Fiche Documentaire n° 5336

Titre L’accueil et l’accompagnement socio-éducatif de requérants d’asile mineurs non-accompagnés à Genève : enjeux et pratiques

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Auteur(s) Dubath Bouvier Esther  
     
Thème  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

L’accueil et l’accompagnement socio-éducatif de requérants d’asile mineurs non-accompagnés à Genève : enjeux et pratiques

L’accompagnement de jeunes migrants non accompagnés pose des défis complexes et singuliers, liés au vécu dans leur pays d’origine, au parcours migratoire, et aux enjeux de leur intégration. Après de multiples expériences difficiles et souvent traumatiques, ces jeunes arrivent dans un pays, une société et une culture inconnus, avec un statut légal provisoire et des perspectives d’accueil durable très incertaines.
Dans cette présentation l’auteure abordera quelques défis liés à l’accompagnement socio-éducatif de ces jeunes à Genève. Dans ce canton, les jeunes requérant-e-s d’asile entre 15 et 18 ans sont hébergé-e-s dans un Centre d’accueil, qui dépend des services publics sociaux. L’équipe sociale accompagne ces jeunes dans leur adaptation initiale, leur intégration à la vie locale et leur développement personnel et social. Pour certains d’entre eux, l’équipe les accompagne aussi après une réponse négative à leur demande d’asile, qui remet en question tout projet durable dans ce pays.
Quels sont nos rôles, au regard des enjeux de cet accueil ? Ils s’inscrivent dans le cadre de la vulnérabilité et la résilience, et dans celui de du lien et de l’intégration sociale. Il s’agit en premier lieu, de reconnaître ces jeunes comme vulnérables, comme des enfants venus d’ailleurs, qui requièrent une protection. Notre rôle est de veiller à des conditions d’accueil qui leur procurent la sécurité et l’assistance médicale et sociale nécessaires. En même temps, il consiste à les encourager et à valoriser leurs ressources et leurs capacités leur permettant de grandir et de devenir autonomes, selon leur propre rythme.
L’intégration dans la société d’accueil est un objectif essentiel en vue de l’autonomie et du vivre ensemble. Elle ne peut se réaliser que dans le respect du parcours de vie et de la culture du jeune. Réussir à se situer de façon positive au sein des cultures d’origine et de la société d’accueil représente un défi tant pour le ou la jeune que pour les professionnel-le-s qui l’accompagnent.
Une grande partie des jeunes engagent des liens avec la société civile, principalement par l’intermédiaire de « familles relais ». Il s’agit de familles vivant à Genève qui accueillent un-e jeune migrant-e dans leur vie quotidienne pour une activité, un repas ou une sortie, au moins une fois par quinzaine. Cette rencontre avec des familles locales leur permet de découvrir la vie en Suisse et de parler français, puis au fil du temps, de créer des liens forts qui pourront contribuer à leur intégration au sein de la société d’accueil. L’éducateur-trice référent-e du jeune travaille étroitement avec la famille pour établir un réel partenariat venant compléter et enrichir ce qu’un centre d’accueil peut offrir.
En parallèle de son processus d’intégration, le ou la jeune migrant-e doit pouvoir travailler sur son vécu, les séparations, ruptures ou traumatismes, et les espoirs qui l’animent. Par sa relation proche, l’éducateur-trice référent-e reçoit souvent des confidences. Sa manière d’écouter la parole du jeune va permettre à celui-ci de co-construire un récit qui lui permette d’avancer et de poursuivre son développement dans ce nouvel environnement.
Certain-e-s jeunes reçoivent une réponse négative à leur demande d’asile mais ne sont pas renvoyé-e-s. Cette situation particulièrement déstabilisante peut durer des mois. L’accompagnement social de ces jeunes demande une posture accueillante et chaleureuse qui puisse les aider à conserver un sentiment de dignité.
L’accueil et l’accompagnement des jeunes requérant-e-s d’asile invitent l’éducateur-trice à s’engager dans sa relation avec le jeune, tout en encourageant les relais externes. Il-elle est souvent investi-e comme figure parentale et ce rôle questionne sa posture professionnelle. Un défi actuel concerne le développement de solidarités et du vivre ensemble dans le centre d’accueil par un travail collectif et un partage de responsabilités entre professionnel-le-s. Ces enjeux sont également abordés par l’auteure dans son enseignement auprès des futurs travailleurs et travailleuses sociaux.

Bibliographie

Bolzman, C. (2012). Travail social auprès des populations migrantes et interculturalité: Une analyse critique. Les Cahiers Dynamiques, 57(4), 29-39. doi:10.3917/lcd.057.0029.

Hammouti, S. (2017). Le bricolage éducatif au service de l’action socio-éducative… auprès des mineurs et jeunes majeurs isolés étrangers. Revue de l'enfance et de l'adolescence, 96(2), 339-354. doi:10.3917/read.096.0339.

Paul, M. (2010). L’accompagnement : un enjeu sociopolitique pour les territoires et les politiques éducatives ?. Cahiers de l’action, 30(4), 25-33. doi:10.3917/cact.030.0025.

Soulet, M. (2008). De l'habilitation au maintien: Les deux figures contemporaines du travail social. Savoirs, 18,(3), 33-44. doi:10.3917/savo.018.0033.

Vanistendael, S. (2018). Vers la mise en œuvre de la résilience : La casita, un outil simple pour un défi complexe. Paris-Genève : Les cahiers du bice.

Présentation des auteurs

Esther Dubath Bouvier est travailleuse sociale. Elle est active depuis 35 ans dans le service public, comme éducatrice et comme assistante sociale auprès de jeunes et d’adultes en difficulté. Elle travaille actuellement dans un centre d'accueil auprès de jeunes migrants. Parallèlement, elle occupe un poste de chargée de cours à la Haute école de travail social de Genève.

Communication complète

L’accompagnement de jeunes migrants non accompagnés pose des défis complexes et singuliers, liés au vécu dans leur pays d’origine, au parcours migratoire, et aux enjeux de leur intégration. Après de multiples expériences difficiles et souvent traumatiques, ces jeunes arrivent dans un pays, une société et une culture inconnus, avec un statut légal provisoire et des perspectives d’accueil durable très incertaines.

Cette présentation aborde quelques défis constatés dans le cadre de mon activité d’éducatrice. A Genève, les jeunes requérants d’asile dès 15 et ans sont hébergés dans un centre d’accueil qui dépend des services sociaux publics. L’équipe dont je fais partie accompagne ces jeunes dans leur adaptation initiale, leur intégration à la vie locale et leur développement personnel et social. Nous accompagnons aussi certains d’entre eux après une réponse négative à leur demande d’asile, ce qui remet en question tout projet d’intégration durable dans ce pays.

Au sein de l’équipe sociale, quels sont nos rôles en regard des enjeux de cet accueil ? Ils s’inscrivent dans le cadre de la vulnérabilité, de la résilience, de l’intégration et du lien social. En premier lieu, il s’agit de reconnaître ces jeunes comme personnes vulnérables et comme enfants venus d’ailleurs requérant une protection. Notre rôle est de veiller à des conditions d’accueil qui leur procurent sécurité ainsi qu’assistance sociale et médicale. En même temps, il consiste à encourager et valoriser leurs ressources et capacités leur permettant de grandir et de devenir autonomes, selon leur propre rythme.

Soutien à l’intégration

La connaissance de la société d’accueil est un objectif essentiel en vue de l’autonomie du jeune, de son intégration sociale et du vivre ensemble. L’intégration ne peut se réaliser que dans le respect du parcours de vie et de la culture du jeune. Réussir à se situer de façon positive au sein des cultures d’origine et de la société d’accueil représente un défi tant pour le jeune que pour les professionnelles qui l’accompagnent.

Pour s’ouvrir à la cité, il est bon pour les jeunes de s’appuyer sur des relais qui les aident dans leur intégration. Cela, d’abord par une collaboration étroite entre le lieu d’accueil, les responsables légaux, les lieux de formation et le milieu médical ; ensuite, par une implication de la société civile.

Depuis 2016, plus d’une centaine de jeunes bénéficient d’une « famille relais ». Il s’agit de familles vivant à Genève qui accueillent un jeune migrant dans leur vie quotidienne au moins une fois par quinzaine pour une activité, un repas ou une sortie. Cette rencontre avec des familles locales permet de découvrir la vie en Suisse et de parler français. Ce projet est proposé par le Service Social International (SSI). La relation se construit petit à petit entre la famille et le jeune. Cela complète et enrichit ce qu’un centre d’accueil peut offrir.

Par exemple, un jeune que nous appellerons Ali, arrivé au printemps 2016, a été mis en lien avec une famille relais deux mois après. Ce jeune ne parlait quasiment pas le français et était très préoccupé par sa situation d’asile instable. Les neuf premiers mois, ce jeune est allé trois fois par semaine manger dans cette famille. La maman relais me demandait souvent si Ali était content de venir chez eux car il manifestait peu de choses. En effet, Ali se montrait distant avec les adultes et je percevais une distance semblable en tant qu’éducatrice référente. Après plusieurs mois, il a pu construire une relation de confiance avec cette famille et des liens forts se sont tissés. Aujourd’hui, Ali est invité à vivre au sein de cette famille : opportunité qu’il saisit avec enthousiasme.

Certes, les rencontres n‘évoluent pas toutes ainsi, mais les familles relais peuvent jouer un rôle de passeur culturel et permettre à de nombreux jeunes de tisser des liens affectifs qui les valorisent et favorisent un ancrage précieux dans la société d’accueil.

Le partenariat établi entre les familles relais et les professionnels vise une cohérence dans l’accompagnement. Cela peut se révéler compliqué car les approches de la famille et de la professionnelle sont parfois différentes, notamment concernant la notion d’autonomie et de valorisation des ressources. L’éducatrice doit alors composer entre sa vision et celle de la famille et trouver une façon de respecter la vision de chacun.

Des jeunes du centre d’accueil bénéficient également d’un soutien scolaire par une mentore, de rencontres avec des pairs, de diverses activités sportives et de loisir externes au centre d’accueil. Ces différents dispositifs montrent qu’il est fructueux de créer des ponts entre le lieu d’accueil et la société civile. Comme le souligne Bolzman, les travailleurs sociaux et les bénévoles « apparaissent aux yeux du migrant comme des médiateurs entre lui et la société de résidence » (2012, p. 36). Il est utile, à côté des équipes d'accueil officiel, de proposer des occasions de rencontre plus informelles et ouvertes qui débouchent souvent sur la création de liens affectifs forts. Il est important que ces initiatives soient encadrées et soutenues par un lien étroit avec le lieu d’accueil.

Ecoute et récit de vie

En parallèle du processus d’intégration, les jeunes migrants doivent pouvoir travailler sur leur vécu, les séparations, ruptures ou traumatismes et les espoirs qui les animent. Comme éducatrice, il est important d’écouter le récit du jeune au rythme qui est le sien, pour lui permettre d’y donner un sens et de construire son identité et sa vie dans son nouvel environnement.

Ainsi, dès que la communication en français a été possible, j’ai proposé aux jeunes dont j’étais référente, de les aider à écrire leur histoire, en leur demandant : « Que raconteras-tu à tes enfants de ton parcours migratoire ? Il est important que tu gardes une trace de ton histoire, car avec le temps, tu risques d’oublier et tu es le seul à la connaître ».

Je leur ai proposé d’écrire avec eux en reformulant leur parole : « Est-ce bien cela que tu as voulu dire ? ». Sans minimiser les difficultés de leur parcours, mon écoute a cherché à valoriser les jeunes et reconnaitre les ressources utilisées pour faire face aux situations inattendues et négatives qu’ils ont traversées et qu’ils traversent encore. Un lien de confiance et de reconnaissance mutuelle au pu se tisser ainsi au fil du temps.

Séjour dans la précarité

Certains jeunes reçoivent une réponse négative à leur demande d’asile en Suisse. Sans être renvoyés, ces jeunes se retrouvent alors dans une situation très difficile qui limite beaucoup leurs possibilités de formation et d’intégration. Cette situation particulièrement déstabilisante peut durer des mois, voire des années avant un renvoi ou un départ volontaire. L’accompagnement social de ces jeunes demande une posture accueillante et chaleureuse qui puisse les aider à conserver un sentiment de dignité. Il s’agit plus d’une « simple » présence que d’un travail éducatif à proprement parler : être avec eux et continuer à les reconnaître comme être humain à part entière, malgré les impasses et les obstacles.

En guise de conclusion

Les jeunes requérants d’asile mineurs non-accompagnés arrivant à Genève ont de grands défis à relever pour poursuivre leur vie et se construire. A leur côté, en tenant compte de leur culture, de leur histoire, de leur parcours migratoire, de leurs ressources et de leurs difficultés, nous les accompagnons dans leur intégration au sein de leur pays d’accueil. Nous sommes invitées à nous engager dans la relation avec le jeune tout en encourageant les relais externes. Nous sommes souvent investies comme figure parentale et ce rôle questionne notre posture professionnelle.

L’accompagnement proposé actuellement par le centre d’accueil est avant tout individuel. Ce travail essentiel demande un investissement considérable des éducatrices. Cela peut, selon les situations, se révéler difficile et lourd à porter. La confrontation à sa propre impuissance, en miroir de celle de certains jeunes, peut décourager les professionnelles.

Un autre défi actuel concerne le développement de solidarités et du vivre ensemble dans le centre d’accueil. Cela impliquerait un travail au niveau collectif et un plus grand partage de responsabilités entre professionnels. Ce travail d’équipe pourrait représenter un soutien pour les éducatrices tout en permettant de développer des solidarités avec les jeunes.

Notre travail est rythmé par l’imprévisibilité des événements vécus par les requérants depuis le nombre d’arrivées jusqu’au résultat des demandes d’asile. L’accompagnement des migrants est aussi caractérisé par une ouverture vers d’autres cultures, d’autres modes de pensée et de fonctionnement qui sont autant de richesses dans notre expérience d’éducatrice.

J’aborde précisément ces questions, ainsi que les enjeux soulevés par le travail auprès des jeunes migrants, dans mon enseignement auprès des futures travailleuses sociales.

Les médias présentent souvent les difficultés de notre société à accepter et intégrer les étrangers, notamment les requérants d’asile. Notre expérience dans le cadre du centre d’accueil à Genève met en lumière de nombreuses personnes de la société civile qui s’investissent auprès d’eux, ouvrent leur porte, leur vie personnelle et familiale, leurs clubs et associations et consacrent du temps à la rencontre de l’autre. L’apprivoisement se fait au fil du temps et ces rencontres débouchent souvent sur de belles relations durables et enrichissantes pour tous.

« L’acceptation fondamentale de l’enfant (et de l’adulte) comme personne humaine… par au moins une personne est un élément clé de la résilience », selon Vanistendael (2018, p 41). Dans cette perspective, le lien créé avec une éducatrice, une famille relais, ou un autre adulte significatif pour lui, peut permettre au jeune de se construire positivement. Si de plus nous pouvons contribuer à une intégration sociale et au développement d’attitudes solidaires, notre travail aura trouvé tout son sens.

Résumé en Anglais


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