Fiche Documentaire n° 5299

Titre La violence à caractère sexuel en contexte universitaire : penser les modes d’intervention pour favoriser le vivre ensemble à partir d’expériences d’étudiantes

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Auteur(s) Savoie Lise
PELLAND Marie-Andrée
 
     
Thème  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

La violence à caractère sexuel en contexte universitaire : penser les modes d’intervention pour favoriser le vivre ensemble à partir d’expériences d’étudiantes

Cette communication a pour but de présenter des résultats d’une recherche empirique qualitative portant sur les rapports consentants et non consentants à caractère sexuel d’étudiantes et d’étudiants en milieu universitaire. Cette étude a été réalisée auprès d’étudiantes et d’étudiants d’une université de petite taille (4 100 étudiantes et étudiants) du Nouveau-Brunswick, province située à l’est du Canada. Les résultats qui sont présentés mettront en lumière les différentes formes de violence sexuelle vécues par des étudiantes dans le cadre de leur formation afin de penser des modes d’intervention favorisant le vivre ensemble collectif.
Au Canada, peu de recherches portent sur la question de la violence sexuelle dans les universités. Toutefois, au Québec des chercheures ont fait une étude auprès d’étudiantes et d’étudiants et du personnel de six universités (Bergeron et al., 2016). Les résultats révèlent que 36,9 % des participantes et des participants disent « avoir vécu au moins une situation de harcèlement sexuel, de comportements sexuels non désirés ou de coercition sexuelle par une autre personne affiliée à l’université, depuis qu’elles ou ils étudient ou travaillent à l’université », dont 24,7 % au cours de la première année (Bergeron et autres 2016, p. 26). Au Nouveau-Brunswick, des chercheures ont fait un sondage auprès des étudiantes et des étudiants au sujet du climat touchant la violence sexuelle (Fuller, O’Sullivan et Belu, 2016). Selon leur enquête, 29,1 % parmi les répondantes et les répondants ont indiqué avoir vécu au moins une des deux formes de violence sexuelle mesurées, soit les agressions sexuelles et la coercition sexuelle (Fuller, O’Sullivan et Belu 2016, 22). Ces résultats, même s’ils sont peu nombreux, permettent de constater la prévalence du phénomène dans des universités.
Quand il s’agit de parler de violence sexuelle, il n’est pas toujours facile de la définir puisqu’elle prend diverses formes (Savoie et al,, 2019). Kelly (1988) définit la violence sexuelle en plaçant les rapports de pouvoir dans une société patriarcale au centre de son analyse. Cette définition engage une diversité d’actes de violence sexuelle allant de la violence ordinaire au harcèlement sexuel et jusqu’au viol (Kelly 1988 : 95). Cette conceptualisation féministe de la violence sexuelle ne se limite pas à l’étude d’un comportement précis (Halstead, Williams et Gonzalez-Guarda 2017). Dans ce sens, Kelly (1988) aborde la question des formes violence sexuelle dans un continuum qui n’est pas linaire, mais plutôt dynamique et qui met en relation les expériences vécues de femmes. Dans ce continuum, les différents types de violence sexuelle ne peuvent pas être comparés selon le niveau de gravité de l’acte, par exemple, la violence vécue au quotidien (harcèlement sexuel au travail) peut être aussi problématique qu’un évènement précis (viol). Pour Kelly, toutes les formes de violence sont sérieuses et il est inapproprié de créer une hiérarchie entre elles. Partant du cadre d’analyse de Kelly, nos résultats de recherche illustrent que les formes de violence vécues par des étudiantes sont saillantes, celles-ci vivent plusieurs formes de violence qui sont interconnectées. Toutefois, dans leur discours, il reste que les étudiantes éprouvent de la difficulté à la nommer cette violence et à en différencier les formes. Dans ce contexte, il semble essentiel de réfléchir au continuum de la violence sexuelle pour repenser l’intervention auprès des victimes, mais aussi auprès de l’ensemble de la population universitaire. Donc, à la lumière de ces résultats, qui interrogent le vivre ensemble collectif dans un espace particulier qui est l’Université, les modes d’intervention doivent être conceptualisé de manière à favoriser une transformation structurelle et systémique des rapports de pouvoir (Swift et Ryan-Finn, 1995, DeGlue et al. 2014).

Bibliographie

Bergeron, Manon, Hébert, Martine, Ricci, Sandrine, Julien, Marily, Rousseau, Catherine., Duhamel, Nathalie, Kurtzman, Lyne (2017). « Violences sexuelles en milieu universitaire - Résultats de l’enquête ESSIMU pour l’Université du Québec à Montréal ». Montréal : Université du Québec à Montréal.
En ligne : salledepresse.uqam.ca/fichier/document/PDF/Rapport_ESSIMU_FINAL.pdf

DeGue, Sarah, Valle, Linda Anne, Holt, Melissa K., Massetti, Greta M., Matjasko Jennifer L. et Tharp, Andra Teten. (2014). « A Systematic Review of Primary Prevention Strategies for Sexual Violence Perpetration », Aggression and Violent Behavior, 19, 346-362.

Fuller, Rice B., O’Sullivan Lucia F. et. Belu, Charlene F. (2016). « UNB Sexual Assault Climate Survey, University of New Brunswick », Fredericton, University of New Brunswick,
En ligne :www.unb.ca/initiatives/_assets/documents/sexualassault/assault-climate.pdf

Halstead, Valerie, Williams, Jessica R. et Gonzalez‐Guarda, Rosa (2017). « Sexual Violence in the College Population: A Systematic Review of Disclosure and Campus Resources and Services », Journal of Clinical Nursing, Vol. 26, N. 15-16, p. 2137-2153.

Kelly, Liz (1988). Surviving Sexual Violence. Cambridge, Polity Press.
Savoie, Lise, Pelland, Marie-Andrée, Morin, Sylvie, Boudreau, Lyne Chantal et Grandisson, Sarah. (2019, sous presse). « L’invisibilité de la violence sexuelle ordinaire chez les étudiantes universitaires : des expériences à comprendre », Recherches féministes, Vol. 32, N.1.

Présentation des auteurs

Lise Savoie est professeure agrégée à l’École de travail social de l’Université de Moncton. La professeure Savoie s’intéresse aux questions relatives aux femmes, aux politiques sociales, à la pauvreté, aux théories féministes et aux approches narratives. Ces recherches ont porté jusqu’à maintenant sur les questions de la reconnaissance du travail de proximité des femmes, de la santé et de la pauvreté des femmes, des expériences de pauvreté des femmes en milieu rural, des conditions de vie des travailleuses pauvres et de la violence sexuelle notamment la question du consentement et du non consentement à caractère sexuel.
Marie-Andrée Pelland est professeure agrégée de criminologie au Département de sociologie de l’Université de Moncton. La professeure Pelland s’intéresse à des questions liées aux trajectoires individuelles et groupales de relation d’emprise sectaire, de victimisation et de criminalité. Elle s’intéresse également aux processus de reconnaissance sociale et identitaire des individus marginaux et marginalisés. Ses recherches récentes portent sur les trajectoires de changements de contrevenants prolifiques et les trajectoires de victimisation sexuelle chez des étudiantes et des étudiants universitaires.

Communication complète

Il s’agit de présenter des résultats d’une recherche qualitative portant sur les rapports consentants et non consentants à caractère sexuel d’étudiantes et d’étudiants en milieu universitaire. Cette étude a été réalisée dans une université de petite taille (4 100 étudiantes et étudiants) du Nouveau-Brunswick, province située à l’est du Canada. Les résultats mettent en lumière les différentes formes de violence sexuelle vécues par des étudiantes durant leur formation permettant de penser des modes d’intervention favorisant le vivre ensemble collectif.

Au Canada, peu de recherches portent sur la question de la violence sexuelle dans les universités. Toutefois, au Québec, des chercheures ont fait une étude auprès d’étudiantes et d’étudiants et du personnel de six universités (Bergeron et al., 2016). Les résultats révèlent que 36,9 % des participantes et des participants disent « avoir vécu au moins une situation » de violence sexuelle. Chez la population étudiante, 24,7 % déclarent avoir vécu la violence au cours de la première année universitaire (Bergeron et al. 2016, p. 26). Bien que la statistique selon laquelle une femme sur quatre aurait fait l’expérience d’une forme ou d’une autre de violence sexuelle durant leurs études universitaires soit connue (Jordan, Combs et Smith 2014; Spencer et al. 2017), les analyses récentes indiquent qu’il est difficile de saisir l’ampleur du phénomène. Aux États-Unis, Fedina, Holmes et Backes (2018), en comparant 34 recherches portant sur la violence sexuelle dans les universités et les collèges, observent une variation de la prévalence de la victimisation sexuelle. Par exemple, les études dont la conceptualisation de la violence sexuelle comporte plusieurs formes de violence présentent un plus grand écart dans les résultats (allant 6,0 à 44,2 %). Moylan et Javorka (2018) expliquent ces variations en raison des différents contextes et pratiques dans les universités et les collèges dans lesquels les études ont été menées. La variété des recherches et la diversité des formes de violence sexuelle étudiées complexifient l’obtention de statistiques nécessaires à l’élaboration d’un portrait national.

Kelly (1988) définit la violence sexuelle en plaçant les rapports de pouvoir dans une société patriarcale au centre de son analyse. Pour elle, la violence sexuelle est une forme de contrôle sociale qui nie la liberté et l’autonomie de femmes. Par exemple, certains hommes considèrent posséder la légitimité d’accès continu au corps de la femme et à sa sexualité (sexual access). Cette définition engage une diversité d’actes de violence sexuelle allant de la violence ordinaire au harcèlement sexuel et jusqu’au viol (Kelly 1988 : 95). Cette conceptualisation féministe de la violence sexuelle ne se limite pas à l’étude d’un comportement précis (Halstead, Williams et Gonzalez-Guarda, 2017 et Kelly, 1988). Dans ce sens, Kelly (1988) aborde la question des formes de violence sexuelle dans un continuum qui n’est pas linaire, mais plutôt dynamique et qui met en relation les expériences vécues de femmes. Dans ce continuum, les différents types de violence sexuelle ne peuvent pas être comparés selon le niveau de gravité de l’acte, par exemple, la violence vécue au quotidien (harcèlement sexuel au travail ou dans la rue) peut être aussi problématique qu’un évènement précis (viol). Pour Kelly, toutes les formes de violence sont sérieuses et il est inapproprié de créer une hiérarchie entre elles.

Dans le cadre de cette recherche, 39 entrevues semi-dirigées ont été effectuées, dont 27 auprès d’étudiantes âgées de 19 à 31 ans. Ces participantes se sont identifiées comme hétérosexuelles, cigenres et une transgenre. Les thématiques portant sur les rapports sexuels de façon générale et sur les rapports consentants et non consentants ont été soulevées lors des entretiens et ont permis de saisir une diversité d’expériences de violence sexuelle vécue. Le discours des étudiantes a été analysé à partir de trois stratégies d’analyse soit, l’analyse thématique, l’analyse systémique et l’analyse contextualisante (Paillé et Mucchielli 2012 : 232.).

En partant du cadre d’analyse de Kelly (1988), cinq formes de violences sexuelles ont été ressorties dans le discours des étudiantes : 1) violence quotidienne dite ordinaire, 2) attouchement sexuel, 3) violence sexuelle dans l’espace virtuel, 4) traque furtive et 5) viol. Premièrement, la grande majorité des étudiantes raconte des expériences de violence quotidienne dans l’espace social et dans leurs déplacements. Cette violence qui n’a d’ordinaire que le mot (Savoie et al. 2018) est défini par Kelly (1988) comme une « intrusion banale » vécue par les femmes. Dans ce sens une étudiante raconte : « Je n’étais pas loin de l’université et j’allais chez mon copain, à pied. J’étais toute seule. J’avais mon casque et ma musique et je marchais. À côté de l’université, il y a une voiture qui s’est déplacée vers moi et le gars à baisser sa vitre puis il m’a mis une grosse tape sur les fesses et alors le rétroviseur m’est rentré dans le dos et le gars est venu me frapper à nouveau ». La deuxième forme de violence sexuelle qui s’observe surtout dans le contexte des bars où l’alcool est présent est celle de l’attouchement sexuel. Plusieurs étudiantes ont raconté comment dans les soirées festives, elles subissent des attouchements inappropriés. Par exemple, Tania raconte que « des gars approchent des filles pour leur pogner les fesses dans les bars, tout le monde boit, tout le monde danse et c’est pris pour acquis que le gars passe et te pogne une fesse, c’est acceptable. Mais pas pour moi, ce ne l’est pas et pas pour les autres filles non plus ». La violence à caractère sexuel dans l’espace virtuel est la troisième forme de violence nommée par les étudiantes. Cette forme de violence se manifeste à travers les technologies de communication. Chantal raconte : « Quand elle dormait, il l’a photographiée nu. Pis son plaisir à lui a été de passer la photo entre amis. Ils se sont envoyés la photo entre garçons. Puis elle, elle a piqué une crise puis elle a tellement été choquée qu’elle est devenue dépressive. Elle a même quitté l’université. Elle est partie et a changé d’université ». Une quatrième forme de violence sexuelle rapportée est la traque furtive, soit le fait d’être suivie et épiée de façon répétée (Cailleau et al., 2018). Cette forme de violence a été vécue par Juliette avec son ex-conjoint : « Il venait chez moi, il crevait mes pneus, il m’appelait tout le temps. J’ai été obligée de changer mon numéro et il me suivait dans tous les bars. Il venait aussi cogner à ma porte à 4h le matin. Ça fait 11 mois et là, en fin de semaine, ils l’ont arrêté ». Enfin, le viol constitue la cinquième forme de violence vécue par des étudiantes. Ariane raconte son histoire : Il a commencé à me tirer par le bras, il m’a forcé à aller dans la chambre de son ami. Il m’a forcé à le becquer. Je disais que je ne voulais pas et il l’a quand même fait. Il m’a "pinner down" sur le lit pour comme me forcer à rester là… C’était vraiment comme non consensuel. J’ai dit non. J’ai dit non plusieurs fois. J’essayais de me débattre pis finalement j’ai "giver in". Il m’a forcé à coucher avec lui et il m’a touché quand je ne voulais pas. Dans ma tête c’était comme si j’avais "blacker out". On le faisait, mais je n’étais pas là. J’essaie de tout oublier. Je n’en parlais pas aux gens parce que dans ma tête c’était de ma faute. J’aurais dû le frapper, j’aurais dû courir… Je n’aurais même pas dû aller là ». L’analyse de ces discours permet de saisir les formes de violence, toutefois la catégorisation de celles-ci n’est pas simple puisqu’il est complexe d’ancrer chaque évènement de violence dans une catégorie précise. Dans ce contexte, il appert essentiel de réfléchir au continuum de la violence sexuelle pour repenser l’intervention auprès des victimes, mais aussi auprès de l’ensemble de la population universitaire afin de favoriser une transformation structurelle et systémique des rapports de pouvoir (Swift et Ryan-Finn, 1995, DeGlue et al. 2014).

Pour ce faire, Basile et al. (2016) formulent des recommandations favorisant la transformation des pratiques. Pour eux, un programme efficace doit promouvoir des normes sociales qui protègent contre la violence sexuelle, par exemple en formant des témoins actifs ou en renforçant le leadership des étudiantes. Il doit aussi développer des connaissances qui favorisent la promotion de la santé sexuelle et des relations saines. De plus, il vise à créer un environnement sécuritaire en adoptant des politiques institutionnelles pour prévenir et agir sur la violence à caractère sexuel et enfin, avoir un système de support pour les victimes. Ce programme holiste peut s’inspirer de la perspective écologique de la prévention de la violence sexuelle (Casey et Lindhorst, 2009) afin de favoriser un modèle qui soutient une intervention individuelle, relationnelle, communautaire et sociétale.






Résumé en Anglais

The purpose of this paper is to present some results from an expanded qualitative research project about university student experiences on sexual consent and non-consensual sexual relations. This study was conducted with students from a small university (4,100 students) in New Brunswick, a province located in eastern Canada. The results presented will shed light on the different forms of sexual violence experienced by students during their university trajectory in order to think of intervention strategies that can be put in place in order to create a space that is safe for everyone and favour a better living «together» cooperation.



In Canada, there is little research on the issue of sexual violence in universities. However, researchers in Quebec asked students and staff of six universities if they had experienced form of sexual violence at the university (Bergeron et al., 2016). The results reveal that 36.9% of participants recognized that they had experienced at least one form of sexual violence (harassment, unwanted sexual behaviour, or sexual coercion by another university affiliate), 24.7% had lived it during their first year at the university (Bergeron et al., 2016, p.26). In New Brunswick, researchers surveyed students about the climate of sexual violence on campus (Fuller, O'Sullivan & Belu, 2016). According to survey result, 29.1% of respondents expressed having experienced at least one of two forms of sexual violence measured: sexual assault and sexual coercion (Fuller, O'Sullivan and Belu 2016, 22). These results, although few, show the prevalence of the phenomenon on university campuses.



When it comes to talking about sexual violence, it is not always easy to define it since it takes various forms (Savoie et al., 2019). Kelly (1988) defi