.

Nous sommes également convaincus que si nous voulons y apporter des réponses à court, moyen et long terme, en tenant compte de sa complexité, la démarche doit passer par une approche multidimensionnelle intégrant les enjeux des divers acteurs concernés.

Dans cette communication à la frontière du 2ème et du 3ème axe du congrès de l’AIFRIS, je voudrais examiner en quoi cette préoccupation et le travail que nous menons à l’école s’articulent avec la notion de solidarité.
Est-ce que chercher à comprendre de façon collective la problématique du rapport que les étudiants entretiennent avec l’écrit, s’occuper de ce problème avec eux, considérer qu’il est notre affaire à tous constituent des ingrédients relevant de la solidarité ?
Les diverses initiatives prises par les collègues constituent-elles autant d’occasions de « transmettre » la solidarité dans le sens de « se propager » - plutôt que dans celui de s’enseigner ?

Dans la démarche que nous menons, j’ai personnellement en toile de fond les repères principaux de l’approche centrée sur le développement du pouvoir d’agir. Ils me servent de guides tant dans l’entreprise dans laquelle je me suis engagée avec mes collègues et les étudiants, que dans l’analyse que j’en ferai dans cet écrit.
Je commencerai par exposer la problématique du rapport des étudiants à l’écrit et la façon dont nous nous en sommes emparés dans notre Haute Ecole.
Dans un second temps, je développerai comment je comprends, à la lecture de différents auteurs, la notion de solidarité, pour enfin analyser si, et le cas échéant, comment notre démarche s’inscrit dans un processus de développement de solidarités locales et globales.
Je tenterai de dégager quelques pistes de réflexion et d’action pour la suite.

Bibliographie

Sources provisoires :

Blais M.-C. « La solidarité », Le Télémaque, 1/2008 (n° 33), p. 9-24.
de Lurdes Baptista Quaresma M. La solidarité : son expression, ses formes. Une réflexion sur le concept de solidarité.
Ion J. Le travail social en débat(s), La Découverte, Paris, 2005
Le Bossé Y. Sortir de l’impuissance, Ardis, Québec, 2012
Wuillème T. « Marie-Claude BLAIS, La solidarité. Histoire d’une idée », Questions de communication, 13 | 2008, 402-406.
Viévard L.

Présentation des auteurs

Psychologue de formation, j’enseigne dans une Haute Ecole en section Assistant Social.
Formations: Systémique, Eleuthéropédie, Méthode Rességuier et Approche centrée sur le Développement du Pouvoir d'Agir avec Y. Le Bossé.
Activités professionnelles: enseignement, pratique clinique en cabinet privé, formations, intervisions et supervisions d’équipe.

Communication complète

Ecrire : quand les étudiants s’emmêlent, puis s’en mêlent


Enseignante en Haute Ecole dans la section Assistant Social, j’y assure également la coordination de la première année du bachelier.
Depuis plusieurs années, nous constatons, mes collègues et moi que beaucoup de nos étudiants rendent des travaux truffés de fautes d’orthographe et de syntaxe, d’expressions utilisées à mauvais escient, de contresens, etc. La compétence en écriture supposée acquise dans le supérieur ne l’est pas (plus ?) suffisamment et son déficit nous interpelle, nous plonge dans le désarroi tant le fossé entre le résultat produit par les étudiants et celui attendu par enseignants est parfois grand.
Le constat nous préoccupe d’autant plus que de nombreuses recherches indiquent que la compétence en écriture constitue un critère incontournable de réussite scolaire .
C’est pour cette raison que depuis la fin de l’année 2015 nous élaborons quelques collègues et moi, avec des étudiants des trois années de la section Assistant Social de notre Haute Ecole, une réflexion sur le rapport que ces derniers entretiennent avec l’écrit.

Dans cette présentation, je voudrais dans un premier temps rendre compte de la façon dont nous nous sommes emparés de ce problème pour tenter d’y répondre de façon nouvelle, avec les étudiants. Je voudrais également mettre en évidence comment ce processus de réflexion marque, selon moi, une évolution du rapport entre les étudiants et les enseignants dans notre institution. Enfin, je proposerai une réflexion sur les liens entre notre démarche et la notion de solidarité.

Dans l’entreprise que nous menons avec mes collègues et les étudiants, j’ai personnellement en toile de fond les repères principaux de l’approche centrée sur le développement du pouvoir d’agir . Ils me servent également de guides pour cette présente analyse.

1. Au commencement était le - peu de - verbe ou : quel est le problème et qui est concerné par ce problème ?

1.1. Contexte
De nombreux étudiants remettent des travaux écrits (dont le travail de fin d’études) se révélant parfois presque illisibles tant la construction des phrases, l’orthographe et la syntaxe sont défectueuses.
Du côté des enseignants, il en résulte des difficultés à différents niveaux : pour comprendre les écrits des étudiants, pour donner une note à leurs travaux (faut-il tenir compte de l’orthographe et de la syntaxe ?), pour remédier à ces difficultés (en avons-nous les moyens ?). Il en résulte également certaines inquiétudes touchant à l’avenir professionnel de ces étudiants, à l’image de l’école (quand des lecteurs extérieurs lisent des travaux de fin d’études truffés de fautes) et à la signification de ces lacunes (témoins d’une construction de la pensée elle-même en souffrance ? Témoins d’un rapport aux règles et codes sociaux qui deviendrait secondaire, voire insignifiant pour les étudiants ? Témoins d’un système d’enseignement fondamental et secondaire défaillant sur ces apprentissages ? Etc.), et d’autres encore à explorer.
Du côté des étudiants, de premières données ont été recueillies auprès d’une quarantaine d’entre eux en 1ère année, et d’une vingtaine de 2ème année.
Les problèmes soulevés par ceux qui considèrent qu’ils éprouvent des difficultés à écrire correctement sont les suivants : la capacité d’écrire un texte constitue une compétence qu’ils ne maitrisent pas et qui peut les mettre en échec sans qu’ils voient comment progresser (« On traîne ça comme un boulet et ça nous décourage si en plus on est pénalisé là-dessus », « Le temps qu’on met pour la forme, on ne l’a plus pour le fond »). Ils disent avoir le sentiment que « c’est trop tard » pour évoluer dans cette compétence. Beaucoup estiment toutefois que la forme d’un texte est importante (« ça donne du crédit », « c’est une marque de respect ») et que le fait de pénaliser les fautes oblige à y être attentifs. Les étudiants signalent aussi une grande diversité d’attitudes et d’exigences des enseignants autour de l’écrit : certains tiennent compte de la forme, d’autres pas, le nombre d’erreurs tolérées par page varie d’un professeur à l’autre. Cette diversité d’attitudes révèle un flou quant à la valeur et au poids à donner à la compétence à l’écrit. Nous pouvons faire l’hypothèse que ce flou contribue à justifier un investissement mitigé de la part des étudiants dans l’idée que si un texte mal orthographié « passe » avec certains professeurs, on a peut-être une chance que « ça passe » pour le diplôme également.

Ce premier relevé de « problèmes » liés à l’écrit, à ses exigences, à son rôle et à ses prérequis nous donne un aperçu de la complexité et de l’aspect multidimensionnel de la question. Il semble donc nécessaire pour avancer de tenir compte de cette complexité tout en nous accordant sur les priorités que nous voulons nous donner, enseignants, direction et étudiants réunis .

En effet, jusqu’ici, la réponse institutionnelle la plus fréquemment donnée aux difficultés en écriture est proposée par les enseignants, pour les étudiants. Elle relève d’une lecture causale linéaire qui identifie un « problème » : si les étudiants ont des difficultés en écriture, c’est qu’il leur manque des outils ; et propose un type de réponse : donnons-leur des outils pour qu’ils écrivent mieux.
Il en ressort une série de remédiations diverses (exercices dirigés, aide à la réussite, outils informatiques) qui requièrent de la part des enseignants temps et énergie pour un résultat pour le moins discutable (le nombre d’étudiants qui en bénéficient est limité, et le nombre d’étudiants qui après remédiation écrivent correctement est lui aussi limité ; de plus, la plupart du temps, ceux qui vont en remédiation ne sont pas ceux qui en ont le plus besoin). Ce qui ne met nullement en cause les compétences des enseignants en la matière, la question n’est pas là ! Il semble plutôt que les solutions proposées reposent sur une lecture de la problématique réalisée de façon unilatérale et qui omet une bonne part de sa complexité.

C’est pour sortir de cette vision simplificatrice que nous avons décidé d’aborder le problème d’une façon nouvelle
- en posant comme donnée de départ que les difficultés que les étudiants entretiennent avec l’écrit relèvent de dimensions qui dépassent la seule question des lacunes en orthographe et qu’elles renvoient à des composantes multiples telles que sociologiques (par exemple touchant à des questions d’égalité, de justice sociale, d’oppression), pédagogiques (comment l’enseignement fondamental et secondaire se sont-ils emparés de ces questions ?), politiques (prééminence de questions économiques à court terme l’emportant sur des priorités éducatives), anthropologiques (chocs de cultures confrontant traditions orales et civilisations ancrées dans l’ère de l’écriture), etc. ;
- en décidant que nous y pouvons quelque chose ;
- en affirmant que si nous voulons y apporter des réponses à court, moyen et long terme, la démarche doit intégrer les étudiants.

1.2. Comment avons-nous démarré le projet ?

Il nous semblait que pour sortir de la plainte et des constats isolés (mais répétés), nous devions en faire une question institutionnelle mobilisant le plus largement possible l’équipe pédagogique. Dans cette optique, nous avons favorisé la participation d’un maximum de personnes en soutenant toutes les initiatives et en veillant à ce que chaque enseignant désireux de participer agisse à sa mesure, à son niveau, en termes de « petits pas », selon l’écologie de chacun.
La création d’un tel climat nous paraissait d’autant plus nécessaire qu’à partir du moment où nous avons décidé de traiter de la question de l’écrit comme d’un problème qui nous concerne tous, nous opérions au sein de l’institut un changement de culture/posture avec les étudiants.
En effet, la plupart du temps, lorsque nous enseignons, nous abordons des problématiques sociales extérieures à nous et à notre institution avec les étudiants. Nous nous situons comme les experts d’un savoir, certes que nous pouvons soumettre à la question et que nous pouvons remettre en question, mais que nous considérons comme préexistant à la relation, résultant d’une expérience professionnelle avérée ou de connaissances acquises.
Dès que nous considérons que le problème de l’écrit nous concerne autant que les étudiants, nous situons notre objet d’étude non plus à l’extérieur, mais à l’intérieur de notre école. Il en résulte un déplacement dans notre rapport au savoir et aux étudiants. Dès lors, enseignants et étudiants sont plongés dans le même bain quant à l’exploration de la question. Ces derniers prennent une place d’acteurs et d’interlocuteurs auprès des enseignants, dans la reconnaissance d’expertises différentes qui se complètent mutuellement.
Le soutien de la direction fut précieux pour cautionner et légitimer les démarches et pour explorer les ressources disponibles au sein de l’institution.

Ainsi, nous avons mené diverses actions autour de la question de l’écrit : une conférence pour la rentrée académique des enseignants tenue par P. Hambye, docteur en philosophie et lettres, un exposé du chroniqueur Paul Hermant pour la rentrée académique des étudiants.
Plusieurs professeurs étant prêts à se saisir de la question de l’écrit dans le cadre de leurs cours, ou parfois en dehors, ont pris des initiatives selon leurs disponibilités et contenus de cours pour aborder d’une façon ou d’une autre avec les étudiants la question de l’écrit. Des conseils de section (réunions rassemblant les enseignants de la section) AS ont à plusieurs reprises été l’occasion de faire état de ce qui était entrepris par certains enseignants.

La directrice de la recherche de l’école a également proposé de coordonner deux réunions sur l’année où chacun aurait l’occasion de rendre compte de ce qu’il aurait tenté avec les étudiants. Ceci pour nourrir la réflexion et soutenir les démarches entamées.
De façon parallèle, nous avons recueilli de nombreux articles, documents, titres de livres ou de films, résultats de recherches ou d’enquêtes, liens pour des conférences, comptes rendus d’expériences menées dans des associations ou autres écoles etc.

Toutes ces initiatives diversement modulées et plus ou moins formalisées ont contribué à faire vivre la question de l’écrit à l’école. En vertu de son caractère multidimensionnel, il nous paraissait important de soutenir cette mobilisation progressive, dans un premier temps quel qu’en soit le niveau. Ainsi, ne privilégiant aucune direction particulière, nous avons touché à des aspects tant personnel (par l’évocation de parcours scolaires différents par exemple), interrelationnel (autour de la question de l’entraide), institutionnel (cohérence entre professeurs), que politique (en soulevant la question de l’organisation de l’enseignement fondamental et secondaire autour de l’apprentissage de la langue française écrite). Nous pouvons considérer que cette approche par petites touches constitue une première étape dans la réflexion. Elle a fait émerger des questions et suscité des prises de conscience, participant à rendre la question de l’écrit plus collective.

Aujourd’hui, parmi les nombreux possibles, l’idée est de fédérer tout ce potentiel de façon organisée pour prendre des options et orienter nos actions vers des projets bien ciblés. Pour avancer de façon plus structurée, il conviendrait selon moi de préciser nos options et modes d’action :

- dans la définition de ce qui fait problème pour les enseignants et les étudiants, et éventuellement d’autres acteurs (enseignement secondaire),
- dans l’exploration des enjeux pour chacun des acteurs,
- dans la méthode choisie pour établir et préserver l’idée d’un partage d’expertises,
- dans l’inventaire des ressources disponibles,
- dans le passage à/par l’action à différents niveaux (individuels, interpersonnels, institutionnels, interinstitutionnel, politique) .
Il semble acquis que l’école va continuer de traiter la question. En cette fin d’année, des discussions sont en cours pour déterminer les budgets et temps disponibles à cet effet.


2. Liens avec la notion de solidarité

En quoi cette préoccupation et le travail que nous menons à l’école s’articulent-ils avec la notion de solidarité ?
A propos du rapport que les étudiants entretiennent avec l’écrit, il y a souvent une sorte de schisme entre ces derniers et les enseignants : d’un côté, les enseignants, avec des exigences et des attendus autour de l’écrit, s’appuyant sur le principe que ces compétences en écriture sont supposées acquises ; d’un autre côté, les étudiants se heurtant à des exigences qu’ils ne peuvent assumer faute d’outils.
« Quelque chose » ne tourne pas rond, crée des tensions, des échecs, une dysharmonie entre les protagonistes. Le tout constitué de ces deux groupes n’est pas solide ensemble. Les solutions proposées renvoient à des solidarités interpersonnelles (entre les étudiants) ou alors, pour reprendre les propos de M.C. Blais , à des politiques d’assistance aux plus démunis (remédiations, soutiens individuels), mais n’invoquent nullement la responsabilité collective.

En incluant les étudiants dans la réflexion sur leur rapport à l’écrit (ou nos rapports respectifs à l’écrit !), nous cessons de les considérer comme des « obstacles » à notre fonctionnement de professeurs. De « contre » ou « malgré » eux, nous proposons d’avancer « avec » eux. En cessant de nous limiter à chercher des pistes pour eux, et en veillant à les penser avec eux, nous sommes obligés d’aller à leur rencontre pour comprendre ce qui se joue pour eux autour de l’écrit, et de leur faire comprendre ce qui se joue pour nous autour de l’écrit. Et de voir comment faire se rencontrer nos enjeux respectifs.
Nous formons des étudiants à devenir de futurs assistants sociaux. Nous avons l’ambition de les outiller de façon à ce qu’ils puissent accompagner des personnes et agir sur les structures lorsqu’elles sont source d’oppression et d’injustice.
Toutefois, il y a parfois un décalage entre ce que nous enseignons à nos étudiants et la façon dont nous le faisons et le vivons à l’école. Or cette dernière peut constituer un très vaste terrain d’expérimentation et d’application de diverses méthodes, grilles de lectures et de positionnements développés aux cours.
Que ce soit dans nos contextes d’enseignement ou dans le cadre de la vie de l’école, nous pouvons saisir des occasions de nous prêter au jeu de ce que nous enseignons aux étudiants.
Ainsi, expérimenter avec les étudiants la négociation, le changement structurel au sein même de l’école, nous donner l’occasion de vivre cela ensemble en passant par l’action constituent certainement des moyens pédagogiques très puissants pour faire passer dans les mentalités des étudiants et des enseignants l’idée que nous pouvons agir sur les structures et que le faire ensemble peut être fédérateur et générateur de solidarités.
C’est ce que nous avons amorcé dans notre façon d’aborder la question du rapport à l’écrit.

Cela relève-t-il de la solidarité ?

Notre démarche vise à démêler les multiples enjeux intriqués dans la question de l’écrit pour essayer d’en dégager des pistes, et ce dans la co-construction.
Nous partageons un intérêt pour la question de l’écrit, mais peut-être pour des raisons et avec des motivations très différentes. A ce stade, nous pouvons parler d’une réflexion pragmatique nécessitant une réflexion concertée, partagée pour résoudre un problème.

S’accompagne-t-elle d’un sentiment collectif d’appartenance ?
Avoir le projet de résoudre un même problème, quelles qu’en soient ses multiples composantes, signifie-t-il être dans le même bain et unir les efforts pour une cause commune ?
Susciter une conscience davantage partagée et/ou collective des enjeux autour de l’écrit consiste-t-il à créer l’adhésion à une entreprise partagée ?

Actuellement, il me semble que si la solidarité n’est pas ce qui crée l’impulsion de notre démarche, il résulte de notre entreprise un liant duquel pourront peut-être se créer des solidarités.
Si le moteur n’est pas un sentiment de fraternité, de la fraternité et de l’entraide peuvent en résulter, ce qui constituerait certainement une très riche expérience humaine.

Il reste que pour moi un des enjeux majeurs de notre prise en main de la question de l’écrit consiste à développer une conscience partagée de l’existence d’aspects structurels participant au problème, de sorte que si des solidarités interindividuelles peuvent se développer, les solutions ne peuvent reposer sur ces seules pistes ; il est nécessaire que le problème soit en parallèle traité sur les plans institutionnel et politique. Je rejoins en cela la vision de P. Hambye selon lequel l’enseignement tel que conçu actuellement contribue à créer des inégalités. Les écarts se creusent entre les élèves. Selon Hambye, ces inégalités ne peuvent être résorbées par les enseignants que si l’ensemble de l’organisation du système scolaire se donne cela comme objectif. Il faudrait, pour que les choses changent, que l’émancipation des étudiants moins dotés soit au cœur du projet éducatif, ce qui relève d’un enjeu politique.
Je suis également convaincue que c’est la conjonction des efforts et la démultiplication des leviers de changement aux différents niveaux auxquels se joue la question de l’écrit qui permettront une évolution. C’est peut-être là que revient la question de la solidarité : serons-nous capables de créer assez de cohésion pour unir nos forces dans un but commun ?




Cécile Hees
Juin 2017




Bibliographie

ARDOINO, Jacques Communications et Relations Humaines (thèse de Doctorat de spécialité), cahier numéro 12 de la collection "Travaux et Documents" de l'Institut d'Administration des Entreprises de l'Université de Bordeaux, Bordeaux (4e 1.000) 1996.
BLAIS Marie-Claude La solidarité. Histoire d’une idée. Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque des idées, 2007, 347 p.
BLAIS Marie-Claude La solidarité, in Le Télémaque, 2008/1 n°33/pages 9 à 24.
DE LURDES Baptista Quaresma M. La solidarité : son expression, ses formes. Une réflexion sur le concept de solidarité.
HAMBYE P. et ROMAINVILLE A.-S. Maîtrise du français et intégration. Des idées reçues, revues et corrigées. Collection Guide, Fédération Wallonie-Bruxelles-Cultures, 2014, 35p.
ION Jacques Le travail social en débat(s), La Découverte, Paris, 2005.
LAHIRE Bernard La raison scolaire, Ecole et pratique d’écriture, entre savoir et pouvoir Paideia, 2008, Presses Universitaires de Rennes
LE BOSSÉ, Yann Sortir de l’impuissance. Invitation à soutenir le développement du pouvoir d’agir des personnes et des collectivités, Québec : Éditions Ardis.
VIEVARD Ludovic Les fondements théoriques de la solidarité et leurs mécanismes contemporains, Grand-Lyon Communauté Urbaine, Direction de la Prospective et du Dialogue Public, Lyon, 2012

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