Fiche Documentaire n° 5334

Titre Habiter et vivre ensemble autrement : de nouvelles perspectives avec l’habitat dit participatif ?

Axe 1 : Enjeux et construction du « Vivre ensemble »

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Auteur(s) COSTES LAURENCE  
     
Thème  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

Habiter et vivre ensemble autrement : de nouvelles perspectives avec l’habitat dit participatif ?

Axe 1 : Enjeux et construction du « Vivre ensemble »

Au tournant du XXIème siècle la montée des inégalités urbaines s’accompagne d’un nombre croissant de personnes mal logées ou fragilisées par rapport au logement. Cette situation relance l’attention sur « l’habiter » (Lefebvre, 1968) et interroge les modes d’intervention sociale dans ce domaine. A cette crise du logement se superpose une amplification des fractures tant territoriales que sociales. La ségrégation spatiale se renforce sous la forme de quartiers plus homogènes et étanches, avec la résidentialisation des immeubles d’habitation, l’isolement des quartiers d’habitat social et la gentrification de certains centres qui manifestent, de façon subie ou choisie, un certain refus de l’altérité ou la fuite de la diversité. L’enjeu est, dès lors, de renforcer le lien social dans une société où il est de plus en plus difficile à créer : « La ville ne fait plus société » affirmait Jacques Donzelot (2004) auquel les politiques publiques et sociales ont de plus en plus de mal à répondre.
C’est dans ce contexte, que des initiatives issues de la société civile se manifestent exprimant une volonté de vivre autrement par la voie de l’habitat dit participatif. Il s’agit d’un habitat qui réunit plusieurs habitants ou familles ayant décidé de mutualiser leurs ressources pour le concevoir, le réaliser et le financer collectivement, où chaque habitant y possède son propre logement avec des espaces communs et partagés tels jardins, ateliers, salles de fête dont les formes et l’usage varient selon les lieux. Ils décident de vivre selon des principes dont ils ont ensemble décidé des modalités, souvent autour de valeurs éthiques, sociales et environnementales communes. En rupture avec un fond de « marchandisation de la ville » (Harvey, 2011) d’anonymat et de ségrégations sociales peu propices au lien social, les acteurs de ces opérations opposent une volonté d’édifier un « commun urbain », de repenser le lien social, d’impulser une autre façon de vivre dans la diversité. Il s’agit aussi d’ouvrir cette forme d’habitat à des préoccupations plus marquées autour du vieillissement et de la lutte contre l’isolement des populations modestes.
Ainsi, ce renouvellement de l’habitat participatif sous ses diverses formes traduit, incontestablement, une volonté de plus en plus affirmée d’implication des citoyens dans leurs conditions de vie en ville, mais aussi l’affirmation « d’un contrat d’entraide et de vie collective entre les habitants» (Labit, 2015). Ces opérations d’habitat participatif ont en commun d’être portées par les habitants. La dimension de participation citoyenne reste au cœur de ce projet, et fait appel à la co-conception, la co-construction, la mutualisation. Il s’agit alors d’impliquer les habitants dans la vie de la cité, d’impulser « l’action citoyenne » C’est un habitat qui cherche à (re) « faire société ».
L’objet de cette communication s’appuie sur plusieurs enquêtes menées auprès de différents habitats participatifs en France (Costes, Beurthey, 2018). A travers celle-ci nous nous proposons tout d’abord de mettre en lumière les valeurs que l’habitat participatif convoque, leur processus de conception et la capacité de reproductibilité de ces expériences. Ensuite nous évoquerons en quoi cette voie se présente comme une nouvelle perspective par rapport à la production traditionnelle de logement, sa capacité de créer des liens sociaux et des solidarités, d’éclairer la dimension politique de « l’habiter » et de l’habitat quand les citoyens prennent le pouvoir sur leur habitat et leur environnement. Enfin, comment ces initiatives peuvent aboutir à générer une ville plus inclusive, à promouvoir de la mixité sociale et une dimension plus inter générationnelle et inter culturelle.

Bibliographie

Costes, L et Beurthey, R : « L’habitat participatif ou groupé : Vers une ouverture à la diversité sociale ? » Revue L’Homme et la société : Sexualités minoritaires, n°208 Sept/Déc. 2018/3.
Costes, L (Sous la direction) 2015 (Sous la direction) « Habiter ou vivre autrement ? » Revue Socio-Anthropologie, n°32 Décembre (220p)
Devaux, C (2015) : L’habitat participatif. De l’initiative habitante à l’action publique. Ed. Rennes, PUR.
Donzelot, J (sous la direction de) (2004) « La ville à trois vitesses : gentrification, relégation, périurbanisation » Revue Esprit, Mars-Avril.
Haumont, B, Morel, A (sous la direction de) (2005) La société des voisins. Partager un habitat collectif, Paris, Edition de la Maison des sciences de l’homme.
Harvey, D (2011) : Le capitalisme contre le Droit à la ville, Paris, Editions Amsterdam.
Labit, A : « Habiter autrement pour vieillir autrement. Motivations et engagements des femmes retraitées européennes ». Revue de Socio-Anthropologie, n°32, 2015 (pp.55-69)
Lefèbre, P (2014) L’habitat participatif. 40 ans d’habitat participatif en France, Rennes, Apogée.
Lefebvre, H (1968) 1972 : Le Droit à la ville suivi d’Espace et politique, Paris, Ed. Anthropos.

Présentation des auteurs

Laurence Costes Sociologue Professeure à l’université Paris-Est-Créteil. Dpt SESS. Labo LIRTES. Ses recherches portent sur les politiques sociales dans les quartiers dits prioritaires et les expériences de participation, de revendications citoyennes, autour de l’habitat, l’habiter, le rapport au territoire.

Communication complète

Dans le cadre de cette communication, il s’agira d’aborder la thématique de la construction du « vivre ensemble » à travers le cas d’initiatives citoyennes qui sont très actives aujourd’hui autour de l’habitat et notamment de ce que l’on nomme l’habitat dit participatif ou groupé qui connait une effervescence depuis une dizaine d’année en France, mais aussi dans plusieurs pays européens.

En effet, au tournant du XXIème siècle la montée des inégalités urbaines s’accompagne d’un nombre croissant de personnes mal logées ou fragilisées par rapport au logement. Cette situation relance l’attention sur « l’habiter » (Lefebvre, 1968) et interroge les modes d’intervention sociale dans ce domaine. L’enjeu est, dès lors, de renforcer le lien social dans une société où il est de plus en plus difficile à créer : « La ville ne fait plus société » affirmait J. Donzelot (2004), auquel les politiques publiques et sociales ont de plus en plus de mal à répondre. Ce contexte a provoqué l’émergence d’initiatives issues de la société civile exprimant une volonté d’être acteur de son habitat, voire de vivre autrement.

Plusieurs projets se sont ainsi développés, via internet, en un réseau associatif pluriel autour de ce que l’on nomme globalement « l’habitat participatif » qui regroupe des appellations variées telles : habitat groupé, co-habitat, habitat coopératif. Il s’agit d’un habitat qui réunit plusieurs habitants ou familles ayant spontanément décidé de mutualiser leurs ressources pour le concevoir, le réaliser et le financer ensemble où chaque habitant y possède son propre logement avec des espaces communs et partagés tels jardins, ateliers, salles de fête dont les formes et l’usage varient selon les lieux. Ils décident de vivre selon des principes communs dont ils ont ensemble décidé des modalités, souvent autour de valeurs éthiques, sociales et environnementales communes où dominent la volonté de concevoir leur logement de façon plus collective, de recréer du lien social, de participer à son cadre de vie,...

A partir d’un travail de terrain basé sur plusieurs observations et entretiens menés sur différents habitats participatifs en France durant l’année 2018 (1) (Beurthey & Costes, 2019), nous nous proposons tout d’abord de mettre en lumière les valeurs que l’habitat participatif convoque, leur processus de conception. Ensuite nous évoquerons en quoi cette voie se présente comme une nouvelle perspective par rapport à la production traditionnelle de logement, sa capacité de créer des liens sociaux et des solidarités, d’éclairer la dimension politique de « l’habiter » et de l’habitat quand les citoyens prennent le pouvoir sur leur habitat et leur environnement. Enfin, comment ces initiatives peuvent aboutir à générer une ville plus inclusive, à promouvoir de la mixité sociale et une dimension plus inter générationnelle et inter culturelle.



Un contexte sociétal spécifique :

Cette volonté d’accorder plus d’importance à la qualité de la ville, à un cadre de vie et de ne pas subir passivement les politiques urbaines n’est d’ailleurs pas vraiment nouvelle puisqu’elle avait été soufflée par Henri Lefebvre à la fin des années 60 avec le Droit à la ville qui lance le thème de la participation et de la place des citoyens dans la ville, prônant un citoyen actif, « pouvant prendre en main son destin, acteur à part entière de l’urbain ». Mais au tournant des années 2000, cette volonté de participation citoyenne et cette prise de conscience de l’importance de « l’Habiter » tend à renaître jusqu’à devenir une véritable revendication des citoyens, d’ailleurs : « On ne fait pas la ville sans les habitants » est un des slogans revendiqués par le réseau de l’habitat participatif. L’idée est ainsi de réinvestir la sphère habitat : être acteur de son quotidien, ne pas subir des choix imposés par d’autres.

Cette volonté d’un habitat dit participatif ressurgit donc en écho à un contexte socio-économique et sociétal particulier qui fait émerger des attentes et des besoins que le marché du logement classique ne peut pas satisfaire : à une crise du logement exacerbé se superpose une amplification des fractures tant territoriales que sociales. La ségrégation spatiale se renforce sous la forme de quartiers plus homogènes et étanches, avec la résidentialisation des immeubles d’habitation, l’isolement des quartiers d’habitat social et la « gentrification » de certains centres qui manifestent, de façon subie ou choisie, un certain refus de l’altérité ou la fuite de la diversité. Á cela s’ajoute la montée des préoccupations écologiques sur fond de responsabilisation ambiante qui renforce cette envie de « mode de vie à la fois collectif et respectueux de l’intimité des foyers et des personnes» (Bruneau, 2016). Cette évolution s’accompagne aussi de l’influence des expériences européennes de cette même décennie, celles issues « des modèles anglo-saxons ou nord-européens de cohousing ou baugruppen, » (Bresson & Tummers, 2014) qui connaissent, à leur tour, un renouveau.

Ces opérations d’habitat participatif ont donc en commun d’être portées par les habitants. Elles peuvent prendre la forme d’une coopérative d’habitants où les habitants sont collectivement propriétaires de l’ensemble immobilier mais sont locataires de leur logement ou d’une société d’attribution et d’autopromotion où les personnes physiques sont associées pour la propriété ou la jouissance d’un logement à titre de résidence principale avec entretien et animation des lieux collectifs. En 2014, loi ALUR (Accès au logement et à l’Urbanisme Rénové) a embrayé le pas à ces initiatives citoyennes en institutionnalisant le cadre juridique de l’habitat participatif et en facilitant la possibilité pour les bailleurs sociaux et les associations, conjointement avec les groupes d’habitants initiateurs, d’être partie prenante de ces opérations à travers leur montage juridique et financier.



Un ensemble de valeurs partagées :

Ainsi, en rupture avec un fond de « marchandisation de la ville » (Harvey, 2011) d’anonymat et de ségrégations sociales peu propices au lien social, les acteurs de ces opérations opposent une volonté d’édifier un « commun urbain », de repenser le lien social, d’impulser une autre façon de vivre dans la diversité. Il s’agit aussi d’ouvrir cette forme d’habitat à des préoccupations plus marquées autour du vieillissement et de la lutte contre l’isolement des populations modestes.

Chaque habitat participatif est spécifique par son histoire et ses habitants, toutefois on peut relever des invariants dans la conception, l’organisation et les valeurs sous-jacentes. Ce qui regroupe ces acteurs se sont des valeurs communes avec une dimension militante forte, une volonté de recréer du lien social, et un engagement de ceux qui y participent. Les plus anciens de ces groupes se sont constitués sur la base d’affinités animées par l’envie de mettre en œuvre l’autogestion et de pouvoir agir sur son cadre de vie en fuyant les grands ensembles et les habitats standardisés. Au tournant des années 2000, de nouveaux référentiels vont apparaître. Les classes moyennes en difficulté y voient un moyen de de repenser le rapport à la propriété de moins en moins accessible, de construire une alternative à la propriété privée (introduction de la propriété collective) de lutter contre le déclassement. Il s’agit aussi de pouvoir impulser une dimension plus collective en favorisant le partage d’espaces (jardins, salles de fête, chambres d’amis,..), l’entraide par des échanges ou mutualisation de services et d'équipements, en partageant entre voisins des moments de convivialité, qui peuvent être complétées par la volonté d’une économie sociale et solidaire (potager collectif, voiture en auto partage, circuits de production courts..). Mais aussi à travers les valeurs de préoccupation écologique : recueil des eaux de pluie, compost, permaculture, etc…

Ainsi, ce renouvellement de l’habitat participatif sous ses diverses formes traduit, incontestablement, une volonté de plus en plus affirmée d’implication des citoyens dans leurs conditions de vie en ville, mais aussi l’affirmation « d’un contrat d’entraide et de vie collective entre les habitants» (Labit, 2015) en développant une cohabitation intergénérationnelle et avec des personnes fragilisées. Il s’agit alors d’impliquer les habitants dans la vie de la cité, d’impulser « l’action citoyenne » C’est un habitat qui cherche à (re) « faire société ».



Conclusion :

Cependant, les engagements que cela suppose, l’état d’esprit collectif, parfois le « code moral » peuvent contribuer à définir les contours d’un « entre soi », c’est une des limites de ce projet, mais en même temps ils permettent à ceux qui les partagent d’impulser une autre façon d’habiter plus conforme à un projet de vie souhaité, à l’épanouissement d’un plus grand nombre de personnes (isolées ou affaiblies). L’habitat participatif, en encourageant la participation dans la production de l’habiter et en affirmant les valeurs qui l’accompagnent, peut contribuer à de nouvelles façons de faire la ville, à une ville co-construite et provoque la capacité de reproductibilité de ces expériences. C’est un des défis auquel se confronte l’horizon de l’habitat participatif, celui d’une voie possible vers une conception élargie du développement social avec le projet d’une société plus « inclusive »?



(1) L’enquête est issue d’un travail de terrain effectué en 2018 sur plusieurs habitats participatifs en région parisienne, en Seine et Marne, à Avignon, à Toulouse en collaboration avec R. Beurthey. 60% de ces habitats ont été construits entre 1972 et 1991, 40% entre 2008 et 2018. Leur nombre de logements varie entre 4 et 12, et le nombre d’habitants (parents et enfants) entre 20 et 40 personnes. Le choix de ces opérations d’habitat groupé repose sur leur localisation géographique (en zone urbaine) et en province, mais aussi sur leur accord pour participer à cette recherche.

Résumé en Anglais


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