Cette communication propose un retour sur une expérience de trois années à animer des formations pour des groupes de professionnels de la politique de la ville, de la jeunesse et des sports sur la thématique « Valeurs de la République et laïcité » (VRL). Dans ces formations, la diversité des participants est un enjeu essentiel, mais réunir des acteurs du vivre-ensemble sur un sujet fortement polémique et idéologique nécessite des outils pédagogiques opérants. Le kit unique, utilisé par tous les formateurs, repose sur une approche pragmatique comprenant un cadrage historique et juridique, des outils d’animation et des cas pratiques. Onze séquences ponctuent ces 2 jours de formation, organisées autour d’un tronc commun et d’un module de spécialisation en fonction du profil du public.
A travers la présentation du kit pédagogique et mes retours d’expérience, je serai en mesure de faire émerger plusieurs postures dominantes et de formuler des hypothèses quant au bénéfice de cette formation en termes d’agir professionnel (2). Ce que l’évaluation menée par Sciences Po en 2019 viendra confirmer (3). Avant cela, il sera utile de présenter quelques éléments de contexte en lien avec la thématique de ces formations (1).
1. Eléments de contexte
1.1 Contexte politique
Suite à l’actualité tragique des attentats en France en 2015, le principe de laïcité a été au cœur des priorités des comités interministériels à l’égalité et à la citoyenneté (CIEC) de 2015-2016. Le retour du religieux sur la scène politico-médiatique met à l’épreuve le principe de laïcité conçu en 1905 comme un outil de pacification sociale. Bien sûr, l’enjeu n’est plus la lutte contre le cléricalisme d’une religion majoritaire et dominante, mais bien l’acceptation d’autres composantes religieuses de plus en plus visibles et notamment celle de l’Islam dans un contexte national de sécularisation. Dans ce cadre, la laïcité est investie comme un principe fondamental du vivre-ensemble.
1.2 Contexte social
Des remontées de terrain ont mis à jour un sentiment de découragement et d’isolement des intervenants sociaux face à des situations professionnelles qu’ils jugent de plus en plus insécurisantes. Le plan VRL est une réponse aux besoins de qualification et d’accompagnement de ces professionnels. L’ambition de ce plan de formation est qu’ils soient en capacité d’adresser un discours sans équivoque, aux jeunes en particulier, sur ce qu’est la laïcité et sur le lien fort entre ce principe et les valeurs de la République. La question religieuse interroge le sens même du travail social tant dans ses fondements historiques que dans ses pratiques quotidiennes. La laïcité est bien un moyen d’assurer la cohésion sociale tout en garantissant la liberté des personnes.
1.3 Contexte idéologique
Telle qu’elle est conçue et appliquée en France, la laïcité est un principe juridico-politique de séparation des pouvoirs politique et religieux. La loi du 9 décembre 1905 de séparation de l’Etat et des Eglises proclame la liberté de conscience et consacre la neutralité de l’Etat. Aujourd’hui, les tensions politiques et sociales s’articulent autour de deux perceptions opposées : celle d’une laïcité menacée par une trop grande visibilité du fait religieux dans l’espace public et celle d’une laïcité vécue comme un outil de discrimination en raison de l’appartenance religieuse.
2. Déroulement de la formation VRL
2.1 Présentation du kit pédagogique
Pour s’assurer du niveau d’expertise et de la cohérence des messages diffusés dans le cadre des formations, un kit pédagogique a été élaboré, avec un double objectif :
- Permettre aux professionnels formés d’adopter un positionnement adapté à leur situation professionnelle,
- Apporter des réponses aux situations rencontrées dans l’exercice de leurs fonctions, fondées sur le droit, dans une logique de dialogue avec les populations.
L’atout du kit est d’offrir un scénario pédagogique très cadré, permettant l’uniformisation du contenu dispensé dans les formations malgré la diversité des profils des formateurs et leur niveau d’expertise sur le sujet.
2.2 Outils et objectifs
Plutôt qu’une présentation descriptive des différentes séquences du kit, j’ai choisi de les mettre en lien avec quelques postures dominantes observées chez les stagiaires afin de voir comment le kit y répond à travers les différents outils pédagogiques proposés.
- Les identités plurielles des participants sont fortement activées par la question du rapport de chacun à la religion. Les premières séquences visent à libérer cette charge émotionnelle et à repérer les différentes opinions sur la laïcité.
Les séquences 1 « Introduction » et 2 « Représentations de la laïcité » permettent de souligner le caractère polémique du concept de laïcité et les possibilités d’instrumentalisation politique.
Outils : demander aux participants de noter sur un post-it leur définition de la laïcité, réaliser un brainstorming autour du mot laïcité.
- Le respect du principe de laïcité est d’emblée perçu comme une condition du vivre-ensemble, même si sa définition reste très approximative pour la plupart des participants.
La séquence 3 « Histoire de la laïcité et terminologie » permet de comprendre que la laïcité est un principe fondateur de la République, au service du respect des libertés individuelles.
Outils : la frise historique et les principaux points de repères, la grille des mots croisés avec la définition précise des termes proches de celui de laïcité en lien avec le Brainstorming de la séquence 2.
- Les attentes vis-à-vis d’un principe mal connu dans sa dimension légale sont très fortes, les participants étant à la recherche d’un guide de « bonnes pratiques » pour se sécuriser dans leur positionnement professionnel.
Les séquences 4 et 5 sur « approche juridique » et « analyse des situations professionnelles » visent à permettre aux participants de mobiliser des éléments juridiques en fonction de leur contexte professionnel.
Outils : le parcours multi-épisodique à travers une présentation de situations en photos, le jeu des enveloppes visant à réfléchir à des situations professionnelles dans leur entièreté et non uniquement sous l’angle religieux.
Les situations sont très diverses, mais elles sont toutes révélatrices des zones d’incertitude dans lesquelles les professionnels se trouvent plongés quand une manifestation religieuse émerge et interroge leur cadre de référence personnel et professionnel.
- La dimension religieuse est dans l’esprit des participants souvent génératrice de conflits potentiels et de stigmatisations, voire de discriminations.
Les séquences 7 « Argumentation » et 8 « Posture et communication » permettent de développer un argumentaire constructif autour de la laïcité à destination des collègues et des usagers.
Outils : les cas pratiques qui sont réactualisés régulièrement, les jeux de rôle à partir de situations professionnelles vécues ou fictives.
2.3 Changements à l’œuvre
Ce que j’observe en premier, c’est le dépassement des représentations parfois sclérosées des stagiaires. Un agent de développement local a pu noter dans le questionnaire à chaud : « La formation m’a permis de faire table rase de toutes les idées préconçues. Il est important d’avoir sur des sujets aussi sensibles une approche unique de par le côté législatif ».
Le recours à un cadre juridique non sujet à polémique repositionne le débat et rassure les professionnels. Une animatrice de centre de loisirs dit : « J’ai apprécié l’ambiance sereine par le renvoi immédiat aux textes de référence qui dépassionnent le débat ». Ou bien cette TS : « Cette formation va me permettre de revoir mon positionnement en tant qu’agent du service public. Voir la laïcité comme un véritable levier du vivre-ensemble ».
Aborder donc la laïcité sous un angle moins conflictuel, mais aussi éclairer d’autres dimensions trop souvent parasitées par la manifestation du fait religieux. Un chef de projet politique de la ville se dit davantage en capacité de : « Replacer la neutralité, l’égalité, la santé au cœur des sujets et non la laïcité comme réponse à tout ».
La plus-value de permettre à des professionnels différents de travailler ensemble est notable. Et surtout échanger entre personnes ayant des positions différentes sur le sujet de la religion, qu’elles soient athées ou croyantes. Là où en tant que formatrice, je ne me permets pas d’aller sur le terrain théologique, les stagiaires le font si le climat est favorable à une certaine liberté de parole. La formation remplit un objectif peut-être non affiché au départ qui est de cultiver la tolérance.
3. Bilan et perspectives
3.1 Bilan
Le niveau de satisfaction est très élevé : 97% des stagiaires se disent satisfaits de la formation tant au niveau du contenu que de l’animation. 96% des personnes considèrent que la formation leur a été utile, notamment au niveau des connaissances juridiques et historiques. 2/3 des enquêtés ont évolué dans leur perception de la laïcité. La formation permet d’acquérir des savoir-faire pour gérer des situations conflictuelles et d’échanger sur des situations rencontrées dans le cadre professionnel. Dans les pratiques, 53% des stagiaires répondent positivement à la question : « Cette formation vous a-t-elle conduit à modifier certaines de vos postures professionnelles ou de vos pratiques ? ».
3.2 Perspectives
Initié en début d’année 2016, l’objectif de départ était de former 10 000 personnes par an. Trois ans après son lancement, 30 000 acteurs de terrain ont été formés sur les 2 jours. Le nouvel objectif national fixé est de former 20 000 personnes par an. Avec ce bémol que le public qui a été formé était le plus facilement mobilisable, les professionnels au contact direct du public dans les quartiers prioritaires n’étant pas majoritaires jusqu’à maintenant dans les sessions de formation.
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