L'exercice du rôle parental chez des personnes aux prises avec des troubles mentaux

Les services sociaux offerts aux populations sont de plus en plus organisés en fonction de problématiques dont l’établissement du rang de priorité dépend, entre autres, de la popularité de ces problématiques ou de l’inconfort des organismes gouvernementaux et des populations envers celles-ci. Le sujet de notre intérêt de recherche se situe au carrefour des problématiques de la santé mentale et de la négligence parentale et ne bénéficient pas de cette popularité. Les problèmes de santé mentale font pourtant partie des facteurs de risque – ou plutôt à haut risque de négligence parentale (Seifer, 1996) – et de mauvais traitements (Éthier, 1999 ), particulièrement dans des situations de la double problématique de maladie mentale et d’abus de substances psychoactives. La méconnaissance du phénomène de la parentalité chez les personnes qui présentent des troubles mentaux a des conséquences importantes pour ces familles et risque de donner lieu à la mise en place de stratégies thérapeutiques inadéquates (Boily, M., St-Onge, M., & Toutant, M.T, 2006).Les études provenant des services de protection de l’enfance avancent qu’entre 16% et 24% des enfants faisant l’objet d’un signalement ont un de leurs parents qui présente un trouble mental (Blanch, Nicholson & Purcell, 1994; Pauzé, Toupin, Déry, Mercier, Cyr, Cyr et Frappier, 2000; Trocmé et al., 2001, Laporte & Baillargeon, 2005). Notre recherche doctorale visait à examiner les difficultés que rencontrent les personnes atteintes de troubles mentaux graves dans l’exercice de leur rôle parental. Nous cherchions à mieux connaître l’expérience de la parentalité pour ces personnes, la nature de leurs incapacités au quotidien et les conséquences de celles-ci en relation avec les facteurs environnementaux. Nous souhaitions dégager les paramètres de ce qui aide ou de ce qui nuit à une réponse satisfaisante aux besoins des enfants dans ces familles. Nous avons retenu, dans le cadre de cette recherche, le cadre conceptuel du processus de production du handicap (Fougeyrollas, Cloutier, Bergeron, Coté & St-Michel, 1998) qui permet d’approfondir l’analyse d’un phénomène et de cerner la « dynamique du processus interactif entre les facteurs personnels (intrinsèques) et les facteurs environnementaux (externes) déterminant le résultat situationnel de la performance de réalisation des habitudes de vie correspondant à l’âge, au sexe et à l’identité socioculturelle des personnes… » (Fougeyrollas et coll., 1998, p. 8). Le recours à ce cadre conceptuel permet de tenir compte de l’influence déterminante de l’interaction des aptitudes personnelles du parent à répondre aux besoins de leurs enfants et des facteurs environnementaux pouvant favoriser l’exercice de leur rôle parental. L’objet de recherche est abordé dans la perspective d’une étude exploratoire descriptive du phénomène dont le but « consiste à déterminer des facteurs déterminants ou des concepts pouvant être éventuellement associés au phénomène à l’étude. Les relations entre les concepts sont recherchées afin d’établir un profil général du phénomène ... » ( Fortin., 1996, p. 162) . Comme notre objectif est de cerner les relations entre les concepts d’un phénomène relativement peu connu, l’utilisation d’une méthode qualitative est appropriée. Cette méthode demeure celle qui nous garantit le plus d’information sur ce que vivent ces parents. De plus, il nous semblait pertinent de faire «l’analyse des situations du point de vue de ceux qui les subissent » (Mayer, 1997, p. 217). Il nous semblait alors plus approprié d’interroger directement les personnes concernées sur le phénomène entourant la réalisation des activités qu’elles assument, en interaction avec leur environnement, pour répondre aux besoins de leurs enfants et ce, en tenant compte des facteurs qui facilitent ou font obstacles à une réponse satisfaisante aux besoins de leurs enfants. La méthodologie qualitative a été retenue puisqu’elle a l’avantage de permettre un certain « défrichage avant de dégager les éléments prioritaires, d’en saisir la complexité et d’en faire émerger des hypothèses » (Guberman, Maheu & Maillé, 1993, p. 230).
Le devis prévoyait que les données seraient recueillies à partir d’une population clinique. Le recrutement a été réalisé grâce à la collaboration d’un centre hospitalier de la région de Montréal qui offre des services de psychiatrie en clinique externe. L’échantillon est constitué de trente (30) sujets, soit vingt (20) de sexe féminin et dix (10) de sexe masculin ayant un diagnostic principal de trouble de l’humeur, trouble psychotique ou trouble anxieux, inscrits en clinique externe de psychiatrie et qui sont parents d’enfants de moins de 18 ans. Les facteurs personnels sont décrits à l’aide des variables suivantes : 1) le trouble mental et les manifestations du trouble mental selon le Diagnostic and statistical manual of mental disorders (DSM-IV-TR) ou le système de Classification internationale des maladies (CIM-10); 2) La variable rôle parental sera examinée selon la réponse aux besoins de l’enfant (besoins de base, besoins affectifs, besoins éducatifs et besoins de supervision) puisque ces dimensions émanent de la recension des écrits (Boily, St-Onge, Toutant, 2006). Nous avons exploré la variable du rôle parental, à partir d’un schéma d’entrevue construit pour les besoins de la recherche, afin de comprendre ce qui aide ou ce qui nuit à la réponse aux besoins des enfants dans ces familles. Nous abordions ce qui se produit, en termes de symptômes chez le parent lorsqu’il se sent moins bien; l’influence de ces symptômes sur les aptitudes à l’exercice du rôle parental et l’apparition des difficultés familiales; et la contribution des facteurs environnementaux, en interaction avec les facteurs personnels, à agir comme catalyseurs des difficultés liées à l’exercice du rôle parental; 3) Les données ont été recueillies à partir d’un questionnaire adapté de l’Enquête sociale de santé de 1998 (Daveluy, 2000). Elles permettaient, avec le système de Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF) de l’’OMS (2001), de regrouper et classifier les donnée sociodémographiques, les symptômes et les facteurs environnementaux.

L’analyse de contenu a été réalisée selon trois types d’analyses (Mayer & Ouellet, 1991, p. 477-478). L’analyse d’exploration de contenu permettant d’abord de rechercher des hypothèses et des orientations intuitives de sens qui se dégagent du corpus de données. Le repérage plus précis des indices, permettant éventuellement la validation des hypothèses et des orientations de sens pouvant être opérationnalisées. Cette analyse d’exploration est appuyée par une analyse de contenu qualitative qui dégage la présence de thèmes, de concepts ou de variables implicites à ces concepts et issus du processus d’identification d’indices. L’organisation, la codification et l’analyse de notre matériel ont été réalisées à l'aide du logiciel de traitement de données qualitative N’vivo 2 (Q.S.R), afin de mieux constater ce qui émerge des documents analysés.

Il se dégage que tous les parents participant à la recherche ont mentionné avoir connu, à une période ou une autre, des difficultés dans l’exercice du rôle parental qu’ils attribuent à la symptomatologie. Six manifestations en particulier sont davantage susceptibles d’avoir un impact négatif sur les soins à donner. Lorsque des manifestations chez les participants altèrent leurs aptitudes à accomplir des activités qui visent la satisfaction des besoins de leurs enfants, l’interaction avec certains facteurs personnels et environnementaux ont une influence. Assez souvent, les participants parlent de ces facteurs comme ayant eu un effet positif et les ayant aidés. Ceux-ci semblent contribuer à leur bien-être et même avoir un effet de rétroaction sur leur santé mentale. Dans ce cas, la capacité à dispenser les soins à leurs enfants est améliorée, ce qui agit directement sur la satisfaction de leurs besoins. Dans d’autres situations, il peut s’avérer que ces mêmes facteurs sont plutôt défavorables. Ils ont alors un effet de rétroaction négative sur leur santé mentale (soit une détérioration de la santé mentale et une amplification de la symptomatologie), et agissent négativement sur la satisfaction des besoins de leurs enfants.
Il se dégage aussi que le simple fait d’être atteint d’un trouble grave de santé mentale ne doit pas être considéré comme un empêchement à assumer un rôle parental. La configuration de l’ensemble des facteurs personnels et des facteurs environnementaux lorsque le parent se sent moins bien semble plus déterminante de la capacité d’exercice des responsabilités parentales.

L’analyse des résultats suggère aussi que les facteurs d’influence, malgré la présence de certaines limitations, peuvent jouer un rôle prépondérant quant au résultat situationnel de la performance, dans la perspective de la satisfaction des besoins des enfants dans ces familles. Cette recherche permet de souligner l’importance de porter un regard plurifactorielle dont certains facteurs d’influence. Celui des stratégies d’adaptation développées par les parents, en l’absence de services adaptés, semble des éléments ayant été peu documentés dans les écrits sur le sujet, jusqu’à maintenant. Nous espérons que nos efforts de recherche sur ce sujet pourront contribuer à influencer positivement son rang de priorité dans l’organisation des services sociaux aux populations.

Bibliographie abrégée
Bassani, D. G., Padoin, C. V., & Veldhuizen, S. (2007). Counting children at risk. Social Psychiatry and Psychiatric Epidemiology, 43, 927-935.
Boily, M. (2009) L'exercice du rôle parental chez des personnes aux prises avec des troubles mentaux. Thèse de doctorat inédite, Université Laval.

Boily, M., St-Onge, M. , & et M.T. Toutant, M.T. (2006). Au-delà des troubles mentaux, la vie familiale. Regard sur la parentalité. Montréal: Les Éditions du CHU Sainte-Justine.
Fougeyrollas, P., Cloutier, R., Bergeron, H., Coté, J., & St-Michel, G. (1998). Classification québécoise processus de production du handicap. Québec: Réseau international sur le processus de production du handicap.
Hinden, B. R., Biebel, K., Nicholson, J., Henry, A., & Katz-Leavy, J. (2006). A survey of programs for parents with mental illness and their families: identifying common elements to build the evidence base. The Journal of Behavioral Health Services & Research, 33(1), 21-38. doi: 10.1007/s11414-005-9007-x.
Mowbray, C. T., Bybee, D., Hollingsworth, L., Goodkind, S., & Oyserman, D. (2005). Living arrangements and social support: Effects on the well-being of mothers with mental illness. Social Work Research, 29(1), 41–56.
Nicholson, J., & Henry, A. D. (2003). Achieving the goal of evidence-based psychiatric rehabilitation practices for mothers with mental illnesses. Psychiatric Rehabilitation Journal, 27, 122-130.
Organisation mondiale de la santé. (2001). Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé. Genève: Organisation mondiale de la Santé.
Seifer, R. (1996). Les enfants nés de parents atteints de troubles mentaux: état de recherche sur leur évolution et leurs troubles éventuels. P.R.I.S.M.E., 6(1) 9-21.
Trocmé, N., MacLaurin, B., Fallon, B., Deciuk, J., Billingsley, D., Tourigny, … McKenzie, B. (2001). Étude canadienne sur l'incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants:Rapport final. Ottawa : Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux Canada.

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