Fiche Documentaire n° 5089

Titre La vie associative de la communauté de pratique en travail de rue : maillon d’une chaîne de solidarités avec les populations marginalisées

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Auteur(s) Richard Steve
LACHARITÉ FRANCIS
WAGNER Gabriel
 
     
Thème  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

La vie associative de la communauté de pratique en travail de rue : maillon d’une chaîne de solidarités avec les populations marginalisées

Cette communication propose de décrire comment la toile de solidarités professionnelles et organisationnelles qui anime la vie associative entre acteurs en travail de rue participe à l’actualisation d’une pratique d’intervention sociale génératrice de solidarités de proximité au sein des communautés.

Selon Lamoureux (1994), le travail de rue a émergé au Québec au début des années 1970 avec la vocation de combler le «chaînon manquant» entre les services sociaux et les adolescents et jeunes adultes plus ou moins marginalisés. Après cette période de popularité, le travail de rue a connu une phase plus «underground» au cours des années 1980, pour ensuite prendre graduellement de plus en plus de place dans le paysage sociosanitaire (Richard, 2015). Fondé sur un mouvement «d’aller vers» les populations marginalisées (Baillergeau, 2016), le travail de rue gagne en reconnaissance de la part de l’État qui voit dans ce mode d’intervention de proximité (Clément et al, 2009) une manière de prolonger en marge sa responsabilité de répondre aux besoins des citoyens « qui n’ont plus la force de réclamer » diraient Céfaï et Gardella (2011 : 39). Cette forme d’intervention est aussi reconnue pour le potentiel qu’elle exerce comme vecteur de solidarités en faveur des populations marginalisées à travers le partage de leur quotidienneté et l’accompagnement vers leur mieux-être ainsi que par la favorisation de l’entraide, de la médiation et de la collaboration dans la communauté (Castillo Gonzalez, Marion et Saulnier, 2015; Cheval, 2001; Davoine-Tousignant et Masson, 2015; de Boevé et Giraldi, 2010; Fontaine, 2011a, 2011b, 2013, 2016; Martel, 2008).

Les auteurs de cette communication s’intéressent au rôle joué dans cette évolution du travail de rue par le tissage de solidarités qui s’étend et se consolide entre les acteurs concernés depuis plus de 25 ans au sein de trois principales structures associatives : l’Association des travailleurs et travailleuses de rue du Québec (ATTRueQ), né en 1993 avec une vingtaine de membres et qui compte désormais plus de 200 membres; le Regroupement des organismes communautaires québécois pour le travail de rue (ROCQTR), fondé en 2007 par près d’une vingtaine d’organismes et qui réunit maintenant une quarantaine d’organisations; enfin, le Réseau international des travailleurs sociaux de rue - Street Workers Network, créé en 2001 et coordonné par Dynamo international, qui réseaute des plateformes nationales d’une quarantaine de pays. Après avoir brièvement illustré les formes de solidarités institutionnelles, communautaires et interpersonnelles que peut activer le travail de rue dans un territoire, cette communication exposera les manières dont la vie associative de cette communauté de pratique participe à la mise en place et à l’entretien des conditions favorables au déploiement du potentiel de cette forme d’intervention (Fontaine et Wagner, 2017). Nous verrons ainsi comment les espaces associatifs que constituent l’ATTRueQ, le ROCQTR et le réseau international des travailleurs sociaux de rue représentent des espaces d’entraide, de ressourcement, de formation, de régulation et de reconnaissance mutuelles ainsi que des lieux de mobilisation où consolider la force d’élaboration stratégique et d’interpellation politique de ces acteurs, que ce soit sur le plan des revendications en faveur des personnes en situation d’exclusion ou de la promotion de la reconnaissance et du développement du travail de rue (Fontaine, dir. 2010; Richard, 2015).

Partant de faits saillants et d’exemples tirés de l’expérience de cette vie associative professionnelle et organisationnelle, aux échelles locale, régionale, nationale et internationale, les présentateurs mettront en lumière quelques-uns des leviers de solidarité qui animent leur communauté de pratique ainsi que quelques défis auxquels font face ces organisations où se croisent des acteurs dont les conditions de vie et d’exercice professionnel sont apriori fort hétérogènes.

Bibliographie

Baillergeau, E. (2016). « Aller vers » les populations en rupture. Les enjeux théoriques et pratiques de la notion d'outreach appliquée à la lutte contre les exclusions et la précarité. Dans M.-H. Soulet (dir.), Les nouveaux visages du travail social (p.145-164). Fribourg: Academic Press Fribourg.
Castillo Gonzalez, E., Marion, É. et Saulnier, M. (2015). Travail de rue, reconnaissance et citoyenneté : étude d’un cas montréalais. Service social, 61(1), 93-108.
Cefaï, D. et Gardella, É. (2011). L’urgence sociale en action : Ethnologie du Samusocial de Paris. Paris : La Découverte.
Cheval, C. (2001). Des travailleurs de rue créateurs de liens sociaux. Dans H. Dorvil et R. Mayer (dir.), Problèmes sociaux – tome II – Études de cas et interventions sociales. (p. 362-385). Québec : PUQ.
Clément, M., Gélineau, L. et McKay, A.-M. (dir.). (2009). Proximités : lien, accompagnement et soin. Québec : PUQ.
Davoine-Tousignant, M. et Masson, P. (2015). Connaître et comprendre le travail de rue. Repéré sur le site du ministère de la Sécurité publique : http://www.securitepublique.gouv.qc.ca/fileadmin/Documents/police/publications/bip/bip-mai-2015.pdf
de Boevé, E. et Giraldi, M. (dir.). (2010). Guide international sur la méthodologie du travail de rue. Paris : L’Harmattan.
Fontaine, A. (2011a). La culture du travail de rue : une construction quotidienne. Thèse de doctorat en service social, Université de Montréal, Montréal.
Fontaine, A. (2011b). Le travailleur de rue, passeur et médiateur dans la vie des jeunes. In M. Goyette, C. Bellot et A. Pontbriand (dir.), Les transitions à la vie adulte des jeunes en difficulté : concepts, figures et pratiques (p. 187-200). Québec : PUQ.
Fontaine, A. (2013). Le travail de rue : accompagner les jeunes au fil de leurs aléas existentiels et quotidiens. Lien social et Politiques, (70), 189-203.
Fontaine, A. (2016) Les travailleurs de rue, témoins-acteurs dans les zones grises de la lutte contre l’intimidation, Service social, 62 (1), 57–71
Fontaine, A. et G. Wagner (2017), La négociation du sens et des usages des pratiques en travail de rue auprès des jeunes, Québec, Université Laval
Lamoureux, G. (1994) Histoire du travail de rue au Québec. Dans J. Pector (dir.) Actes du colloque Une génération sans nom (ni oui), tenu du 24 au 26 avril 1992, 250-255
Martel, G. (2008). Le travail de rue : une pratique préventive auprès des jeunes à risque d’adhérer à un gang? Montréal : Société de criminologie du Québec pour la Direction de la prévention et de la lutte contre la criminalité, Ministère de la sécurité publique.
Richard, S. (2015). De l’émergence à la reconnaissance du travail de rue au Québec. Repéré sur le site du ministère de la sécurité publique : http://www.securitepublique.gouv.qc.ca/fileadmin/Documents/police/publications/bip/bip-mai-2015.pdf

Présentation des auteurs

Steve Richard, directeur de l’organisme R.A.P. Jeunesse des Laurentides, Président du Regroupement des organismes communautaires québécois pour le travail de rue (ROCQTR), membre associé de l’ATTRueQ, formateur au Centre de formation communautaire CPEC

Francis Lacharité, diplômé d’un baccalauréat en psychoéducation, coordonnateur clinique au Refuge La Piaule Centre du Québec, délégué de l’ATTRueQ et du ROCQTR au Réseau international des travailleurs sociaux de rue Dynamo international, membre actif de l’ATTRueQ

Gabriel Wagner, étudiant à la maîtrise en service social à l’Université Laval et auxiliaire de recherche pour la recherche sur la négociation du sens et des usages des pratiques en travail de rue auprès des jeunes.

Annie Fontaine, professeure agrégée à l’École de service social de l’Université Laval, membre de l’Observatoire Jeunes et Société (OJS) et du Centre de recherche sur l’adaptation des jeunes et des familles à risques (JEFAR), membre fondatrice de l’ATTRueQ, membre expert au Réseau international des travailleurs sociaux de rue

Communication complète

La vie associative de la communauté de pratique en travail de rue : maillon d’une chaîne de solidarités avec les populations marginalisées
Steve Richard, directeur de l’organisme R.A.P. Jeunesse des Laurentides, Président du Regroupement des organismes communautaires québécois pour le travail de rue (ROCQTR), membre associé de l’ATTRueQ, formateur au Centre de formation communautaire CPEC

Francis Lacharité, diplômé d’un baccalauréat en psychoéducation, coordonnateur clinique au Refuge La Piaule Centre du Québec, délégué de l’ATTRueQ et du ROCQTR au Réseau international des travailleurs sociaux de rue Dynamo International, membre actif de l’ATTRueQ

Gabriel Wagner, étudiant à la maîtrise en service social à l’Université Laval, auxiliaire de recherche et d’enseignement, membre étudiant du Centre de recherche sur l’adaptation des jeunes et des familles à risque (JEFAR)

Annie Fontaine, professeure agrégée à l’École de service social de l’Université Laval, membre de l’Observatoire Jeunes et Société (OJS) et du Centre de recherche sur l’adaptation des jeunes et des familles à risque (JEFAR), membre fondatrice de l’ATTRueQ, membre expert au Réseau international des travailleurs sociaux de rue Dynamo International

Introduction
D’abord fondée dans une perspective juridique de droit social, la notion de solidarité, dont l’usage contemporain est associé au don ou à l’entraide (Théry, 2011), voire à une formule d’union ou de combat (Ruby, 1997), constitue le socle indispensable à toute vie sociale (Paugam, 2011). Or, prenant forme à l’entrecroisement d’une pluralité de liens sociaux (Paugam, 2008), ce socle doit aujourd’hui être réfléchi à la lumière des processus contemporains de complexification de l’organisation sociale et de singularisation des trajectoires individuelles (Cheval, 2001). Dans ce contexte d’effritement des solidarités traditionnelles et de fragmentation des solidarités étatiques, plusieurs personnes et groupes sociaux se retrouvent en déficit de ressources pour tisser et entretenir des liens capables de leur assurer un minimum de sécurité et de bien-être (Paugam, 2008).

Face aux défis pour la communauté et pour l’État de composer avec les réalités associées à de telles ruptures sociales, on assiste à la reconnaissance grandissante des perspectives d’intervention souples qui permettent de rejoindre, dans leurs milieux de vie, et d’accompagner les personnes et les groupes pour répondre à leurs besoins de manière personnalisée. Le travail de rue fait partie de ces pratiques qui, par une implication et une insertion des travailleurs de rue à la vie sociale d’un territoire, favorisent la participation et la reconnaissance sociale des populations les plus vulnérables ainsi que l’exercice de leur citoyenneté (Castillo Gonzalez, Marion et Saulnier, 2015), en plus de contribuer à les mettre en relation avec des dispositifs qui peuvent les aider à répondre à leurs besoins (de Boevé et Giraldi, 2010).

La présente communication propose de décrire comment la toile de solidarités professionnelles et organisationnelles qui anime la vie associative entre acteurs en travail de rue participe à l’actualisation d’une pratique d’intervention sociale génératrice de solidarités de proximité au sein des communautés. Partant de faits saillants et d’exemples tirés de l’expérience de cette vie associative professionnelle et organisationnelle aux échelles locale, régionale, nationale et internationale, nous mettront en lumière quelques-uns des leviers de solidarité qui animent cette communauté de pratique ainsi que quelques défis auxquels font face ces organisations où se croisent des acteurs dont les conditions de vie et d’exercice professionnel sont a priori fort hétérogènes.

1. Mise en contexte du travail de rue

1.1. La mission du travail de rue : Aller vers le territoire de l’autre, une forme de solidarité avec les populations exclues
Bien que les définitions du travail de rue varient selon les contextes d’interactions sociales dans lesquels cette pratique s’actualise, certaines notions agencées sous une forme processuelle permettent d’en proposer une définition générique de base. Ainsi, à la lumière des résultats d’une recherche portant sur la négociation du sens et des usages des pratiques en travail de rue auprès des jeunes, le travail de rue peut être défini comme « une pratique qui s’exerce à travers une présence quotidienne dans les milieux de vie des personnes et qui s’appuie sur l’établissement d’une relation de confiance avec elles pour les accompagner vers un mieux-être » (Fontaine et Wagner, 2017 : 25).

Dans cette perspective, l’ « aller vers » (Baillergeau, 2015), soit le déplacement physique des travailleurs de rue vers le territoire de personnes plus ou moins marginalisées, constitue le point de départ de cette pratique. Fondé sur ce mouvement de rapprochement, le travail de rue gagne de plus en plus en reconnaissance de la part de l’État qui voit dans ce mode d’intervention de proximité (Clément et al., 2009) une manière de prolonger en marge sa responsabilité de répondre aux besoins des citoyens « qui n’ont plus la force de réclamer » diraient Céfaï et Gardella (2011 : 39).

En ce sens, il semble que cet « aller vers » les populations marginalisées constitue la trame d’un chemin de solidarité avec les personnes plus ou moins en rupture sociale, à travers le partage de leur quotidienneté et l’accompagnement vers leur mieux-être, mais également par la favorisation de l’entraide, de la médiation et de la collaboration dans la communauté (Castillo Gonzalez, Marion et Saulnier, 2015; Cheval, 2001; Davoine-Tousignant et Masson, 2015; de Boevé et Giraldi, 2010; Fontaine, 2011a, 2011b, 2013, 2016; Martel, 2008). Prenant leur appui sur la qualité de la relation qu’ils tâchent de développer dans la proximité, « les travailleurs de rue s'attachent à l'humanisme et à la globalité de [l’]approche. En ce sens, ils revendiquent un droit que tous les intervenants ne s'accordent pas, celui d’aimer les jeunes » (Collectif d’écriture de l’ATTRueQ, 1997 : 10).

Enfin, de manière à mobiliser le potentiel de leur pratique pour répondre avec adéquation aux besoins des personnes, les travailleurs de rue doivent user d’un large éventail d’actions s’inscrivant dans « une approche d’intervention globale, généraliste et polyvalente [leur] permettant de s’adapter à une large diversité de besoins » (Fontaine et Wagner, 2017 : 40). Un vaste répertoire d’actions d’intervention individuelle, de groupe et collective constituent, à cet effet, autant de portes d’entrée pour favoriser le maintien ou l’émergence de réseaux sociaux de solidarité (de Boevé et Giraldi, 2010; de Boevé et Gosseries, 2005).

Au final, la notion de solidarité est entendue, en travail de rue, sous l’angle de la promotion et du renforcement de solidarités mutuelles. En effet, comme le souligne Petrella, dans son avant-propos du Guide international sur la méthodologie du travail de rue (2010), la solidarité « signifie non pas la compassion et la charité des "riches" envers ceux "qui n’ont pas", mais la responsabilité de chacun envers les membres de la communauté d’appartenance et, entre communautés, vis-à-vis des autres communautés qui habitent la Terre, dans le cadre de règles du "vivre ensemble" fondées sur le droit de tous et de toutes à la vie et à la sécurité d’existence » (p.9).

1.2. Aperçu des variations de cette pratique en fonction des contextes sociohistoriques dans lesquels elle s’est développée
Le travail de rue s’est développé et implanté de façons variées selon les contextes historiques, économiques et sociopolitiques, ce qui fait que les conditions d’exercice diffèrent grandement d’un pays à l’autre.

Ainsi, chez nos collègues haïtiens, par exemple, une grande proportion des gens qui œuvrent auprès des enfants en situation de rue le font sur une base d’engagement volontaire et bénévole, le statut de travailleur de rue ne disposant d’aucune reconnaissance professionnelle par l’État. Cet état de situation se répète dans de nombreux pays du continent africain, mais aussi chez d’autres voisins d’Amérique du Sud, ou en Asie, où les populations vivant dans la rue ne disposent d’aucun droit, dont celui d’être considéré comme citoyen à part entière. À l’opposé de cette précarité professionnelle, des travailleurs de rue d’autres pays sont rémunérés à même les fonds publics, que ce soit de manière directe au sein des services publics, par exemple dans certains pays scandinaves, ou encore, en Europe et en Amérique du Nord, par le biais d’associations subventionnées plus ou moins autonomes ou encadrées par l’État.

Dans cette large étendue de réalités sociopolitiques et socioculturelles, le Réseau international des travailleurs sociaux de rue, que nous présenterons sous peu, amène la rencontre de milliers d’acteurs de terrain (de même que des centaines d’associations) vivant de grandes disparités tant en ce qui a trait à leur reconnaissance qu’à leurs moyens d’action (Dynamo International Street Workers Network, 2014), ces derniers étant, dans bien des cas, le reflet du poids des politiques sociales de chaque pays.

Au final, les solidarités tissées entre les différents acteurs du Réseau reposent sur ce qu’ils ont en commun, soit une approche humaniste et respectueuse de la dignité humaine. Prônant le respect des droits et libertés de chaque individu quel qu’il soit et où qu’il soit, les différentes organisations en travail de rue, par leurs mobilisations internationales, travaillent « à lentement construire des réponses structurelles et durables face aux problématiques vécues par les publics rencontrés dans les rues » (Ibid., paragr. 2).

1.3. Le développement des solidarités organisationnelles et professionnelles en travail de rue au Québec
Selon Lamoureux (1994), le travail de rue a émergé au Québec au début des années 1970 avec la vocation de combler le « chaînon manquant » entre les services sociaux et les adolescents et jeunes adultes plus ou moins marginalisés. Après cette première période de popularité, le travail de rue a connu une phase plus « underground » au cours des années 1980, pour ensuite prendre graduellement de plus en plus de place dans le paysage sociosanitaire (Richard, 2015).
Pour comprendre ce processus de développement de la pratique du travail de rue au Québec, il importe de considérer l’impact qu’a pu avoir le tissage de solidarités s’étant depuis plus de 25 ans étendues et consolidées entre de nombreux acteurs concernés, et plus particulièrement au sein de trois principales structures associatives.
Parmi ces structures associatives, l’Association des travailleurs et travailleuses de rue du Québec (ATTRueQ), née en 1993 avec une vingtaine de membres, et qui compte désormais plus de 200 membres, a su regrouper de nombreux travailleurs de rue du Québec et d’autres partenaires afin d’assurer la promotion du travail de rue au sein de la société québécoise et de répondre aux besoins de ses praticiens.
En second lieu, le Regroupement des organismes communautaires québécois pour le travail de rue (ROCQTR), fondé en 2007 par près d’une vingtaine d’organismes, et qui réunit maintenant une quarantaine d’organisations, joue un rôle important de mise à l’avant-scène du travail de rue dans la société québécoise, le tout porté par des considérations politiques, économiques et organisationnelles.
Enfin, le Réseau international des travailleurs sociaux de rue, également nommé Street Workers Network, créé en 2001 et coordonné par Dynamo International, réseaute des plateformes nationales d’une quarantaine de pays. Le Réseau cherche à soutenir la qualité des pratiques en travail de rue en offrant, entre autres, de la formation et des outils pédagogiques et en initiant diverses mobilisations internationales (Dynamo International Street Workers Network, 2014).
2. Potentialités et enjeux des solidarités professionnelles et organisationnelles en appui à l’actualisation du travail de rue
Les diverses formes de solidarité qui prennent forme dans ces sphères de vie associative en travail de rue participent à la mise en place et à l’entretien des conditions favorables au déploiement du potentiel de cette forme d’intervention (Fontaine et Wagner, 2017). Dans la partie qui suit, nous verrons comment les liens de solidarité qui se tissent, à l’échelle locale au sein et autour des organismes communautaires en travail de rue, ceux qui rattachent les praticiens au sein de l’ATTRueQ, qui relient les organismes communautaires en travail de rue au sein du ROCQTR et ceux qui réunissent les plateformes nationales au sein du réseau international des travailleurs sociaux de rue, représentent des espaces de ressourcement, d’élaboration stratégique et d’interpellation politique (Fontaine, dir., 2010; Richard, 2015), et ce, tout en abordant quelques enjeux qui traversent ces modes de solidarités.

2.1. Les solidarités entre pairs comme lieu d’ancrage et bassin de ressourcement
D’abord, les espaces associatifs en travail de rue constituent des lieux d’appartenance et d’entraide au sein desquels les acteurs peuvent trouver l’ancrage et le ressourcement dont ils ont besoin pour se rendre capable d’engagement auprès des personnes et populations marginalisées. En effet, faire partie d’une équipe permet au praticien d’avoir accès à un espace protégé où réfléchir, tester, questionner et faire évoluer ses interventions pour mieux répondre aux besoins des personnes rejointes.

L’appartenance à une association professionnelle comme l’ATTRueQ permet aussi aux praticiens de coproduire et de mobiliser une gamme d’expertises qui facilitent l’appropriation des bases méthodologiques de la pratique, par le partage de connaissances et de compétences cliniques pertinentes à l’exercice et à l’adéquation du travail de rue. Le ressourcement constitue d’ailleurs un des éléments importants de la mission de l’ATTRueQ qui vise entre autres à « favoriser auprès de ses membres la diffusion d’information sur le travail de rue et sur les dimensions qui en assurent son exercice [ainsi qu’à] être un lieu d’échange et de rencontre entre les travailleurs de rue du Québec » (ATTRueQ, 2017: 4).

Si les organismes locaux et l’ATTRueQ jouent un rôle fondamental en tant qu’espaces de ressourcement pour les praticiens en travail de rue, le ROCQTR et le réseau international constituent également des espaces importants d’appartenance, de mise en commun d’expertises et de partage d’informations, que ce soit pour permettre aux coordonnateurs d’organisations membres du ROCQTR de se consulter mutuellement face à des défis partagés ou, à l’échelle internationale, en soutenant un projet de formation offert par des membres du réseau aux acteurs d’un pays en train de développer une plateforme nationale de travailleurs de rue.

Quoique l’importance d’avoir accès à un espace d’ancrage et de ressourcement fasse clairement partie des conditions d’adéquation du travail de rue selon les acteurs concernés (Fontaine et Wagner, 2017), l’établissement d’un tel lieu de solidarités entre pairs comporte certains enjeux. Ainsi, comme l’identité collective se dessine non seulement par l’identification à des caractéristiques partagées, mais aussi par la différenciation, des débats traversent périodiquement les espaces de solidarité associative autour de la définition du QUI fait partie du NOUS, et qui en est exclu. Par exemple, les membres de l’ATTRueQ ont une conception variable du caractère plus ou moins exclusif de la définition du travail de rue sur laquelle doivent se fonder les critères d’adhésion à l’association professionnelle; le ROCQTR a quant à lui à se prononcer sur la « portion » de la mission qu’un organisme doit accorder à cette pratique pour devenir membre actif du regroupement. À l’échelle internationale, les énormes variations des contextes de pratique (publics visés, types d’intervention, statut vis-à-vis de l’État, etc.) rendent également difficile le fait de formuler un discours et d’établir des règles de vie associative adaptées à chaque plateforme nationale.

2.2. La solidarité entre organisations en travail de rue comme moteur en faveur de la reconnaissance de la pratique
En plus d’offrir des lieux d’ancrage pour les acteurs, les solidarités professionnelles et organisationnelles en travail de rue agissent comme moteur pour réunir les ressources nécessaires au déploiement de cette pratique en œuvrant à la reconnaissance, au maintien et au renouvellement des conditions d’adéquation du travail de rue auprès des populations marginalisées.

À cet égard, les organismes locaux jouent un rôle indispensable pour valoriser le rôle du travailleur de rue auprès des partenaires et des bailleurs de fonds. L’ATTRueQ, grâce au poids du nombre de ses membres et à son ancienneté, contribue également au rayonnement du travail de rue au Québec, de même que les activités du réseau international, par exemple, la tenue à Québec en 2009 de la rencontre internationale des travailleurs de rue qui a permis d’attirer l’attention des médias et des décideurs publics.

Bien que tous ces espaces associatifs contribuent à la reconnaissance du travail de rue, c’est surtout au ROCQTR que se concentrent les solidarités organisationnelles qui soutiennent la consolidation des conditions d’exercice de cette pratique. Cette fonction structurante fait d’ailleurs partie de l’énoncé de mission du regroupement dont témoignent ces extraits : « promouvoir la reconnaissance de la pratique du travail de rue; favoriser le développement des organismes communautaires en travail de rue; favoriser l’amélioration des conditions d’exercice du travail de rue » (ROCQTR, 2008 : 2).

En somme, les acteurs en travail de rue pensent que le ROCQTR a un rôle de tampon à exercer face aux pressions technocratiques et politiques, en même temps qu’il a à jouer un rôle de pont pour valoriser la reconnaissance du travail de rue (Fontaine et Wagner, 2017). Selon eux, il est essentiel que les solidarités organisationnelles développées au sein du ROCQTR servent à lutter pour la pérennisation du financement des organismes communautaires en travail de rue, considérant que c’est leur ancrage dans la communauté et la continuité de la présence des équipes sur le terrain qui permettent de faire fructifier la confiance établie dans les milieux et ainsi faciliter le développement de liens avec les personnes qui se tiennent à distance des structures sociales.

Or, si ces mobilisations sont indispensables pour revendiquer les ressources nécessaires au déploiement du travail de rue, elles posent des défis importants. Ainsi, les stratégies collectives mises en œuvre pour consolider les conditions d’exercice de ce mode d’intervention engagent les acteurs en travail de rue à tisser diverses alliances entre eux avec d’autres regroupements. Naviguant à travers une configuration d’alliances et de contre-alliances en constante mouvance au fil des aléas de la nouvelle gestion publique, les organisations en travail de rue doivent jauger les convergences et divergences d’intérêts spécifiques et collectifs, à court et long terme entre leurs propres luttes de reconnaissance et celles plus larges du mouvement communautaire (Fontaine et Wagner, 2017).

2.3. La solidarité entre acteurs en travail de rue comme vecteur d’interpellation politique en faveur de la défense et de la promotion des droits des populations marginalisées
En plus d’agir comme lieu de ressourcement et moteur de reconnaissance, les espaces associatifs en travail de rue constituent un levier important pour participer au changement social, en mobilisant les acteurs dans diverses stratégies d’interpellation politique en faveur des droits et du mieux-être des populations marginalisées.

À l’échelle locale et nationale, au Québec, cette dimension se traduit principalement à travers le discours humaniste que portent les acteurs en travail de rue, pour qui le partage d’espaces réflexifs est perçu comme un vecteur de dynamisation de cette culture partagée et comme espace de conscientisation des enjeux structurels et relationnels qui influencent la réalité des personnes qu’ils accompagnent et leurs interventions auprès d’elles.

Or, si certaines préoccupations sociopolitiques se dégagent des milieux associatifs en travail de rue au Québec, l’implication au sein du réseau international en travail de rue aura permis de constater comment d’autres pays, en particulier en Amérique du Sud, insistent davantage sur cette fonction critique du travail de rue et sur le potentiel de changement social de la mobilisation associative.

L’importance qu’accorde Dynamo international aux luttes sociales place d’ailleurs ce réseau en leader de ce type de solidarisation, comme en témoigne sa mission qui inclut de « contribuer à la défense et au respect des droits de l'enfant, à l'application de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et à l'amélioration des conditions de vie des enfants et des jeunes, filles et garçons en situation de rue et/ou avec moins d'opportunités au Nord comme au Sud » (Dynamo International Street Workers Network, s.d.). Cet espace de solidarité internationale permet aux travailleurs de rue de prolonger la portée de leurs actions locales à un niveau plus global, en collectivisant les préoccupations et l’indignation portées et vécues par les praticiens sur le terrain (de Boevé et Giraldi, 2010).

Or, pour accomplir cette visée de rendre visible la réalité et les besoins des publics rencontrés, la diversité des contextes socio-économiques, culturels et géopolitiques des pays membres de cette toile de solidarité internationale soulève le défi de trouver vers quel interlocuteur diriger les revendications du réseau Dynamo international. Si, à l’échelle européenne, les recommandations ont pu jusqu’à ce jour être adressées au parlement de l’Union européenne, la cible de ces mobilisations est moins évidente pour les partenaires des autres parties du monde qui n’ont pas d’interlocuteur équivalent.

Le réseau international contribue aussi à soutenir les luttes et les revendications des différents pays membres. Par exemple, la rencontre des membres de Dynamo en 2014 en sol bolivien a permis la mobilisation des acteurs locaux pour renforcer la création d’un réseau de travailleurs de rue dans le pays. De même, en 2016, la rencontre tenue à Dakar, au Sénégal, a aussi été utilisée pour mobiliser les acteurs politiques locaux de la ville sur la question des droits des enfants en situation de rue. En somme, la présence de délégués de plus de 20 ou 30 pays incite les médias à faire une plus grande couverture médiatique, et les élus à donner une attention particulière aux demandes et préoccupations locales.

Or, si la tenue de ces séminaires internationaux peut devenir un levier au niveau local pour le pays hôte, le déplacement du lieu de ces rencontres en rotation tous les deux ans sur les quatre régions continentales (Europe, Asie, Afrique et Amérique) soulève l’enjeu du financement et de la participation des délégués de chacune des plateformes membres, sans parler des difficultés administratives auxquelles font face de nombreux collègues pour l’obtention des visas. Pour atténuer ces inégalités, le réseau tâche d’actualiser des principes de solidarité inclusive, par exemple, en établissant un montant de cotisation non pas en fonction du P.I.B. des pays d’où les associations sont issues, mais en fonction de la capacité à payer de chacune des plateformes ou associations, ou encore en utilisant un fonds de solidarité constitué pour soutenir une plateforme face à des difficultés, par exemple, après le séisme de 2015 au Népal, pour apporter un soutien financier à nos collègues sur le terrain afin de venir en aide aux populations des rues, déjà en situation de grave précarité dans ce pays.

Conclusion
Les quelques retombées des solidarités que nous avons présentées ici s’alimentent mutuellement et gagnent en potentialité à travers leur interdépendance. Ainsi, la solidarité à l’échelle locale se nourrit des implications dans les sphères de solidarité de l’association des travailleurs de rue, du regroupement des organismes et du réseau international et, réciproquement, ces dernières gagnent en force grâce à la consolidation des solidarités communautaires à l’échelle locale.

Le défi de tisser des passerelles entre les personnes marginalisées et les institutions concernées par leurs besoins et aspirations aura contribué, au fil des dernières années, à mettre en valeur la pertinence sociale du travail de rue (Baillergeau, 2015; Céfaï et Gardella, 2011; Cheval, 2001; Castillo Gonzalez, Marion et Saulnier, 2015; de Boevé et Giraldi, 2010; Fontaine, 2003, 2010, 2011a, 2011b, 2013; Martel, 2008).

Ce court exposé a tâché de montrer comment la toile de solidarités qui se trament entre les acteurs et organisations impliqués en travail de rue contribue à développer une meilleure réponse aux besoins et aux aspirations des personnes marginalisées, en favorisant la reconnaissance des conditions nécessaires (temps, ancrage, continuité, flexibilité, ressources, latitude) pour bâtir un univers de sens commun avec ces personnes et ainsi accroître l’adéquation et la portée des actions réalisées avec elles (Fontaine et Wagner, 2017).

Comme nous l’avons rapidement effleuré ici, les solidarités qui animent ces espaces associatifs servent non seulement à promouvoir cette pertinence sociale du travail de rue, mais elles servent aussi à filtrer les pressions qu’exerce la quête quantitative de performance dans la gestion publique (Jetté et Goyette, 2010) et à négocier la marge de manœuvre nécessaire pour mettre en œuvre une pratique axée sur le tissage de liens sociaux.




Bibliographie
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