Colloque AIFRIS Beyrouth 2019
"Sociétés plurielles, Travail social et Vivre ensemble"
L’accueil des Mineurs Non Accompagnés : pratiques institutionnelles et postures professionnelles en protection de l’enfance traversées par la dimension culturelle du risque
Chantal MAZAEFF
Docteure en sociologie
Directrice générale Ecole Supérieure de Praxis Sociale
c.mazaeff@praxis.alsace
Introduction
La problématique de l’accueil des Mineurs non accompagnés (MNA) fait dorénavant partie des questionnements des institutions (Ministère de la justice, Conseils départementaux et associations) qui assument l’accueil (ou le non accueil) de ce public et bien évidemment, des professionnels et étudiants en travail social. En effet, après des années d’invisibilité, reléguant les mineurs à la rue, sans réaction notamment des services de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), la promulgation de la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant encadre juridiquement l’accueil et la répartition des MNA, tout en précisant les missions des collectivités territoriales, comme aide à la décision du Ministère de la justice pour l’évaluation et la répartition des mineurs sur le territoire.
Certaines collectivités départementales se sont pleinement saisies de la condition des mineurs tandis que d’autres refusent de faire face à leurs obligations, ces variables nous renvoient alors aux choix politiques des départements, en tant que chef de file du dispositif de protection de l’enfance. Si le cœur du dispositif est centré sur l’évaluation du danger que pourrait vivre le mineur, nous nous intéresserons pour cette communication aux modalités et pratiques de prise en charge des mineurs, que nous évoquions là les professionnels ou les institutions, nous renvoyant à notre préoccupation de mettre en évidence « l’agir professionnel engagé » .
Pour autant, évoquer l’évaluation du danger dans l’accueil des mineurs renvoie à l’existence d’un potentiel danger, voire au risque d’être en danger, à la dimension du péril par rapport à des faits qui pourraient se dérouler compromettant la santé ou la sécurité du mineur. Pour aller au-delà, nous avons choisi de nous intéresser au risque pris comme une opportunité, un espace possible de créativité voire d’engagement professionnel, facteur de lien avec les jeunes mineurs en situation d’isolement.
Trois axes vont construire notre propos, nous présenterons dans un premier temps les données du problème, à savoir le cadre juridique mais également les données quantitatives qui nous permettent de mesurer son ampleur.
Nous porterons notre regard dans la deuxième partie sur les jeunes, les dits MNA après avoir été MIE, Mineurs isolés étrangers. Que dire de ces jeunes qui arrivent sur le territoire national après avoir vécu, franchi, traversé un nombre incalculable d’obstacles, avoir pris des risques d’ordre vital parfois, des jeunes porteurs d’un potentiel lié à cette singulière expérience migratoire, mais également porteurs parfois de traumas qu’il parait nécessaire de ne pas omettre. Enfin, dernier axe de notre communication, nous interrogerons la notion de risque, à partir de la manière dont les milieux de pratique, à savoir les professionnels en travail social et les représentants des collectivités territoriales (Inspecteur et Directions des services d’Aide sociale à l’enfance) composent avec sa polysémie, le risque comme opportunité ou comme menace, des variables, positives ou négatives…Nous évoquerons également les bénévoles et/ou militants qui prennent risques et initiatives face à des situations parfois insupportables mais que nous supportons…
Il s’agit de mettre à jour les pratiques déployées pour, et le terme peut être pris dans sa déclinaison la plus courte, faire face aux arrivées massives des MNA au sein des services éducatifs, dans l’attente d’une écoute, d’une solution…comment entendre les histoires singulières de chacun, comment accepter que ces jeunes résident dans des hôtels, quel espace de responsabilité pour les professionnels, une somme de questions qui les traversent au quotidien…Nous avons également pu entendre évoquer les initiatives prises avec ces jeunes, hors des circuits classiques, les prises de risque qui permettent de répondre aux besoins des mineurs. Pour autant, ces postures dépendent du positionnement des décideurs, comment dépasser les limites du système, jusqu’où innover, sortir des schèmes de réponse classiques de manière à proposer les réponses les plus adaptées possibles aux besoins et urgences quotidiennes, nous faisant penser à une culture du risque partagée au sein de certains milieux de pratique…
Sachant qu’il ne faut pas omettre qu’à défaut, « en cherchant par tous les moyens à ne pas prendre en charge les MNA, l’ASE et l’Etat prennent une position risquée sur cette question. »
Nous nous appuierons sur des expériences menées par les services de l’ASE, par des associations ou des bénévoles, toutes situées dans le Haut-Rhin, proposant des réponses à ces jeunes que nous avons rencontré pour mieux appréhender cette question ou que nous côtoyons dans notre exercice professionnel .
1. Présentation du contexte français d’accueil des Mineurs Non Accompagnés
1.1 Les MNA, ou l’émergence d’une catégorie juridique
Comme évoqué en introduction, l’apparition de la catégorie « Mineur non accompagné » est récente. Une première remarque, si l’Europe a posé le terme de MNA en 2011 à la place de MIE, la France adopte cette appellation plus tardivement, en mars 2016, pour renforcer la dimension de protection liée au fait, pour un mineur, de ne pas être accompagné. Il faut noter que cette reconnaissance est lourde de conséquences pour les migrants, mineurs ou non, puisqu’elle est la seule qui permette, sans discussion, protection et intégration dans la société française. Jusqu’alors, la notion de MIE était envisagée dans la loi de protection de l’enfance du 5 mars 2007, en écho à la Convention internationale des droits de l’enfant : « Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciale de l’Etat. » ; une déclaration de principe plus qu’un engagement à agir.
Du point de vue organisationnel, ce n’est qu’à compter du 13 mai 2013 qu’une cellule dédiée à la problématique des mineurs isolés est installée auprès de la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse par le biais d’une circulaire. Trois objectifs sont posés, alors que les arrivées de mineurs isolés étrangers commencent à être importantes et confrontent les administrations à l’absence de réponse aux problématiques posées par les mineurs.
La préoccupation majeure est de limiter les disparités entre les départements ; de veiller au respect des droits des mineurs ; enfin, d’harmoniser les pratiques lors des mises à l’abri et de la réalisation des évaluations permettant d’attester de leur condition de minorité donnant accès aux dispositifs de protection de l’enfance.
La loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant va plus loin en donnant une base législative à la répartition des mineurs entre les différents conseils départementaux qui se voient imposer dorénavant une régulation mensuelle, via une clé de répartition nationale. Pour ne pas s’étendre sur le cadre légal, il nous faut juste préciser que deux étapes sont importantes lors de l’arrivée d’un jeune mineur auprès d’un service d’ASE.
Une évaluation doit être réalisée pour attester de la minorité du jeune et de son isolement, tout en envisageant si une mise à l’abri est nécessaire, les départements disposent de 5 jours a priori pour la réaliser. Par la suite, une Ordonnance de Placement Provisoire (OPP) peut être prononcée par le Procureur de la République qui saisit le Juge des enfants qui pourra alors confier le mineur aux services de l’ASE. Ces derniers l’orienteront dans des établissements adaptés (Maison d’Enfant à Caractère Social ou Foyer d’Action Educative) ou garderont ces jeunes temporairement sous leur responsabilité directe, en les hébergeant dans des hôtels comme nous pouvons le voir sur le Haut-Rhin. La dernière hypothèse est de voir le jeune bénéficier d’une mesure de tutelle, confiée là encore aux départements, et sortir alors des mesures de protection.
1.2 L’ampleur du phénomène des MNA
Quelques mots concernant les données quantitatives nationales avant de nous intéresser au contexte haut-rhinois. Nous assistons en effet à une augmentation radicale du nombre de jeunes reconnus comme MNA, puisque le nombre des mineurs accueillis a plus que triplé entre 2013 et 2017 . Ainsi, si en 2013, 2 444 mineurs ont été accueillis, ce sont 14 908 mineurs en 2017 qui l’ont été, sans compter évidemment les mineurs qui échappent aux dispositifs. Il faut souligner que les jeunes filles sont très minoritaires dans ces chiffres puisque la proportion des filles est de 4.1% en 2017. Cette invisibilité des jeunes filles pose question, sont-elles absentes du territoire, sont-elles victimes de traite sexuelle, d’exploitation à des fins domestiques dès leur arrivée en France, etc…Les différents travaux consultés ne nous permettent pas d’aller au-delà de ces hypothèses.
Du point de vue financier, il est évident que le flux massif de MNA a des impacts conséquents pour les départements et fait objet de tension avec l’Etat. En 2017 le coût total de l’accueil des MNA a représenté une charge de plus d’un milliard d’euros...Le territoire Haut-rhinois connait les mêmes phénomènes de massification de l’arrivée de ces jeunes, puisque si en 2016, 70 jeunes étaient accueillis, au 1er mars 2019 ils sont 335. D’un point de vue financier, la charge budgétaire a triplé entre 2015 entre 2018 (de 1.84 millions d’euros à plus de 5 millions). Les données recueillies dans le Haut-Rhin montrent que ce département frontalier accueille des jeunes en provenance majoritairement d’Afrique sub saharienne (Guinée, Mali et Côte d’Ivoire pour plus de 50%) ainsi que d’Afghanistan et d’Albanie.
Un de nos interlocuteur analyse ce phénomène non comme une crise mais bien plus comme une augmentation constante, une croissance « naturelle », face à laquelle les administrations cherchent, pour celles qui le souhaitent, des réponses adaptées aux spécificités de ce public. Par cette analyse, il souhaite mettre en avant le fait qu’il est nécessaire de penser l’arrivée des jeunes dans une visée positive et non sous le vocable de la crise…A l’appui de sa vision, une donnée qui conforte ses dires, 61% des MNA âgés de 16 à 21 ans sont en emploi ou en formation qualifiante, dont un important volume en apprentissage. Nous y reviendrons plus en avant.
2. Les Mineurs non accompagnés, une nouvelle forme de construction identitaire ?
Et si migrer quand on a douze ans, quinze ans répondait à un autre besoin que celui de fuir un endroit hostile…
Cinq profils se dessinent lorsque l’on évoque les MNA, à l’instar de la typologie qu’a dressée Angelina Etiemble en 2002 et 2013, qui fait référence malgré les évolutions très rapides auxquelles nous assistons dans ce domaine. Si l’origine des jeunes influe évidemment sur le profil, le fait de dessiner des parcours similaires au travers le monde est une preuve de plus de la globalisation qui nous caractérise aujourd’hui et dont cette jeunesse témoigne. Par ailleurs, nous pouvons également constater combien cette jeunesse qui a parfois énormément souffert, recèle des potentiels précieux pour les sociétés d’accueil, donnant à voir une image plus positive de la migration.
2.1 Essai de typologie
La typologie qu’A.Etiemble se décline au travers de six figures : les exilés, originaires de régions marquées par des conflits violents ; les mandatés, incités à quitter leur milieu, soutenus par leurs familles ou proches (engagés dès lors dans un endettement vis-à-vis de leurs parents) ; les exploités, victimes de filières de traite des êtres humains ; les fugueurs, qui
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