La protection d’un mineur victime de maltraitance domestique semble parfois se confondre avec son placement. Dès lors, une prise en charge spécialisée des mineurs placés dans des centres internes s’avère fondamentale ciblant non seulement leur protection mais aussi leur réadaptation et leur réinsertion familiale et socio-professionnelle.
Il existe au Liban un nombre réduit de centres spécialisés et une lourdeur au niveau des institutions non spécialisées pour la protection des mineurs. La prise en charge des cas de maltraitance au Liban demeure fragilisée par l’absence de critères d’évaluation du degré de dangerosité de la maltraitance et le manque de modalités claires et spécialisées de prise en charge.
Une recherche qualitative a été menée dans le cadre des études de Master en Travail social. Elle vise à explorer la prise en charge de réadaptation menée dans le cadre des institutions en interne selon la représentation sociale des mineurs victimes de maltraitance domestique et des intervenants auprès d’eux.
Le cadre d’analyse construit repose sur l’importance d’avoir une compréhension complémentaire de la représentation sociale de ces deux acteurs principaux de la prise en charge. Bruyat (1993, cité dans Bornard et Thévenard-Puthod, 2009) élabore une approche économique conceptuelle des représentations du cédant et du repreuneur externe concernant leur projet de transmission-reprise d’une entreprise. Cette approche a été adaptée pour montrer les représentations du mineur et du centre de réadaptation. Ces derniers agissent, décident et forment des projets selon la représentation qu’ils ont de leurs aspirations, leurs ressources et compétences et les possibilités de leur environnement. Chacun d’eux peut concrétiser son projet quand une zone de cohérence apparaît au sein de leurs représentations trois matrices. Puis une nouvelle zone de congruence doit être trouvée entre les représentations des deux acteurs pour que le projet de la prise en charge puisse aboutir. Les matrices de chaque répondant seront étudiées à la lumière des cinq étapes de la prise en charge de réadaptation, essentielle dans l’intervention de protection des mineurs victimes de maltraitance.
1. La préparation au placement et l’élaboration des objectifs de protection est une étape importante et sécurisante pour les mineurs, la compréhension des motifs de leur placement ayant une incidence sur l’échec ou la réussite du placement (Steinhauer, 1991 ; cité dans Byrne et Lemay, 2005). Selon une approche systémique, que le placement soit fait par mesures judiciaires ou non judiciaires, il doit prendre forme autour des objectifs de protection afin d’identifier le but commun vers lequel l'effort sera mis (Wulczyn et al., 2010).
2. L'évaluation des besoins du mineur vise à avoir un portrait large de ce dernier tant au plan de ses aspirations, de ses forces, de ses habiletés et de ses ressources, qu'au plan de ses difficultés particulières et de ses besoins pour planifier au mieux les services à lui offrir (Bisson et al, 2006). Il s’agit aussi de prendre connaissance des différentes possibilités de l’environnement du mineur, notamment l’environnement familial en termes de ses compétences.
3. La planification de l’intervention est établie par le centre. Le plan est guidé par les aspirations ou la mission du centre et par les résultats de l’évaluation du cas particulier du mineur. Ce plan se fait par l’intermédiaire des compétences personnelles, relationnelles et professionnelles des intervenants (Bisson et al., 2006). Il tient compte des possibilités de l’environnement institutionnel basées sur les deux stratégies de la prise en charge de réadaptation : le soutien au développement des compétences et habiletés chez l'usager et le développement des ressources environnementales (Anthony et Liberman, 1992 ; cité dans Bisson et al., 2006) . De plus, les centres devraient proposer une palette variée d’interventions thérapeutiques pour remédier au traumatisme de la maltraitance. Des interventions auprès des parents et des personnes qui ont la charge du mineur sont aussi à planifier.
4. L'intervention qui implique le mineur et le centre représente le reflet des zones de cohérence entre les deux phases d’évaluation et de planification. Elle est composée du vécu quotidien du mineur dans le centre avec ses multiples opportunités d’actions, d’apprentissage et de développement ainsi que ses difficultés et problèmes reliés au contexte du placement. L'évolution du mineur durant son placement et les changements dans sa vie amènent à réévaluer constamment l’intervention pour voir si le plan initial correspond toujours aux besoins et désirs du mineur et à l'ajuster au besoin (Bisson et al. 2006).
5. Les résultats de la prise en charge à la fin du placement devraient être la sécurité et le développement du mineur. Le mineur peut s’appuyer sur un cadre institutionnel cohérent qui constitue la base essentielle au développement d’un sentiment de sécurité interne chez lui (Zeanah, Smyke, Dumitrescu, 2002). Cest alors qu’il sera amené à reprendre le cours normal de son développement (April, Englebert, Gauthier, 2015). Ces deux conditions assurent sa réadaptation et l’aident à passer vers une nouvelle étape de sa vie en dehors du placement, dans une perspective de réinsertion socio-professionnelle.
Pour ce faire, des entrevues semi-structurées ont été menées sur une base volontaire, dans le respect des considérations éthiques et avec le consentement des parents, auprès de neuf mineurs âgés entre treize et dix-sept ans et auprès de neuf intervenants dans trois centres internes de réadaptation au Liban. Le consentement signé et le guide de l’entrevue étaient les mêmes pour les deux répondants pour garantir l’aboutissement vers une représentation sociale complémentaire. Les entrevues ont fait l’objet d’une analyse de contenu thématique.
Les résultats de cette recherche montrent que les mineurs sont capables de s’exprimer sur des sujets qui les concernent, notamment la prise en charge de réadaptation dont ils bénéficient. Ils seront présentés selon les étapes de la prise en charge.
La préparation au placement semble être une phase manquée. Le mineur, le premier concerné par sa propre sécurité, est le plus écarté de la décision du placement. Les mineurs perçoivent cette phase comme informative du règlement du centre et leur consentement au placement n’est pris en compte que pour s’assurer qu’ils sont prêts à le respecter, et non pas pour écouter leurs besoins et inquiétudes, évaluer leur demande et leur engagement à travailler pour l’évolution de leur situation. Les intervenants parlent aussi du traumatisme vécu lors d’un placement en situation d’urgence où le manque de préparation dans ces cas est perçu comme une forme de souffrance infligée au mineur.
L’évaluation de la situation du mineur se fait en fonction des critères du centre et non pas en fonction de ses propres besoins. Ses aspirations en termes de but sont quasi-absentes du discours des intervenants qui reconnaissent plutôt les difficultés des mineurs. Leurs compétences sont découvertes en cours de placement et les possibilités de l’environnement familial sont perçues à la lumière du danger ou du risque de maltraitance probable. Le mineur est soit absent de la démarche d’évaluation et donc c’est les parents qui font la demande, soit il est bien présent et devra passer par plusieurs professionnels qu’il ne connaît pas pour raconter son histoire pénible à maintes reprises.
La planification de l’intervention semble être mélangée avec la phase de l’intervention. Elle se fait après l’admission du mineur au centre. Avant le placement, les objectifs à atteindre ne sont pas encore clairs et la durée du placement imprévue. Les perspectives de réinsertion du mineur dans sa famille d’origine ne sont pas discutées aussi. Les suivis prévus et nécessaires pour le cas du mineur ne sont pas planifiés, ils sont décidés sur-le-champ, après l’accueil du mineur au centre. Seuls sont planifiés, lorsqu’applicable, les retours à la maison en weekend.
L’intervention semble être fragilisée où les mineurs expérimentent un esseulement renforcé par la mise à l’écart du système familial dans la prise en charge. Dans les cas de placement par mesures judiciaires, le mineur est indirectement impliqué dans la prise de décision en divulguant la maltraitance. Pour lui, le rôle du placement serait de l’aider à renforcer ses propres ressources et à consolider les formes d’autonomie qu’il a déjà construites avant le placement. Pour d’autres mineurs où un lien familial peut encore être sauvé, le travail avec la famille est absent ou limité avec la mère comme premier/ seul répondant. Ainsi, les compétences/ incompétences parentales sont moins perçues par les intervenants qui nomment plutôt des caractéristiques statiques et incontournables des familles. Le centre est perçu comme une maison où se rejoue la dynamique familiale et où se retrouve la réponse aux besoins primaires et affectifs du mineur. Celui-ci bénéficie des services offerts au centre tels qu’une assistance matérielle, des soins de santé, un suivi psychologique, un suivi social et familial, un suivi éducatif, une scolarisation ou une formation technique, des programmes de prévention et de développement personnel, des arts-thérapies et thérapies de groupes, des activités récréatives et des sorties. Cependant, les préférences du mineur et ses besoins ne comptent pas dans le choix des stratégies thérapeutiques et de réadaptation adoptées. Ainsi, le mineur rencontre maints intervenants sans toutefois qu’il n’y ait un référent pour lui à son écoute et qui puisse suivre son projet individuel.
Les résultats de la prise en charge amènent à une réadaptation momentanée mais la réinsertion du mineur est souvent non atteinte. Les mineurs attendent avec impatience la fin du placement mais ce désir est souvent accompagné d’angoisse quant à leur capacité à s’adapter à la société, à revivre en famille ou à mener une vie autonome et digne. Les intervenants ont aussi des doutes quant aux résultats de l’intervention où certains mineurs réintégrant leur milieu de vie initial rechutent et peut-être s’orientent vers la délinquance. Les deux types de répondants évoquent aussi les possibilités limitées des mineurs par rapport à leur niveau académique et leur projet professionnel. Les mineurs changent de milieu de vie, et doivent ensuite se déplacer vers un deuxième centre et parfois un troisième et un quatrième sans tenir compte de l’influence d’un placement sur l’autre. Les mineurs changent donc d’amis, d’enseignants et aussi d’intervenants. Cette instabilité rend la préfiguration d’un projet de vie difficile. Ainsi, les ressources environnementales fragiles et leur faible niveau académique risque d’affaiblir leur insertion socio-professionnelle. Pour d’autres mineurs, la sortie semble ne jamais arriver. Le placement « temporaire » se prolonge en allant de centre en centre ou en restant dans le même centre pour une durée indéterminée et qui dépend de l’endurance du mineur. Ceci se justifie par la confusion autour de l’objectif du placement qui semble virer vers le soutien à la mère ou l’autonomie complète du mineur. De plus, plusieurs mineurs sont placés pour prévenir une situation de maltraitance jugée probable dans un tel contexte, ou pour d’autres raisons familiales. L’intervention se perd alors dans les problèmes multiples et les intervenants se trouvent surmenés sans pour autant remarquer une évolution dans la situation de maltraitance qui a abouti au placement.
Enfin, la prise en charge des mineurs placés dans les centres internes de réadaptation semble s’inscrire au cœur du concept du « vivre-ensemble ». Elle développe chez certains des habiletés leur permettant de continuer leur vie dans une société plus large. Hélas, pour d’autres, le passage du centre interne vers le monde extérieur reste difficile les empêchant de vivre une vie sereine dans leur entourage.
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