Fiche Documentaire n° 5166

Titre LE MODELE D’INTERVENTION DU WAPIKONI : LA CRÉATION CINÉMATOGRAPHIQUE ET MUSICALE COMME OUTILS DU VIVRE ENSEMBLE

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Auteur(s) BARBEAU Manon  
Site de l'auteur www.wapikoni.ca ( BARBEAU Manon )  
     
Thème Conférence plénière congrès Montréal  
Type Autre (poster, ...)  

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Résumé

LE MODELE D’INTERVENTION DU WAPIKONI : LA CRÉATION CINÉMATOGRAPHIQUE ET MUSICALE COMME OUTILS DU VIVRE ENSEMBLE

Le Vidéo Paradiso et le Wapikoni mobile sont des studios ambulants d’intervention, de formation et de création audiovisuelle, le premier destiné aux jeunes de la rue, le second aux jeunes autochtones des communautés éloignés. Le Vidéo Paradiso a sillonné durant trois ans les quartiers chauds de Montréal et de Québec donnant la parole aux jeunes de la rue. Le Wapikoni mobile, quant à lui, en est à sa douzième année d’existence, a roulé vers 58 communautés éloignées au Québec et au Canada et desservi des milliers de jeunes autochtones. Nous nous attarderons ici à ce dernier projet qui a généré à ce jour plus de 900 films, comme autant de ponts vers l’autre, vers cette solidarité dont nous rêvons tous, entre humains d’horizons différents partageant un même territoire, plus ou moins vaste.
Le Wapikoni a été cofondé en 2003 par le Conseil des jeunes des Premières Nations, et le Conseil de la Nation Atikamekw et moi-même. Wapikoni Awashish, une jeune atikamekw de 20 ans en est l’inspiratrice. Comme cinéaste, je travaillais alors à l’écriture du scénario collectif « La fin du Mépris » avec un groupe de quinze jeunes autochtones de Wemotaci, petite communauté située au nord de La Tuque. Wapikoni (qui veut dire « fleur » en atikamekw) était la figure de proue de ce groupe et mon bras droit. Un accident de la route avec un camion forestier allait toutefois lui enlever la vie en juin 2002. L’écriture du scénario a été interrompue et le Wapikoni mobile a été créé pour servir la collectivité. Il porte son nom pour honorer sa mémoire.
Quatre studios ambulants ont depuis été aménagés. Pourvus d’une pièce centrale servant de lieu de formation et de projection, d’une salle de montage et d’un studio d’enregistrement, ils sont munis d’équipements à la fine pointe des technologies numériques. Ainsi équipés et répondant à l’invitation des chefs et des Conseils de bande, les studios ambulants se rendent dans les communautés éloignées pour offrir aux apprentis cinéastes des ressources auxquelles ils ont difficilement accès.
Durant 4 semaines, deux cinéastes formateurs, un intervenant jeunesse et un coordonnateur local encadrent ces ateliers qui regroupent en moyenne 25 participants et génèrent 5 courts-métrages sur des thématiques choisis par les participants eux-mêmes. Au terme de la formation, les œuvres sont présentées devant la communauté lors d’une projection publique, rassemblant des centaines de personnes (famille, amis, aînés, représentants du Conseil de bande). Il s’agit toujours d’un moment fort de fierté identitaire de la collectivité et de rapprochement intergénérationnel.
Le point d’orgue des activités du Wapikoni mobile est sans conteste, le lancement annuel de leurs courts métrages dans le cadre du Festival du nouveau cinéma devant le grand public montréalais. Les cinéastes autochtones viennent alors de loin pour établir un dialogue avec des spectateurs de plus en plus nombreux chaque année. Ceux-ci ont manifesté une fois de plus leur soutien lors du dernier événement, le 14 octobre 2016 dans la prestigieuse salle du Cinéma Impérial, affichant salle pleine.
Ces films débutent par la suite un circuit international participant à plus de 250 événements publics chaque année dans des festivals, colloques et forums divers et contribuant ainsi à rendre visible ce peuple trop longtemps invisible. Des ateliers de sensibilisation aux réalités des Premières Nations sont aussi organisés dans les écoles.
Car le mandat du Wapikoni est multiple : briser l’isolement des communautés éloignées et contrer les idées noires, donner une voix et la faire entendre du plus grand nombre, développer la fierté culturelle et identitaire, développer l’empowerment et le leadership, créer des ponts vers l’Autre, réduire ainsi racisme et préjugés et contribuer à la solidarité entre les peuples.
Au-delà de l’art et de la liberté d’expression, la vidéo et la musique deviennent alors de puissants outils de transformation sociale pour les jeunes des Premières Nations et pour la société en général.
Initié par le Wapikoni en 2014 le RICAA, premier Réseau International de Création Audiovisuel autochtone, crée des ponts avec des créateurs et des organismes audiovisuels autochtones à travers le monde. Il regroupe maintenant 50 membres de 18 pays. Ces créateurs d’horizons différents, qui partagent les mêmes valeurs, les mêmes problématiques, les mêmes enjeux, les mêmes rêves, peuvent ainsi unir leurs voix et se faire entendre par la création d’œuvres cinématographiques collectives et travailler ensemble à la solidarité entre les peuples, autochtones et non autochtones, dans le but d’un enrichissement réciproque et d’une société plus juste.

Bibliographie


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Présentation des auteurs

Manon Barbeau est née au Québec à oeuvré pendant plus de 30 ans, comme scénariste et réalisatrice pour plusieurs organismes, notamment Télé-Québec et l’Office national du film (ONF). Elle a écrit des centaines de scénarios et réalisé une dizaine de documentaires plusieurs fois primés. En 2003, elle fonde le Wapikoni mobile en collaboration avec le Conseil de la nation Atikamekw, le Conseil des Jeunes des Premières Nations et le soutien de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador et l’Office national du film du Canada. En 2014, avec une quinzaine de partenaires internationaux, elle fonde le RICAA, premier réseau international de Création Audiovisuel Autochtone. En 2016, elle devient Mentore de la Fondation Pierre-Élliott Trudeau et récipiendaire de l’Ordre du Canda pour des réalisations cinématographiques et son dévouement auprès des jeunes des Premières Nations. Le 17 mai 2017, elle est nommée Chevalière de l’Ordre du Canada.

Communication complète

LE MODELE D’INTERVENTION DU WAPIKONI : LA CRÉATION CINÉMATOGRAPHIQUE ET MUSICALE COMME OUTILS DU VIVRE ENSEMBLE
Par Manon Barbeau, fondatrice, directrice générale et artistique du Wapikoni mobile

Le Vidéo Paradiso et le Wapikoni mobile sont des studios ambulants d’intervention, de formation et de création audiovisuelle, le premier destiné aux jeunes de la rue, le second aux jeunes autochtones des communautés éloignés. Le Vidéo Paradiso a sillonné durant trois ans les quartiers chauds de Montréal et de Québec donnant la parole aux jeunes de la rue. Le Wapikoni mobile, quant à lui, en est à sa treizième année d’existence, a roulé vers 58 communautés éloignées au Canada et en Amérique du sud et desservi des milliers de jeunes autochtones. Nous nous attarderons ici à ce dernier projet qui a généré à ce jour plus de 920 films, comme autant de ponts vers l’autre, vers cette solidarité dont nous rêvons tous.
Tout commença en 1999 à Listuguj, communauté micmaque de la Gaspésie. C’était le pow-wow annuel et j’y venais dans le cadre d’une recherche cinématographique sur les rituels de passage célébrant la puberté des jeunes filles : L’or rouge.
Cette recherche m’avait d’abord menée en Arizona, au coeur des mon¬tagnes. Je fus accueillie par une famille apache. En magnifique robe de buffle blanche et recouverte de pollen doré, mise à l’épreuve par les Crown Dancers, esprits descendus des montagnes, effrayants dans leurs parures colo¬rées, Joycinda, 14 ans depuis peu, participait à la cérémonie « Changing Woman ». Elle dansa trois jours et trois nuits avant de retrouver son jean, son T-shirt et son coca-cola, désormais femme.
À Listuguj, je rencontrai des aînées peu loquaces sur le sujet des rituels de passage et ma recherche n’avança pas beaucoup. Mais j’y vécu ma pre¬mière expérience de tente de suda¬tion : une vraie épreuve, mais aussi une vraie révélation. J’y découvris ma force, et une porte d’entrée vers une spiritualité qui m’était étrangère. À la sortie de la tente, après six heures de chaleur inimaginable, je voyais, comme pour la première fois, un ciel de nuit piqué d’étoiles, immense et d’une beauté extraordinaire. Un grand calme allait m’accompagner pendant plusieurs jours.
En septembre 2000, je me retrouvai au pow-wow de Wemotaci, petit village atikamekw à 115 kilo¬mètres au nord de La Tuque, à l’invi¬tation du chef de bande Marcel Boivin, rencontré à Listuguj. La longue route de terre qui mène à Wemotaci tra¬verse une forêt sauvage, dense, par¬semée de grands lacs clairs. Cette route est dangereuse. Plusieurs y ont trouvé la mort. Je l’ai souvent utilisée. Chaque fois, elle m’a semblé intermi¬nable. Dans un aveuglant nuage de poussière, on y croise des camions forestiers lourdement chargés, des tout-terrain et des pick-up pressés d’arriver à destination. Après le pont traversant le Saint-Maurice, qui était autrefois la seule voie d’accès au vil¬lage, la petite communauté apparaît, longeant la rivière, son petit cimetière fleuri de plastique multicolore à sa gauche. Premier rendez-vous donc dans la maison de Marcel Boivin et de son inspirante épouse Mary Coon, que j’allais vite considérer comme une amie. J’expose mon projet de film. Mary ouvre la porte arrière de la maison et appelle quelqu’un. Une jeune femme entre, jolie, sourire doux, yeux intel¬ligents : Wapikoni Awashish. Je ne me doute pas de l’importance que cette jeune femme de 19 ans, dont le prénom signifie petite fleur, prendra dans ma vie et dans celle des jeunes des Premières Nations du Québec.
Wapikoni rassemble autour d’elle un groupe variant entre huit et quinze jeunes garçons et de filles de son âge. Pendant deux ans, je prends le train depuis Montréal jusqu’à Sanmaur, la petite gare (sans gare) à la limite de la communauté. Chaque fois, quelqu’un du groupe m’attend dans son pick-up pour me conduire dans la communauté. Chaque fois, on m’aura trouvé un lit et un local où travailler en groupe et écrire ensemble. Comme le scénario sur les rituels de passage est reporté aux calendes grecques, on travaille plutôt à l’écriture d’un scénario de fiction et les idées fusent. Une histoire prend bientôt forme avec trame dramatique et dialogues imaginés par ce groupe assidu et collaboratif. La fin du mépris, c’est le titre du scénario qui témoigne de leurs préoccupations. La pre¬mière version est présentée et acceptée par la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) en 2002. Plusieurs des scénaristes doivent y jouer un rôle.
Mais le destin en décide autrement. Le 30 mai de cette même année, alors qu’elle se rend à un bingo, la voiture dans laquelle se trouve Wapikoni heurte un camion fores¬tier. David, membre du groupe et futur chef, me téléphone pour m’annoncer sa mort. J’ai l’impression de recevoir moi-même le billot qui l’a percutée en plein coeur. Douze ans plus tard, le chagrin m’habite encore. J’aimais comme ma propre enfant cette jeune fille lumineuse et douce. Elle m’avait aidée à m’inté¬grer dans la communauté, fait découvrir tout un pan d’un univers difficile en me tenant la main. Wapikoni avait perdu à l’adolescence sa mère, décédée d’une overdose. Je ne sais plus trop qui de nous deux était l’aînée et qui était l’enfant. C’était tantôt l’une, tantôt l’autre. Oui, la ren¬contre de Wapikoni a été l’une des rencontres exception¬nelles qui marquent une vie.
Après que des fleurs blanches eurent été jetées dans sa tombe, qu’un rituel funéraire traditionnel eut été célébré en cachette dans la cour de Mary Coon, il a été impossible de poursuivre l’écriture du scénario.
Mais cette communauté, je l’avais apprivoisée et je l’aimais. J’avais vécu d’autres expériences de tentes de sudation avec Mary Coon, Charles Coocoo et Marthe Coocoo. J’avais chassé l’outarde et tanné des peaux avec Ayami. J’y comptais des amis chers. J’avais pu par ailleurs constater la détresse des jeunes, être témoin du nombre élevé de sui¬cides et des hélicoptères qui vrombissaient ponctuelle¬ment dans l’air pour venir urgemment en aide à quelque désespéré, voire du téléphone cellulaire qu’Alexandra avait toujours en main au cas où un appel au secours lui parviendrait.
Je ne pouvais partir comme ça.
Déjà, pour Montréal et pour Québec, j’avais eu l’idée du Vidéo Paradiso, qui poursuivait le travail amorcé auprès des jeunes de la rue à la suite de L’armée de l’ombre. Ce long-métrage réalisé en 1999 leur donnait la parole. Le Vidéo Paradiso, premier studio mobile de création vidéo et musicale, continuera de le faire.
Ce studio ambulant met à la disposition des jeunes le matériel technologique nécessaire pour leur permettre de réaliser des films sur des sujets qui leur tiennent à coeur, d’enregistrer leur musique, de prendre la parole, de la faire entendre, de devenir visibles. Et de contrer ainsi le goût de mourir : que la mort ne soit plus une solution de rechange au mal-être, mais que la création, le plaisir et la valorisation qui en découlent le soient.
Ainsi naît également le Wapikoni mobile, baptisé en l’honneur de cette chère et précieuse Wapikoni. L’Office national du film (ONF), avec André Picard à la direction du programme français, décide de m’épauler.
Mais il nous faut d’abord l’adhésion des Premières Nations. Je suis déjà, pour quelques-uns, considérée comme Atikamekw. Je réalise donc une vidéo pour présenter le projet au Conseil de la Nation atikamekw (CNA) et obtenir son soutien. Puis, Clément St-Cyr, alors administrateur du CNA, nous accompagne, Liliane Tremblay et moi, à Wendake dans le but de rencontrer Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, et Claude Picard, son attaché politique. J’obtiens aussi leur l’appui. Le Wapikoni mobile est cofondé officiellement le 16 juillet 2003 par le Conseil de la Nation atikamekw et le Conseil des jeunes des Premières Nations, alors représenté par Maxime Vollant.
Guy Gendron, qui avait contribué à la mise sur pied du studio de l’Institut national de l’image et du son (INIS), met la main à la pâte. On trouve une vieille caravane qui avait usé sa carcasse sur les routes de Floride. Débarrassée du lit, la chambre devient une salle de montage, la douche un mini studio de son, le salon et la cuisine un lieu de rencontres, d’échanges, de formation.
Et commencent la grande aventure et la partie la plus exigeante de ma vie !
En 2004, les ateliers dans les communautés sont au nombre de cinq : trois communautés atikamekw (Wemotaci, Manawan Opitciwan) et deux communautés anichinabées (Pikogan et, jumelées, Lac-Simon/Kitcisakik). Les forma¬teurs – Rachelle Alouki-Labbé, Eza Paventi, Patrick Pellegrino, Mathieu Arsenault, Alexandre Lachance – sont alors de véritables pionniers.
Chacun des ateliers dure quinze jours, ce qui se révèle rapidement beaucoup trop court. Les équipes s’épuisent. La caravane, mal adaptée au climat, reste emprisonnée dans la neige de Wemotaci jusqu’au printemps suivant.
On doit donc ajuster l’intervention! Ce qu’on ne ces¬sera de faire durant les années qui suivront. Chercher comment améliorer notre intervention, être plus efficaces, plus respectueux, plus performants, mieux financés.
Les ateliers suivants durent donc un mois, plus une semaine de recrutement. Un intervenant jeunesse s’ajoute à l’équipe de deux formateurs. Nous fonctionnons depuis le début avec un coordonnateur autochtone originaire de la communauté visitée. Au fil du temps s’est ajouté à cette équipe un assistant-formateur autochtone, avec l’objectif qu’il puisse à son tour devenir formateur.
Le Wapikoni a maintenant responsabilité humaine. De jeunes participants cheminent vers un mieux-être et une confiance accrue en eux-mêmes et en la vie. Certains d’entre eux partent de très loin, avec encore des pulsions de mort ; parfois, la caméra devient pour eux la bouée de sauvetage à laquelle se raccrocher. Je suis personnellement témoin de moments à la fois bouleversants et lumineux. Je crois déjà à la création comme outil de résilience, et durant toutes ces années j’en ai plusieurs fois la preuve sous les yeux. Dans les moments difficiles, c’est ce qui me permet de poursuivre, de survivre aux crises, petites ou grandes.
L’une d’entre elles, « La crise », aurait pu signifier la fin du Wapikoni. En 2011, Service Canada, partenaire prin¬cipal, se retire brutalement du financement du projet. La moitié de notre budget disparaît d’un coup. C’est finale¬ment le soutien de la population, les autochtones en par¬ticulier, qui permet au Wapikoni de survivre. Des pétitions sont signées, des lettres écrites par centaines et envoyées au gouvernement fédéral ; le grand chef Atleo, le chef local Ghislain Picard, Matthew Coon Come, l’Association natio-nale des centres d’amitié autochtones, des participants et leurs parents sont parmi les signataires. C’est ce qui nous permet de reprendre espoir. Grâce à l’acharnement de l’équipe de financement, on voit enfin la lumière. Santé Canada devient notre partenaire principal, bien conscient de l’impact positif du Wapikoni sur la santé globale des jeunes des communautés autochtones. Le Wapikoni a d’ailleurs été reconnu comme projet modèle dans le plan directeur de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador. En période de recrudescence des suicides, des commu¬nautés comme celle de Lac-Simon ou de Uashat font appel au Wapikoni pour obtenir un atelier supplémentaire afin de donner « un répit » à la communauté.
Durant toutes ces années, les communautés visitées se multiplient progressivement, avec une invitation par lettre des différents conseils de bande. Depuis 2004, trente-deux communautés ont été visitées au Canada. Chacun des ateliers occupe en moyenne 25 participants, génère 5 courts-métrages sur des thématiques choisies par les participants eux-mêmes. Des milliers de jeunes les ont maintenant fréquentés.
Peu à peu, au fil des festivals internationaux où les films réalisés sont sélectionnés, on crée des partenariats. La méthodologie du Wapikoni se propage. Nous sommes donc ainsi invités à donner des ateliers, en Amérique du sud surtout, (Bolivie, Pérou, Chili, Panama) en collaboration avec différents organismes: Oxford Commitee for Famine Relief (OXFAM-Québec), Centro de Culturas Indígenas del Perú (CHIRAPAQ) au Pérou, El Centro de Formación y Realización Cinematográfica (CEFREC) en Bolivie, Initiative vidéo stratégique et LafkenŇyZugvn au Chili, Smithsonian Institute et Université McGill au Panama. Des cinéastes autochtones de différentes communautés du Québec sont de plus en plus invités à participer et à collaborer à ces formations : Marie-Pier Ottawa au Panama, Elisa Moar au Chili, Réal Junior Leblanc et Kevin Papatie en Nouvelle-Calédonie chez les Kanaks, Emilio Wawatie, Raymond Caplin et Shaynah Decontie en Finlande chez les Samis.
Des communautés d’ici sont également jumelées à des communautés d’Amérique du Sud. Paul-Émile Ottawa, alors chef de Manawan, fait parvenir un présent au chef de Malalhue, la communauté visitée au Chili, tandis que, sous la responsabilité de Catherine Potvin, chercheuse pour la chaire UNESCO McGill « Dialogues pour un développement durable », et de François Laurent, un groupe d’Emberas du Panama est accueilli par la communauté anishinabe de Kitcisakik en Abitibi.
Par ailleurs, la diffusion des films prend de plus en plus d’ampleur. Dès les débuts du Wapikoni, les courts-métrages réalisés sont projetés devant la communauté en fin d’ateliers. Il s’agit toujours d’un moment fort de fierté identitaire de la collectivité et de rapprochement intergénérationnel.
À cette époque et parfois encore, il n’est pas rare de faire la tournée du village en camion de pompiers, armé d’un porte-voix, pour annoncer l’événement.
Après cette traditionnelle projection communautaire qui réunit toujours des centaines de spectateurs, a lieu le lancement annuel dans le cadre du Festival du nouveau cinéma (FNC). Les participants descendent alors de leurs lointaines communautés pour présenter leurs oeuvres devant un public chaque année plus nombreux. Ce dernier a manifesté une fois de plus son intérêt lors du dernier événement, le 14 octobre 2016 dans la prestigieuse salle du Cinéma Impérial, affichant salle pleine.

Il faut rappeler que le Wapikoni est d’abord un projet de médiation dont le mandat est multiple : briser l’isolement des communautés éloignées, développer la fierté culturelle et identitaire, encourager l’empowerment et le leadership, créer des ponts vers l’Autre, réduire ainsi racisme et préjugés et contribuer à la solidarité entre les peuples.
Au-delà de l’art et de la liberté d’expression, la vidéo et la musique deviennent alors de puissants outils de transformation sociale pour les jeunes des Premières Nations et pour la société en général. On dit souvent que la construc¬tion d’un réseau est la meilleure protection contre les idées noires. La circulation des films dans près de 250 événements publics chaque année contribue à la construction de ce réseau. Souvent, les cinéastes en herbe se déplacent avec leur film au Canada ou à l’étranger. Ils deviennent ainsi de fiers ambassadeurs de leur culture. Ils côtoient alors d’autres créateurs. Ils élar¬gissent leur horizon. Ils ne sont plus seuls.

Près de 1000 films ont donc ainsi été réalisés dans le cadre du Wapikoni depuis ses débuts. Ils ont été présentés dans des endroits presti¬gieux comme l’Exposition universelle de Shanghaï au pavillon du Canada, au volet culturel des Jeux olympiques de Vancouver, à guichets fermés dans huit salles du pres¬tigieux festival de Clermont-Ferrand en France, au non moins prestigieux festival Sundance récemment et dans près d’une centaine de petites communautés autochtones d’Amérique du Sud, perdues dans la végétation, commu¬nautés mapuches ou quechuas, ce dont je suis aussi fière et touchée. Souvent réalisés en langues ancestrales, ces films ont aussi été traduits en français, en anglais, en espa¬gnol, en italien, en mandarin, en hongrois. Ils sont récipiendaires de 147 prix et mentions dans des festivals nationaux et internationaux.
L’histoire du Wapikoni est d’abord une histoire de rencontres. Le Wapikoni a d’ailleurs autant profité aux équipes de formateurs et intervenants non autochtones qui y collaborent, les enrichissant par la découverte de cultures qu’ils connaissent trop peu. Elle a assurément contribué largement à la visibilité de ces gens que le cinéaste Richard Desjardins nommait « Le peuple invisible ».
Invisible, il le sera de moins en moins. Des jeunes prennent la relève. Le mouvement Idle No More en est un bel exemple. Certains participants du Wapikoni contri¬buent aussi maintenant à cette visibilité. Leur caméra est une arme, comme le dit bien Réal Junior Leblanc, lauréat de plusieurs prix avec ses films. Kevin Papatie fait le tour du monde avec ses propres oeuvres et y témoigne fière¬ment de sa culture. Il s’est rendu en Bolivie, avec des cinéastes et militants autochtones du monde entier desquels il s’inspire. Marie-Pier Ottawa a pré¬senté ses oeuvres dans plusieurs festivals internationaux, y a structuré sa pensée et enrichi sa pratique artistique. Elle travaille maintenant à temps plein à Rezolution Pictures à Montréal et son travail y est respecté. Quant à Abraham Cote, il enseigne maintenant la vidéo à Kitigan Zibi, sa communauté. Le parcours du jeune Micmac Raymond Caplin est fulgurant : en trois ans, il passe du sous-sol de Listuguj, où son père s’inquiétait de lui, au Wapikoni où l’on découvre son talent inouï pour le dessin, puis à l’école des Gobelins, à Paris, qui lui offre une école d’été après avoir vu sa pre¬mière animation. Il termine maintenant sa scolarité en cinéma à l’Université Concordia, clamant sur Facebook qu’il a enfin trouvé sa place. Trois autres participants l’ont suivi à Concordia tandis que Jani Bellefleur, participante de la Côte nord, a été la première autochtone diplômée de l’INIS (Institut de l’Image et du son). On ne peut passer sous silence le parcours impres¬sionnant de Samian, longtemps porte-parole du Wapikoni. Samian a fait ses premières armes à Pikogan lors de la première escale du Wapikoni dans sa communauté, il y a douze ans. Il a maintenant à son crédit trois albums hip hop encensés par la critique en plus d’une prestigieuse carrière comme photographe et comédien.

2014 a marqué un jalon important pour le Wapikoni, soit la création du premier Réseau international de création audiovisuelle autochtone, le RICAA qui regroupe aujourd’hui 50 membres de 18 pays. Ces créateurs d’horizons différents, qui partagent les mêmes problématiques, les mêmes enjeux, les mêmes rêves, peuvent ainsi unir leurs voix et se faire entendre par la création d’œuvres cinématographiques collectives et travailler ensemble à la solidarité entre les peuples, autochtones et non autochtones, dans le but d’un enrichissement réciproque et d’une société plus juste. Un premier long-métrage « Le Cercle des Nations » qui abordait le thème de la revitalisation culturelle naissait de cette collaboration en 2016. La prochaine thématique abordée sera celle des femmes.
Poursuivant son évolution, le Wapikoni et Musique Nomade (volet musical du Wapikoni) créent en 2017 le Vélo Paradiso dans le cadre du 375ème anniversaire de Montréal. Cette flotte de 5 vélos de projection sillonne les arrondissements de Montréal en diffusant sur grand écran, les meilleurs courts métrages du Wapikoni ainsi que des vidéoclips issus de collaborations entre musiciens autochtones et artistes de la diversité culturelle. Ces projections visent encore à créer des ponts entre autochtones et non-autochtones urbains.

Par ailleurs, grâce à l’appui financier du gouvernement du Canada et du Fonds Canada 150, le Wapikoni mobile a entrepris cette année la tournée du Canada avec « Le Wapikoni mobile : d’un Océan à l’autre : La Réconciliation par les arts médiatiques ». Le Wapikoni réalise ainsi des ateliers dans toutes les provinces du Canada tandis qu’une petite caravane de projection « Le Cinéma sur roues » s’arrête dans 100 communautés autochtones et 50 villes pour y diffuser, par le cinéma, la voix des autochtones, enfin incontournable.
Manon Barbeau

Résumé en Anglais


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