Fiche Documentaire n° 4956

Titre Dialogue et réciprocité transformatrice au cœur de la solidarité: des outils pour créer une dynamique de transformation sociale durable.

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Auteur(s) Bérard Sébastien  
     
Thème  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

Dialogue et réciprocité transformatrice au cœur de la solidarité: des outils pour créer une dynamique de transformation sociale durable.

Les défis dans le développement et l’entretien de solidarités ne concernent pas uniquement l’objet ou l’objectif de ces solidarités et leur atteinte. Bien au contraire, des défis majeurs se situent d’une part dans la dimension humaine et relationnelle intrinsèque aux solidarités et d’autre part dans sa dimension cinétique. Les enjeux communicationnels, relationnels, psychologiques, les jeux de pouvoir, les besoins conscients et inconscients viennent interférer dans la mise en œuvre de solidarités et peuvent trop souvent saboter même les plus nobles projets. De même, un projet qui voit le jour et qui reste accroché à la forme première de sa conception, qui demeure statique ne peut pas se renouveler et s’actualiser. Pour cela, il doit rester dynamique, ouvert aux influences, à l’intelligence collective.
On ne peut pas simplement se contenter de proposer et de mettre en place une innovation solidaire, quelle qu’elle soit, sans risquer de l’amputer dès le départ, de la voir s’essouffler et revenir aux vieux mécanismes sociaux, politiques et économiques connus. L’exemple fréquent de coopératives nées d’un mouvement solidaire et qui au fil de leur croissance finissent par adopter un comportement commercial et économique tout à fait conventionnel est éloquent. L’auteur de cette innovation (personne, collectif ou organisation) se doit d’entrer en dialogue avec celle-ci (les autres acteurs qui y participent) et de s’ouvrir à son tour à être transformé par le projet solidaire. C’est par cette posture dynamique de réciprocité transformatrice qui crée un cercle vertueux que la solidarité pourra prendre son plein potentiel et livrer pleinement ses fruits.
Cette conclusion est l’aboutissement d’une recherche née d’une réflexion critique et éthique d’un praticien-chercheur sur sa propre pratique de coopérant et d’accompagnateur de changement. En cherchant à favoriser le plus possible l’autonomisation et la gestion participative au sein de son équipe de travail, le praticien-chercheur c’est investi dans une recherche transformatrice de type biographique scrutant sa pratique, ses interactions et sont propre processus de transformation ainsi que celui de ses interlocuteurs au sein d’une démarche de dialogue. L’objectif était d'explorer la pertinence de l'engagement du praticien dans sa propre transformation dans et par la relation au sein de sa pratique d'accompagnement et de découvrir les approches, les attitudes et la méthodologie aptes à favoriser ce type de réciprocité transformatrice. Il a ainsi pu documenter une pratique de réciprocité transformatrice extrêmement riche.
Nous proposons, dans cette communication, de s’ouvrir à un regard différent sur les pratiques solidaires en partagent les fruits de cette recherche et sa démarche méthodologique que nous croyons riche de potentiel. La pratique étudiée durant l’étude montre que l'engagement du praticien-chercheur lui a permis de transformer sa pratique de manière incontestablement positive. Son engagement a créé un environnement et des conditions favorables à une rencontre (Martinez, 2004) qui, à son tour, a favorisé la transformation des interlocuteurs. Ceux-ci, s'investissant alors différemment dans la relation, lui ont donné plus de cohésion et ont créé une synergie enrichissant les rapports interpersonnels des acteurs. La réciprocité s'est alors installée rendant la relation plus saine et généreuse. Ces transformations ont permis à chacun de devenir plus autonome face à leurs construits psychosocioculturels et à s’investir de manière renouvelée et beaucoup plus fluide dans la gestion et l’action solidaire.
Nous croyons que cette approche et ce regard portés sur les pratiques solidaires peuvent d’une part ouvrir des voies de résolution pour nombre de problèmes inhérents à tous systèmes sociaux, mais surtout, ils donnent plus de cohésion et permettent la création d’une grande synergie enrichissant les projets innovants comme les rapports interpersonnels des acteurs.

Bibliographie

BÉRARD, SÉBASTIEN. 2012. « Dynamique relationnelle et transformation réciproque : un défi de coopération. Analyse du renouvèlement d’une pratique d'accompagnateur de changement en contexte de rencontre interculturelle ». Mémoire présenté à l’Université du Québec à Rimouski comme exigence partielle de la maîtrise en Étude des pratiques psychosociales. 304 p.
MALHERBE, Jean-François. 1997. La conscience en liberté : Apprentissage de l'éthique et création de consensus. Éditions Fides. Montréal. 69 p.
MARTINEZ, Annick. 2004. « Le phénomène de la rencontre : Un pont vers l'altérité et le changement. Étude du point de vue de la psychologie herméneutique, du phénomène de la rencontre dans VENDREDI OU LES LIMBES DU PACIFIQUE de Michel Tournier ». Thèse présentée comme exigence partielle du doctorat en psychologie. Université du Québec à Montréal. Montréal. 303 p.
ST-ARNAUD, Yves. 1995. L'interaction professionnelle. Efficacité et coopération. Les presses de l'Université de Montréal, Montréal. 219 p.
VACHON, Robert. (Dir.) 1990. Alternatives au développement: Approches interculturelles à la bonne vie et à la coopération internationale. Institut Interculturel de Montréal. Coll. Alternatives. Éd. du Fleuve. Montréal. 350 p.

Présentation des auteurs

Sébastien Bérard est titulaire d’une maîtrise en Étude des pratiques psychosociales de l’UQAR. Il travaille depuis plus de 20 ans en accompagnement du changement avec des groupes et des collectivités marginalisés. Il est présentement candidat à la maîtrise en Travail social à l’UdeS.

Communication complète

Lorsqu’on parle de solidarités, on porte l’idée de mise en œuvre, de projets, d’objectifs. On cherche à se solidariser dans un but, en vue d’une action, d’un changement social. La solidarité peut donc être analysée comme un moyen de réaliser un projet, un idéal. Beaucoup de réflexions tournent autour de cette idée de projet.
Toutefois, pour moi, il est clair qu’au cœur de la question des solidarités se pose la question du relationnel, se pose la question de la « Rencontre » (Martinez, 2004), se pose aussi la question de l’ouverture et celle du changement. D’une part, pour que la solidarité ait lieu, il faut qu’il y ait un mouvement vers l’autre et la création d’un point de rencontre, ce qui exige le déplacement de chacun. D’autre part, pour que la solidarité s’incarne dans un changement durable, il faut qu’il y ait aussi changement au sein des personnes, sans quoi, les participants eux-mêmes sont des freins au changement qu’ils proposent.
Un dernier point me questionne. Il m’apparait que la diversité des « cultures », des visions du monde est primordiale à la vie humaine comme la diversité biologique l’est à la vie tout court. Santos insiste sur l’importance de la pluralité du monde comme voies de passage contre le « suicide collectif humain » actuel. Il propose de s’ouvrir aux « épistémologies du Sud ». Cette reconnaissance de l’altérité ne m’apparait pas si simple.
C’est autour de ces axes que se déploie ma présentation : réflexion issue de ma pratique d’intervention sociale et d’une recherche-action-transformation que j’ai réalisée au sein de cette même pratique.
1 La difficulté de bien accompagner
C’est d’abord au sein d’une pratique de coopération internationale que j’ai pris conscience de la difficulté de bien accompagner le changement. À cette époque, j’étais déjà très critique de la coopération. J’en connaissais les travers : l’ingérence, la colonisation culturelle, l’assistanat, la dépossession du pouvoir d’agir, etc. Malgré cela, la coopération m’attirait inéluctablement : la rencontre de l’autre, de l’altérité, l’échange, l’exotisme et la possibilité de contribuer à un mieux-être là où ça pouvait être vraiment utile. Je savais que j’étais capable de faire mieux, de faire autrement, car je portais les valeurs d’un monde pluriel, du respect des cultures, du développement endogène, de l’empowerment et de la réciprocité. J’étais ouvert, curieux, patient. Bref, j’avais ce qu’il fallait pour renverser la vapeur.
Grâce à la tenu d’un journal, j’ai fini par réaliser peu à peu que plusieurs de mes actions, de mes comportements, de mes attitudes non seulement ne correspondaient pas à mon idéal, mais allaient à l’encontre de mes valeurs et de mes intentions mêmes. Au bout du compte, je ne faisais pas ce que je voulais faire. Quelque chose en moi, plus grand que ma volonté, me dominait en quelque sorte et m’amenait, à l’insu de ma conscience, dans une direction non voulue. Jusqu’à un certain point, je reproduisais ces comportements et attitudes d’ingérence, de colonisation, d’assistanat que je contestais. Cette prise de conscience m’amenait un urgent besoin de réponses.
Deux grands constats en ressortent; ils sont tous deux la cause de ce que j’appelle notre enfermement cognitivo-perceptuel.
1.1 On habite des mondes différents
Le premier est que chacun de nous habite dans une compréhension du monde qui lui est propre et dont il est prisonnier (Vachon, 1995a, Panikkar, 1974, 1975; Mattos, 2005; Morin, 2001; Mead & Blumer, Weber, Schutz dans Delory-Momberger, 2005). Selon le paradigme constructiviste et les approches interprétatives, phénoménologiques, interactionnistes qui en découlent, notre appréhension du monde passe par une sélection et une interprétation des éléments de la réalité (Delory-Momberger, 2005). Chacun de nous appréhende des parties plus ou moins différentes de cette réalité ou les appréhende différemment (Panikkar, 1975, 1974, dans Vachon, 1995). Une partie de cette perception est formée par la culture : croyances, savoirs, savoir-faire, règles, normes, interdits, rites, valeurs, mythes, idées, acquis. Mais ce monde n’est pas seulement formé par la culture. Mais la perception est composée de plusieurs niveaux qui peuvent être imagés par des sphères concentriques.
Une de ces sphères d’appréhension du monde est plus individuelle. Elle a trait à la culture familiale, personnelle, de même qu’à la psychologie de l’individu, à sa construction personnelle, son éducation, son expérience de vie, son caractère, son tempérament, sa sensibilité et ses émotions. L’individu ne peut voir le monde que par ses yeux.
Puis, au-delà des cultures, dans notre environnement moderne, agit une autre sphère de perception : l’horizon d’intelligibilité occidentale. Notre représentation du monde, et celle de bien des cultures, est maintenant conditionnée par cette vision qui postule plusieurs vérités : la linéarité temporelle, la projection de soi et de ses besoins (Panikkar, 1975); l’individualisme, l’objectivité matérialiste de la réalité, l'impératif de la croissance, etc. Cette vision se pose en savoir universel et hégémonique.
En résumé, chacun de nous vit enfermé dans son cadre conceptuel, dans une vision du monde qui lui est propre et au milieu de certitudes et d'évidences qu'il « croit » universelles, alors que nous sommes dans le monde des croyances et des perceptions (Edgar Morin, 2001).
On ne peut appréhender le monde et agir sur lui qu’à partir de cette réalité qui est nôtre. À la fois notre compréhension et nos actions sont limitées par cet horizon.
1.2 On n’est pas libre dans nos relations
Le deuxième constat est celui du manque de liberté de la personne au sein de ses relations interpersonnelles. C’est tout notre construit psychoaffectif qui influencent notre être au monde, et cela sur deux niveaux pour le praticien social : individuel et professionnel.
D’une part, nous entrons en interaction avec les autres à partir de mécanismes inconscients hérités et développés dans notre enfance. Nos construits et mécanismes psychologiques, nos schèmes d’action, complexes, nos enjeux, impératifs et injonctions limite la personne dans ses interactions en créant des automatismes réactionnels (Monbourquette :1997) qui sont très rarement remis en cause. Ils s'inscrivent dans notre personnalité et déterminent le type de relation que l'on connaîtra en général tout au long de notre vie (Portelance : 1994).
D’autre part, le contexte professionnel contraint aussi la relation dans sa dimension psychologique. Selon Argyris et Schön (1974, 1978; Argyris, 1983, 1993) et St-Arnaud (1992, 1995), tout praticien a besoin de se sentir compétent. Ainsi, poussés par ce sentiment de compétence, la majorité des praticiens, et ce malgré les valeurs qu’ils portent, vont dans l’action appliquer un modèle d’usage dit d'expert. Ce modèle est caractérisé par une gestion unilatérale du processus d'intervention, par un contrôle accru de la situation et même de l’interlocuteur (Duguay, 1999, dans Dionne, 1999). L’intervenant cherche alors à maximiser ses gains, diminuer pertes, à supprimer ses sentiments négatifs (Argyris, 1993).
Au final, nous vivons des relations où chacun est pris dans sa « boite ». Nous ne sommes pas libres d’agir dans la relation et nous ne sommes pas libres non plus de laisser l’autre agir librement. Cela est encore plus vrai si l’univers de l’autre est très différent du nôtre. L’intention et la connaissance ne sont pas suffisantes pour agir hors de ces mécanismes et perceptions et pour offrir plus de liberté à la relation pour soi et pour l’autre.
1.3 La relation d’accompagnement est nécessairement dichotomique
La relation d’accompagnement, qui met en présence un professionnel (l’aidant, l’accompagnateur, l’organisateur) et une personne, un groupe (l’aidé, l’accompagné) est particulièrement influencé par ces deux états. Ainsi prise, la relation d’accompagnement ne peut être que dichotomique, et ce sur plusieurs points : elle est d’abord hiérarchique à cause des différences de savoir, de pouvoir, de statut, de rôles que l’on ne peut contourner. Cette relation présente aussi une différence cinétique. On y trouve un intervenant (trop souvent) statique et un aidé que l’on cherche, ou qui cherche à se mettre en mouvement, qui tend à être dynamique. L’intervenant, au sein de cette relation précise, n’est pas là pour se transformer, mais pour aider l’autre. Il se présente alors comme un être fini, porteur de savoir, d’équilibre, de complétude. Il y a donc cette inéquation entre «le dynamique» et «le statique», entre la mise en mouvement et la préservation d’une identité. Les rapports praticien-clientèle sont souvent unidirectionnels, proposant le changement chez l'accompagné sans remise en question de l'accompagnant, car ce dernier n’a pas à apprendre de l’aidé. Il est de plus le détenteur de savoir et de la posture juste qu’il doit transmettre. Par les rôles tenus dans la relation, sa structure hiérarchique, la posture d’expert, et aussi l’idée que le professionnel est là pour l’autre et non l’inverse, la relation laisse peu de place à la bidirectionnalité, à la réciprocité, à l’équilibre des rapports.
Ajoutons à cela que le praticien ne fait pas toujours ce qu’il veut faire. Comme nous l’avons mentionné, il est aussi conditionné, aliéné, pris dans sa psychologie, ces mécanismes et sa conception du monde. « Il est dans sa boite. » Tous ces mécanismes inconscients font que les relations d’accompagnement sont souvent empreintes d’ingérence et de contrôle de la part du praticien. D’une part, on veut le bien pour l’autre, mais on ne peut le penser qu’à partir de soi, de sa « boite ». D’autre part, comme le dit Martinez (2004), devant l'étrangeté et l'inconnu qui met en péril notre intégrité et notre identité, la première réaction est la peur et le rejet qui s'expriment à travers le besoin d'assimiler, de faire disparaître toute trace d'altérité. L'accompagnateur, comme toute autre, n’est pas à l’abri de cette réaction inconsciente. La quête d’un sentiment de compétence et le modèle d’expert contribuent à cette réaction assimilatrice.
On comprend donc qu’au sein de toute pratique d’accompagnements, s’y trouve un mouvement inverse, opposé à ce que l’on veut faire (autant dans les dynamiques individuelles, de groupe ou collectives). Il y a toujours dans nos actions un peu d’ingérence, ce qui va à l’encontre de l’autonomisation des personnes. D’une part, ce mécanisme s’oppose à l’éthique du dialogue de Malherbe et d’autre part, il nuit à la démocratie radicale que revendiquent Dardot et Laval comme un essentiel à la création de communs, à cette « égalité de tous dans le prendre part ».
Après un tel constat, comment le praticien social, l’intervenant, l’initiateur de solidarités, peut-il se renouveler et renouveler sa pratique d’accompagnement ?
« Le monde que nous avons créé est le résultat de notre niveau de réflexion, mais les problèmes qu'il engendre ne sauraient être résolus à ce même niveau. » Albert Einstein
2 Questions
Pour répondre à cet enjeu de la relation d’accompagnement, une double question émerge :
1- Comment accompagner sans s’ingérer, sans tenter de tirer les autres vers notre conception de la réalité ou de "ce qui est bien pour eux" ? Comment permettre à chacun de puiser dans ses identités culturelles et personnelles pour se déployer, s’épanouir; pour créer sa propre voie à partir de sa singularité. Comment favoriser au mieux l’autonomie et comment conjuguer ces autonomies diverses en un mouvement solidaire ?
2- Comment moi-même devenir plus autonome, plus libre ? Comment d’une part arrivé à « sortir de ma boite », de ma conception du monde et m’ouvrir aux mondes des autres, et d’autre part, dépasser mes mécanismes relationnels ?
3 Hypothèse
La voie que j’ai imaginée fut celle de la Réciprocité transformatrice : c’est l’idée que le praticien s’engage à travailler à sa propre transformation par et au sein de la relation d’accompagnement.
L’enjeu ici n’est pas de ne pas agir sur l’extérieur, au contraire. Mais bien de tourner une partie de son regard sur soi, pour s’engager à se transformer soi-même par le biais de cette relation-là.
D’abord, cela m’apparaissait être le moyen le plus sûr d'éviter les pièges inconscients de son propre bagage culturel et de ses construits psychologiques. Ensuite, l’hypothèse que je défends est que la mise en mouvement du praticien par un processus de transformation va nécessairement agir sur la relation, la rendant plus égalitaire, plus ouverte, plus libre. Cette transformation relationnelle va permettre de déployer ce que Martinez (2004) appelle un espace métaphorique, ou dialogique, permettant la rencontre des personnes et leur transformation libre et autonome en libérant un nouveau champ de possible pour les interlocuteurs. Ainsi, les accompagnés pourraient, à leur tour, s’engager librement dans leur propre transformation.
C’est le principe appliqué de l’AUTOPOÏÈSE de Malherbe (2000) : la création de soi par soi, qui n’est possible que dans le dialogue et qui, par conséquent, nécessite l’autonomie des individus et la réciprocité. Ces états sont créés par l’engagement du praticien dans sa propre autopoïèse et dans la relation.
4 Terrain et résultats
J’ai donc réalisé un projet de Recherche-action-transformation en m’engageant dans ma propre transformation au sein de ma pratique d’accompagnement tout en documentant le processus à l’œuvre et ces effets.
Mon terrain de recherche principale fut un terrain spontané, opportuniste. Travaillant comme coordonnateur de projet pour une organisation sociale, je décidais de mettre en place une gestion participative avec mon équipe de travail. Un conflit dû, entre autres, à ces transformations et à des visions du monde bien différentes éclata au sein de mon équipe. Je décidais de mettre en application ma théorie et de m’engager dans ma propre transformation pour trouver une solution à l’impasse relationnelle.
Pour ce qui est des résultats, il faut retenir principalement que cette approche a permis au praticien, comme aux partenaires de la relation de développer plus de liberté (autonomie) face à leurs mécanismes relationnels (perso et professionnels) et face à leurs cadres culturels, leurs morales individuelles, leurs dogmes. Cela a ainsi permis des lâcher-prises sur des valeurs, des besoins et des intentions de part et d’autre permettant l’avènement de nouveaux possibles dans la relation et dans le projet commun. Une connaissance importante de l’autre s’est développée en même temps qu’une compréhension, que la confiance, la cohésion, l’ouverture à l’autre et plus particulièrement une reconnaissance et une acceptation (bien loin de la tolérance) de l’altérité, de la différence.
Face au projet commun de mise en place d’une gestion participative, il s’est développé une grande synergie au sein de l’équipe, une complémentarité et un déploiement des forces, jamais espéré. La gestion participative s’est déployée dans une coordination très organique, dans une grande fluidité. Au final, c’est toute l’équipe de travail qui s’est engagée dans une transformation de ses pratiques.
5 Le rôle des outils de recherche
La méthodologie est essentiellement narrative, portée par des théoriques et des méthodes phénoménologiques et praxéologiques. Un journal de bord, analysé sur une base quasi quotidienne, sert bien sûr de collecte de donnée principale, mais a comme principale fonction d’être un outil «métaperceptuel» pour le praticien. Il lui permet de ce voir dans l’action, de prendre conscience et de décortiquer ses interactions. En se percevant, il peut alors s’engager à transformer ses relations, à agir différemment, à être au monde différemment.
Dans un deuxième temps, un récit de pratique a été produit à partir de ce journal analysé et mis en dialogue avec les partenaires relationnels. La mise en commun de ce regard intimiste sur soi et sur tout le processus relationnel a permis de démystifier, de comprendre, d’accueillir ce processus et les personnes qui en font partie. Cette nouvelle étape de dévoilement a alors permis aux interlocuteurs de s’engager plus profondément dans leur propre transformation, créant encore plus de cohésion et de synergie dans une compréhension et un respect mutuel impossible à prévoir.
Ces outils de recherche ont été essentiels à l’engagement du praticien dans sa transformation en permettant le regard sur soi et sur ses interactions, la prise de conscience et la réflexion essentielle à l’engagement. Ils lui ont aussi permis, par la distanciation qu’ils offrent, d’être à la fois tout à fait dans l’action (engager) et hors de l’action (observateur) et ainsi d’être moins en réaction. Ils ont ainsi supporté une constance relationnelle essentielle à la création de l’espace métaphorique transformateur.
Si, comme l’ont affirmé Pierre Dardot et Christian Laval , lors d’un séminaire sur les communs et le développement des territoires — et je partage cette idée — la praxis est une condition essentielle au cœur des transformations (personnelles et) collectives, la Réciprocité transformatrice me semble être un catalyseur, un émulateur de cette praxis, car elle multiplie l’effet de l’engagement dans l’action des acteurs.
6 Conclusion
À l’origine, cette démarche de recherche n’avait nullement la prétention d’étendre ses résultats à la transformation sociale ou au développement des collectivités. Elle visait l’amélioration des pratiques. Par contre, elle semble, selon cette première étude, générer des résultats fort positifs dans ce domaine. Ces résultats très enthousiasmants donnent à cette démarche de recherche-action-transformation un potentiel intéressant comme outil d’action sociale dans le champ des solidarités humaines et des initiatives collectives. Ce potentiel mérite d’être exploré et expérimenté plus à fond.
Le mahatma Gandhi disait « Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde ». J’ai longtemps cru que cet aphorisme nous commandait d’être ce que nous voulons qu’il advienne en finalité, que l’on s’impose dans le présent ce futur. Aujourd’hui, je comprends tout autrement. Gandhi nous demande tout simplement d’être ce changement, de toujours être engagé à se renouveler, et j’ajoute « au contact des autres ».

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