LA MOBILITE DE STAGE A L’INTERNATIONAL, UNE MODALITE DE FORMATION A LA SOLIDARITE
Paul Mayoka, Socio-anthropologue – PhD,
Responsable du Développement International
Cadre pédagogique - coordinateur Erasmus
IFRASS – Institut de Formation, Recherche, Action Sanitaire et Social
Notre communication propose une orientation des mobilités de stage dans les pays dits du Sud. En effet, des retours d’expériences témoignent des situations d’engagement et de dépendance vécues sur le terrain disposant les acteurs au « mieux-être » d’autrui, parfois jusqu’à une forme d’obligation en commun qu’il est habituellement convenu de désigner par le vocable de « solidarité ». Pourquoi et Comment transformer celle-ci, non véritablement prise en compte par les projets formels de stage à l’étranger, en modalité formative pour l'étudiant, laquelle s'inscrirait par exemple dans les séquences pédagogiques traitant des valeurs et de leur place dans l'intervention sociale ?
1. La mobilité de stage comme projet de solidarité
Nous constatons que les étudiants, chargés de ce « baluchon » qu’est le projet de stage, se retrouve souvent désemparés une fois arrivés dans leur structure d’accueil à l’étranger. En effet, ils n’y trouvent pas facilement d’endroit où poser ce dernier, tant les rationalités à l’œuvre localement échappent à notre philosophie du projet et à la pédagogie que cette dernière infère.
Quelles que soient l’intensité et la pertinence de la préparation par laquelle l’étudiant serait passé, le terrain de stage à l’étranger se transforme fatalement pour lui en théâtre de logiques différenciées : les siennes propres et celles(s) de ses hôtes et leur environnement, pouvant facilement prendre la forme d'un inventaire d’antagonismes en tout genre. L’expérience d’un séjour à l’étranger aura alors été vécue dans l’absence ou le manque d’objet réductible à la trame du projet, ou en désespoir de cause dans l’embellissement anecdotique d’un ailleurs tellement euphorisant qu’il finit par être tenu pour indicible.
Nous ne remettons pas en question la démarche projet comme outil opératoire, mais comme moyen exclusif, mesure ou modèle de l’objet à travailler sur le terrain, surtout en situation de stage à l’étranger. Or il s’agit ici d’un terrain sur lequel on peut légitimement faire l’hypothèse d’autres modalités dans l’action sociale - entendue au sens large du sociologue Max Weber , c’est-à-dire un ensemble d’interactions entre individus et/ou groupes.
La démarche projet aurait dû n’être qu’un outil destiné à sécuriser « pédagogiquement » le parcours de l’étudiant à l’étranger, lequel devrait permettre l’ouverture et la découverte d’autres réalités et modes opératoires. Une telle approche constituerait forcément un enrichissement pour l’étudiant dont l’enjeu serait alors l’acquisition de compétences repérées comme universalisables, quelles que soient les activités voire les projets d’action dans lesquels l’étudiant se trouverait impliqués, en toutes circonstances de temps et de lieu.
Des compétences universalisables, il pourrait s’agir de la capacité à la relation, à l’écoute, à l’empathie, au soutien, à être avec… La plupart d’entre elles pourraient se retrouver dans le fait d’être solidaire à la fois des personnes « concernées » ou « accueillies », et des membres de l’équipe organisationnelle : professionnels ou bénévoles, permanents ou occasionnels.
Témoignage d’étudiants n° 1 : un projet de mobilité ouvert aux réalités locales
• Projet de stage : diagnostic de territoire / Partenariat-Réseau
• Projet d’immersion proposé par l’ENTSS de Dakar : MARP – Méthode Accélérée de Recherche Participative
2. La solidarité comme posture du stagiaire à l’international
En effet, des retours d’expériences indiquent que « la solidarité revêtue comme posture », offrirait bien plus de prise dans l’approche du terrain étranger autrement vécu comme déroutant voire inconsistant. Elle se donne à voir, à travers les témoignages d’étudiants, comme angle résiduel de participation ou d’implication, presque idéal tant le projet de stage et ses attendus si formels s’avèrent improbables au vu des réalités du terrain de stage. Il est alors permis de penser que la mobilité de stage, dans le parcours de l’étudiant, pourrait s’inscrire plus formellement comme une « modalité formative à la solidarité ».
Cela semble trouver du sens dans la mesure où cette notion représente une des valeurs essentielles des politiques publiques ou, de manière générale, des activités de soutien à la personne, particulièrement du travail social dont elle est même fondatrice et angulaire, comme souvent dans les pays européens et occidentaux voire dans le reste du monde. Les formes en sont certes différentes, des plus modernes aux plus enracinées dans les traditions communautaires de type citadin ou villageois. Mais, il est incontestable qu’il s’agit bien d’un mode universel de l’être dont on ne saurait s’étonner sous aucun ciel.
L’inventeur de la sociologie française, Emile Durkheim, voyait en la solidarité le fondement effectif des sociétés. Il notait alors le recul des « solidarités mécaniques », ou par similitude, face aux transformations socio-économiques, tant les socles traditionnels d’unité sociétale se délitaient. En même temps, il en repérait les nouveaux possibles : les « solidarités organiques », basées sur l’interdépendance des fonctions ou positions individuelles. Et il préconisait que ces formes recréatrices du tissu social soient renforcées dans la conscience collective par la volonté politique, et notamment l’éducation. Les travaux de Durkheim ont ainsi clairement posé la « solidarité » comme facteur de cohésion de groupes humains. Ainsi, c’est tout naturellement qu’elle se présente comme une valeur cadre tant dans l’exercice professionnel que dans la formation sociale : le travail social est d’inspiration solidaire et l’est même pleinement. De plus, ce principe s’impose dans notre monde globalisé précarisant des populations entières. Quelle pourrait bien être la mission du travailleur social sinon d’œuvrer au développement de la solidarité , stricto et lato sensu, dans ses formes « communautaires » ou « sociétaires » telles que définies par Ferdinand Tönnies .
Témoignage d’étudiants n°2 : l’étudiant mobile et les « valeurs de solidarité »
3. Se former à la solidarité en mobilité de stage
Si la sociologie classique s’est donnée comme mission d’éclairer l’état de la solidarité , l’intervention sociale en est une des modalités de mise en œuvre dans la société moderne ayant perdu ses appuis "communautaires" . C’est ainsi que la thématique a sa place dans les formations en travail social selon une approche plutôt transversale. En effet, c’est dans l’ensemble du cursus de formation que les étudiants sont amenés à s’approprier cette dimension fondamentale de leur futur métier. Mais il faut insister sur les modalités pédagogiques que sont les temps de formation pratique à travers des études de cas et surtout des stages, en quelque lieu ou latitude que ce soit, particulièrement sur des terrains se situant dans les pays émergents.
Ces stages constituent des instances essentielles dans l’apprentissage de la solidarité. Non pas en vertu de leur opposition, au reste inappropriée, aux éléments de formation qualifiés de théoriques, mais plutôt de ce qu’ils sont le lieu d’un questionnement immédiat. Ils sont de ce fait une opportunité de maturation réflexive, surtout quand les conditions d’accueil sont favorables. Cela est bien sûr possible sur la base d’une démarche de projet ouverte et mettant l'accent sur une valeur fondamentale du travail social : la solidarité, regardée alors comme compétence, à l’image de ce que dit Luc Boltanski de l’amour et la justice .
En cela le stage à l’étranger reste le lieu d'expérimentation par excellence des formes de solidarité. En effet, c’est ici le cadre d’un vécu personnel et professionnel intense ! Un étudiant comparait son stage au Togo à « une mise à nu »… « dans laquelle on se retrouve bien souvent démuni, disait-elle… Quelles sont mes ressources face à cet inattendu? ». Il y a des ressources techniques qui s’avèrent inadaptées au pays de la mobilité, tant les situations rencontrées sont inhabituelles. Elles sont donc à réinventer, tout au moins à ajuster. C’est ici que les « valeurs de la solidarité » deviennent des ressources de mise en lien ou mise en confiance, permettant de faire corps ou d’être simplement avec non seulement l’usager mais aussi l’équipe, l’institution et son environnement. Cela reviendrait à penser le « projet de mobilité » comme « un projet de solidarité » ou du « faire avec », et la solidarité comme compétence.
Cette posture permet de poser le lieu de stage à l’étranger, notamment dans les pays en voie de développement, comme un espace d’expérimentation et de formation à la solidarité, laquelle pourrait s’organiser autour de l’étude lexicale et sociohistorique du concept articulée à la philosophie sociale , aux politiques sociales, à l’action humanitaire et solidaire ainsi qu’à l’ensemble de pratiques de solidarité même bénévoles.
Une telle approche conférerait une position plus aisée au futur travailleur social se retrouvant sur un terrain étranger et se verrait du coup renforcé dans ses capacités élective, adaptative et réflexive, bien utile dans cette culture de l’individualisme moral.
Témoignage d’étudiants n°3 : la formation à la solidarité avant, pendant et après la mobilité
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