Notre communication vise à rendre compte de notre expérience dans l’accompagnement réflexif auprès de publics divers et variés dans un contexte de nouvelle donne du travail social et des publics : nouvelles figures de la vulnérabilité des publics, rationalisation de la notion d’accompagnement, injonction des politiques publiques,…).
Il s’agit ici de repérer les atouts et les limites de l’accompagnement réflexif au sein de différentes recherches actions Accueil Petite Enfance (accompagnement parentalité), Prévention Spécialisée (quartiers labellisés « politique de la ville), Accueil des publics étrangers (Mineurs Non Accompagnés). Ces terrains nous semblent rendre compte au mieux des logiques collaboratives mises en œuvre entre l’institution demandeuse d’un accompagnement réflexif, les travailleurs sociaux et les chercheurs.
Deux temps structureront le propos. Une tentative de définition et d’élaboration de l’accompagnement réflexif sera tout d’abord nécessaire puis l’analyse des logiques collaboratives mises en œuvre sur les recherches action à partir d’une commande institutionnelle révélant le processus collaboratif sera présentée comme enjeu fondamental de dépassement des épreuves de professionnalités au sens de Bertrand Ravon et Christian Laval (2016, p.2): « l’épreuve peut conduire, à l’instar de l’usure, à l’abattement, au retrait et au désenchantement. Mais elle peut aussi être surmontée et dépassée et, dans ces conditions, être source de valorisation ».
Enfin, nous conclurons par des pistes de réflexions sur 3 types logiques repérées de collaboration entre les différents acteurs reflétant d’une certaine manière les logiques coopératives des acteurs ( institutions, professionnels, publics) au cœur de leurs pratiques professionnelles de terrain et du sentiment d’impuissance.
A. L’accompagnement réflexif : tentative de définition et d’élaboration
Il y a une production importante ces dernières années qui visent à qualifier la notion de recherche action et son application sur le terrain. Une des définitions qui nous semble proche de notre approche est celle de Lavoie, Marquis et Laurin (1996, p.41) :
« La recherche action est une approche à caractère social, associée à une stratégie d’intervention et qui évolue dans un contexte dynamique. Elle est fondée sur la conviction que la recherche et l’action peuvent être réunies. Selon sa préoccupation, la recherche-action peut avoir comme buts de changements, la compréhension des pratiques, l’évaluation, la résolution d’une situation donnée […] Elle est à caractère empirique et elle est en lien avec le vécu. Elle a un design novateur et une forme de gestion collective où le chercheur est aussi un acteur et où l’acteur est aussi un chercheur ».
Au sein d’une recherche action collaborative, soutenir un accompagnement réflexif c’est considérer que les acteurs se posent des questions sur les problèmes rencontrés en situation et inventent des réponses en produisant des connaissances composites (Lyet, 2006) pour créer d’autres lectures de la réalité.
Accepter d’être en posture de recherche pour faire de la recherche à partir d’objectifs communs réunissant l’ensemble des protagonistes est un postulat pédagogique qui s’impose afin d’être dans la création d’une dynamique collaborative influençant à la fois le résultat et les effets d’une recherche action sur les acteurs de terrain. Plus que de la recherche appliquée, il est bien question de proposer une recherche « impliquée » qui tire son originalité de la contestation de la spécialisation du travail intellectuel avec la division qu’elle engendre.
« Ce modèle défend l’implication des acteurs au processus de production des connaissances mais aussi sa finalité de transformation sociale. » (Morvan, 2013) Il s’agit pour le chercheur de soutenir la coproduction du sens des conduites en situation. Ce type de recherche-action impliquée ou participative s’inscrit dans une perspective de démocratie épistémologique micro-société plurielle où les cultures (professionnelles, scientifiques…) doivent s’entendre. Nous allons en endossant un regard éloigné sur nos pratiques de recherche, tenter d’illustrer notre propos.
B. Des RA qui font réfléchir…
Pour comprendre les demandes d’accompagnement réflexif à partir de situations de terrain, une présentation rapide des recherches actions qui nous servent d’exemple semble nécessaire. Il s’agit, plus que de présenter de manière précise ces recherches, d’entendre à la fois les origines de celles-ci mais surtout les logiques mises en œuvre dans le processus collaboratif des trois acteurs engagés dans la dynamique de recherche : la place de l’institution, les acteurs de terrain ainsi que les chercheurs.
La prévention spécialisée :
Il s’agit d’une démarche de recherche mise en place par une association en réponse à un des axes de réflexion proposés par l’évaluation externe « concernant le respect de la laïcité. Compte tenu des débats de société autour de cette question, elle mériterait d’être mise en débat pour voir plus exactement quelles sont les critiques qui sont formulées ». Il s’agissait de réfléchir collectivement à construire une posture professionnelle laïque devant les revendications religieuses des jeunes accompagnés.
Ce qui est intéressant dans la mise en place du processus collaboratif est le fait qu’il soit initié par l’extérieur. Il oblige l’institution et les acteurs de terrain à s’entendre finalement pour rendre compte de leurs pratiques au regard du principe de laïcité.
L’accueil Petite Enfance :
Suite à des réorganisations, un projet de fusion de deux centres sociaux réoriente les missions des professionnels autour de l’accompagnement de la parentalité (abandonnant celles d’accompagnement social). La création d’une structure dédiée à l’ensemble des familles et devant répondre aux multiples besoins était un souhait de l’institution. Nous avons été convoqués pour accompagner ces équipes regroupées dans la construction de sens autour d’un projet fédérateur. « Il s’agit de questionner la nature et le sens du travail sur la parentalité et plus particulièrement de permettre aux professionnels d’expérimenter, de changer leurs pratiques, de les accompagner dans la transformation. » Le projet, ambitieux et innovant, porté par l’institution, pouvait répondre à de réels besoins (« être un lieu d’accueil et de ressources pour tous les parents, lieu d’analyse des besoins et d’innovations au service des familles et lieu de partenariat central, positionnant l’institution au cœur et dans l’animation de la politique publique de soutien à la parentalité ») mais il s’est confronté à des logiques professionnelles éloignées. Le changement attendu, plongeant les travailleurs sociaux dans une incertitude trop importante (mission, compétences, horaires de travail, évolution du public…) a empêché l’implication des professionnels dans la réflexion. Si l’accompagnement réflexif était souhaité de toute part, il a fréquemment pris la forme d’un soutien managérial plus que d’une recherche-action. La collaboration entre chercheurs et professionnels, rendue complexe par cette perspective, nous a fait osciller entre rigueur scientifique et tour de force orientant les pratiques. C’est la posture de recherche qui a été mise à l’épreuve dans cet exemple car après diagnostic, tout semblait encourager les professionnels à mettre en œuvre ce projet, porté institutionnellement, mais des formes de résistances professionnelles ont pu apparaître et nous avons dû en comprendre les fondements pour pouvoir les intégrer à la démarche.
L’accueil des MNA :
La commande de l’association auprès de notre organisme de formation fut de les aider à élaborer en quoi consistait leurs pratiques d’accompagnement auprès des MNA dans une logique de recettes ou de guide des bonnes pratiques. Une fois inscrit dans la démarche réflexive, les acteurs de terrains souhaitaient mener une réflexion pour mieux faire face au sentiment d’impuissance dans un contexte d’instabilité et de manque patents. Les chercheurs, pris au piège, de leurs propres logiques institutionnelles, ont peiné à construire une problématique commune partagée, consentie par l’ensemble des acteurs.
Ici le processus collaboratif s’est fondé sur une sorte de « malentendu bien entendu » autour d’objectifs et d’intérêts divergents. La recherche action faisant apparaître les écarts existants entre direction et intervenants sociaux, non pas dans un conflit professionnel mais autour du sens de l’accompagnement, des valeurs portées, des possibilités réflexives proposées par l’institution.
Ce qui est commun à ces terrains est qu’ils appartiennent au champ du travail social, que les acteurs sont exposés dans leurs pratiques à des zones d’incertitudes importantes sur la manière de se positionner devant l’extension des frontières du travail social au sens de Jacques Ion : nouveaux territoires, nouveaux objets, nouveaux publics, nouveaux modes de management, nouveaux questionnements ou les travailleurs sociaux doivent faire avec un paradoxe éminemment présent sur les terrains : tenir compte de leur mission d’intégration des publics et leur mandat de contrôle social. Paradoxe constitutif finalement du travail social que les acteurs doivent assumer en décidant parfois des limites ou des passages entre les deux dimensions (visée émancipatrice et contrôle social). La démarche de recherche action venant complexifier ce dilemme en proposant précisément aux professionnels de s’inscrire dans un processus émancipatoire par rapport à leurs propres pratiques et connaissances.
Il y a alors une volonté commune d’engagement des acteurs à collaborer pour à la fois améliorer les pratiques professionnelles (acteurs de terrain), produire de la connaissance (chercheurs) et pa(e)nser les grammaires institutionnelles nouvelles du travail social.
C. La RA à l’épreuve de différentes logiques collaboratives
Nous avons identifié des dynamiques participatives différentes obéissant à trois logiques de processus coopératif mises en œuvre.
1. Une logique collaborative ou l’institution s’ingère dans l’activité de recherche et vise à avoir une prise sur les orientations et les résultats de la recherche renforçant le sentiment d’impuissance des travailleurs sociaux dénonçant l’institution dans une imposture institutionnelle de recherche mais d’intention évaluatrice des acteurs.
2. Une logique collaborative où les professionnels de terrain glissent vers un abandon de leurs postures d’ « être en recherche » pour se retirer dans une clinique de la plainte, du « cela ne sert à rien » malgré des objectifs clairement définis, acceptés par tous. Il y a un désengagement de leurs responsabilités et une efficacité moindre en terme d’effets dans les pratiques ;
3. Une logique collaborative articulant les logiques des professionnels de terrains, de l’institution et des chercheurs à partir d’intérêts communs définis, repérés. Il existe une responsabilité partagée et assumée centrale qui permet une production riche avec des effets sur le terrain.
Ce sont des logiques « idéals typiques » qui éclairent aussi le rôle central de la recherche action comme « le tiers aidant » dans les pratiques des travailleurs sociaux qui articule épreuve individuelle, collective et institutionnelle, en restaurant ce que Roland Gori appelait « la dignité de penser ». La recherche action, révélateur des enjeux du travail social : « le courage de penser ». En pensant et en produisant de la connaissance partagée : elle révèle le rôle de schème médiateur des travailleurs sociaux, qui doit retravailler les connexions, la relation entre les personnes, entre les personnes et les institutions, entre les institutions et le politique : un connecteur qui repense la norme en effectuant un travail de relégitimisation, de renormalisation des publics et des problématiques.
Ce qui est en jeu finalement dans le processus collaboratif est l’invention des pratiques sociales de demain,
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