Il s’agit de présenter des résultats d’une recherche qualitative portant sur les rapports consentants et non consentants à caractère sexuel d’étudiantes et d’étudiants en milieu universitaire. Cette étude a été réalisée dans une université de petite taille (4 100 étudiantes et étudiants) du Nouveau-Brunswick, province située à l’est du Canada. Les résultats mettent en lumière les différentes formes de violence sexuelle vécues par des étudiantes durant leur formation permettant de penser des modes d’intervention favorisant le vivre ensemble collectif.
Au Canada, peu de recherches portent sur la question de la violence sexuelle dans les universités. Toutefois, au Québec, des chercheures ont fait une étude auprès d’étudiantes et d’étudiants et du personnel de six universités (Bergeron et al., 2016). Les résultats révèlent que 36,9 % des participantes et des participants disent « avoir vécu au moins une situation » de violence sexuelle. Chez la population étudiante, 24,7 % déclarent avoir vécu la violence au cours de la première année universitaire (Bergeron et al. 2016, p. 26). Bien que la statistique selon laquelle une femme sur quatre aurait fait l’expérience d’une forme ou d’une autre de violence sexuelle durant leurs études universitaires soit connue (Jordan, Combs et Smith 2014; Spencer et al. 2017), les analyses récentes indiquent qu’il est difficile de saisir l’ampleur du phénomène. Aux États-Unis, Fedina, Holmes et Backes (2018), en comparant 34 recherches portant sur la violence sexuelle dans les universités et les collèges, observent une variation de la prévalence de la victimisation sexuelle. Par exemple, les études dont la conceptualisation de la violence sexuelle comporte plusieurs formes de violence présentent un plus grand écart dans les résultats (allant 6,0 à 44,2 %). Moylan et Javorka (2018) expliquent ces variations en raison des différents contextes et pratiques dans les universités et les collèges dans lesquels les études ont été menées. La variété des recherches et la diversité des formes de violence sexuelle étudiées complexifient l’obtention de statistiques nécessaires à l’élaboration d’un portrait national.
Kelly (1988) définit la violence sexuelle en plaçant les rapports de pouvoir dans une société patriarcale au centre de son analyse. Pour elle, la violence sexuelle est une forme de contrôle sociale qui nie la liberté et l’autonomie de femmes. Par exemple, certains hommes considèrent posséder la légitimité d’accès continu au corps de la femme et à sa sexualité (sexual access). Cette définition engage une diversité d’actes de violence sexuelle allant de la violence ordinaire au harcèlement sexuel et jusqu’au viol (Kelly 1988 : 95). Cette conceptualisation féministe de la violence sexuelle ne se limite pas à l’étude d’un comportement précis (Halstead, Williams et Gonzalez-Guarda, 2017 et Kelly, 1988). Dans ce sens, Kelly (1988) aborde la question des formes de violence sexuelle dans un continuum qui n’est pas linaire, mais plutôt dynamique et qui met en relation les expériences vécues de femmes. Dans ce continuum, les différents types de violence sexuelle ne peuvent pas être comparés selon le niveau de gravité de l’acte, par exemple, la violence vécue au quotidien (harcèlement sexuel au travail ou dans la rue) peut être aussi problématique qu’un évènement précis (viol). Pour Kelly, toutes les formes de violence sont sérieuses et il est inapproprié de créer une hiérarchie entre elles.
Dans le cadre de cette recherche, 39 entrevues semi-dirigées ont été effectuées, dont 27 auprès d’étudiantes âgées de 19 à 31 ans. Ces participantes se sont identifiées comme hétérosexuelles, cigenres et une transgenre. Les thématiques portant sur les rapports sexuels de façon générale et sur les rapports consentants et non consentants ont été soulevées lors des entretiens et ont permis de saisir une diversité d’expériences de violence sexuelle vécue. Le discours des étudiantes a été analysé à partir de trois stratégies d’analyse soit, l’analyse thématique, l’analyse systémique et l’analyse contextualisante (Paillé et Mucchielli 2012 : 232.).
En partant du cadre d’analyse de Kelly (1988), cinq formes de violences sexuelles ont été ressorties dans le discours des étudiantes : 1) violence quotidienne dite ordinaire, 2) attouchement sexuel, 3) violence sexuelle dans l’espace virtuel, 4) traque furtive et 5) viol. Premièrement, la grande majorité des étudiantes raconte des expériences de violence quotidienne dans l’espace social et dans leurs déplacements. Cette violence qui n’a d’ordinaire que le mot (Savoie et al. 2018) est défini par Kelly (1988) comme une « intrusion banale » vécue par les femmes. Dans ce sens une étudiante raconte : « Je n’étais pas loin de l’université et j’allais chez mon copain, à pied. J’étais toute seule. J’avais mon casque et ma musique et je marchais. À côté de l’université, il y a une voiture qui s’est déplacée vers moi et le gars à baisser sa vitre puis il m’a mis une grosse tape sur les fesses et alors le rétroviseur m’est rentré dans le dos et le gars est venu me frapper à nouveau ». La deuxième forme de violence sexuelle qui s’observe surtout dans le contexte des bars où l’alcool est présent est celle de l’attouchement sexuel. Plusieurs étudiantes ont raconté comment dans les soirées festives, elles subissent des attouchements inappropriés. Par exemple, Tania raconte que « des gars approchent des filles pour leur pogner les fesses dans les bars, tout le monde boit, tout le monde danse et c’est pris pour acquis que le gars passe et te pogne une fesse, c’est acceptable. Mais pas pour moi, ce ne l’est pas et pas pour les autres filles non plus ». La violence à caractère sexuel dans l’espace virtuel est la troisième forme de violence nommée par les étudiantes. Cette forme de violence se manifeste à travers les technologies de communication. Chantal raconte : « Quand elle dormait, il l’a photographiée nu. Pis son plaisir à lui a été de passer la photo entre amis. Ils se sont envoyés la photo entre garçons. Puis elle, elle a piqué une crise puis elle a tellement été choquée qu’elle est devenue dépressive. Elle a même quitté l’université. Elle est partie et a changé d’université ». Une quatrième forme de violence sexuelle rapportée est la traque furtive, soit le fait d’être suivie et épiée de façon répétée (Cailleau et al., 2018). Cette forme de violence a été vécue par Juliette avec son ex-conjoint : « Il venait chez moi, il crevait mes pneus, il m’appelait tout le temps. J’ai été obligée de changer mon numéro et il me suivait dans tous les bars. Il venait aussi cogner à ma porte à 4h le matin. Ça fait 11 mois et là, en fin de semaine, ils l’ont arrêté ». Enfin, le viol constitue la cinquième forme de violence vécue par des étudiantes. Ariane raconte son histoire : Il a commencé à me tirer par le bras, il m’a forcé à aller dans la chambre de son ami. Il m’a forcé à le becquer. Je disais que je ne voulais pas et il l’a quand même fait. Il m’a "pinner down" sur le lit pour comme me forcer à rester là… C’était vraiment comme non consensuel. J’ai dit non. J’ai dit non plusieurs fois. J’essayais de me débattre pis finalement j’ai "giver in". Il m’a forcé à coucher avec lui et il m’a touché quand je ne voulais pas. Dans ma tête c’était comme si j’avais "blacker out". On le faisait, mais je n’étais pas là. J’essaie de tout oublier. Je n’en parlais pas aux gens parce que dans ma tête c’était de ma faute. J’aurais dû le frapper, j’aurais dû courir… Je n’aurais même pas dû aller là ». L’analyse de ces discours permet de saisir les formes de violence, toutefois la catégorisation de celles-ci n’est pas simple puisqu’il est complexe d’ancrer chaque évènement de violence dans une catégorie précise. Dans ce contexte, il appert essentiel de réfléchir au continuum de la violence sexuelle pour repenser l’intervention auprès des victimes, mais aussi auprès de l’ensemble de la population universitaire afin de favoriser une transformation structurelle et systémique des rapports de pouvoir (Swift et Ryan-Finn, 1995, DeGlue et al. 2014).
Pour ce faire, Basile et al. (2016) formulent des recommandations favorisant la transformation des pratiques. Pour eux, un programme efficace doit promouvoir des normes sociales qui protègent contre la violence sexuelle, par exemple en formant des témoins actifs ou en renforçant le leadership des étudiantes. Il doit aussi développer des connaissances qui favorisent la promotion de la santé sexuelle et des relations saines. De plus, il vise à créer un environnement sécuritaire en adoptant des politiques institutionnelles pour prévenir et agir sur la violence à caractère sexuel et enfin, avoir un système de support pour les victimes. Ce programme holiste peut s’inspirer de la perspective écologique de la prévention de la violence sexuelle (Casey et Lindhorst, 2009) afin de favoriser un modèle qui soutient une intervention individuelle, relationnelle, communautaire et sociétale.
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