Fiche Documentaire n° 4966

Titre Faire équipe dans la relation d’aide ou comment être solidaires entre acteurs différents mais concernés

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Auteur(s) PORTAL Brigitte  
     
Thème  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

Faire équipe dans la relation d’aide ou comment être solidaires entre acteurs différents mais concernés

A partir des expérience de 3 acteurs directement concernés, nous verrons comment la relation d'aide peut être appréhendée en tant que forme de solidarité entre deux personnes qui s'accompagnent mutuellement et partagent un intérêt commun.

« J'attendais systématiquement que les intervenants se mettent en mouvement sans jamais me saisir des propositions, je pensais légitime que l'on fasse à ma place, comme j'avais pu le faire auparavant pour d'autres ». Arnaud Portron (isolé, père de 4 enfants, « placé en institution et confié au conseil général lorsque j’avais 12 ans, je suis issu de la rue et depuis une dizaine d’année épaulé par les services sociaux ».)

« Nous avons longuement échangé sur la philosophie de l’accompagnement et le rôle du travailleur social : amener la personne à mesurer ses propres compétences, à développer ses capacités, à trouver ses propres solutions qui lui conviennent et à être son propre expert. » Séverine Durin-Haller (assistante sociale qui est intervenue auprès d’Arnaud).

« A l’image de la navigation, l’accompagnement s’appuie sur les forces des deux protagonistes s’inscrivant dans un travail d’équipe. » Monique Digeon (chargée d’insertion).


En France, le Haut conseil en travail social (HCTS) a mis l’accent depuis plusieurs années sur la nécessaire alliance entre les travailleurs sociaux et les personnes accompagnées : « La cohérence ne reste possible que si chacun joue son rôle dans un rapport d’échanges où les identités de l’un et de l’autre peuvent se reconnaître et constituer une complémentarité utile . »
En 2016, il prône un travail social en résonance pour « refonder le rapport aux personnes accompagnées » . Il s’agit bien d’aller au-delà d’une relation basée sur le concept d’alliance entre le travailleur social et l’usager. « Il ne s’agit pas seulement d’écouter les personnes mais d’entrer en résonance avec elles afin de leur permettre d’inventer leurs propres solutions pour s’en sortir ».

Nous insisterons sur la pertinence de s’appuyer tout au long du processus de la relation d’aide sur une démarche de négociation entre les acteurs (négociation du problème et des solutions, élaboration d’une stratégie qui peut amener vers ces solutions).
Cette façon d’envisager l’accompagnement nous oblige en tant qu’intervenant à une vigilance particulière afin de négocier en permanence avec la personne concernée toutes les étapes du processus de résolution de problème ou de démarche de changement. Nous entendons cet « art du possible » comme l’exercice d’un talent particulier et délicat de l’aidant qui permet à la personne accompagnée de franchir l’obstacle par elle-même et d’en retirer le mérite. Dans ce sens, il contribue au processus d’autonomisation de la personne qui va exercer un contrôle plus grand sur ce qui est important pour elle.
L’intervenant lutte moins contre quelque chose qu’il ne s’allie aux personnes. « Instaurer des pratiques d’alliance avec les populations pauvres, c’est vouloir qu’elles deviennent partenaires de l’action sociale » .

Négociation et stratégie apparaissent comme deux appuis incontournables de la relation d’aide, de la résolution de problème mais aussi de l’accompagnement au changement.
Avec la négociation, l’intervenant change de posture. Il va s’agir pour lui de « soutenir », « faciliter », « contribuer », plutôt que de « donner » et « d’informer » « (Le Bossé, 2011).
Il devient expert en négociation et en « interactionnisme stratégique au service des personnes accompagnées.

Nous verrons dans une expérience relatée par une Chargés d’insertion qui accompagne des personnes rencontrant des difficultés d’insertion socio-professionnelle comment la co-construction dans la créativité est source de motivation et révèle les capacités et les forces de chacun dans la relation d’aide.
Dans une autre expérience co-écrite par Séverine et Arnaud, nous mettrons en évidence l’intérêt d’un accompagnement qui s’appuie sur une approche stratégique basée sur la négociation.

Bibliographie

Conseil Supérieur du Travail Social (2007), L’usager au centre du travail social.

Conseil Supérieur du Travail Social (2015), “Refonder le rapport aux personnes. « Merci de ne plus nous appeler usagers » “.
De Robertis C. (2008), L’ISIC de la personne au territoire, EHESP, p51.

Digeon Monique (2017 à paraître), En régate, on navigue en équipe ! Titre non connu, Editions: Union des Villes et Communes de Wallonie, Belgique.

Durin-Haller Séverine, Portron Arnaud (2017 à paraître), Quand le « clic » crée le déclic, Titre non connu, Editions: Union des Villes et Communes de Wallonie, Belgique.

Portal B, (2016). De l’empowerment anglo-saxon au développement du pouvoir d’agir européen, Le Sociographe, n°55, La crise en Europe.

Zask Joëlle (2015), Introduction à John Dewey, La Découverte.

Présentation des auteurs

Formatrice.
Assistante sociale de formation, elle a exercé pendant 20 ans notamment dans le champ de l’insertion et de la culture où elle a impulsé des projets collectifs avec des personnes allocataires du Revenu Minimum d’Insertion (RMI). Elle est membre fondateur et administratrice du collège de gouvernance de l’association Anda DPA depuis 2009. Membre fondateur et administratrice de l’AIDPA (association internationale pour le Développement du Pouvoir d’Agir) depuis 2014.

Communication complète

Peut-on parler de solidarité dans la relation d’aide individuelle? Le terme est-il adapté ?
Dans l’action collective, la solidarité apparaît au travers de l’entraide mutuelle, mais dans l’intervention individuelle auprès d’une personne ?
Quelle est la place de celle-ci dans cette relation ? Quelle est celle de l’intervenant ? De quelle type de relation s’agit-il ?
Nous faisons l’hypothèse que la relation d’aide individuelle peut être appréhendée en tant que forme de solidarité entre deux personnes qui s'accompagnent mutuellement et partagent un intérêt commun.
Ainsi, le travail social apparaît comme un « investissement dans une affaire commune ».
Nous présentons ici une vision de l’accompagnement qui promeut la négociation et le partage de l’action, où chacune des parties prenantes de la relation d’aide est reconnue comme détenant une expertise nécessaire à son accomplissement. Dans un article récent sur l’empowerment, M. Parazelli reprend les réflexions de certains auteurs qui vont dans le sens de notre propos : « Il s’agit de susciter chez eux le désir de s’engager dans un projet en risquant quelque chose (Ninacs, 2008) dans le cadre d’une relation d’intervention qui se veut égalitaire (Lemay, 2007) i.e. fondée sur le partage du pouvoir par l’intégration de ceux-ci au processus d’intervention, par la co-détermination de la cible de changement, des moyens employés ainsi que l’évaluation des résultats » .
Dans cette visée, l’accompagnement peut être envisagé comme une démarche s’appuyant sur la négociation des expertises entre un intervenant et une personne pour lui permettre de développer des stratégies considérées par elle comme possiblement efficaces dans sa situation.





Dans un premier temps, nous verrons que cette démarche stratégique basée sur la négociation traduit les orientations actuelles du travail social.
Dans un deuxième temps, nous illustrerons notre propos par deux expériences d’accompagnement.



Négociation

En 2007, le HCTS insiste sur « l’alliance nécessaire » entre le travailleur social et la personne accompagnée qui doit déboucher sur un accord.
La négociation est l’art de s’entendre entre parties. On voit donc tout l’intérêt de s’appuyer sur elle dans l’intervention sociale.
Elle représente un ensemble de démarches et de discussions qui sont menées en vue de parvenir à un accord ou de conclure une affaire entre au moins deux parties.
La négociation apparaît comme une affaire délicate.
Dans une négociation, discuter est nécessaire mais pas suffisant.
On peut discuter dans le sens de converser sans but défini. Négocier, c’est discuter pour obtenir un résultat.

Un élément important à souligner est que la négociation amène les acteurs en présence à tirer un bénéfice de l’échange. De plus, chacun joue un rôle dans la décision prise d’où son statut d’acteur effectif. Elle implique une influence réciproque des acteurs.

En tant que telle, elle nécessite la mise en place de stratégies. De même que l’on « négocie un virage » dans le sens de prendre la courbe de la meilleure façon, négocier amène à se donner le maximum de chances de réussite dans une situation difficile.


Stratégie

La stratégie sera vue comme un choix dans les moyens utilisés au service de la résolution d’un problème.
Etre stratège c’est regarder, examiner ce que l’on peut faire et les conséquences des actes posés.
C’est anticiper, se préparer à l’avance à des options, des éventualités. Le stratège va imaginer des hypothèses, construire des scénarios, en savoir plus sur les acteurs concernés, envisager leurs liens, leurs rapports, leurs enjeux.
Cette analyse préliminaire partagée entre le professionnel et la personne s’appuie sur un processus de réflexion et va déboucher sur une action concrète viable pour la personne concernée. Il va s’agir de créer des alliances et de ne pas rester seul avec le problème.

La stratégie relève d’un certain art de s’y prendre où intervenants et personnes accompagnées vont faire équipe dans le but de résoudre un problème, dépasser un obstacle ou améliorer une situation.

Au delà même de devenir des alliés, le HCTS invite les travailleurs sociaux à « refonder » leur rapport aux personnes accompagnées . Il ne s’agit plus seulement d’écouter les personnes mais d’entrer en « résonance » avec elles, faire écho à leur désirs, souhaits, aspirations. Porter leur parole, lui donner de l’ampleur et faire preuve de stratégie avec elles.

Contribuer à créer les conditions pour qu’elles puissent être entendues et agir sur leur environnement plus qu’ « être avec » c’est clairement « être de leur côté » (Sylvie Quéval, 2010) comme on va le voir dans les expériences qui suivent.


Deux expériences :

1) Une expérience relatée par une Chargés d’insertion qui travaille dans un conseil Départemental. Sa mission consiste à accompagner des personnes rencontrant des difficultés d’insertion socioprofessionnelle et qui souhaitent avoir un conseil et/ou un accompagnement pour trouver ou retrouver un emploi.

Cette expérience illustre comment la co-construction dans la créativité est source de motivation et révèle les capacités et les forces de chacun dans la relation d’aide. Monique a intitulé cette expérience EN REGATE ON NAVIGUE EN EQUIPE !
La relation d’aide est comparée à un équipage qui conduit son bateau pendant une course, elle est fondée sur une forme de solidarité.

Deux co-équipières qui coopèrent :
La personne accompagnée (Léa) est le skipper et Monique est l’équipière. Elle lui laisse la barre, c’est elle qui décide de la destination. Le rôle de l’équipier est essentiel (il règle les voiles pour tenir le bon cap) et joue un rôle dans les manœuvres.
« Le vent de face produit un frein puissant » précise Monique. « Pour sortir de ce blocage, il faut se décaler de l’obstacle. Cela passe d’abord par l’analyse de l’environnement c’est à dire de la nature du vent dans ses différentes composantes (direction, force, rafales), mais aussi des acteurs en jeu (le barreur, l’équipier, les autres concurrents et leurs enjeux). Suite à cet examen une action concrète est engagée. En régate, on parle de louvoyer. »
« Il s’agit bien à la fois de se décaler de ce qui bloque de façon à avancer par petites touches et à la fois, à chaque avancée, de réévaluer le contexte et les enjeux et manœuvrer à nouveau en direction de l’objectif. »

Par exemple : Léa décide d’aller chez le coiffeur mais en deux fois (coloration puis coupe), louvoyage pour sortir de la position de front : « vent debout ».
Une stratégie est mise en place.
« (…) j’y suis allée, je suis arrivée la première ! (…) Quand je suis allée payer, j’ai de suite pris le rendez-vous suivant (…) » (nouvelle manœuvre/stratégie).
Elle conclut : «Je trouve que c’est de moins en moins dur pour y aller. »

Ce que dit Monique :
Il n’y a pas eu de « prescription » par un tiers, d’actions à mettre en œuvre, c’est bien elle qui a choisi librement ce qu’elle voulait faire et de quelle manière. Monique se sent facilitateur.
La prise de conscience de son fonctionnement et la réussite de ses manœuvres pour se rendre à un rdv chez le coiffeur l’encouragent à tenter d’autres initiatives (les sorties à la plage).
Ensuite, elle va accepter un défi énorme pour elle : intervenir lors d’un atelier d’échange avec des petits groupes d’une dizaine de congressistes intéressés par leur expérimentation lors d’un congrès. Cela signifie qu’il faut être en face d’inconnus et qu’il faut expliquer et répondre aux questions.
Monique précise : « Avant tout, nous redéfinissons le cadre de nos postures. Nous sommes collaboratrices et nous souhaitons réussir dans cette alliance. »
De fait, co-construire avec l’accompagné facilite le travail, et du professionnel et de l’accompagné car chacun apporte sa motivation, ses compétences, ses forces et l’énergie qui va avec, pour avancer.

Ce que dit Léa :
« Il va me falloir manœuvrer, être stratégique pour atteindre mon but, il y a ces obstacles que je vais devoir dépasser pour y arriver. Je reste confiante. Ca m’a beaucoup éclairée, j’y vois plus clair. »

Et elle dit : « Plus on le fait, moins c’est dur. » et « Un défi réussi en appelle d’autres ».



2) Dans une autre expérience co-écrite par Séverine et Arnaud, nous mettrons en évidence l’intérêt d’un accompagnement qui s’appuie sur une approche stratégique basée sur la négociation.


Arnaud, 38 ans (isolé, père de 4 enfants en garde alternée, « placé en institution et confié au Conseil Général à 12 ans, est issu de la rue et depuis une dizaine d’année épaulé par les services sociaux ».)
Il vit dans une commune rurale et isolée, située à 50 km du domicile maternel des enfants et des écoles.
Il a une Allocation Adultes Handicapés (AAH), suite à un Accident Vasculaire Cérébral (AVC) dont il a été victime en 2013. Il est sans emploi depuis environ 5 ans.

Il est perçu par les travailleurs sociaux comme un « habitué » des services sociaux, revendicatif ; « M. ne peut se remettre en question, il nous responsabilise de sa situation, qui se dégrade ». Il a alerté à plusieurs reprises les institutions et les journaux locaux pour dénoncer sa situation. Il demande de manière récurrente et en urgence des aides financières et alimentaires.
Plusieurs accompagnements ont été tentés, toujours mis en échec par monsieur qui n’adhère pas aux propositions des travailleurs sociaux. Ses multiples demandes provoquent une usure et une forme de lassitude chez les professionnels. Il dit qu’il n’a pas confiance en eux.

« Je crois en toi mais je ne te fais pas confiance » :
Séverine va lui dire qu’elle ne lui fais pas non plus confiance, mais que par contre elle croit en lui et en ses capacités, elle lui dit avoir besoin de lui pour l'aider à se sortir de là.
Elle considère que la relation de confiance implique une dimension personnelle « je te fais confiance mais si tu échoues, tu trahis ma confiance, tu me déçois. Par contre si je crois en toi, j'ai besoin de toi pour réussir et si tu échoues, ce n'est pas une fin en soi, tu peux recommencer ».

Elle s’est centrée sur la compréhension de ce qui pose problème à Arnaud :
« L'AVC a marqué une rupture dans son parcours de vie, Arnaud a le sentiment de subir sa situation au quotidien, qu'il ne supporte plus. Il craint la perte de la garde de ses enfants au regard de ses problèmes budgétaires mais il ne reconnaît personne de suffisamment compétent pour l'aider : « je suis un cas trop lourd ».

Séverine l’aide à formule l’obstacle qui l’empêche d’avancer : « comment continuer à accueillir en garde alternée mes enfants et être légitime auprès d'eux et du Juge aux Affaires Familiales sans moyens pour les assumer financièrement, ni personne pour m'aider ?»


Chacune des rencontres démarre par ce qui pose problème « ici et maintenant ». Arnaud ne se sent plus coincé dans sa problématique et Séverine n’est plus seule à chercher des solutions pour le sortir de là.
Arnaud dit : « J'attendais systématiquement que les intervenants se mettent en mouvement sans jamais me saisir des propositions, je pensais légitime que l'on fasse à ma place, comme j'avais pu le faire auparavant pour d'autres ».
Et Séverine :
« Nous avons longuement échangé sur la philosophie de l’accompagnement et le rôle du travailleur social : amener la personne à mesurer ses propres compétences, à développer ses capacités, à trouver ses propres solutions qui lui conviennent et à être son propre expert. »

Avec le soutien de Séverine, Arnaud élabore une stratégie :

Il réalise qu’il aura « plus de poids aux yeux de madame le maire » en étant soutenu par les travailleurs sociaux. Il affirme : « mettre toutes mes chances de mon côté, vous êtes mes jokers, mais je me sens complètement légitime de lui exposer ma situation. Ce rendez-vous m'a permis d'exprimer l'urgence de mon relogement et la sensibiliser à ma cause. Elle m'a donné des adresses de logements potentiellement disponibles et encouragé à déposer une candidature sur un futur projet de logements sociaux en cours de construction sur sa commune. ».
« Maintenant je ne subis plus la pression mais je cherche à la contrôler. Cela diminue les risques de rechutes sur le plan médical, c'est bon pour moi, ça fait grandir. J'apprends à me gérer au quotidien ou sur une situation inattendue. Je prends les difficultés différemment, j'explose moins quand elles se présentent, je cherche les solutions de façon moins radicale, en négociant avec les autres mais surtout avec moi-même. Le but en haut du chemin est le même, mais je peux passer maintenant par plusieurs trajets pour l'atteindre. Avant je pensais qu'il n'y en avait qu'un. Je me suis réconcilié avec moi-même. »


Conclusion


Il nous semble que la notion de solidarité est appropriée à la relation d’aide individuelle telle que nous l’avons décrite.
Cette façon d’envisager l’accompagnement nous oblige en tant qu’intervenant à une vigilance particulière afin de négocier en permanence avec la personne concernée toutes les étapes du processus de résolution de problème ou de démarche de changement.

Etre solidaire c’est coopérer par la négociation et la stratégie.
Altruisme et empathie nourrissent alors des formes de solidarité qui rapprochent des acteurs concernés mais différents. Elles permettent d’accorder de la valeur à l’autre et de se sentir concerné par sa situation, d’entrer en alliance et en résonance avec lui (la sollicitude chez Ricoeur).

Résumé en Anglais


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