Fiche Documentaire n° 5410

Titre De l'exercice de la citoyenneté à la conception des politiques publiques dans la situation française

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Auteur(s) BOUSQUET Cathy  
     
Thème  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

De l'exercice de la citoyenneté à la conception des politiques publiques dans la situation française

Cette communication propose de discuter la construction des politiques publiques de solidarité à partir d’une analyse socio-historique du travail du social et de la solidarité politique en France. Cette recherche conduite dans le cadre d’une thèse de Sociologie-Travail social (Cnam, 2018) est à confronter à d’autres constructions historicisées du travail social dans d’autres contextes nationaux.

L’analyse critique de l’émergence des interventions sociales en France au début du XXème siècle m’a permis de réexaminer le cadre politique et professionnel de cette action publique. C’est ainsi que ces créations ont partie liée avec la mise en œuvre politique de la solidarité par l’État social et par la IIIème République.
Revisiter ces histoires, celle de la solidarité et celle du travail social, permet de rappeler la quête commune d’un vivre ensemble pacifié et les contributions réciproques à l’installation de la démocratie en France.
Cette analyse met en lumière les volontés qui vont s’associer et converger pour expérimenter des relations d’égalité malgré une organisation sociale, économique et politique fortement inégalitaire et génératrice de profondes injustices. Ce dépassement de l’ordre existant a impliqué des transgressions individuelles dans des collectifs d’actions publiques et publicisées, c’est à dire la mise en œuvre d’initiatives collectives et publiques par des personnes sans droit politique.

La constitution du travail social laïc en France est à la fois le résultat de ce mouvement d’émancipation individuelle et collective initié par des femmes instruites et engagées dans un accès et une diffusion des savoirs scientifiques pour tous, ET le résultat du développement d’une conception politique de la solidarité fondée sur la reconnaissance de la vulnérabilité humaine et de l’interdépendance entre les individus. Cette construction est rendue visible par les études de genre inscrites depuis les années 1980 dans le monde académique et développées selon des amplitudes différentes par disciplines.

L’analyse critique ainsi réalisée à partir d’un corpus de sources d’archives (Maisons sociales - Presse - Minutes du procès de Marie Jeanne Bassot) permet de faire lien entre la conception politique du vivre ensemble et la reconnaissance des droits politiques des personnes dans une société donnée. Comme l’indique Dominique Schnapper (2000), la citoyenneté moderne revêt deux dimensions : la dimension universelle reconnue à tous et la dimension politique, c’est-à-dire « son possible exercice » réservé à certains. C’est l’exercice de la citoyenneté politique qui dans la modernité est au fondement de l’égalité de relation entre les personnes et qui oriente les conceptions du vivre ensemble.

En France (mais ailleurs aussi), l’héritage sexué de l’exercice politique conduit à un héritage sexué des politiques publiques - avec comme exemple ici la solidarité politique - sur un modèle androcentré. Nous héritons d’une institutionnalisation genrée de la solidarité entre intervention politique d’une part et intervention dans un quotidien de vie d’autre part. En reprenant l’analyse du processus différentiel d’exercice de la citoyenneté construit par les rapports sociaux (de genre, d’âge, de statut, …), la compréhension des dynamiques des mouvements sociaux s’enrichit mais aussi la conception des politiques publiques. Soit la participation politique des personnes est au fondement des droits et des dispositifs et permet un travail créatif mobilisateur, soit la subordination des personnes, leur assujettissement est reconduit dans des droits et des dispositifs. Il est alors paradoxal de vouloir mobiliser l’autonomie des personnes, voire impossible de réunir des inégalités « d’individus-sujets » qui dans une visibilité des pluralités deviennent exponentielles (Rosanvallon, 2011).

Bibliographie

Bereni, Laure. REVILLARD, Anne. Un mouvement social paradigmatique ? Ce que le mouvement des femmes fait à la sociologie des mouvements sociaux. Sociétés contemporaines, 2012, vol. 85, n°1, p. 17-41.
BLAIS, Marie-Claude. La solidarité. Histoire d'une idée. Paris : Gallimard, 2007, 347 p.
Bousquet, Cathy. Au démarrage des démarches participatives, la question de l’initiative. In : PATUREL, Dominique (dir.), Recherche en Travail Social : les approches participatives. Nîmes : Champ Social Editions, 2014, 404 p.
CASTEL, Robert. Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat. Paris : Fayard, 1995, 813 p.
Charron, Hélène. Éducation des femmes et rapports de genre dans les groupes leplaysiens et au Musée social au tournant des XIXe et XXe siècles. Les Études Sociales, 2010, vol.  151, n°1, p. 83-116.
DELLA SUDDA, Magali. Politisation et socio-histoire. In : ACHIN, Catherine, BERENI, Laure (dir.), Dictionnaire genre & science politique. Paris : SciencesPo. Les Presses, 2013, 699 p.
FRAISSE, Geneviève. Les deux gouvernements : la famille et la cité. Paris : Gallimard, 2001, 224 p.
GALLERAND, Elsa. KERGOAT, Danièle. Le potentiel subversif du rapport des femmes au travail. Nouvelles Questions Féministes, 2008, Vol 27, p. 67-82.
Gilligan, Carol. Hochschild, Arlie. Tronto, Joan. Contre l'indifférence des privilégiés... À quoi sert le care, édité et présenté par PAPERMAN Patricia et MOLINIER Pascale. Paris : 2013, 144 p.
MarquEs-pereira, Bérangère. La citoyenneté politique des femmes. Paris : Armand Colin, 2003, 215 p.
Pigenet, Michel. Tartakowsky, Danielle. Histoire des mouvements sociaux en France de 1814 à nos jours. Paris : La Découverte, 2012, 800 p.
Rosanvallon, Pierre. La Société des égaux. Paris : Seuil, 2011, 420 p.
Schnapper, Dominique. BACHELIER, Christian (collab.). Qu'est-ce que la citoyenneté ? Paris : Gallimard, 2000, 320 p.
Zask, Joëlle. Participer. Essai sur les formes démocratiques de la participation. Paris : Le Bord de l'eau, 2011, 328 p.

Présentation des auteurs

Cathy Bousquet, docteure en Sociologie-Travail social du CNAM (LISE - UMR CNRS 3320), je travaille à l’IRTS Montpellier (France) comme responsable des relations aux champs professionnels et d’un axe de recherche sur les interventions collectives, membre du PREFIS et du CORHIS.

Communication complète

Exercice de la citoyenneté politique et conception des politiques publiques



A partir d’une analyse socio-historique de la construction de la solidarité publique en France, je propose de montrer comment le travail social laïc est une réponse au vivre ensemble en contexte démocratique, d’une société basée sur l’égalité de relation. Cette invention, au début du XXème siècle pour la France, entend répondre à la volonté commune de pacification des relations entre habitant.e.s « égaux » d’un territoire national. Elle s’appuie sur un jeu de contributions plurielles et sur le respect de la participation des personnes accompagnées (Bousquet, thèse de Sociologie-Travail social, Cnam, 2018). Comprendre et actualiser cette perspective dans nos contextes contemporains permet de se confronter à l’universalité de la citoyenneté et à son possible exercice pour toutes et tous dans un territoire de vie. Elle vient conforter les énoncés d’un Développement durable fondé sur trois dimensions reconnues de même valeur : le développement économique, le développement écologique et le développement social (Rapport Bruntland de 1987).

Dans un premier temps, j’interroge le concept de citoyenneté moderne en France à partir des rapports sociaux de genre. Puis je présente l’émergence du concept de solidarité pour relire la construction de l’État social et du travail social réunis par l’exercice d’une citoyenneté politique de toutes et tous.



1) L’historicité de la citoyenneté moderne

Longtemps le concept de citoyenneté a été considéré comme neutre au regard de l’ensemble de la communauté nationale des femmes et des hommes. L’institutionnalisation universitaire des études de genre, à partir des années 1980 en France, a ouvert un champ de recherche sur la citoyenneté politique.

La construction de la citoyenneté est principalement référencée à la classification établie par Thomas Humphrey Marshall (1992), sociologue et historien britannique, qui a servi une première compréhension historique et politique de la citoyenneté. La classification réalisée montre la construction dynamique et évolutive de la citoyenneté mais se trouve qualifiée « gender blinded » par les dernières avancées de recherches pluridisciplinaires (Gautier, Heinen, 1993). C’est pourquoi j’utilise l’approche proposée par Dominique Schnapper (2000) : « La citoyenneté moderne n'est pas une essence, donnée une fois pour toutes, mais une histoire ». Se faisant, elle propose de distinguer deux facettes à la citoyenneté moderne : la reconnaissance accordée à tous, c'est la dimension universelle, et l'exercice politique de la citoyenneté qui est réservé à certains.

Cet exercice devient dans la modernité le fondement de l’égalité de relation entre les personnes et oriente les conceptions du vive ensemble, exercice que je nomme « citoyenneté politique » dans cet exposé. La dialectique entre les deux dimensions est une dialectique entre l'inclusion toujours possible à envisager et l'exclusion comme épreuve pour celles et ceux qui la vivent ; comme contradiction avec la déclaration universelle qui permet l'abstraction des différences et l'admission de tous à la communauté des citoyen.ne.s. C’est parce que la citoyenneté est déclarée « universelle » que sa réalité est discutable, discutée dans ses apories (Marques-Pereira, 2003). En second lieu, je retiens dans cette configuration de la citoyenneté, les interrogations qu'elle suscite du point de vue des droits qui lui sont associés (Schnapper, 2000). Pour rappel, on a coutume d'énoncer et de dissocier les droits-liberté et les droits-créances. Les uns référés à la citoyenneté politique, les autres à la citoyenneté sociale, ces derniers étant issus des premiers par décision légitime de la communauté politique par son « contrat social ». Le débat est ouvert aujourd’hui sur cette répartition-séparation des droits, soit pour un maintien en l'état, soit pour faire évoluer les droits économiques et sociaux au rang des droits politiques. Elle établit le rappel d'une séparation entre deux grandes dimensions de la citoyenneté et porte à sa manière la trace de la logique des sphères séparées que j’introduis ici.



2) La logique des sphères séparées et ses incidences sur la citoyenneté politique

L’étude de la citoyenneté sous la focale du genre permet de saisir les éléments de la construction historique d'un ordre sexué de la société, de comprendre la centralité des sphères séparées (Marquès-Pereira, 2003).

La séparation symbolique et matérielle qui a conduit à la construction de deux sphères sociales au sens de deux espaces de vie et de relations - la sphère privée ou domestique et la sphère publique ou démocratique - parait à beaucoup comme une répartition naturelle de rôles, c'est-à-dire liée à des penchants propre à chaque sexe, émerge tout au long du XVIIIème siècle. Fruit d’un courant de pensées porté par les milieux bourgeois et urbains, et présenté comme l’idéal moderne (dans la lignée des écrits de Rousseau qui ont précédé la révolution de 1789), ce courant n’est pas l’apanage de tous les milieux sociaux, ni de toutes les femmes. Différentes études ont montré que ce modèle fonctionnel prend forme et oriente l’histoire politique, particulièrement en France où les figures du pater familias et du citoyen fusionnent pour devenir ainsi le modèle du sujet politique de référence (Fraisse, 2001- Verjus, 2002- Marquès-Pereira, 2003). Le monopole masculin du pouvoir politique articule une double logique : citoyenneté et souveraineté, attachées à deux espaces opposés (Bereni et al, 2012, p 218) et fait depuis plusieurs décennies l'objet d'une contestation dans une conception de sujets égaux en démocratie moderne. Cette séparation des espaces théorisée construit une norme de genre apprise et transmise par la socialisation familiale et les pratiques sexuées référées à chaque espace (école-travail) ; norme adoptée sans discussion par l’État Social tout au long de son émergence et encore aujourd'hui (Périvier, 2016).

La vision politique « du vivre ensemble » instituée et sa représentation conduisent à cet ordonnancement qui n'est pas seulement une séparation, il est aussi une intégration de rapports de pouvoir signifiants des valeurs différentes au profit des travaux masculins (Kergoat, 2000 - Héritier, 2002). Ce double mécanisme (division et hiérarchie de valeurs) réapparait dans le domaine politique et produit une éviction de problématiques du débat public ou/et leur disqualification.



3) La mise en œuvre simultanée du travail social et de l’État social

La mise en œuvre de l’État social a été conçue pour donner un contenu concret aux droits-libertés. Elle repose sur le contrat de solidarité, contrat nécessaire à la vie d'individus reconnus par nature dépendant du milieu environnant. Inscrite comme fondement de l’État social, la solidarité publique/politique rend compte aussi d'une autre réalité : la souveraineté collective du citoyen et donc le pouvoir politique des droits-libertés ne supprime pas l'ensemble des références ou des appartenances particulières, ni ne suppriment les inégalités sociales et économiques.

a) La construction politique de la solidarité en France

La question posée dite question sociale concerne le droit au travail des ouvriers qui doit compléter les droits de l'Homme (1848) et passe par la lutte contre la misère. Au plan politique, il s’agit de trouver les éléments de fondations encore inédits entre des individus libres et égaux en droits et la réalité d’une appartenance collective en société, et ce, dans une période où la conscience moderne volontaire cherche la réalisation de l’idée de justice en se référant au fait de l’acte libre de Kant. Il est possible et nécessaire d’intervenir dans l’ordre naturel pour créer un nouvel ordre. Ce raisonnement permet d’élargir la portée de la loi naturelle d’interdépendance à la loi organique volontaire puisque la première repose sur la notion d’instinct. Cette acception adoptée par les différents courants de pensée préside à l’élaboration de l’État social.

b) Les développements politiques de la solidarité

La « nouvelle » formulation de la solidarité inscrit la solidarité dans l’espace public et rompt avec la primauté de la notion religieuse de charité. Elle reconnaît la dimension politique du lien qui réunit les personnes d’une même société pour vivre ensemble, en régime de paix sociale fondé sur l’égalité de relation entre les personnes. Cette conception s’est développée dans une triangulation entre trois approches de la solidarité selon une construction genrée :

- L’apport de la dimension scientifique d’Émile Durkheim permet de formuler le lien social ou ce qui rend le corps social malade.

- L’apport de la dimension politique de Léon Bourgeois avec la conception d’une « union sociale » des individus par un État social régulateur, garant de liens justes et réparateur des inégalités par le droit.

- L’apport de la dimension pragmatique par les fondatrices du travail social - Marie Gahéry, Adèle Fanta, Amélie Doyen Doublié, Augusta Moll-Weiss, Marie Jeanne Bassot, Mathilde Giraud, Apolline De Gourlet. Par « l’intervention sociale » (jardins d’enfants - écoles ménagères - résidences sociales), elles proposent de faire « œuvre de réorganisation sociale » en misant sur l’accès aux apports des sciences pour une éducation source d’autonomie pour toute et tous, et ce au nom de l’égalité de relation entre les personnes.



Du côté de la conception des politiques publiques, c’est la participation de tous qui est garante de l’usage et de l’accès aux droits. Ceci implique une culture de la participation démocratique et l’élaboration d’une posture institutionnelle capable d’étayer des postures professionnelles d’égalité relationnelles.

Du côté de l’organisation et de la mise en œuvre des politiques de solidarité, questionner la hiérarchie des actrices et des acteurs aux différentes échelles du travail social.

Résumé en Anglais


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