Après un aperçu du phénomène migratoire en Roumanie et de ce qui est mis en œuvre dans ce pays pour l’accueil des demandeurs d’asile et l’intégration des réfugiés, nous traiterons des actions déployées par des ONG à l’attention des réfugiés mais aussi des étrangers extra-européens bénéficiant d’un droit de séjour, à partir de données issues d’un média en ligne roumain.
Quelques éléments de contexte : émigration, immigration et demandeurs d’asile en Roumanie
La Roumanie connaît depuis 1989 un phénomène d’émigration qui a pris de l’ampleur à partir des années 2000, avant et après son adhésion à l’Union Européenne (UE). Il en résulte qu'un nombre important de Roumains vivent actuellement dans un État européen autre que le leur (2,4 millions en 2013), faisant de ce groupe national le plus important au sein de l’UE (Pittau et Ricci, 2015). Au-delà de l’UE, on estime même qu’1 Roumain sur 5 réside à l’étranger. C’est une émigration de travail, à caractère familial, causée par des conditions économiques et d’emploi jugées insatisfaisantes en Roumanie ; elle s’accompagne d’importants transferts de fonds vers le pays d’origine, tandis que beaucoup d’émigrés roumains cultivent le mythe du retour (Ibid.).
La Roumanie connaît parallèlement un phénomène d’immigration, mais son ampleur est quantitativement faible : 116860 étrangers ayant un droit de séjour étaient ainsi enregistrés fin 2017 (MAI, 2018) ; il tend en outre à être occulté par le phénomène massif d’émigration. L’immigration a pourtant presque doublé depuis l’entrée du pays dans l’UE et des étrangers issus de l’UE ou de pays tiers viennent séjourner en Roumanie à des fins de regroupement familial, d’études ou de travail (Teodorescu, 2016). Parmi ces immigrés, il y a les demandeurs d’asiles. Peu nombreux, leur nombre s’est pourtant accru ces dernières années : 4820 demandes d’asile enregistrées fin 2017 contre 1886 fin 2016, le précédent "pic" datant de fin 2012 avec 2511 demandes d’asile (MAI, 2018). Dans le contexte d’afflux de migrants vers l’UE, du fait de sa position géographique au sud-est de l’Europe et de son statut de membre de l’UE, le pays constitue pour eux "[…] une porte d’entrée vers les pays de l’espace Schengen, dont la Roumanie ne fait pas encore partie" (Teodorescu, 2016, p. 78) ; en y déposant une demande d’asile, ils essaient ainsi d’obtenir un statut de protection internationale et des documents qui faciliteront leur parcours migratoire tourné vers des pays européens de l’ouest ou du nord, économiquement plus développés.
L’accueil des demandeurs d’asile et l’intégration des réfugiés en Roumanie
Tout étranger se trouvant en Roumanie ou à sa frontière peut solliciter par écrit ou oralement le droit d’asile ; suite à quoi un dossier est établi et un entretien individuel mené sur la base desquels une décision sera prise dans un délai légal de 30 jours. Durant l’évaluation de sa situation, le demandeur d’asile peut loger dans l’un des 6 centres d’accueil du pays (5 sont en zone frontalière et 1 dans la capitale) ; il a le droit à une aide médicale gratuite et peut percevoir une allocation mensuelle de 30€, mais il ne peut pas travailler, sauf exceptions. Si sa demande d’asile est refusée, il doit sous 15 jours quitter le territoire national, cependant il peut faire appel de cette décision. S’il obtient le statut de réfugié ou bénéficie d’une protection subsidiaire, il est autorisé à séjourner temporairement en Roumanie et a alors les mêmes droits d’accès aux soins médicaux, à l’éducation, à l’emploi et au logement que les citoyens roumains. Le réfugié ou bénéficiaire d’une protection subsidiaire ne peut plus par contre loger en centre d’accueil ni recevoir d’allocation, sauf en cas de vulnérabilité. Une aide au logement et une aide mensuelle correspondant au salaire minimum peuvent tout de même lui être versées pendant, respectivement, 1 an et 6 à 9 mois, mais elles doivent ensuite être remboursées lors de la première année de travail. Pour faciliter leur intégration dans la société roumaine, un programme de 6 mois est proposé aux réfugiés et aux personnes sous protection subsidiaire, qui devient obligatoire une fois accepté. Il inclut des cours de langue et de culture roumaines ainsi qu’un accompagnement social et psychologique. À la fin de ce programme, les personnes sont automatiquement inscrites dans les agences d’emploi.
Cristina Teodorescu (2016) constate que l’accès aux droits et surtout à l’emploi est en réalité difficile pour les réfugiés et les bénéficiaires d’une protection subsidiaire (dans la suite du texte, le terme "réfugié" renverra indistinctement à ces deux situations), même quand ils ont suivi le programme d’intégration. Au regard de cela, et puisque la Roumanie n’était a priori pas pour la plupart d’entre eux un pays de destination, elle affirme que "le manque d’opportunités de trouver un emploi et un revenu permettant un niveau de vie décent pousse les migrants à quitter le pays" (Ibid., p. 73). Cela l’amène à relever les insuffisances des politiques d’intégration pour les réfugiés, le manque de travailleurs sociaux formés à intervenir avec ce public, mais aussi à souligner l’importance des projets d’inclusion mis en œuvre par les organisations non-gouvernementales (ONG). Ce sont donc des initiatives privées qui prennent le relais de l’État roumain, cependant elles ne contribueraient ici pas tant à la privatisation qu’à la "publicisation" de l’action sociale pour les migrants (Pérouse de Montclos, 2017). Il serait dès lors intéressant de rendre compte de ces initiatives. Ainsi, dans la continuité de notre étude sur les modalités de solidarité d’initiative privée en Roumanie (Bourdet, 2017), nous avons eu recours aux méthodes numériques en sciences sociales pour faire la sociographie d’actions d’ONG pour les populations immigrées à partir de celles diffusées par le site Internet România Pozitiva.
Panorama d’actions d’ONG auprès des populations immigrées en Roumanie
S’inscrivant dans les humanités numériques (Abiteboul et Hachez-Leroy Florence, 2015) et mobilisant l’analyse de données qualitatives assistée par ordinateur (Miron et Dragon, 2007 ; Lejeune, 2016), notre étude a reposé sur la constitution d’une base de données par extraction du site Internet România Pozitiva de toutes les pages où figuraient les mots "réfugié" ou/et "migrant", pour ensuite y sélectionner celles rapportant des actions pour les réfugiés ou/et les étrangers extra-européens ; puis, en consultant chacune de ces pages, nous avons cherché pour chaque action repérée à y relever son porteur, son objet et ses modalités de mise en œuvre ainsi que ses finalités, le cadre institutionnel et l’origine du financement, tout en étant aussi attentif à ses dimensions axiologiques, normatives et temporelles : cela nous a permis d'établir, par induction, une typologie de ces initiatives d’ONG pour les réfugiés ou/et les étrangers issus de pays tiers en Roumanie.
11 actions ou ensembles d’actions pour les populations immigrées portées et/ou implémentées par des ONG ont pu être relevées entre 2009 et 2018 : 7 visaient les réfugiés et 4 les étrangers extra-européens en situation régulière (dont une pouvant aussi concerner les réfugiés). Ces initiatives émanaient d’ONG de défense des droits de l’Homme (et parfois également de soutien aux personnes), de ceux des enfants ou d’aide humanitaire, sauf une provenant du bureau à Bucarest de l’Organisation Internationale pour les Migrations ; la majorité d’entre elles étaient des fondations et associations roumaines et les autres étaient des filiales locales d’ONG internationales. Les actions ou ensembles d’actions pour les populations immigrées procédaient en partenariat, notamment avec des associations roumaines travaillant auprès des réfugiés ou/et des étrangers extra-européens, mais aussi avec des institutions publiques (école, musée national). La plupart d’entre elles reposaient sur une collaboration avec l’Inspection Générale pour l’Immigration et plusieurs destinées aux réfugiés prenaient d’ailleurs place dans ou avec un ou des centres d’accueil. Une grande partie de ces initiatives bénéficiaient de programmes de financement européens, dont ceux spécifiquement dédiés à des actions pour les réfugiés et pour les étrangers issus de pays tiers séjournant légalement en Roumanie étaient directement gérés par le Ministère de l'Intérieur. Ces premiers éléments permettent déjà de constater que les actions pour les populations immigrées déployées par des ONG se faisaient quasiment toutes sous l’égide de l’État et/ou se voyaient octroyer par celui-ci des fonds européens, ce qui tend dès lors à confirmer le phénomène de "publicisation" de l’action sociale pour ces publics. Mais que recouvraient concrètement ces actions ?
Il s’agissait d’abord, principalement, de services sociaux destinés aux réfugiés, souvent en centre d’accueil, ainsi qu’aux étrangers extra-européens bénéficiant d’un droit de séjour : aide matérielle/médicale, accompagnement social/socio-professionnel ou/et information et conseil ; projets prenant généralement place sur une année, ils visaient avant tout à favoriser leur intégration dans la société roumaine et aussi à répondre à leurs besoins d’assistance. Il y avait ensuite régulièrement des activités éducatives extrascolaires et de loisirs mais aussi parfois des actions de soutien à la scolarisation pour les enfants et les jeunes réfugiés, pour certaines mises en œuvre en centre d’accueil ; se déroulant sur une année ou ponctuelles, leur principal but était de permettre leur intégration dans la société roumaine, au sens ici d’inclusion et d’accommodation culturelle à la société d’accueil. On a pu de plus relever à plusieurs reprises des activités et des événements culturels visant à valoriser la culture des populations immigrées et le partage, le dialogue interculturel avec les Roumains. Enfin, il faut signaler une action d’aménagement et de dotation matérielle de centres d’accueil pour y améliorer les conditions de vie des réfugiés, notamment celles des enfants. Ces différentes catégories d’initiatives envers les réfugiés et étrangers extra-européens bénéficiant d’un droit de séjour ne sont bien sûr pas exclusives les unes des autres et les actions ou ensembles d’actions déployées par des ONG relevaient fréquemment de plusieurs d'entre elles. Elles étaient très souvent mues par le souci d’améliorer les conditions d’accueil et la situation des réfugiés en Roumanie ; elles pouvaient aussi l’être par la promotion de l’intégration des étrangers non-européens ou/et du vivre-ensemble autour de l’interculturalité. Du fait de la centration des actions menées auprès des réfugiés sur l’amélioration de leur situation et la résolution de leurs problèmes en vue de leur intégration dans la société roumaine et de l’orientation des actions éducatives pour les enfants vers cette même fin, elles semblent relever pour partie du modèle réparateur-assimilationniste de l’intervention sociale auprès des populations immigrées (Bolzman, 2009) ; toutefois, dans la mesure où certaines de ces actions ainsi que d’autres destinées aux étrangers extra-européens en situation régulière promouvaient simultanément la culture des populations immigrées et les échanges avec les Roumains, en lien souvent avec leur intégration, elle semblent aussi relever pour partie du modèle interculturel (Ibid., p. 47). Seule l’étude du déroulement concret de ces actions permettrait à présent de mieux apprécier à quel(s) modèle(s) de l’intervention auprès des migrants elles se rattachent effectivement.
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