Fiche Documentaire n° 5456

Titre Familles autochtones en milieu urbain et services de protection de l’enfance : comprendre l’expérience pour mieux soutenir les familles

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Auteur(s) ALBERT Hélène  
     
Thème  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

Familles autochtones en milieu urbain et services de protection de l’enfance : comprendre l’expérience pour mieux soutenir les familles

La communication qui est ici proposée s’inscrit dans l’axe 2, soit la lutte contre les inégalités et a comme objectif de présenter les résultats d’une recherche portant sur l’expérience des familles autochtones vivant en milieu urbain qui ont eu à transiger avec les services de protection de l’enfance. Au Canada, les Autochtones ont historiquement été contraints, en raison de la Loi sur les Indiens, de demeurer dans des réserves qui sont essentiellement des régions géographiques où qui regroupent des communautés des Premières nations (Statistique Canada, 2011). Or, les Autochtones au Canada vivent de plus en plus hors réserve, et davantage en milieu urbain. En fait, alors que plus de la moitié des personnes autochtones vivent en milieu urbain dans l’ensemble du pays, selon les chiffres de 2016, il s’agit de six Autochtones sur sept, soit 84,5% dans les provinces Atlantique (Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse, Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve et Labrador) (Statistique Canada, 2016). Dans la plupart des communautés autochtones, voire des «réserves», les services de protection de l’enfance sont gérés par les communautés elles-mêmes, par et pour les leurs. Cependant, en situation urbaine, les services de protection de l’enfance sont déployés de manière uniforme aux non-Autochtones et aux Autochtones, sans égard particulier aux enjeux historiques et culturelles. Par surcroit, les enfants autochtones sont largement surreprésentés dans les services de protection de l’enfance (Blackstock, Trocmé & Bennett, 2004).
Ce projet de recherche mené par la communauté, tel que l’entend la chercheure Maori Linda Tuhiwai Smith (2012), visait trois objectifs : 1) entendre la voix des parents autochtones ayant des enfants pris en charge vivant à Fredericton et à Halifax, afin de comprendre leur expérience, leurs défis et leurs besoins; 2) identifier des moyens pour réduire le nombre d'enfants autochtones placés en famille d’accueil et pour aider les parents à prendre soin de leurs propres enfants; 3) promouvoir le bien-être des familles autochtones vivant dans les villes du Canada atlantique, notamment Fredericton et Halifax.
Cette recherche porte autant sur les résultats que sur la méthodologie. Les données nécessaires à ce projet ont été recueillies au moyen d'entretiens de groupe non structurés et semi-structurés, qui ont pris la forme de « cercles d’échange ». Ces derniers ont été animés par une ainée autochtone de manière à assurer le respect des pratiques culturelles et la création d’espaces sûrs pour permettre aux participants d’échanger leurs points de vue et de raconter leur vie sans peur ni jugement. La présence d’une aînée visait aussi à assurer le soutien nécessaire dans un contexte pouvant faire ressurgir des expériences et souvenirs troublants du passé alors que certains renouaient avec leur identité autochtone (Mckenzie et Morrissette, 2002). Un groupe de participants a été réuni dans chaque ville, soit huit à Halifax et six à Fredericton. Ces groupes ont participé à une série de quatre ou cinq cercles d’échange d’une durée d’environ deux heures. Les transcriptions de ces rencontres ont été analysées selon la méthode d’analyse de contenu thématique (Quivy et Van Campenhoudt, 2006).
Les résultats ont, entre autres, mis en lumière l’importance d’intervenir en soutenant les familles, en se préoccupant de la voix des enfants, et en impliquant des intervenants ou des sages autochtones. Ils ont aussi illustré la nécessité de transformer le système dans une perspective de décolonisation des pratiques. De plus, les résultats soulèvent des enjeux quant à la relation des travailleuses sociales avec les familles, à l’importance pour ces interveantes de développer des pratiques ancrées dans la culture autochtone, et à la nécessité d’assurer aux travailleuses sociales l’accès à des ressources pour soutenir les familles afin de réellement contribuer à leur mieux-être.

Bibliographie

Blackstock, C., Trocmé, N., and Marlyn Bennett. 2004. “Child Maltreatment Investigations Among Aboriginal and Non-Aboriginal Families in Canada.” Violence Against Women, 10(8): 1-16.
Mckenzie, B. and Morrissette, V. (2002). “Social Work Practice with Canadians of Aboriginal Background: Guidelines for Respectful Social Work.” Pp. 251-279. In Multicultural Social Work in Canada: Working with Diverse Ethno-Racial Communities, edited by J.R. Graham and A. Al-Krenawi. Oxford: Oxford University Press.
Quivy, R. et Van Campenhoudt, L. (2006). Manuel de recherche en sciences sociales. Paris : Dunod (3e éd).
Statistique Canada (2011). En ligne : https://www12.statcan.gc.ca/nhs-enm/2011/ref/dict/pop150-fra.cfm
Statistique Canada (2016). En ligne : https://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2016/dp-pd/prof/index.cfm?Lang=F
Smith, L.T. (2012). Decolonizing Methodologies: Research and Indigenous Peoples. London: Zed Books (2e ed).

Présentation des auteurs

Hélène Albert est professeure à l’École de travail social de l’Université de Moncton. Elle a dirigé une recherche portant sur les travailleuses de soin à domicile, est responsable d’un projet de recherche portant sur l’expérience des services de protection de l’enfance de familles autochtones vivant en milieu urbain et participe à un projet de recherche sur le rétablissement en santé mentale. Outre son travail sur les questions qui touchent les femmes, elle s’intéresse aussi à l’éthique, tant en travail social qu’en contexte interdisciplinaire.

Communication complète

Ce texte a comme objectif de présenter les résultats d’une recherche portant sur l’expérience des familles autochtones vivant en milieu urbain qui ont eu à transiger avec les services de protection de l’enfance. Au Canada, les Autochtones ont historiquement été contraints, en raison de la Loi sur les Indiens, de demeurer dans des réserves qui sont essentiellement des régions géographiques qui regroupent des communautés des Premières nations (Statistique Canada, 2011). Or, les Autochtones au Canada vivent de plus en plus hors réserve, et davantage en milieu urbain. En fait, alors que plus de la moitié des personnes autochtones vivent en milieu urbain dans l’ensemble du pays, selon les chiffres de 2016, il s’agit de six Autochtones sur sept, soit 84,5% dans les provinces Atlantique (Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse, Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve et Labrador) (Statistique Canada, 2016). Dans la plupart des communautés autochtones, communément nommées « réserves », les services de protection de l’enfance sont gérés par les communautés elles-mêmes, par et pour les leurs. Cependant, en contexte urbain, les services de protection de l’enfance sont déployés de manière uniforme aux non-Autochtones et aux Autochtones, sans égard particulier aux enjeux historiques et culturels. Par surcroit, les enfants autochtones sont largement surreprésentés dans les services de protection de l’enfance (Blackstock, Trocmé & Bennett, 2004).

Selon les écrits, les enfants autochtones dans les services de protection de l’enfance ne présentent pas plus de défis au niveau cognitif, comportemental et émotionnel que les enfants non-autochtones (Blackstock, Trocmé & Bennett, 2004 :14). En fait, le placement de ces enfants est souvent lié à des situations de négligence causées par divers facteurs tels que la pauvreté, de mauvaises conditions de logements, la violence domestique, la toxicomanie et d’autres inégalités d’ordre structurel résultant du colonialisme et de politiques gouvernementales assimilationnistes (Blackstock, Trocmé & Bennett, 2004 ; Royal Commission on Aboriginal Peoples, 1996 ; Sinha et coll., 2011 ; Trocmé, Knoke & Blackstock, 2004). La surreprésentation de cette population n’est pas sans conséquence. En effet, selon les écrits, les enfants autochtones sont six fois plus à risque que les autres enfants d’être retirés de leur foyer et placés en famille d’accueil, quatre à cinq fois plus susceptibles d’être inculpés en tant que jeunes délinquants et plus à risque de souffrir de problèmes de santé chroniques, de vivre dans des foyers en mauvaise condition et d’être soumis à la violence domestique, entre autres (Richard, 2010 ; Paul, 2006). Les écrits soulignent aussi le manque important de services adaptés aux cultures autochtones (Davies et coll., 2007).

Ce projet de recherche mené par la communauté, tel que l’entend la chercheure Maori Linda Tuhiwai Smith (2012), visait trois objectifs : 1) entendre la voix des parents autochtones ayant des enfants pris en charge vivant à Fredericton et à Halifax, afin de comprendre leur expérience, leurs défis et leurs besoins; 2) identifier des moyens pour réduire le nombre d'enfants autochtones placés en famille d’accueil et pour aider les parents à prendre soin de leurs propres enfants; 3) promouvoir le bien-être des familles autochtones vivant dans les villes du Canada atlantique, notamment Fredericton et Halifax.

Cette recherche porte autant sur les résultats que sur la méthodologie. Les données nécessaires à ce projet ont été recueillies au moyen d'entretiens de groupe non structurés et semi-structurés, qui ont pris la forme de « cercles d’échange ». Ces derniers ont été animés par une ainée autochtone de manière à assurer le respect des pratiques culturelles et la création d’espaces sûrs pour permettre aux participants d’échanger leurs points de vue et de raconter leur vie sans peur ni jugement. La présence d’une aînée visait aussi à assurer le soutien nécessaire dans un contexte pouvant faire ressurgir des expériences et souvenirs troublants du passé alors que certains renouaient avec leur identité autochtone (Mckenzie & Morrissette, 2002). Un groupe de participants a été réuni dans chaque ville, soit huit à Halifax et six à Fredericton. Ces groupes ont participé à une série de quatre ou cinq cercles d’échange d’une durée d’environ deux heures. Les transcriptions de ces rencontres ont été analysées selon la méthode d’analyse de contenu thématique (Quivy & Van Campenhoudt, 2006).

Les résultats ont, entre autres, mis en lumière l’importance d’intervenir en soutenant les familles, en se préoccupant de la voix des enfants, et en impliquant des intervenants ou des sages autochtones. L’expérience en lien avec les services de protection de l’enfance se vit d’abord au sein des familles concernées. En fait, cette expérience s’accompagne d’un souhait des familles d’être davantage incluses dans les interventions et que ces interventions soient mieux adaptées à leurs réalités. Amber exprime l’impact qu’aurait pu avoir une intervention auprès de sa famille : « Parfois, ils interviennent lorsqu’ils ne devraient pas et d’autres fois ils devraient intervenir et ils ne le font pas. […] Quand je pense à ce qui aurait pu être un avantage pour ma famille, ce serait que quelqu’un serait intervenu. Pas pour retirer les enfants, mais pour aider ma famille. » Les parents ont besoin de soutien de la part des intervenants afin de les aider à mieux prendre soin de leurs enfants. Selon les participantes, les interventions devraient davantage impliquer les communautés autochtones dans les consultations qui les concernent et dans la transformation du système. Il y a d’ailleurs une nécessité d’agir pour changer le système et non les personnes, comme en témoigne Amber : « C’est le système qui est brisé. Pas les personnes. Nous devons arrêter d’essayer de réparer les personnes et commencer à réparer le système ».

Quelques pistes de solutions ont été proposées en ce qui a trait aux familles d’accueil, à la transition progressive pour les jeunes qui sortent du système, aux foyers de groupe et à l’embauche d’un défenseur des droits. Les solutions proposées cherchent à venir en aide aux familles et aux jeunes qui vivent dans le système de protection de l’enfance. Gina exprime cette réalité : « Si les systèmes sont en place pour aider les personnes, ils devraient donc vraiment aider les personnes. Les enfants qui ont grandi dans ce système ont été mâchés et recrachés. Ils ont nulle part où aller. Je ne pense tout simplement pas que c’est sécuritaire de retirer un enfant de sa famille. Et là, quand ils atteignent un certain âge, il n’y a rien en place pour eux et personne ne fait de suivi avec eux après ».

De plus, la perception des familles face aux travailleurs sociaux est un autre volet important souligné par les participantes. Certaines expériences positives avec les travailleurs sociaux ont été partagées, et les participants reconnaissent les défis systémiques auxquels les intervenants sont confrontés. Isabelle exprime comment une bonne relation peut améliorer les interventions : « L’intervenante peut faire toute la différence. J’ai eu une expérience positive avec une travailleuse sociale qui a pris le temps d’apprendre à me connaître. Nous avons pu nous asseoir et passer du temps ensemble. […] J’ai eu une expérience où un voisin avait appelé la police. Les policiers sont venus chez moi et ont appelé ma travailleuse. Ils pensaient que j’étais ivre ou sur des drogues, car j’étais très calme. Quand elle est arrivée, elle a dit, c’est Isabelle et c’est tout simplement comme ça qu’elle est ». Les travailleurs sociaux doivent également s’intéresser à la culture autochtone afin d’arriver à mieux comprendre et intervenir auprès de cette population et développer des pratiques respectueuses des cultures autochtones.

Au-delà des interventions, les participants disent avoir besoin de plus de flexibilité et davantage de soutien de la part des travailleurs sociaux ainsi qu’un système qui appuie les travailleurs sociaux dans leur travail avec les familles. Roberta exprime ce besoin : « Les travailleurs sociaux ne deviennent pas des travailleurs sociaux parce qu’ils veulent retirer des enfants de leur famille. Ce qui se passe est qu’ils deviennent pris dans ce système. Nous avons donc besoin de soutien pour les travailleurs sociaux. Nous voulons vraiment nous assurer que les travailleurs sociaux aient accès aux ressources nécessaires pour pouvoir faire leur travail ».

À travers les histoires de vie des différents participants, il est indéniable que de nombreux éléments du système sont brisés et qu’ils affectent la capacité des parents à exercer leur rôle de parents. Et pourtant, les participants ont également mentionné que rien n’est irréparable. Ainsi, les rencontres avec ces groupes ont mis en lumière la nécessité de la mise en place d’une approche holistique, et l’importance de revoir les politiques en matière d’éducation, de participation économique, de santé, de logement, de justice et de culture de manière à transformer le système dans une perspective de décolonisation des pratiques. Il est également d’une grande importance d’offrir une formation interculturelle aux travailleurs sociaux et à tout autre intervenant qui travaillent avec les enfants et les familles autochtones, particulièrement dans les services de protection de l’enfance. En fait, l’intention qui sous-tend cette reche¬rche est de partager les enseignements tirés des récits des participants afin de contribuer aux changements systémiques au sein des services de protection de l’enfance.

Résumé en Anglais


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