Fiche Documentaire n° 5273

Titre Former les travailleurs sociaux à la laïcité : il faut avoir la foi !

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Auteur(s) NAKHLEH MARIE  
     
Thème Compte-rendu d’expérimentation concernant la pédagogie  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

Former les travailleurs sociaux à la laïcité : il faut avoir la foi !

L’actualité tragique des attentats en France en 2015 a rappelé la nécessité de partager les valeurs et principes fondateurs républicains. Le principe de laïcité a ainsi été au cœur des priorités des comités interministériels à l’égalité et à la citoyenneté de 2015 et 2016. Le CGET (Commissariat Général à l’Egalité des Territoires) a été mandaté pour concevoir et déployer un plan national de formation destiné aux acteurs de terrain de la politique de la ville, de la jeunesse et des sports. Le plan « Valeurs de la République et Laïcité » est une réponse aux besoins exprimés par ces professionnels qui travaillent au contact des publics, jeunes notamment. Nombre de remontées de terrain témoignent d’un certain découragement et isolement des intervenants de proximité, sociaux et éducatifs, face à des situations professionnelles qu’ils jugent de plus en plus complexes : revendications religieuses, prosélytisme, discriminations, théorie du complot…. L’ambition de ce plan de formation est d’adresser un discours clair et sans équivoque sur ce qu’est la laïcité et ce qu’elle n’est pas. Les contre-sens, préjugés et amalgames sur le sujet contribuent à créer un climat de défiance vis-à-vis des institutions et des tensions au sein de la société. Pour créer les conditions du dialogue avec l’ensemble des composantes de la société, il faut au minimum s’entendre sur ce dont on parle.

Port du voile à l’école, à la crèche ou dans l’espace public, prières de rue, menus servis dans les cantines scolaires : le retour du religieux sur la scène politico-médiatique met à l’épreuve le principe de laïcité conçu en 1905 comme un outil de pacification sociale. Bien sûr, le contexte a changé, l’enjeu n’est plus la lutte contre le cléricalisme d’une religion majoritaire et dominante, mais bien l’acceptation d’autres composantes religieuses de plus en plus visibles et notamment celle de l’Islam dans un contexte national de sécularisation. La question religieuse interroge le sens même du travail social tant dans ses fondements historiques que dans ses pratiques quotidiennes. Les fractures sociales, territoriales, identitaires ont créé un climat délétère qui conduit à un rejet des valeurs portées par les institutions républicaines dont le travail social est une composante. Jean Jaurès déclarait déjà en 1904 : "La République doit être laïque et sociale. Elle restera laïque si elle sait rester sociale".

Cette communication propose un retour sur une expérience de trois années en tant que formatrice à animer des groupes de professionnels – agents publics, salariés et bénévoles du secteur associatif, mais aussi d’étudiant-e-s en travail social et d’habitant-e-s des quartiers dits prioritaires de la politique de la ville au sein des conseils citoyens. La diversité des participant-e-s est, de notre point de vue, un enjeu essentiel de ces formations. Mais réunir des acteurs du vivre-ensemble sur un sujet fortement polémique et hautement idéologique, nécessite des outils pédagogiques opérants, d'autant que les identités plurielles des participant-e-s sont fortement activées par la charge émotionnelle du sujet. Le kit utilisé par les formateurs repose sur une approche pragmatique comprenant un cadrage historique et juridique, des outils d’animation, des cas pratiques. Onze séquences ponctuent ces 2 jours de formation, organisées autour d’un tronc commun et d’un module de spécialisation en fonction du profil des participant-e-s.

A travers nos constats et la présentation d’expériences professionnelles vécues par les participant-e-s, nous serons en mesure de faire émerger plusieurs postures dominantes - susceptibles d’ailleurs de se combiner ensemble - et de formuler des hypothèses quant au bénéfice de cette formation auprès de ces publics variés, en termes de changements.

Bibliographie

BAUBEROT (J.), Histoire de la laïcité en France, Paris, P.U.F., 2017, 128p.
BOUCHARD (G.), "Qu'est-ce que le multiculturalisme ?", McGill Law Journal - Revue de droit de McGill, 2011, 56 : 2, pp. 395-433.
Conseil Supérieur du Travail Social (CSTS), avis adopté par l’Assemblée plénière du 9 décembre 2015, La laïcité, un principe fondamental du travail social, 7p., http://france-esf.fr/wp-content/uploads/2015/12/CSTS_Avis_Laicite.pdf
« Laïcité et travail social. Du principe aux pratiques », Vie sociale, n°21, 2018, 189p.
THIERRY M., Valeurs républicaines, laïcité et prévention des dérives radicales dans le champ du travail social, juillet 2016, 29 p., https://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/164000456.pdf
VEBRA (D.), « Retour ou recours au religieux dans le travail social ? », Soins Psychiatrie, n°302, janvier/février 2016, pp.12-19.

Présentation des auteurs

Marie Nakhleh, juriste, titulaire d'un DEA Droit international et européen de l'Université Paris X-Nanterre, cadre pédagogique à l’IESTS (Institut d’Enseignement Supérieur de Travail Social) de Nice, formatrice habilitée à animer les sessions de formation du plan national de formation « Valeurs de la République et Laïcité », assesseur au Tribunal pour enfants de Nice.

Communication complète

Cette communication propose un retour sur une expérience de trois années à animer des formations pour des groupes de professionnels de la politique de la ville, de la jeunesse et des sports sur la thématique « Valeurs de la République et laïcité » (VRL). Dans ces formations, la diversité des participants est un enjeu essentiel, mais réunir des acteurs du vivre-ensemble sur un sujet fortement polémique et idéologique nécessite des outils pédagogiques opérants. Le kit unique, utilisé par tous les formateurs, repose sur une approche pragmatique comprenant un cadrage historique et juridique, des outils d’animation et des cas pratiques. Onze séquences ponctuent ces 2 jours de formation, organisées autour d’un tronc commun et d’un module de spécialisation en fonction du profil du public.



A travers la présentation du kit pédagogique et mes retours d’expérience, je serai en mesure de faire émerger plusieurs postures dominantes et de formuler des hypothèses quant au bénéfice de cette formation en termes d’agir professionnel (2). Ce que l’évaluation menée par Sciences Po en 2019 viendra confirmer (3). Avant cela, il sera utile de présenter quelques éléments de contexte en lien avec la thématique de ces formations (1).





1. Eléments de contexte





1.1 Contexte politique



Suite à l’actualité tragique des attentats en France en 2015, le principe de laïcité a été au cœur des priorités des comités interministériels à l’égalité et à la citoyenneté (CIEC) de 2015-2016. Le retour du religieux sur la scène politico-médiatique met à l’épreuve le principe de laïcité conçu en 1905 comme un outil de pacification sociale. Bien sûr, l’enjeu n’est plus la lutte contre le cléricalisme d’une religion majoritaire et dominante, mais bien l’acceptation d’autres composantes religieuses de plus en plus visibles et notamment celle de l’Islam dans un contexte national de sécularisation. Dans ce cadre, la laïcité est investie comme un principe fondamental du vivre-ensemble.





1.2 Contexte social



Des remontées de terrain ont mis à jour un sentiment de découragement et d’isolement des intervenants sociaux face à des situations professionnelles qu’ils jugent de plus en plus insécurisantes. Le plan VRL est une réponse aux besoins de qualification et d’accompagnement de ces professionnels. L’ambition de ce plan de formation est qu’ils soient en capacité d’adresser un discours sans équivoque, aux jeunes en particulier, sur ce qu’est la laïcité et sur le lien fort entre ce principe et les valeurs de la République. La question religieuse interroge le sens même du travail social tant dans ses fondements historiques que dans ses pratiques quotidiennes. La laïcité est bien un moyen d’assurer la cohésion sociale tout en garantissant la liberté des personnes.





1.3 Contexte idéologique





Telle qu’elle est conçue et appliquée en France, la laïcité est un principe juridico-politique de séparation des pouvoirs politique et religieux. La loi du 9 décembre 1905 de séparation de l’Etat et des Eglises proclame la liberté de conscience et consacre la neutralité de l’Etat. Aujourd’hui, les tensions politiques et sociales s’articulent autour de deux perceptions opposées : celle d’une laïcité menacée par une trop grande visibilité du fait religieux dans l’espace public et celle d’une laïcité vécue comme un outil de discrimination en raison de l’appartenance religieuse.





2. Déroulement de la formation VRL







2.1 Présentation du kit pédagogique





Pour s’assurer du niveau d’expertise et de la cohérence des messages diffusés dans le cadre des formations, un kit pédagogique a été élaboré, avec un double objectif :



- Permettre aux professionnels formés d’adopter un positionnement adapté à leur situation professionnelle,



- Apporter des réponses aux situations rencontrées dans l’exercice de leurs fonctions, fondées sur le droit, dans une logique de dialogue avec les populations.





L’atout du kit est d’offrir un scénario pédagogique très cadré, permettant l’uniformisation du contenu dispensé dans les formations malgré la diversité des profils des formateurs et leur niveau d’expertise sur le sujet.





2.2 Outils et objectifs



Plutôt qu’une présentation descriptive des différentes séquences du kit, j’ai choisi de les mettre en lien avec quelques postures dominantes observées chez les stagiaires afin de voir comment le kit y répond à travers les différents outils pédagogiques proposés.



- Les identités plurielles des participants sont fortement activées par la question du rapport de chacun à la religion. Les premières séquences visent à libérer cette charge émotionnelle et à repérer les différentes opinions sur la laïcité.



Les séquences 1 « Introduction » et 2 « Représentations de la laïcité » permettent de souligner le caractère polémique du concept de laïcité et les possibilités d’instrumentalisation politique.





Outils : demander aux participants de noter sur un post-it leur définition de la laïcité, réaliser un brainstorming autour du mot laïcité.





- Le respect du principe de laïcité est d’emblée perçu comme une condition du vivre-ensemble, même si sa définition reste très approximative pour la plupart des participants.





La séquence 3 « Histoire de la laïcité et terminologie » permet de comprendre que la laïcité est un principe fondateur de la République, au service du respect des libertés individuelles.





Outils : la frise historique et les principaux points de repères, la grille des mots croisés avec la définition précise des termes proches de celui de laïcité en lien avec le Brainstorming de la séquence 2.





- Les attentes vis-à-vis d’un principe mal connu dans sa dimension légale sont très fortes, les participants étant à la recherche d’un guide de « bonnes pratiques » pour se sécuriser dans leur positionnement professionnel.





Les séquences 4 et 5 sur « approche juridique » et « analyse des situations professionnelles » visent à permettre aux participants de mobiliser des éléments juridiques en fonction de leur contexte professionnel.





Outils : le parcours multi-épisodique à travers une présentation de situations en photos, le jeu des enveloppes visant à réfléchir à des situations professionnelles dans leur entièreté et non uniquement sous l’angle religieux.





Les situations sont très diverses, mais elles sont toutes révélatrices des zones d’incertitude dans lesquelles les professionnels se trouvent plongés quand une manifestation religieuse émerge et interroge leur cadre de référence personnel et professionnel.





- La dimension religieuse est dans l’esprit des participants souvent génératrice de conflits potentiels et de stigmatisations, voire de discriminations.





Les séquences 7 « Argumentation » et 8 « Posture et communication » permettent de développer un argumentaire constructif autour de la laïcité à destination des collègues et des usagers.





Outils : les cas pratiques qui sont réactualisés régulièrement, les jeux de rôle à partir de situations professionnelles vécues ou fictives.





2.3 Changements à l’œuvre



Ce que j’observe en premier, c’est le dépassement des représentations parfois sclérosées des stagiaires. Un agent de développement local a pu noter dans le questionnaire à chaud : « La formation m’a permis de faire table rase de toutes les idées préconçues. Il est important d’avoir sur des sujets aussi sensibles une approche unique de par le côté législatif ».



Le recours à un cadre juridique non sujet à polémique repositionne le débat et rassure les professionnels. Une animatrice de centre de loisirs dit : « J’ai apprécié l’ambiance sereine par le renvoi immédiat aux textes de référence qui dépassionnent le débat ». Ou bien cette TS : « Cette formation va me permettre de revoir mon positionnement en tant qu’agent du service public. Voir la laïcité comme un véritable levier du vivre-ensemble ».



Aborder donc la laïcité sous un angle moins conflictuel, mais aussi éclairer d’autres dimensions trop souvent parasitées par la manifestation du fait religieux. Un chef de projet politique de la ville se dit davantage en capacité de : « Replacer la neutralité, l’égalité, la santé au cœur des sujets et non la laïcité comme réponse à tout ».



La plus-value de permettre à des professionnels différents de travailler ensemble est notable. Et surtout échanger entre personnes ayant des positions différentes sur le sujet de la religion, qu’elles soient athées ou croyantes. Là où en tant que formatrice, je ne me permets pas d’aller sur le terrain théologique, les stagiaires le font si le climat est favorable à une certaine liberté de parole. La formation remplit un objectif peut-être non affiché au départ qui est de cultiver la tolérance.





3. Bilan et perspectives







3.1 Bilan



Le niveau de satisfaction est très élevé : 97% des stagiaires se disent satisfaits de la formation tant au niveau du contenu que de l’animation. 96% des personnes considèrent que la formation leur a été utile, notamment au niveau des connaissances juridiques et historiques. 2/3 des enquêtés ont évolué dans leur perception de la laïcité. La formation permet d’acquérir des savoir-faire pour gérer des situations conflictuelles et d’échanger sur des situations rencontrées dans le cadre professionnel. Dans les pratiques, 53% des stagiaires répondent positivement à la question : « Cette formation vous a-t-elle conduit à modifier certaines de vos postures professionnelles ou de vos pratiques ? ».





3.2 Perspectives



Initié en début d’année 2016, l’objectif de départ était de former 10 000 personnes par an. Trois ans après son lancement, 30 000 acteurs de terrain ont été formés sur les 2 jours. Le nouvel objectif national fixé est de former 20 000 personnes par an. Avec ce bémol que le public qui a été formé était le plus facilement mobilisable, les professionnels au contact direct du public dans les quartiers prioritaires n’étant pas majoritaires jusqu’à maintenant dans les sessions de formation.
























































































Résumé en Anglais

The 2015 tragic events in France have been a reminder of the need to share republican values and founding principles. A national training plan for cities, youth and sports stakeholders has been set up throughout the territory.

The « Values of Republic and Secularity » plan is an answer to the needs for qualification and support expressed by these professionnals working with young people in particular.

The return of the religious spirit in politics and media is threatening the principle of secularism devised as a social pacification tool. Of course what is at stake is no longer a fight against a controlling and ruling religious clericalism but the acceptance of more and more noticeable religions such as islam. Secularity is being obviously considered as a fundamental principle of the « live-together ».

This communication aims at sharing a feedback on a 3-year experiment training local professionals in the field. It needs effective tools to make them meet during two days and exchange on a very ideological and controversial topic. An effective kit structured on 11 steps is used for the scenario and intends at first to deal with secularity as a legal principle.

Through the pedagogic kit’s introduction and my feedback and expertise, I will be able to put forward the stakeholders’ leading positions and make hypothesis regarding this training positive impacts on professional actions and work.