Fiche Documentaire n° 5270

Titre La contribution du travail social dans la dynamisation du "vivre ensemble" : un exemple de café socioculturel à Fribourg en Suisse

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Auteur(s) DELLA CROCE Claudia  
     
Thème Colloque de Beyrouth: Axe 1 : Enjeux et construction du vivre-ensemble  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

La contribution du travail social dans la dynamisation du "vivre ensemble" : un exemple de café socioculturel à Fribourg en Suisse

Cette communication souhaite interroger un dispositif mis en place dans un café socioculturel en Suisse, la manière dont les actions et interventions sociales peuvent produire des dynamiques de développement de liens sociaux. Nous montrerons comment le dispositif analysé produit du « vivre-ensemble » dans des propositions visant la participation culturelle.

La question de la participation des personnes dans la société est un enjeu crucial du travail social. Dans le projet qui nous occupe, les professionnels du travail social se sont emparés de cette question dans leurs activités avec des publics fragilisés ou précarisés n’ayant pas accès aux pratiques culturelles mises en œuvre par la société dans laquelle elles vivent. Nous questionnerons les conditions mises en place et examinerons si les logiques à l’œuvre permettent la réalisation d’une participation effective des personnes sur le plan culturel.

Notre réflexion se fonde sur une expérience mise en place à Fribourg. Il s’agit d’un café accessible à chacun et chacune, dans lequel la contrainte financière est limitée pour les personnes à faibles revenus. Le dispositif mis en place comprend trois piliers distincts et complémentaires (café, programmation culturelle, activités sociales) insérés dans un dispositif global dont l’objectif principal est celui de promouvoir la mixité sociale dans la rencontre des publics ayant de multiples parcours de vie et pouvant les confronter au sein d’activités diversifiées. Pour promouvoir une réelle mixité sociale, un certain nombre de ressources et de méthodologies de terrain sont mises en place par les travailleurs sociaux. Celles-ci placent les professionnels dans une position de « diplomate » (Stengers, 1997), (de Jonckheere, 2010). Le « diplomate » évoque ici la figure de celui qui circule entre les publics et la société civile et politique. Les questions que nous nous posons seront problématisées grâce à un certain nombre de concepts énoncés ci-après.

Nous étudierons les idées qui traversent le dispositif et la manière dont celui-ci est actif pour favoriser la participation. Nous examinerons ses effets sur l’activité des professionnels ainsi que sur les publics. Le dispositif est entendu ici au sens de Foucault (1964), repris par Agamben (2010) qui considèrent celui-ci comme un ensemble de manières de faire, de techniques d’interventions, d’objets et d’espaces, traversé par des idées et s’examinant dans les effets qu’il produit. Dans un dispositif, un ensemble d’éléments s’entraînent entre eux comme dans une machine, tout est en relation. C’est ce que Deleuze (1972) nomme par le terme « machiner » : construire une machine d’intervention qui permet de rendre actif le désir d’aider les gens et de transformer le monde. Le dispositif mis en place constitue des propositions et procure des occasions d’expériences culturelles et sociales. Mais celui-ci permet-il la participation culturelle ? permet-il des agencements (Deleuze, 1995) favorisant l’expression des personnes ? (par exemple : présence aux différentes activités, prise de parole, plaisir à venir dans ce lieu).

Une des questions importantes qui traversera cette communication est celle du désir. Est-ce que le dispositif mis en place augmente le désir (Deleuze, 1995) des personnes à se rencontrer et à expérimenter des propositions culturelles ? Est-ce que ces désirs s’expriment comme une manifestation singulière d’une force d’existence, d’une possibilité d’augmentation ou de diminution du pouvoir d’agir ? (de Jonckheere, 2010).

Bibliographie

Agamben, G. (2007). Qu’est-ce qu’un dispositif ? Genève : Editions Payot Rivages.
Deleuze, G. (1995). L’Abécédaire de Gilles Deleuze. Pierre-André Boutang et Claire Parnet. ARTE-TV
Deleuze, G., Guattari, F. (1972). L’anti-Œdipe. Paris : Editions de Minuit
Foucault, M. (1964). Histoire de la folie à l’âge classique. Paris : Gallimard.
Jonckheere de, C. (2010). 83 mots pour penser l’intervention en travail social. Editions IES : Genève
Stengers, I. (1997). Pour en finir avec la tolérance. Cosmopolitiques 7. Paris : les Empêcheurs de penser en rond.

Présentation des auteurs

Professeure à la HES-SO Travail social - EESP à Lausanne, titulaire d’un Bachelor en animation socioculturelle, d’un Diplôme supérieur de travail social de l’Université de Neuchâtel et d’un Master en ergologie de l’Université d’Aix-Marseille. Mes enseignements et mes recherches s’inscrivent dans les domaines des méthodologies d’intervention collectives, de l’analyse de l’activité, de la médiation culturelle et de la participation culturelle.

Communication complète

Claudia della Croce

Professeure associée

claudia.dellacroce@eesp.ch

+ 41 76 589 44 91 / + 41 21 651 62 47

Haute école de Travail social du canton de Vaud – éésp

HES-SO Haute école spécialisée de Suisse occidentale

www.eesp.ch

Ch. des Abeilles 14 – 1010 LAUSANNE – Vaud - Suisse



La contribution du travail social dans la dynamisation du « vivre-ensemble : un exemple de café socioculturel à Fribourg en Suisse.



Introduction



Nous souhaitons interroger un dispositif, constitué par un café socioculturel en suisse romande, dans la ville de Fribourg. Nous pensons que la manière dont les actions et les interventions sociales sont mises en place peuvent produire des dynamiques de développement de liens sociaux. Nous montrerons comment le dispositif analysé produit du « vivre-ensemble » dans des propositions visant la participation socioculturelle.



La question de la participation des personnes dans la société est un enjeu crucial du travail social. Dans le projet qui nous occupe, les professionnels du travail social se sont emparés de cette question dans leurs activités avec des publics fragilisés ou précarisés n’ayant pas ou peu accès aux pratiques socioculturelles mises en œuvre par la société dans laquelle elles vivent. Nous questionnerons les conditions mises en place et examinerons si les logiques à l’œuvre permettent la réalisation d’une participation effective des personnes sur le plan socioculturel.



Le dispositif qui fonde notre réflexion est un café socioculturel, accessible à chacun et chacune, dans lequel la contrainte financière est limitée pour les personnes à faibles revenus. Ce dispositif comprend trois piliers distincts et complémentaires (café, activités sociales, programmation culturelle,) insérés dans un dispositif global dont l’objectif principal est celui de promouvoir la mixité sociale dans la rencontre de publics ayant de multiples parcours de vie et pouvant les confronter au sein d’activités diversifiées. Pour promouvoir une réelle mixité sociale, un certain nombre de ressources et de méthodologies de terrain sont mises en place par les travailleurs sociaux. Celles-ci placent les professionnels dans une posture de « diplomate » (Stengers, 1997), (de Jonckheere, 2010). Le « diplomate » évoque ici la figure de celui qui circule entre les publics et la société civile et politique. Les questions que nous nous posons seront problématisées grâce à un certain nombre de concepts énoncés ci-après.



Nous étudierons les idées qui traversent le dispositif et la manière dont celui-ci est actif pour favoriser la participation. Nous examinerons ses effets sur l’activité des professionnels ainsi que sur les publics. Le dispositif mis en place constitue des propositions et procure des occasions d’expériences socioculturelles. Mais celui-ci permet-il la participation socioculturelle des personnes ? favorise-t-il l’expression des personnes lors de leur présence aux différentes activités par exemple ? 



Une des questions importantes qui traversera cette communication est celle du désir. Est-ce que le dispositif mis en place augmente le désir (Deleuze, 1995) des personnes à se rencontrer et à expérimenter des propositions socioculturelles ? Est-ce que ces désirs s’expriment comme une manifestation singulière d’une force d’existence, d’une possibilité d’augmentation ou d’une diminution de la puissance d’agir ? (de Jonckheere, 2010).



Approches du dispositif comme concept



Chez Michel Foucault (1964), et notamment dans son ouvrage « surveiller et punir », le dispositif est conçu comme un ensemble d’éléments hétérogènes comprenant du « dit et du « non-dit », des discours, des objets, des formes architecturales, des techniques, des lois, des mesures administratives, notamment. Il implique toujours des relations de pouvoir et vise le contrôle des corps et des esprits (de Jonckheere, communication personnelle, 2019). Les dispositifs décrits par Foucault visent donc la « normalisation » des existences des humains, ils ont des effets sur ces existences, ils sont précis, délimités et ne communiquent pas les uns avec les autres. « Le dispositif, du fait des éléments qui le composent, rend possible des pratiques, des habitudes mais aussi oriente, voire contraint des individus » (Gutknecht, 2016, p. 159). D’ailleurs, la signification du dispositif donnée par Foucault est critique, notamment lorsqu’il reproduit des systèmes qui produisent des effets de « contrôle » chez les personnes.



Agamben (2014), qui reprend la définition de Foucault indique qu’un dispositif est un ensemble de manières de faire, de techniques d’interventions, d’objets et d’espaces. Il est traversé par des idées et il s’examine dans les effets qu’il produit. Ce sont ses effets qui le font exister et qui font exister les personnes et les choses d’une certaine manière. Pour Agamben, le dispositif ne produit pas uniquement des diminutions de puissance, mais il permet aussi d’effectuer la puissance des êtres à leur plus haut degré.



Ainsi défini, le dispositif peut également s’observer à partir de Deleuze. Il traite du concept d’agencement – qu’il utilise indifféremment avec celui de dispositif dans son livre sur Foucault - qui est lui aussi constitué de termes hétérogènes. Mais au contraire de Foucault, il comprend des possibilités de déterritorialisation, des lignes de fuite permettant de produire de la nouveauté. Pour Deleuze, l’agencement fait coexister les choses entre elles, c’est ce qui forme l’unité réelle des choses. Pour lui, l’agencement est lié aux devenirs puisque chaque agencement est susceptible de produire un devenir. L’agencement est chaque fois particulier à une situation, il est multiple et établit des relations entre des éléments différents tels que les relations, les circonstances et les idées par exemple. Agencer c’est penser avec « et » plutôt qu’avec « est » et « ou ». C’est s’attacher à dénouer toutes les supériorités telles que l’âme sur le corps, la théorie sur la pratique, le travailleur social sur la personne. Les agencements permettent un nombre de variables infini dans une situation.



Il nomme « agencements machiniques » ceux qui mettent en scène des objets, des architectures ou des espaces, des techniques, tels par exemple un hôpital ou une prison. Ils sont articulés avec des « agencements collectifs d’énonciation » qui mettent en scène des expressions. Par exemple, une théorie est un agencement collectif d’énonciation, qui oblige à penser à l’intérieur de cet agencement. Ces deux types d’agencements sont connectés. Dans un dispositif, un ensemble d’éléments s’entraînent entre eux comme dans une machine, tout est en relation. C’est ce que Deleuze nomme par le terme « machiner » : construire une machine d’intervention qui fabrique des idées, des connaissances, des activités. Nous pourrions alors dire que le dispositif « machine » le désir, pour qu’il puisse prendre une forme concrète.



Quant au « devenir » il s’agit d’une rencontre de deux termes hétérogènes formant un bloc. Cette rencontre va transformer à la fois les deux termes, mais pour en créer quatre, puisqu’aucun de ces termes ne va abandonner ce qu’il était avant la rencontre. Le devenir est une question de mouvement. « Ce n’est pas un terme qui devient l’autre, mais chacun rencontre l’autre, un seul devenir qui n’est pas commun aux deux, puisqu’ils n’ont rien à voir avec l’autre, mais qui est entre les deux » (Deleuze, Parnet, 1996, p. 13). Pour l’exemplifier, Deleuze se saisit de la guêpe et l’orchidée pour montrer que leur devenir est quelque chose qui se trouvera hors des deux, mais entre les deux. « Il y a un devenir-guêpe de l’orchidée, un devenir-orchidée de la guêpe, une double capture puisque « ce que » chacun devient ne change pas moins que « celui qui » devient ». (p. 9). Cela forme ce qu’il appelle un bloc de devenirs.



Dans le travail social, le professionnel peut former un devenir avec certains aspects de l’usager et l’usager peut former un devenir avec des aspects minoritaires du professionnel. En travaillant avec des personnes fragilisées, les travailleurs sociaux « ont à former des devenirs minoritaires que sont les devenirs-réfugiés, les devenirs-délinquants, les devenirs-fous, les devenirs-toxicomanes, les devenirs-chômeurs » (p. 144). Ce qui oblige à sortir d’une posture d’expert ou de modèle dans la manière de se comporter, mais bien plus de tenter de transformer ensemble ces situations d’existence indignes. Le devenir que formera l’usager avec le professionnel devient possible lorsque ce dernier sort de sa posture majoritaire d’expert. Le dispositif du Tunnel met ensemble des hétérogènes qui resteront hétérogènes mais qui se transformeront et adviendront dans l’action, sans en faire la prédiction de ce qui va arriver. Il s’agit de laisser advenir, dans le déroulement des activités, les devenirs opérants. Dans ces devenirs-là, les savoirs, les idées, les intuitions, les émotions en font intrinsèquement partie. Dans le travail avec l’autre, « autrui nous impose de sortir de nos territoires, de notre vie, de notre pensée, de notre sentir et de vivre, penser et sentir au sein de nouvelles frontières » (de Jonckheere, 2010, p. 143). Les concepts « devenir » et « agencement » ne permettent pas de catégoriser et de classer les personnes, ce qui, pour Deleuze constitue un mécanisme toujours stigmatisant. Ils imposent d’être dans une posture de prise en compte de l’autre.



Le dispositif du Tunnel favorise-t-il l’expression et la participation des personnes ? C’est à cette question principale que nous souhaitons répondre lors de notre communication, en observant la manière dont les personnes fréquentent le lieu, en tant que dispositif global, et la manière dont les professionnels s’emparent du dispositif pour construire de réels espaces de création commune, de délibération et d’expression des libertés, de construction de sa propre participation socioculturelle.



Références bibliographiques



Agamben, G. (2007). Qu’est-ce qu’un dispositif ? Genève : Editions Payot Rivages.

Deleuze, G. (1995). L’Abécédaire de Gilles Deleuze. Pierre-André Boutang et Claire Parnet. ARTE-TV

Deleuze, G.,Parnet, C. (1996). Dialogues. Paris : Champs Flammarion.

Deleuze, G., Guattari, F. (1972). L’anti-Œdipe. Paris : Minuit

Deleuze, G. (2004). Foucault. Paris : Minuit

Foucault, M. (1964). Histoire de la folie à l’âge classique. Paris : Gallimard.

Gutknecht, T. (2016). Actualité de Foucault. Une problématisation du travail social. Genève : Editions IES.

Jonckheere de, C. (2010). 83 mots pour penser l’intervention en travail social. Genève : Editions IES :

Stengers, I. (1997). Pour en finir avec la tolérance. Cosmopolitiques 7. Paris : les Empêcheurs de penser en rond.


Résumé en Anglais


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