L’expérimentation pédagogique concerne des étudiants de 1ère et 2ème bachelier assistant social soit environ 200 étudiants dans les cours d’interculturalités, politiques sociales et citoyenneté.
Un nécessaire devoir de mémoire pour mieux comprendre les enjeux actuels du vivre ensemble.
La nécessité d’aborder la question de l’assignation identitaire et de mener un travail de mémoire s’est imposée à moi en cette année des 25 ans de commémoration du génocide rwandais. La majorité des étudiants n’étaient pas nés en 1994. Il m’a semblé primordial de les amener à développer une vision globale et pluridisciplinaire susceptible de les amener à mieux appréhender les enjeux actuels du vivre ensemble. Le point de départ fut l’organisation d’une conférence de Jacques Roisin en avril 2019. Docteur en psychologie, psychanalyste et auteur de l’ouvrage « Dans la nuit la plus noire se cache l’humanité », Jacques Roisin s’est rendu au Rwanda plusieurs années de suite afin de recueillir les témoignages de vingt Hutus qui ont sauvé des Tutsis lors du génocide. Il a présenté aux étudiants les différentes formes d’oppositions au génocide rencontrées au Rwanda, le contexte historique de la fanatisation et de la haine anti-Tutsis.
De cette conférence, diverses questions ont émergé chez les étudiants. Quels sont les différents mécanismes et les contextes qui ont favorisé dans l’Histoire et qui favorisent encore l’émergence de la fanatisation, de la haine de l’autre poussant des peuples au génocide ? Quelles leçons peut-on tirer de l’Histoire ? Comment dépasser la violence de l’assignation identitaire, les formes de stigmatisations, d’exclusions qui en découlent ?
La démarche interculturelle : de la déconstruction des stéréotypes à la promotion des valeurs du vivre ensemble. D’avril à juin, nous avons analysé avec les étudiants de 1ère année le mécanisme de l’assignation identitaire.
Dans un 1er temps, l’assignation identitaire et différents concepts liés (Antisémitisme, Islamophobie, Racisme (anti-noirs et antitziganisme), Homophobie, Sexisme, Stéréotypes et préjugés, Discriminations) ont été analysés d’un point de vue théorique comme autant d’obstacles au vivre ensemble.
Dans un 2ème temps, la démarche interculturelle, ses valeurs, ses principes et ses étapes ont été abordés comme leviers au vivre ensemble.
Dans un 3ème temps, les étudiants ont été amenés à s’approprier les concepts liés à l’assignation identitaire, à déconstruire les stéréotypes et à appliquer les acquis théoriques et méthodologiques de la démarche interculturelle. Concrètement, sur base d’un concept vu en cours, les étudiants ont réalisé en sous-groupes une capsule vidéo de sensibilisation ayant pour objectif la promotion du vivre ensemble et de ses valeurs. La compréhension et l’appropriation des concepts, la pertinence du contenu de la vidéo et la créativité relative aux moyens d’expressions utilisés ont été évalués. A l’issue de cet exercice et de la présentation des vidéos, les étudiants ont élu, par concept, les capsules les plus pertinentes et les plus originales de leur promotion.
L’approche centrée sur le pouvoir d’agir au service de la lutte contre les inégalités et pour la défense des droits des minorités. Dans l’approche centrée sur le Développement du Pouvoir d’Agir (DPA) le travailleur social est amené à abandonner sa posture d’expert pour prendre en considération les forces et les potentialités de la personne ou de la collectivité concernée par l’intervention. A travers cet axe, nous avons travaillé sur le développement du pouvoir d’agir tant des futurs professionnels que des personnes et des groupes victimes de stigmatisation et d’exclusion.
L’appropriation, par les étudiants, de l’approche centrée sur le développement du pouvoir d’agir des personnes et des collectivités est susceptible d’élargir leur vision de la profession.
Dans cette optique, en avril et mai, deux journées participatives axées sur la thématique « Racisme, sexisme et homophobie : contre les discriminations, pour l’égalité » ont été organisées à destination des étudiants assistants sociaux de 2ème année. Des partenaires associatifs et politiques locaux et des citoyens ont participé à ces journées.
D’un point de vue théorique, les partenaires associatifs ont abordé les mécanismes communs à la base du racisme, du sexisme et de l’homophobie ; les manifestations d’hostilité et les types de discrimination, l’évolution du cadre légal en Belgique, la défense des droits des minorités et la nécessaire convergence des luttes contre les inégalités.
Des citoyens impliqués dans le tissu associatif local sont venus témoigner des réalités vécues au quotidien et ont mis en évidence l’importance du droit à l’expression des personnes opprimées et la nécessité pour les travailleurs sociaux de s’allier avec les personnes contre les injustices.
A l’issue de cette première journée, les étudiants ont réalisé un travail préparatoire au débat politique de clôture organisé en mai. Des mandataires politiques issus de quatre partis démocratiques et représentant différents niveaux de pouvoir étaient présents. En amont du débat, les étudiants répartis en sous-groupes se sont vu attribuer un parti à présenter et ont répondu aux questions suivantes : quelles sont les idées et les valeurs défendues par le parti? Quelle est leur vision de la diversité et de l’inclusion des identités et appartenances multiples au sein de la société ? Dans le programme du parti et en vue des prochaines échéances électorales, quelles sont les propositions formulées pour lutter contre les inégalités et défendre les droits des minorités ?
A l’issue du débat politique et forts des apports théoriques et des témoignages d’associations et de citoyens, les étudiants ont réalisé un travail individuel réflexif et argumentatif visant à développer leur futur pouvoir d’agir professionnel : quels sont les leviers culturels, sociaux, législatifs et politiques pour lutter contre les différents types de discriminations ? En tant que futurs travailleurs sociaux, quelles sont vos propositions, vos pistes d’action pour une meilleure inclusion de la diversité dans la société ?
L’ancrage dans le tissu associatif et culturel local comme vecteur de sensibilisation citoyenne et d’éducation permanente.
A moyen et long terme, des pistes d’action et d’évolution de l’expérience pédagogique sont à développer. L’idée est de mobiliser les étudiants à agir au niveau local, sur un territoire donné en se connectant au réseau associatif et culturel local, actif dans le domaine de la lutte contre les inégalités, la défense des droits des minorités et la promotion du dialogue interculturel.
Cette mobilisation des étudiants, futurs professionnels de terrain, pourrait s’ancrer dans l’organisation d’une journée voire une semaine interdisciplinaire consacrée au vivre ensemble dans ses multiples facettes (culturelle, sociale, politique, éthique et religieuse).
En partenariat avec le tissu associatif et culturel local, l’événement pourrait être organisé à la fois sur le campus et dans différents lieux identifiés au niveau local.
La journée pourrait s’articuler autour de réalisations d’étudiants (capsules vidéo), de conférences d’experts, de tables rondes réunissant des professionnels de terrain et en guise de clôture une pièce de théâtre ou de théâtre-action abordant la thématique.
Pour conclure, la démarche interculturelle et le développement du pouvoir d’agir sont des puissants leviers pour travailler le vivre ensemble au sein des contenus de la formation.
Faire l’expérience de son propre pouvoir d’agir en tant que citoyen et futur travailleur social, est fondamental pour le promouvoir, par la suite auprès des personnes et des groupes concernés. En tant qu’enseignants et formateurs des travailleurs sociaux de demain, notre responsabilité est de stimuler, dans le cursus de formation, le pouvoir d’agir de futurs professionnels conscientisés et informés, outillés et engagés, ayant le souci constant d’améliorer leurs pratiques.
|