La reconnaissance des Savoirs Expérientiels dans la formation de pairs aidants. Analyse d’une action de formation au sein de l’IRTS Montrouge-Neuilly sur Marne, visant la participation des personnes concernées.
Inscrit dans le cadre d’un appel à projet de la DIHAL (Délégation Interministérielle à l’Hébergement l’Accueil et l’Insertion), ce projet repose sur la mise en œuvre de postes de pairs aidants dans les établissements de la Fondation Armée du Salut, à laquelle est attachée une expérimentation d’un an. L’objet est d’évaluer l’apport en termes de « valeur ajoutée » des travailleurs pairs dans l’intervention sociale, en s’appuyant sur des expériences similaires (ATD Quart-Monde, Les Enfants du Canal, Emmaüs) ayant confirmé la nécessité de travailler avec des pairs aidants dans l’accompagnement des personnes en situation de précarité. Pour rappel, l’action de formation se déroule d’octobre 2016 à juin 2017 et consiste à soutenir l’embauche de travailleurs pairs sur des postes relevant de l’intervention sociale, en appui auprès des équipes de travailleurs sociaux et en accompagnement et soutien auprès des publics concernés. L’objectif général de la formation est de qualifier des travailleurs pairs afin que ces derniers puissent maîtriser l’environnement institutionnel et notamment les dispositifs du secteur AHI dans lesquels ils vont agir, intervenir en soutien auprès des équipes de travailleurs sociaux, intégrer progressivement ces équipes sociale, procéder à l’accompagnement des publics et établir des liens entre les équipes et les publics concernés.
Huit travailleurs pairs ont participé à la formation. six travaillent à Paris, deux à Belfort. Ils ont tous entre 25 et 50 ans, trois ont un niveau d’étude supérieure (Licence, audio-visuel, langue, commerce), cinq un niveau technique et professionnel (BTS, BEPC, CAP, bâtiment, hôtellerie, mécanique, animation socio-culturelle), tous ont une expérience professionnelle variable dans le temps. Tous sont d’anciens bénéficiaires de l’Armée du Salut, (ou y sont actuellement hébergés pour certains) et à ce titre ont bénéficié d’un hébergement et d’un accompagnement socio-éducatif. Ils sont aujourd’hui travailleurs pairs sous forme d’un contrat aidé d’un an et renouvelable avec financement public en partenariat avec le DIHAL. Cinq modules ont composé l’ensemble de la formation pour un total de 126 heures.
En quoi cette formation est-elle innovante ?
Cette formation se veut innovante dans la mesure ou notre choix pédagogique vise d’une part à démontrer l’intérêt d’une approche socio-constructiviste et repose d’autre part sur l’hypothèse selon laquelle la mobilisation des savoirs expérientiels issus des contextes et situations liés aux processus d’exclusion des travailleurs pairs, deviennent des enjeux essentiels d’un environnement pensé sous l’angle de la co-formation aux côtés des professionnels de terrain et des formateurs. Ces modalités prennent notamment appui et remettent en question l’usage de la proximité et d’accompagnement envers les publics de l’action sociale.
Trois objectifs ont priorisé l’action de formation :
Qualifier les Pairs Aidants afin que ces derniers puissent maîtriser l’environnement institutionnel et notamment les dispositifs du secteur AHI dans lesquels ils vont agir
Intervenir en soutien auprès des publics, en complément et relais des équipes de travailleurs sociaux, procéder à l’accompagnement des publics et établir des liens entre les équipes et les publics concernés
Mobiliser leurs savoirs expérientiels liés aux processus d’exclusion, contribuant aux modalités d’intervention socio-éducatifs auprès des personnes accueillies
Un modèle de référence : le modèle socio-constructiviste comme moyen d’émergence et de reconnaissance des savoirs expérientiels des travailleurs pairs
Comment définir une approche socio-constructiviste de la formation, associant pairs et non pairs ?
La diffusion élargie de la notion de co-construction dans la littérature académique et non académique ainsi que dans différents champs, ne facilite pas sa définition. Néanmoins, la comparaison de plusieurs d'entre d'elles montre que quel que soit le champ « la co-construction est pensée comme un processus impliquant des acteurs dont les réflexions et les points de vue n'étaient auparavant pas ou peu pris en compte. Et apparaît comme la résultante d'un ensemble de délibérations entre les acteurs parties prenantes, créateur d'une dynamique rendant possible l'émergence d'un accord ». Dans ce sens, Michel Foudriat définit la co-construction comme « un processus volontaire et formalisé par lequel deux ou plusieurs acteurs, malgré des points de vue divergents, parviennent à s'accorder sur une définition de la réalité (une représentation, une décision, un projet, un diagnostic) ou une façon de faire (une solution à un problème). La visée de ce processus est de définir, d'élaborer, de construire un diagnostic, une analyse, un projet, un changement, une politique, une méthode...L'accord traduit un compromis sur lequel ces acteurs s'entendent et se reconnaissent. »
La co-construction est un processus qui suppose la participation d'acteurs différents. Toutefois, il ne doit pas avoir de confusion entre participation et co-construction. En effet, il n'y a pas de co-construction sans participation, mais à l'inverse toute participation ne suppose pas qu'il y ait co-construction. La participation renvoie à des pratiques distinctes quant au degré d'implication et d'inclusion des acteurs dans les processus délibératifs. La co-construction permet l'émergence, le développement et l'implantation de nouvelles idées à partir d'échanges, de confrontations et de transactions entre des acteurs d'un même système d'action. Ainsi, une innovation naît dans un contexte caractérisé par une pluralité de points de vue et de cadres de référence. Les interactions font émerger des controverses qui introduisent des mises en question de la logique dominante avec laquelle chacun pense la réalité et le fonctionnement organisationnel.
Dans le processus de co-construction (projet, changement, méthode...), les communications y tiennent une place essentielle. La dimension dialogique est recherchée par l'intermédiaire « d'un dispositif socio-technique qui sera défini a priori en tenant compte à la fois d'un certain nombre d'effets visés et des contraintes. » Le dispositif est un outil pour « faciliter le travail de mise en commun des différents points de vue sur l'objet en question et développer le travail de création d'une définition partagée, acceptable et acceptée. Ce travail ne peut évacuer les logiques des acteurs et les rapports de pouvoir inhérents au processus et impliquant l'ensemble des acteurs parties prenantes. » (Foudriat, 2016, p. 31). Au cours des délibérations, chaque acteur a pu faire l'expérience de réaménagements de ses propres arguments, ce qui l'amène à un raisonnement différent. Ainsi, la co-construction vise une sorte de contractualisation entre parties prenantes.
Enseignements du dispositif de co-formation des travailleurs pairs :
Pour la méthodologie de l’observation liée à la formation des travailleurs pairs, nous nous sommes inspirés des travaux de Ruth Kohn et Pierre Negre . Selon ce postulat, l’observation participante est une approche qui implique tout à la fois le groupe restreint mais aussi le formateur ou l’animateur de la session, sur les conditions d’apprentissage et de dynamique de groupe, dans une visée réflexive et d’appropriation. Nous avons donc pris plusieurs « casquettes » ou « postures » tout au long de la formation des pairs et des interactions avec les formateurs. En plus de l’observation participante, pour rappel, nous exploitons un matériau constitué de 7 entretiens longs, compréhensifs, conduits auprès de pairs aidants qui ont fait la formation. Les questions suivantes nous servent donc de fil rouge pour mener l’analyse des données recueillies :
Quelle est la valeur particulière et la spécificité d’un savoir expérientiel détenu par un pair aidant, mis à profit dans la formation et dans le secteur de l’exclusion sociale auprès des publics ?
Qu’est-ce qu’il y a de spécifique chez le pair aidant ? Qu’apporte t-il réellement en terme de compétence ? En quoi son intervention se distingue-t-elle d’un travailleur social diplômé ?
Dans la formation, comment les travailleurs pairs distinguent-ils ce qui relève de leur expertise (savoirs expérientiels) et ce qui relève des savoirs d’action des professionnels travailleurs sociaux ?
Apport du savoir expérientiel des travailleurs pairs à la formation :
Il nous semble pertinent de regrouper les cinq modules de formation (présentés en note de bas de page 8), ainsi que les missions professionnelles des travailleurs pairs (Accompagnement du public dans la vie quotidienne ; Accompagnement dans les démarches ; Médiations avec l’environnement ; Restauration des relations sociales) autour de trois grands axes permettant de cerner l’apport des savoirs expérientiels des pairs mobilisés dans la formation et en lien avec leurs missions professionnelles. Ces trois grands axes peuvent être dénommés ainsi :
• Le savoir expérientiel en lien avec l’environnement institutionnel et les politiques publiques de lutte contre l’exclusion et la pauvreté
• Le savoir expérientiel comme source du travail du Care auprès des personnes vulnérables
• Le savoir expérientiel associé au rétablissement et à la restauration des relations sociales
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