Jeunes Réfugiés et familles d’accueil, une rencontre (in)attendue :
Processus de co-construction d’un modèle d’accueil à travers des rencontres individuelles et collectives rassemblant des jeunes exilés et des familles.
Introduction :
Chaque année, près de 3000 mineurs arrivant sans famille sont signalés sur le territoire belge. Ce signalement correspond au fait de l’intervention d’une institution, organisation ayant acté administrativement l’arrivée d’un mineur sur le territoire national. Ce chiffre très important est encore très en-deçà de la réalité belge, européenne et même mondiale. Toute personne et enfant n’est pas ou ne se déclare pas aux différentes autorités du pays. Cette situation, très inquiétante n’est malheureusement pas amenée à s’amenuiser, tant les contextes géo-politico-environnementaux tendent à la division, la résurgence ou la pérennité de certains conflits, l’aggravation des conditions de vie, jetant sur les routes de l’exil de plus en plus de personnes. Parmi toute cette population, les mineurs se retrouvant isolés sont particulièrement vulnérables.
En Belgique, une terminologie tend à définir cettez population. Ainsi, ces enfants et /ou adolescents sont décrits comme des Mineurs etrangers non accompagnés (MENA). La désignation de ce groupe ne s’est heureusement pas limitée à une appelation spécifique mais à la mise en place d’un outil juridique permettant la protection spécifique de cette population, la désignation de responables légaux pouvant les accompagner jusqu’à leur majorité (des tuteurs MENA) et un service au sein d’une administration du ministère de la justice, permettant à ce que chaque enfant déclaré MENA soit pris en charge (le service des tutelles).
Toutes ces améliorations sont le résultat d’un long combat et d’une mobilisation d’un grand nombre d’organisations et d’asosciations luttant pour la défense du droit des enfants. Cette lutte reste constante, et bien que ces dispositifs existent maintenant depuis près de quinze années, force est de constater, que tout maintien de ces acquis et amélioration au bénéfice des mineurs est un travail constant nécessitant engagement, plaidoyer et créativité.
La rencontre comme création de liens solidaires:
Dans ce paysage complexe, le Collectif Umoya a décidé de s’engager auprès de ces jeunes et de leurs familles à travers différents projets. L’un d’eux consiste à la mise en lien des membres de la société civile belge en tant que "familles d'ici" avec ces jeunes exilés.
La raison initiale d’un tel projet est le résultat d’un constat relevé principalement par les jeunes mais également par tous les professionnels qui les entourent ; ce constat c’est l’isolement. Un isolement résultat de l’arrachement de ces derniers avec leur propre cellule familiale, communautaire et donc identitaire. Un isolement renforcé par l’absence de connaissance du nouveau lieu d’accueil, des codes, coutumes, du langage et de ses habitants. En soulevant ce constat avec les jeunes, l’idée de mettre en place un projet favorisant la rencontre entre jeunes exilés et familles d’accueil a fait son chemin mais se devait d’être validé et expérimenté par les principaux protagonistes.
Les jeunes que nous avons rencontrés nous ont confirmé leur envie de rencontrer des personnes vivant en Belgique, ce qui pour la plupart n’avait jamais été expérimenté, même si certains jeunes vivent dans le pays depuis de nombreuses années. Des tables de discussion ont été organisées à différentes reprises permettant de favoriser l’échange et le dialogue au sein d’un groupe d’une dizaine de jeunes. Au delà de ces rencontres, ce sont des mondes culturels, des représentations diverses, des langages singuliers qui se sont tour à tour appréhendés et apprivoisés. La réalisation d’un tel projet apporte un enrichissement visible aussi bien pour les jeunes que pour les familles. De manière plus pragmatique, il permet d’enrichir un réseau social faisant très souvent défaut pour des jeunes déracinés et confrontés dans leurs rencontres à un public composé essentiellement de professionnels d’un secteur spécifique. De facto, la création d’une relation désintéressée mais naturelle permet tous les possibles, actuels et à venir, et améliore inexorablement les conditions de vie des jeunes. Ce capital social qui faisait défaut se voit enrichi. Dans une société comme la nôtre, acccueillant des jeunes aux repères si différenciés, l’acquisition d’un autre capital social est essentiel, tant pour la poursuite et la découverte d’une insertion facilitée en Belgique.
De l’autre côté, à savoir de la part des familles rencontrées, l’attitude des adultes étaient empreinte de plus d’interrogations sur ces jeunes à rencontrer, ce qui a induit des séances d’informations aux thématiques variées (parcours d’exil, situation socio-juridique des jeunes, rôles et attentes des familles d’accueil, approche psychothérapeutique et travail sur la notion du traumatisme). Ces séances auront été suivies avec beaucoup d’intérêt, de sérieux, tout en amenant un débat qui a permis, lors des différentes séances, de forger un véritable esprit de corps entre ces familles. Très vite, les familles nous ont confirmé leur engagement à poursuivre le processus dans son entièreté.
Des moments de rencontre mêlant familles et jeunes se sont matérialisés par la participation de chacun à un séjour résidentiel pendant une semaine lors du dernier trimestre de l’année 2016. Ce moment d’une extrême intensité a permis pleinement aux jeunes et aux familles de conforter notre objectif de départ, à savoir la création de liens. Ce séjour résidentiel, comme espace de rencontres et de vie communautaire, rassemblant pendant cinq jours 14 jeunes dont les âges variaient entre 13 et 17 ans pour les mineurs étrangers non accompagnés (MENA) ainsi que d’un petit garçon de 18 mois, enfant de l’une des jeunes de 17 ans. Les 7 familles étaient représentées de la sorte (2 femmes seules, 2 couples composés d’un enfant, 1 couple composé de 2 enfants, 2 couples composés de 3 enfants).
Il est presque impossible de traduire par des mots l’intensité des relations qui se sont jouées lors de courts moments de vie ensemble. Le contact et la rencontre entre jeunes, enfants des familles et adultes a été extrêmement rapide, comme si cette rencontre préparée depuis des mois était attendue par chacun. Un enthousiasme débordant, une émotion palpable à plusieurs moments lors du séjour (lors de tables de discussion commune, lors d’animations diverses, de jeux, de la préparation des repas…), une bienveillance et une douceur auront accompagné tout ce groupe pendant ces cinq jours. Les moments d’au revoir lors du séjour pourraient traduire au mieux cette intensité, tant ils étaient chargés d’émotion positive. Tout cela aura été possible car cette rencontre et la création du lien entre ces jeunes et ces familles se sont matérialisées de manière naturelle.
Solidarités à l’épreuve :
Des initiatives actuelles axées sur la solidarité et l’ouverture à l’autre, l’étranger, l’exilé semble constituer actuellement un vrai acte de militance. En effet, il semblerait de prime abord plus aisé de suivre un discours axé sur la peur, mettant en miroir des actualités, des mesures de plus en plus sécuritaires qui malheureusement remettent en question des libertés fondamentales. Le principe du contrôle social sous couvert de la lutte contre le terrorisme fait actuellement des ravages dans la remodélisation d’une société et des habitants qui la constituent.
Le succès du projet qui rassemble des jeunes exilés et des familles nous confirme dans l’idée, que la description d’un phénomène migratoire et les solutions à y apporter n’est pas univoque, que l’accompagnement et la rencontre de ce public commencent par des moments d’une grande simplicité, permettant d’échanger des valeurs communes faites de respect, d’écoute, de partage, d’amour et de solidarité. Toutes ces valeurs universelles rencontrées lors du processus entre ces deux publics perdurent jusqu’à présent et nous confirment dans une voie à suivre, celle permettant le dialogue et la curiosité vis-à-vis de l’autre.
Témoignages divers du public :
Mathias (9 ans): ‘Dans ma chambre il y a des lits. Et on peut ressortir des matelas pour accueillir tout le monde…’
Mariem (Famille) : ‘Moi je suis trop occupée dans ma vie, je ne peux être disponible que pour un jeune, je suis tellement triste que certains jeunes resteraient sans familles d’accueil. J’ai tellement envie d’assurer une continuité’.
M’mah (17 ans), mère d’un petit garçon de 18 mois : Moi, dès l’instant où on aime mon enfant, je suis contente….
Alex (16 ans) : ‘Je ne pensais pas vivre dans une famille d’accueil mais vivre des moments avec une famille belge et entretenir des contacts téléphoniques avec des personnes avec lesquelles je pourrais parler.’
Victor (17 ans) : ‘Je ne connais que des assistants sociaux, je ne suis jamais rentré dans la maison d’une famille belge.’
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