Introduction
Dans notre société qui s’ouvre au monde, les individus vivent de plus en plus des situations professionnelles interculturelles (Licata et Heine, 2012) et les exigences contextuelles rencontrées par les travailleur·euse·s sociaux·ales dans leurs interventions en contexte interculturel sont multiples (Cohen-Emerique, 2011). Ceci est le cas également des étudiant·e·s que nous formons en tant qu’éducateurs et éducatrices specialisé·e·s au sein de notre Haute Ecole Bruxelles-Brabant.
Dans ce cadre de formation, nous observons par ailleurs un intérêt croissant de nos étudiant·e·s pour l’expérience de stage professionnel à l’étranger, envisagé dans une réelle volonté de découvrir et pratiquer autrement au regard des mutations sociétales et culturelles contemporaines.
Un questionnement incontournable
Nos étudiants et étudiantes sont-il·elle·s formé·e·s à intervenir et à accompagner dans ces contextes fortement pluralistes sur le plan ethnique, communautaire, culturel et/ou spirituel ? La formation et les cadres de référence de la pratique leur permettent-ils d’appréhender de manière pertinente et efficace la complexité de ces contextes ? Un long travail exploratoire nourri de l’expertise d’un consortium de onze partenaires qui œuvrent dans la formation des travailleurs et travailleuses sociaux·ales et des éducateur·e·s spécialisé·e·s (des hautes écoles et universités « partenaires » de 10 pays différents : France, Belgique, Portugal, Italie, Pays-Bas , Canada, Côte d’Ivoire, Sénégal, Vietnam et Madagascar) a tenté de répondre à ces questions via le projet ELISSE (E-Learning for Intercultural Skills in Social Education). Ces derniers 4 pays mobilisent des « partenaires associatifs locaux » qui accueillent les étudiants en stage.
Ce projet ambitionne de créer une formation destinée principalement aux étudiant·e·s en travail social qui interviendront en milieu interculturel après leurs études (Malbos, 2018) tout en postulant que des dimensions précisément travaillées soutiennent la construction des compétences nécessaires à l’accompagnement psychosocial dans des contextes diversifiés sur le plan culturel, social et spirituel. Le constat est criant et exige de s’engager dans la nécessité de former et d’augmenter l’efficacité et l’expertise des intervenant·e·s sociaux·ales afin de soutenir le développement de leur pouvoir d’agir (cf. Le Bossé, 2012) dans ces contextes, en favorisant l’intériorisation d’un ensemble de concepts et dimensions indispensable aux pratiques d’intervention. A ce propos, les compétences interculturelles sont définies comme des capacités psychosociologiques qui permettent de faire face à des situations complexes engendrées par des multiples référents culturels, dans des contextes sociaux , économiques et politiques inégalitaires (Manço, 2002). Afin de viser le développement de ces compétences, le projet ELISSE s’appuie sur deux principes d’action novateurs :
1. une expérience de stage effectuée dans les pays dits « du Sud » pendant laquelle les étudiants européens seront jumelés à des étudiants originaires du pays d’accueil et des étudiants originaires d’autres pays dits « du Nord » ;
2. des modules de formation dispensés en partie à distance grâce à l’utilisation d’outils du e-learning.
Méthodologie
Cette recherche action collaborative (RAC, 2017-2020) coordonnée par ITSRA (Institut de travail social de la région Auvergne) et financée par le programme Erasmus+ se décline en 3 phases :
1. Diagnostique et création des outils (09/2017 - 07/2018) : cette 1ère phase était dédiée à une analyse des données collectées lors du diagnostic préalable au projet (phase exploratoire 2016-17) aboutissant à la rédaction de recommandations à considérer dans la période suivante de création et développement des outils pédagogiques. A l’issue de cette période, l’équipe a défini les contours du futur référentiel de formation ELISSE, lequel s’organise autour de 4 grandes priorités: 1.Connaissance de soi, 2.Développement de l’ouverture à l’autre, 3.Comprendre les défis de l’interculturalité, 4.Vivre ensemble l’expérience interculturelle. Ensuite, 9 outils pédagogiques articulés autour de ces 4 priorités ont été finalisés et hébergés sur un site spécifiquement dédié (ELISSE- Moodle, 2018).
Ces outils permettent de 1) Autoévaluer des compétences interculturelles tout au long du processus; 2) Créer et partager entre étudiant·e·s ELISSE son « Iceberg culturel », c.-à-d., pouvoir mettre des mots sur sa propre identité, ses composantes culturelles et pouvoir entrer en résonances avec celles-ci tout en se confrontant à l’autre, dans une logique de décentration; 3) Réfléchir sur les identités multiples et les concepts de stéréotypes, préjugés, discrimination ainsi que sur le processus de généralisation; 4) Communiquer et 5) Gérer les dilemmes éthiques en contexte interculturel; 6) Analyser des situations concrètes rencontrées en ces contextes et le développement de réponses méthodologiquement et culturellement contextualisée; 7) Réfléchir au sein de séminaires de supervision en présentiel; 8) Organiser des rencontres interculturelles entre étudiant·e·s jumelé·e·s et dépasser les stéréotypes; 9) réaliser un bilan de l’interiorisation des competences interculturelles développées.
Certains de ces outils sont pensés pour être utilisé une seule fois avant, pendant ou après le stage, d’autres (cf. p.ex. l’auto-évaluation des compétences interculturelles ou la participation aux séminaires sur place) sont à répéter à plusieurs reprises selon une temporalité didactique proposée à l’étudiant·e.
2. Expérimentation des outils et évaluation intérmediaire (09/2018 - 07/2019) : deux semestres d’activités de stage pratique à l’étranger constituent la véritable phase d’expérimentation des outils pédagogiques. Au total 111 utilisateur·trice·s ont exploité la plateforme Moodle (30 enseignant·e·s et 52 étudiant·e·s au cours du 1er semestre, pour 6 destinations de stage différentes et 34 enseignant·e·s et 32 étudiant·e·s lors du 2ème semestre, pour 5 destinations différentes). En plus de l’expérience de stage, cratérisée par le jumelage d’étudiants de différents pays sur un même lieu de stage avec minimum 3 séminaires en présentiel, cette phase d’expérimentation prévoit le suivi des étudiants sur place (formateur·trice·s animant les séminaires) et à distance (formateur·trice·s du pays d’origine, référent pédagogique de l’étudiant·e) ainsi que l’évaluation des outils. Cette phase se clôturera par un travail d’évaluation entre partenaires des outils, un par un, à partir des commentaires collectés dans les « grilles d’évaluation » completées par les étudiant·e·s et formateur·trice·s tout au long des périodes d’expérimentation. Ce travail revelera les ajustements nécessaires du programme et des outils (finalisation du référentiel de compétences, ajout/suppression de contenus dans les outils, choix des supports pédagogiques, etc).
3. Finalisation du programme de formation, communication et dissémination (09/2019 - 09/2020). Cette phase, offre une dernière période d’expérimentation du programme de formation réajusté et sera clôturée par des évaluations finales. A l’issue de cette RAC, une production intellectuelle formalisera concrètement un programme de formation bilingue (français/anglais), incluant un référentiel de formation, les contenus des modules de formation, les outils et modalités pédagogiques, etc. Cette formation disponible en ligne via un site Web dédié, s’articulera autour de l’expérience de stage dans les pays dits « du Sud » dans les conditions fixées par le programme ELISSE. Elle pourra être incluse aux formations sociales proposées dans les hautes écoles et universités européennes afin d’obtenir une spécialisation créditée d’ECTS en plus du diplôme en intervention sociale. Cette formation sera présentée dans les détails lors d’un colloque final clôturant le projet, qui aura lieu en juin 2020 à Bruxelles.
Conclusion intermédiaire et perspectives.
Nous avons argumenté comment le projet ELISSE vise l’élaboration d’un processus de formation pertinent pour de futur·e·s travailleur·euse·s sociaux·ales opérant·e·s dans des sociétés plurielles, favorisant un agir professionnel engagé et porteur d’innovations sociales.
Nous montreront, à l’aide d’exemples, comment les outils pédagogiques proposés au sein du projet permettent le développement des compétences interculturelles, comprenant, selon Cohen-Emerique (2016), non seulement la capacité à se décentrer par rapport à sa culture d’origine et à développer une posture d’accueil bienveillant de la différence, mais également la capacité à acquérir des savoirs et outils par rapport à d’autres cultures et la capacité de négociation notamment lors de conflits de valeurs plaçant chaque interlocuteur·trice dans des doubles contraintes et conflits de loyauté (Manço, 2019).
Ce projet s’inscrit ainsi dans la ferme volonté de considérer et exploiter les différentes dimensions qui structurent la complexité de l’intervention en contexte interculturel. Pour ce faire, il travaille à répondre à des besoins propres à : 1) la formation d’intervenant·e·s psychosociaux·ales et/ou socioculturel·le·s ; 2) l’efficacité de l’accompagnement pédagogique des mobilités étudiantes internationales dans les pays dits « du Sud » ou en contextes fortement pluralistes.
Par prolongement, ce projet se propose d'atteindre des finalités telles que : 1) sensibiliser les décideurs et les politiques sociales ; 2) former autrement et efficacement aux compétences interculturelles via le développement d'un programme de formation ad hoc, bilingue et en accès libre.
Au regard de ces objectifs, nous montrerons comment les résultats intermédiaires suite aux deux premières années de recherche-action ont inspiré des ajustements nécessaires du programme et des outils exploités. Ces changements nous confortent dans l’intérêt de la poursuite de cette démarche de formation à des véritables compétences interculturelles.
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