Fiche Documentaire n° 5295

Titre Sociétés plurielles, travail social, et vivre-ensemble

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Auteur(s) ABILLAMA MASSON NADA  
     
Thème Vivre ensemble et hospitalité  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

Sociétés plurielles, travail social, et vivre-ensemble

Cette communication va s’étayer sur :
- une double expérience humaine, celle d’être d’ici, puisque née au Liban, et d’appartenir également à un ailleurs, puisque j’habite en France ;
- les résultats de ma thèse en Sciences de l’Education, sur la poursuite de ma réflexion dans le cadre de mes enseignements à l’Irts Parmentier à Paris, sur la publication de divers articles, et d’un ouvrage dont l’intérêt porte sur la prise en compte et la transmission de la parole de dix-huit jeunes âgés de 8 à 19 ans, placés en institution.
Les entretiens semi directifs ont d’abord fait l’objet d’une analyse de l’énonciation puis permis de dégager des thématiques transversales, comme : le chez soi, les rapports aux pairs et aux éducateurs, le vivre ensemble à laquelle toute vie collective contraint. L’approfondissement de cette recherche m’a conduite à travailler les notions puis à développer la clinique de l’accueil et de l’hospitalité dans les institutions médico-sociales, loin d’être un allant de soi pour l’éducateur.

Par quelle aubaine, quel hasard ou quel destin, le Liban se trouve-t-il organisateur de ce 8ème congrès de l’AIFRIS autour du thème « Sociétés plurielles, travail social et vivre-ensemble » ? Pays du multiculturalisme, des paradoxes et du multi confessionnalisme, ce Liban reflète à lui seul un arc en ciel où l’harmonie des couleurs confond parfois l’identité et la reconnaissance de chacun. La guerre a mis à mal un équilibre, certes fragile, mais qui tenait, le plongeant dans une confusion dont il peine à se dégager. Pourtant, ce Liban, qui nous accueille aujourd’hui, n’a pas oublié le sens de son hospitalité, malgré sa plaie béante et sa douleur.
A l’heure actuelle, la France change de paradigme. Des jeunes de la troisième génération des pays anciennement colonisés revendiquent leur Histoire et leur appartenance tout en cherchant leur ancrage, ne se sentant parfois ni d’ici ni de là-bas. L’actualité n’a de cesse de rappeler les origines d’un tel ou tel autre qui aurait commis un acte de délinquance, quand bien même est-il né en France et est Français. Par ailleurs, avec l’arrivée massive de migrants, de mineurs non accompagnés qui relèvent de l’Aide Sociale à l’Enfance qui se doit de les accueillir dans ses institutions, la France se retrouve face à un défi où s’imposent de manière cruciale la question et le traitement de la constitution de sa société plurielle et du vivre-ensemble.

Cette proposition s’articulerait autour de trois axes :
1- La notion même du Vivre-Ensemble. Ces termes, côte à côte, peuvent faire penser à un oxymoron où deux vocables antinomiques s’unissent dans un mariage insolite. Les voilà joints par un trait d’union, une reliance (E.Morin) : comment penser que « Vivre » peut exister sans son voisin, « Ensemble », pour le meilleur et pour le pire, au prix sans doute d’un « enfer, c’est les autres » (Sartre). Pour autant, toute vie collective suppose un pacte social (Spinoza), un contrat social (Rousseau), des règles communes, à défaut de quoi, c’est le désordre, voire le chaos. Il est de la responsabilité de chaque institution d’offrir un vivre-ensemble, permettant à chacun de trouver sa place et son identité.
2- Le vivre-ensemble appelle l’Etre-ensemble, à l’hospitalité inconditionnelle de l’autre, étranger, à laquelle nous invite J.Derrida. Pourtant, « l’étranger nous habite » (J.Kristeva) ; « il est de ce qu’il y a de plus familier » (S.Freud). Face cachée de notre identité, il se transforme en ennemi, troublant la quiétude d’un ensemble, voire d’un Tout, qui cherche sa cohérence. Il dévoile un symptôme et crée le malaise de vivre avec les autres.
3- L’Etre-ensemble suppose une éthique et la reconnaissance de deux Êtres distincts, dans leur altérité (D.Depenne). Par conséquent, le vivre-ensemble engage l’éducateur dans le respect et la prise en compte de la singularité de chaque sujet accueilli, pour un accompagnement individualisé, qui l’implique et le dépouille des entraves à l’accueil de l’autre.

Bibliographie

Nada Abillama-Masson, (2005) « Lorsque la mère paraît. Familles-professionnels : deux cœurs à l’ouvrage. » Les Cahiers de l’Actif, n°470-471, pp. 197-205.
Cifali, M. (2004) « Accompagner, certes … Mais, pour quelle rencontre ? » Le journal des rééducateurs de l’Éducation nationale, n ° 38, pp. 12-13.
Depenne, D. (2014), Distance et proximité en travail social. Les enjeux de la relation d’accompagnement, ESF
Derrida, J. Dufourmantelle, A. (1997) De l’hospitalité, Calmann-Levy
Derrida, J. (1997), Cosmopolites de tous les pays, encore un effort ! Galilée
Hautefeuille(d’), J. (2018) « Un compagnonnage avec les plus démunis. Pedro Meca, trajectoires croisées », Le Sociographe, Champ social, n°61, pp 63-74.
Kristeva, J. (1988). Etrangers à nous-mêmes, Folio essais
Lenoir, F. (2017). Le précurseur des Lumières, Le miracle Spinoza. Une philosophie pour éclairer notre vie, Fayard, chapitre 7, pp 101-111
Morin, E. (2008). Mon chemin. Entretiens avec Djénane Kareh Tager, Fayard
Nancy, J-L. (2006). La naissance des seins suivi de Péan pour Aphrodite, Galilée
Orsini, C. (1986). La pensée de René Girard, Actualité des Sciences Humaines, Retz
Ounane, A. Khatabi. F, (2018) « Croire en soi, Croire en l’Autre : quand l’utopie du Vivre-Ensemble devient possible », Les Cahiers de l’Actif, N°508-509, pp 199-211.
Poirier, P. (2018) « L’engagement dans l’accompagnement éducatif », Le Sociographe, Champ social, n°61, pp 53-62.
Rousseau, J-J. (2012). Du contrat social, ou principes du droit politique, Flammarion
Shérer, R. (2005). Zeus hospitalier. Eloge de l’hospitalité, La table ronde, coll. La petite vermillon
Sartre, J-P. (1976). Huis clos suivi de Les mouches, Folio essai, Gallimard
Sigmund, Freud. (1985) L’inquiétante étrangeté et autres essais, Folio essai, Gallimard

Présentation des auteurs

Formatrice à l’IRTS Paris, Nada Abillama-Masson est Libanaise et Française. Docteure en psychologie clinique de l’éducation, elle est l’auteure d’articles et d’ouvrages : « En mal d’un chez soi. A l’écoute de la parole des Jeunes de l’ASE » (Erès 2012) et « On s’en va. Liban d’ici et d’ailleurs » (L’Harmattan 2018)

Communication complète

Cette communication s’appuie sur :



- une double expérience humaine, celle d’être d’ici, puisque née au Liban, et d’appartenir également à un ailleurs, puisque j’habite en France ;



- les résultats de ma thèse en Sciences de l’Education, sur la poursuite de ma réflexion dans le cadre de mes enseignements à l’Irts Parmentier à Paris, sur la publication de divers articles, et d’un ouvrage dont l’intérêt porte sur la prise en compte et la transmission de la parole de dix-huit jeunes âgés de 8 à 19 ans, placés en institution.



Les entretiens semi directifs ont d’abord fait l’objet d’une analyse de l’énonciation puis permis de dégager des thématiques transversales, comme : le chez soi, les rapports aux pairs et aux éducateurs, le vivre ensemble à laquelle toute vie collective contraint. L’approfondissement de cette recherche m’a conduite à travailler les notions puis à développer la clinique de l’accueil et de l’hospitalité dans les institutions médico-sociales, loin d’être un allant de soi pour l’éducateur.



Mon propos s’articule autour de trois axes : le vocable même du Vivre-Ensemble qui me conduit à celui de l’Etre-ensemble, à la fois verbe et substantif, pour enfin interroger l’engagement de l’éducateur dans son accompagnement à l’accueil et l’hospitalité.



Mais avant, par quelle aubaine, quel hasard ou quel destin, le Liban se trouve-t-il organisateur de ce 8ème congrès de l’AIFRIS autour du thème « Sociétés plurielles, travail social et vivre-ensemble » ? Pays du multiculturalisme, des paradoxes et du multi confessionnalisme, ce Liban reflète à lui seul un arc en ciel où l’harmonie des couleurs confond parfois l’identité et la reconnaissance de chacun. La guerre a mis à mal un équilibre, certes fragile, mais qui tenait, le plongeant dans une confusion dont il peine à se dégager. Pourtant, ce Liban, qui nous accueille aujourd’hui, n’a pas oublié le sens de son hospitalité, malgré sa plaie béante et sa douleur.



A l’heure actuelle, la France change de paradigme. Des jeunes de la troisième génération des pays anciennement colonisés revendiquent leur Histoire et leur appartenance tout en cherchant leur ancrage, ne se sentant parfois ni d’ici ni de là-bas. L’actualité n’a de cesse de rappeler les origines d’un tel ou tel autre qui aurait commis un acte de délinquance, quand bien même est-il né en France et est Français. Par ailleurs, avec l’arrivée massive de migrants, de mineurs non accompagnés qui relèvent de l’Aide Sociale à l’Enfance qui se doit de les accueillir dans



ses institutions, la France se retrouve face à un défi où s’imposent de manière cruciale la question et le traitement de la constitution de sa société plurielle et du vivre-ensemble.



1- Cette notion même du Vivre-Ensemble place côte à côte deux termes qui peuvent faire penser à un oxymoron où deux vocables antinomiques s’unissent dans un mariage insolite. Mais les voilà joints par un trait d’union, une reliance (E.Morin). En effet, comment penser que « Vivre » peut exister sans son voisin, « Ensemble » puisqu’il consigne, dans sa définition même « l’un avec l’autre, les uns avec les autres, et en même temps ». L’être est bien, comme le rappelle Aristote, un être sociable ; « la nature l’a fait pour vivre avec ses semblables ». Il a besoin d’eux pour sa survie. Le vivre-ensemble s’inscrit dès lors « dans le simple ordinaire côtoiement d’être-les-uns-avec-les-autres (Nancy J-L, 2006, p.15), pour le meilleur et pour le pire, au prix sans doute d’un « enfer, c’est les autres » (Sartre). Pour autant, toute vie collective suppose un pacte social qui s’appuie sur la puissance et la volonté conjuguée de tous, soutenu sur une organisation publique qui laisserait à chacun la liberté de croire, de penser et de s’exprimer, liberté qui ne doit par contre, pas nuire à la paix sociale (Spinoza), un contrat social (Rousseau), des règles communes, à défaut de quoi, c’est le désordre, voire le chaos. Il est de la responsabilité de chaque institution d’offrir un vivre-ensemble, permettant à chacun de trouver sa place et son identité.



2- Le vivre-ensemble appelle l’Etre-ensemble, à l’Etre comme substantif, dans ce qui le fonde et le constitue, à son existence, à son rapport au monde et à l’autre, à sa manière d’être-à-l’autre (J.d’Hautefeuille, 2018, p.74) à « l’autre différent, étranger, au xenos, créature extra-terrestre du point de vue humain du temps des grecs, à l’autre barbare, sauvage, absolument exclu et hétérogène (Derrida, J. Dufourmantelle, A. 1997, p.25). Autrement dit, ce vivre-ensemble oblige à penser les questions de l’accueil, et son corollaire, l’hospitalité, une hospitalité inconditionnelle à laquelle nous invite J.Derrida. Or, « l’étranger nous habite » (J.Kristeva) ; « il est de ce qu’il y a de plus familier » (S.Freud). Nous nous découvrons étrangers à nous-mêmes. Est inquiétante l’étrangeté en nous. Nous sommes nos propres étrangers. Face cachée de notre identité, il se transforme en ennemi, troublant la quiétude d’un ensemble, voire d’un Tout, qui cherche sa cohérence. Il dévoile un symptôme et crée le malaise de vivre avec les autres. Ce malaise est l’expression et la démonstration de l’autre scène en nous car, « celui que tu pourchasses n’est autre que toi-même » (C.Orsini). L’autre est alors l’inconscient qui ressurgit lorsque, jusque-là, le Moi archaïque non encore délimité



par le monde extérieur projetait hors de lui ce qu’il éprouvait en lui-même comme dangereux. La peur de l’étranger érige des murs où incompréhension et inaccessibilité peuvent aboutir à la fermeture de toute possibilité de vie collective, au retour sur soi et à l’enfermement.



3- Par conséquent, l’Etre-ensemble suppose une éthique et la reconnaissance de deux Êtres distincts dans leur altérité (D.Depenne), « tous ensemble mais séparés » (Nancy J-L, 2006, p.71). « Il n’y a ni unité ni multiplicité. Il y a l’un et l’autre, de l’un à l’autre, l’un à côté de l‘autre entre l’un et l’autre. Entre les deux s’ouvre le creux, le sillage (…) un passage vers un autre monde, un accès (…) aller de l’un à l’autre (Nancy J-L, 2006, p.61)



Vivre et Être avec les autres, parmi les autres, engage l’éducateur à répondre à cette implacable question : « Qu’est-ce que tu fous là ? » (Le Sociographe, 2018). Cet engagement s’enracine dans le respect et la prise en compte de la singularité de chaque sujet accueilli, pour un accompagnement individualisé, qui l’implique et le dépouille des entraves à l’accueil de l’autre. Cet accompagnement suppose d’avancer côte à côte dans un être-ensemble propice à la valorisation de ses potentiels, au renforcement de ses forces, au déploiement de ses ressources et capacités, à la possibilité d’être « acteur » de sa vie, terme cher à ce métier, à défaut d’en être l’auteur,



Ce compagnonnage qui suppose d’accorder ses pas avec ceux de l’autre, écartèlement permanent, requiert une disposition à être là, attentif et fiable, à se sentir concerné, affecté, éprouvé par ce qui leur arrive. « C’est l’autre en tant que tel que je ressens en moi (…) comme un dehors dedans, comme un intrus (Nancy J-L, 2006, p.72). Car, ce sentiment de l’« avec » (…) n’est rien d’autre que la possibilité de ressentir, d’être touché, d’être passible d’affection. Pour être affecté, il faut être affectable, et pour être affectable, il faut être exposé, et pas seulement posé. Il faut une condition d’extériorité, d’ouverture et de passivité ou de vulnérabilité (Nancy J-L, 2006, p.75). Autrement dit, il s’agit de faire preuve de sollicitude dans une « rencontre qui signifierait présence, maladresses nécessaires, invention commune, et implique un partage, un « allons-nous ensemble ... » dans un projet commun, un « faire avec ». L’expérience de la psychothérapie institutionnelle en est une belle illustration.



« Il s’agit par ailleurs, pour le professionnel, de suspendre, voire de se dépouiller de l’idée ou de l’illusion de celui qui sait (de surcroit à la place de l’autre), pour accueillir le savoir d’autrui. Dit autrement, il s’agit d’être disposé à recevoir de l’autre qui a autant à nous apprendre que nous avons à lui apporter. C’est dans cette réciprocité, cette mutualité que l’éducateur peut renoncer à sa toute-puissance, à vouloir tout maîtriser, voire à accepter son



impuissance, et être force de changement et de transformation (Abillama-Masson, 2015, p. 204).



Pour conclure, je reprendrai volontiers cette phrase de Martin Luther King « Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots » (cité par Aîssa Ounane et Farouk Khatabi, p.204.). Aussi, et à l’instar de J.d’Hautefeuille (p.66), je le cite « en contrepoint de la formule de la formulaire lapidaire de Sartre, « l’enfer c’est les autres », j’en concluais alors, au contraire, que l’enfer, c’est sans les autres ».











Pour y arriver, un énorme travail d’introspection sur soi, sur nos valeurs et nos représentations de l’autre, étranger et familier à la fois, semblable mais bien distinct, est indispensable pour pouvoir aller à sa rencontre dans une posture éthique et citoyenne, « dans la reconnaissance de sa dignité d’être humain au même titre que n’importe qui » (P.Poirier, 2018, p.58).

Résumé en Anglais


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