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La Culture : outil d’émancipation et d’intégration des populations sans-papiers
Une expérience théâtrale avec La Voix des Sans Papiers de Liège
1) Contexte général :
A Liège en Belgique, une centaine de sans-papiers occupent depuis 2015 une ancienne école d’horticulture appartenant à la Ville de Liège.
La Voix Des Sans Papiers de Liège.
Il y a des hommes , des femmes et des enfants. Cette population a compris qu’elle était soumise à une forme de double peine. En plus, d’être dans une logique de précarité et de survie, leurs souffrances et leurs malheurs sont invisibles, inaudibles et isolés.
C’est à la suite de ce constat qu’ils ont décidé de miser sur la puissance de la force du collectif qui a fait se regrouper ces femmes, ces hommes et enfants , conscients qu’ils pourraient mutualiser leurs luttes.
Nous sommes donc sur un terrain où la prise de conscience que l’organisation, la lutte et la volonté collective peuvent être des remparts face aux logiques d’exclusion et de discrimination.
Cette expérience a aussi pu durer grâce à la mobilisation de citoyennes et de citoyens liégeois qui se sont constitués en « Comité de soutien de la voix Des Sans Papiers de Liège ». Ce qui a permis d’établir un dialogue avec les autorités et les institutions de la Ville de Liège.
2) La culture comme outil d’intégration :
Conscients des réels enjeux de son intégration sur le territoire cette population a rapidement développé des outils culturels pour favoriser son intégration dans son voisinage immédiat. Leur collectif était soucieux de donner une image positive de leur occupation. Et c’est naturellement qu’ils ont décliné une série d’activités culturelles : atelier peinture, atelier d’écriture, atelier d’audio visuel, atelier potager, ….
Et tout aussi naturellement qu’ils ont ouverts leurs portes à leurs voisins à l’occasion d’une fête de l’aïd, de la diffusion des matches de la coupe du monde, etc….
C’est une stratégie qui a été payante et les relations avec leur voisinage direct se passent relativement bien depuis 2015, ils ont réussi à être appréciés dans le quartier.
Le dialogue est également maintenu avec les autorités de la Ville qui depuis arbore fièrement son statut de Ville hospitalière. Un véritable dialogue s’est donc ouvert propice à l’interculturalité, les échanges permettent à chacun d’apprivoiser l’autre par le biais de la culture, la culture devient donc ici pleinement un outil d’intégration.
3) De la production culturelle à la diffusion :
J’ai rencontré la VSP dans le cadre de mes activités d’animateur-formateur en Education Permanente pour la Section Régionale de Liège de la Ligue de l’Enseignement et de l’Education Permanente par le biais du Monde Des Possibles Asbl. Une association très active qui dispense des cours de français Langue étrangère et de citoyenneté avec qui nous préparions une émission radio présentant leurs activités dans le champ de l’Education Permanente. L’association a tenu a consacré une partie de leur temps de parole à la présentation de la Voix des sans Papiers de Liège
C’est là que j’ai pris conscience de la profusion et de la richesse de leur productions culturelles autonomes.
Je leur ai donc proposé de mettre en scène les écrits qu’ils avaient produits au cours de leur atelier d’écriture dirigé par Liliane Fanello.
Et c’est comme cela qu’est né le projet théâtral : Les Sans !
Nous avons présenté une première ébauche ( 30 minutes, la fin du spectacle actuel..) en 2016 dans le cadre de la journée de la langue Française en Fête en mars 2016. C’était censé être une expérience unique mais nous avons eu de nombreuses demandes de reprise, nous avons joué cette première ébauche une petite dizaine de fois. Puis nous avons eu la proposition de le reprendre au Festival international de Théâtre de Liège en février 2017. C’est suite à cette demande que nous nous sommes remis au travail. Ils ont repris l’écriture afin de s’interroger : que signifie être « sans » ? Nous avons également introduits d’autres textes afin de contextualiser les récits individuels et lui donner une portée universelle. Nous avons travaillé à une réelle forme théâtrale pour que le spectacle dure une heure. Depuis 2017 nous l’avons joué une trentaine de fois aussi bien dans le circuit des institutions théâtrales que dans des lieux plus inattendus comme à l’occasion de l’occupation d’une usine en grève par exemple. Le spectacle continue toujours à tourner actuellement en Belgique.
4) Une méthodologie documentaire d’auto-expertise ou comment valoriser les patrimoines culturels des publics ?
Depuis 2016, je suis Maitre-assistant à l’Esas où j’y enseigne le cours de « Musique et écriture » , je prends souvent à titre d’exemple, auprès de mes étudiants, cette activité, comme la réalisation concrète et l’aboutissement de ce type de technique d’animation. Il est à noter également que j’ai reproduit ce genre de projets avec d’autres publics : avec des supporters de football, avec des détenus incarcérés…Et qu’il permet d’introduire auprès des étudiants en animation socio-culturelle et sportive une des missions, selon moi , de l’animateur dans le champ socio-culturel à savoir comment réarmer culturellement les classes populaires ? Ou encore, comment valoriser les patrimoines culturels des publics ?
Les Cultural Studies et plus particulièrement parmi elles les Performance Studies nous offrent des repères théoriques précieux dans nos missions d’animation ainsi que pour la valorisation des patrimoines culturels des classes populaires et/ou minoritaires.
Le Théâtre Documentaire quant à lui nous offre une piste comme méthodologie d’action d’auto-expertise avec les publics de l’animateur (l’enquête, le récit de vie, l’acte de faire etc...).
En situant au centre de nos préoccupations l’expérience vécue comme une forme de garantie légitime des processus de création de savoirs et de l’expression créatrice nous remettons au centre du processus les publics. Dans des dispositifs intégrant la co-construction et la mise en capacité ( l’empowerment ) ayant pour finalité, individuelle et collective, toujours, l’émancipation. Cette démarche culturelle d’animation est politique car elle invite à la participation et au changement par son existence et sa diffusion. Elle valorise l’expertise intrinsèque des publics. Je propose aux étudiants une modélisation méthodologique basée sur les Performances Studies au niveau théorique et les techniques du Théâtre Documentaire pour les processus créatifs d’émergence des patrimoines culturels.
C’est dans cette forme d’engagement par l’art que l’agir culturel de l’animation continue à défendre le paradigme de la démocratie culturelle.
5) Les Sans ! :
Voici un court documentaire sur cette expérience.
Les Sans : https://vimeo.com/204884714
6) Eléments bibliographiques :
Artaud, A (1938). Le Théâtre et son double (Folio, Poche)
Hoggart, R (1970) La Culture du pauvre (Editions de minuit)
Boal, A. (1996). Le Théâtre de l’opprimé (La Découverte , Poche)
Boal.A ( 1997 ). Jeux pour acteurs et non acteurs (La Découverte, Poche)
Brecht, B (2000). Ecrits sur le Théâtre (Gallimard, NRF)
Hannoun, H ( 2004). L’intégration des cultures (L’Harmattan)
Martiniello, M (2011). La Démocratie Multiculturelle (Presses de Science Po)
L.Kempf et T.Moguilevskaia (2013), Le Théâtre Neo-Documentaire : Resurgence ou Reinvention ? (PUN)
M. Cervulle et N. Quemener (2015). Cultural Studies : Théories et Méthodes (Armand Colin)
7) L’auteur :
Pierre Etienne dit L’Enfant Pavé, 47 ans, membre des collectifs Hip Hop Starflam et JNC .1er Prix d’Art Dramatique au Conservatoire Royal de Liège.Animateur-Formateur pendant 7 ans à la Section Régionale de Liège de la Ligue de l’Enseignement et de l’Education Permanente où j’étais en charge de toutes les actions d’Education Permanente. Coordinateur pédagogique et enseignant à HELMO-Esas à Liège dans la formation d’éducateur spécialisé en activités socio-culturelles et sportives.
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