Fiche Documentaire n° 5382

Titre Et si la recherche d'équité nuisait au vivre ensemble ?

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l'auteur principal

Auteur(s) Girardet Khedidja
BERGER Jean-Claude
 
     
Thème  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

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Résumé

Et si la recherche d'équité nuisait au vivre ensemble ?

Axe 4 : Orientations des formations et développement des milieux de pratiques.

Et si la recherche d’équité nuisait au vivre-ensemble ?
Alors que d’un côté, on ne cesse dans nos parlements de voter des lois et des modèles d’organisation pour viser, nous dit-on, davantage d’équité, d’un autre côté, nous observons plutôt davantage d’intolérance à la différence et la diversité. Inexorablement, années après années, des pressions de différentes natures sont imposées sur les institutions sociales, au sens large, pour réaliser des économies, engager plus de prestations avec moins de moyens. Répartir autrement ou revoir les catégories de personnes en difficultés. Ceci pour viser et garantir une meilleure maîtrise ou un contrôle des coûts. Un management de plus en plus hiérarchisé, des fusions d’institutions et des comptabilités analytiques sont imposés. Quels sont les impacts de cette approche, de ces changements, tant sur les travailleurs sociaux que sur les bénéficiaires ? Quels en sont les effets sur le vivre-ensemble ?
Le vivre-ensemble ne se décrète pas, il doit être constamment stimulé. La question identitaire demeure au cœur de ces malaises ou replis. Un exemple, alors que le projet d’inclure les enfants en situation d’handicap dans des classes ordinaires pour favoriser le vivre-ensemble, combien de ces enfants sont en souffrance et combien d’enseignants sont en burnout ? Les moyens pour accompagner cette politique ne sont pas à la hauteur des besoins réels.
Ethique et équité, Mme Brigitte Bouquet (2000) pose ces questions essentielles :
L’âge d’or de l’éthique est-il un nouveau mythe de la modernité ?
Signifie-t-il un ensemble de discours tendant à occulter les diverses contradictions de la société, dans un siècle soucieux de confort ?
Ou relève-t-il un sentiment d’injustice et une tentative pour reformuler les contradictions et pour les prendre en compte ?
Selon Marcel Gauchet (2000), la société n’a plus ni tradition ni autorité transcendante, donc elle tente de s’approprier des principes éthiques et moraux. Mais on éprouve le sentiment que les repères hérités sont insuffisants et inadéquats pour faire face aux problèmes actuels inédits. La demande éthique se fait sur fond de culpabilité et d’angoisse, de crise identitaire et sécuritaire.
Certes, le constat de Marcel Gauchet laisse peu de place aux réjouissances. L’action sociale est orchestrée et tiraillée entre des logiques politiques et gestionnaires parfois complètement paradoxales qui viennent ainsi ajouter un mal-être toujours plus grandissant dans les professions de l’humain.
Un des traits constitutifs du travail social est qu’il ne peut esquiver la question du sens qui constitue la matière même des pratiques, leur substantifique moelle. Or l’éthique est une des sources de sens et ne peut être considéré comme une sorte de valeur ajoutée car elle est l’essence même de l’action du travailleur social (Bouquet, 2002).
Que faire ? Le concept de l’entre, proposé par le Dr. Amilcar Ciola, revêt encore aujourd’hui tout son intérêt pour diminuer les effets des catégorisations et stimuler le vivre-ensemble.
L’entre, nous en connaissons quelques expressions familières: être assis entre deux chaises, entre les deux mon cœur balance, etc. Elles expriment une situation inconfortable, délicate, voire conflictuelle.
Selon Ciola, il est plutôt à prendre comme espace privilégié se situant entre deux réalités ou pôles, qui permet de découvrir et d'exploiter les richesses de chacune de ces réalités. Dans ce contexte, l'entre est un espace nouveau dans lequel on trouve des intérêts, et on se donne les moyens de rester. L'individu riche de cet entre peut, tel un balancier, choisir d'évoluer vers un pôle ou vers l'autre en fonction de la situation de manière constructive, non exclusive.
Il y a ainsi des perspectives renouvelées pour le vivre-ensemble, d’autant plus que, pour le travail social, l’évolution implique d’avoir des professionnels sachant agir sur plusieurs champs et moins orientés spécifiquement comme éducateur social, animateur socioculturel ou assistant social.

Bibliographie

Bibliographie :

Berger, J-C. (1995). Maîtres socioprofessionnels et migrations « pour passer de l’antre à l’entre ». Lausanne : EESP.
Bouquet, B. (2012). Éthique et travail social : une recherche de sens. Paris : Dunod.
Cifali, M. (2018). S’engager pour accompagner. Valeurs des métiers de la formation. Paris : PUF.
Crozier, M. Friedberg, E. (1977). L’acteur et le système : Les contraintes de l’action collective. Paris : Seuil.
Gauchet, M. (2000). « L’éthique : sources et praxis », Futuribles, n° 261.

Présentation des auteurs

Jean-Claude Berger

Maître d’enseignement à la Haute école de travail social et de la santé I EESP I Lausanne, Suisse. Maîtrise des sciences et techniques en économie sociale. Université Paris XIII.

Khedidja Girardet

Maitre d'enseignement à la Haute école de travail social et de la santé I EESP I Lausanne, Suisse.

Communication complète

Communication de Jean-Claude Berger et Khedidja Girardet

Axe 4. Orientation des formations et développement des milieux de pratiques

Et si la recherche d’équité nuisait au vivre-ensemble ?

Alors que d’un côté, on ne cesse dans nos parlements de voter des lois et des modèles d’organisation pour viser, nous dit-on, davantage d’équité, d’un autre côté, nous observons plutôt davantage d’intolérance à la différence et la diversité. Inexorablement, années après années, des pressions de différentes natures sont imposées sur les institutions sociales, au sens large, pour réaliser des économies, engager plus de prestations avec moins de moyens. Répartir autrement ou revoir les catégories de personnes en difficultés. Ceci pour viser et garantir une meilleure maîtrise ou un contrôle des coûts. Un management de plus en plus hiérarchisé, des fusions d’institutions et des comptabilités analytiques sont imposés. Quels sont les impacts de cette approche, de ces changements, tant sur les travailleurs sociaux que sur les bénéficiaires ? Quels en sont les effets sur le vivre-ensemble ? Aristote tenant déjà ces propos « L’équitable, tout en étant juste, n’est pas le juste selon la loi, mais un correctif de la justice légale. La raison est que la loi est toujours quelque chose de général, et qu’il y a des cas d’espèce pour lesquels il est impossible de poser un énoncé général qui s’y applique avec rectitude » et il poursuit ainsi « Quand, par la suite, la loi pose une règle générale, on est alors en droit, là où le législateur a omis de prévoir le cas et a péché par excès de simplification, de corriger l’omission et de se faire l’interprète de ce qu’eût dit le législateur lui-même s’il avait été présent à ce moment, et de ce qu’il aurait porté dans sa loi s’il avait connu le cas en question. »



Le vivre-ensemble ne se décrète pas, il doit être constamment stimulé. La question identitaire demeure au cœur de ces malaises ou replis. Le positionnement qui prévaut est généralement celui de l’identité professionnelle à préserver (Giust-Desprairies, 2002). Critique, le sociologue François Dubet a beaucoup écrit sur les effets pervers ou les injonctions paradoxales en lien avec l’égalité des chances et l’équité. Il décrit les dilemmes existants entre les enjeux de non-discrimination, entre demande d’égalité et demande de reconnaissance spécifique : « La demande de reconnaissance des identités pose un problème bien différent de la demande d’égalité ou d’équité : en effet, alors que la demande d’égalité conduit à devenir « invisible », la demande de reconnaissance vise à affirmer une forme de visibilité sociale ». Un exemple, alors que le projet d’inclure les enfants en situation d’handicap dans des classes ordinaires pour favoriser le vivre-ensemble, combien de ces enfants sont en souffrance et combien d’enseignants sont en burnout ? S. Ramel et V. Benoît soulignent également ce grand dilemme pour les enseignants : « Ainsi, les enseignants se trouvent confrontés à une injonction paradoxale : intégrer tout en sélectionnant, adapter tout en normalisant et inclure tout en séparant ». Les moyens pour accompagner cette politique ne sont pas à la hauteur des besoins réels.

Ethique et équité, Mme Brigitte Bouquet (2000) pose ces questions essentielles :

L’âge d’or de l’éthique est-il un nouveau mythe de la modernité ?

Signifie-t-il un ensemble de discours tendant à occulter les diverses contradictions de la société, dans un siècle soucieux de confort ?

Ou relève-t-il un sentiment d’injustice et une tentative pour reformuler les contradictions et pour les prendre en compte ?

Selon Marcel Gauchet (2000), la société n’a plus ni tradition ni autorité transcendante, donc elle tente de s’approprier des principes éthiques et moraux. Mais on éprouve le sentiment que les repères hérités sont insuffisants et inadéquats pour faire face aux problèmes actuels inédits. La demande éthique se fait sur fond de culpabilité et d’angoisse, de crise identitaire et sécuritaire.

Certes, le constat de Marcel Gauchet laisse peu de place aux réjouissances. L’action sociale est orchestrée et tiraillée entre des logiques politiques et gestionnaires parfois complètement paradoxales qui viennent ainsi ajouter un mal-être toujours plus grandissant dans les professions de l’humain.

Un des traits constitutifs du travail social est qu’il ne peut esquiver la question du sens qui constitue la matière même des pratiques, leur substantifique moelle. Or l’éthique est une des sources de sens et ne peut être considéré comme une sorte de valeur ajoutée car elle est l’essence même de l’action du travailleur social (Bouquet, 2002).

Que faire ? Le concept de l’entre, proposé par le Dr. Amilcar Ciola, revêt encore aujourd’hui tout son intérêt pour diminuer les effets des catégorisations et stimuler le vivre-ensemble.

L’entre, nous en connaissons quelques expressions familières: être assis entre deux chaises, entre les deux mon cœur balance, etc. Elles expriment une situation inconfortable, délicate, voire conflictuelle.

Selon Ciola, il est plutôt à prendre comme espace privilégié se situant entre deux réalités ou pôles, qui permet de découvrir et d'exploiter les richesses de chacune de ces réalités. Dans ce contexte, l'entre est un espace nouveau dans lequel on trouve des intérêts, et on se donne les moyens de rester. L'individu riche de cet entre peut, tel un balancier, choisir d'évoluer vers un pôle ou vers l'autre en fonction de la situation de manière constructive, non exclusive.

Les zones de tension dans la construction identitaire des travailleurs sociaux (TS)

Pour élaborer cet essai de construction identitaire des dilemmes sur l’équité, nous sommes partis de postulat que les TS subissent des tensions générées par des injonctions paradoxales, imposées par les prescripteurs, pour accompagner les bénéficiaires. Les deux principales sont celles de faire face à la demande d’égalité qui conduit à devenir « invisible » et la demande de reconnaissance qui vise à affirmer une forme de visibilité sociale (Dubet, 2016). Intégrer tout en sélectionnant, adapter tout en normalisant et inclure tout en séparant (Ramel et Benoit, 2011). Bref, tensions entre pouvoir agir avec la norme recherchée et la différence évidente.

Quelles sont alors les conditions qui vont permettre au TS de se construire et d'habiter son rôle, sachant qu'il doit être compétent à la fois pour viser la norme tout en devant apporter des réponses singulières selon les différences ? Le risque, si les tensions provoquées par ces injonctions paradoxales ne sont pas identifiées, est de voir le TS se réfugier pour répondre à une seule des deux demandes. C'est-à-dire ignorer, voire renier l'autre et rester immobile.

Si le TS choisit la norme, il échappe à la tension des prescripteurs, mais restera perçu comme « inadéquat» par les réalistes; une zone de tension subsiste.

Dans un premier temps, il s'agirait pour chaque TS d'identifier les tensions reportées sur sa personne et de repérer le pôle dans lequel il aurait tendance à se placer. Pour conscientiser et travailler avec l’autre pôle. C’est développer un nouvel espace entre (Ciola)

Les bénéficiaires étant en tension entre être invisible et leur demande d’une reconnaissance explicite ou symbolique de leur situation de difficulté. Dès lors, les TS doivent constamment observer dans quel pôle se placent momentanément les bénéficiaires.

Ainsi, les TS vont pouvoir bouger et se situer soit dans le pôle norme ou différence selon que les bénéficiaires se situent dans le pôle « être invisible » ou « être visible». Le pôle norme des TS n’est pas « compatible » avec le pôle être visible des bénéficiaires. Il en résulte une situation infructueuse. Par contre, le pôle norme des TS avec les bénéficiaires qui se placent dans le pôle « être invisible », permet de créer un espace dynamique de co-évolution. Le même raisonnement est à suivre pour l’autre pôle des TS. Soit, si les bénéficiaires se placent dans le pôle « être visible » et que les TS rejoignent leur pôle différence, un espace de co-évolution est possible. Les TS ont ainsi la possibilité de se placer dans un pôle favorable par rapport au pôle des bénéficiaires qui va permettre de construire un espace dynamique de co-évolution.

Il y a ainsi des perspectives renouvelées pour le vivre-ensemble, d’autant plus que, pour le travail social, l’évolution implique d’avoir des professionnels sachant agir sur plusieurs champs et moins orientés spécifiquement comme éducateur social, animateur socioculturel ou assistant social. Au fond, depuis Aristote, ce phénomène n’est pas si nouveau, mais par contre, tout s’accélère.





Bibliographie :

Aristote, in Ethique à Nicomaque, livre V, chapitre 14, 1137 b 10

AvenirSocial. (2010). Code de déontologie du travail social en Suisse: un argumentaire pour la pratique des professionnel-le-s. Berne: Professionnels travail social Suisse.

Berger, J-C. (1995). Maîtres socioprofessionnels et migrations « pour passer de l’antre à l’entre ». Lausanne : EESP.

Bouquet, B. (2012). Éthique et travail social : une recherche de sens. Paris : Dunod.

Cifali, M. (2018). S’engager pour accompagner. Valeurs des métiers de la formation. Paris : PUF.

Crozier, M. Friedberg, E. (1977). L’acteur et le système : Les contraintes de l’action collective. Paris : Seuil.

Dubet, F. (2016). Ce qui nous unit. Discriminations, égalité et reconnaissance. Paris : Seuil.

Giust-Desprairies, F. (2002). Approche psychosociale clinique de l’identité. Recherche et formation, 41, 49-63.

Gauchet, M. (2000). « L’éthique : sources et praxis », Futuribles, n° 261.

Ramel, S., et Benoit, V. (2011). Intégration et inclusion scolaire : quelles conséquences pour le personnel enseignant ? Dans P.-A. Doudin, D. Curchod-Ruedi, L. Lafortune et N. Lafranchise (Eds.), La santé psychosociale des enseignants et enseignantes (pp. 203-224). Québec, Canada: Presses de l’Université du Québec.






Résumé en Anglais


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