Fiche Documentaire n° 5592

Titre Vécu des familles d’enfants atteints de maladie neuromusculaire au Liban

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l'auteur principal

Auteur(s) NJEIM CARLA
MASSAAD abir
SAFI fadia
 
     
Thème  
Type Recherche : orientée vers la pratique, action, évaluative...  

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Résumé

Vécu des familles d’enfants atteints de maladie neuromusculaire au Liban

Introduction
L’Organisation Mondiale de la Santé déclare que « la jouissance du meilleur état de santé possible constitue l'un des droits fondamentaux de tout être humain sans distinction »1. Les prestataires des services de santé, les patients et les représentants des organisations sont tous d'accord que la personne atteinte d'une Maladie Neuromusculaire (MNM) est privée de ce droit et confronte des obstacles à l'atteinte des normes de santé les plus élevées possibles2.
Au Liban, le système sanitaire manque de stratégie pour accompagner le patient atteint de MNM et sa famille tout au long du parcours.
Objectifs
L’objectif de cette recherche est d’:
• Explorer le vécu des parents d’un enfant atteint de MNM et identifier l'impact sur la vie quotidienne,
• Etudier le niveau de stress chez les parents et les stratégies de « coping » adoptées par ces derniers.
Méthode
La démarche méthodologique, basée sur une méthode mixte, a été menée auprès de 23 familles d’enfants atteints de MNM (moyenne d’âge 11.3± 4.4 ans) dont le diagnostic a été confirmé depuis plus que 1 an. Le recrutement a été effectué à partir de Land, la seule organisation parentale qui dispose d’un registre pour les patients ayant une MNM au Liban. Un entretien semi-directif a été effectué auprès des parents (19 mères, 12 pères). Le Family Strain Questionnaire- short form (FSQ) 3 permettant d’évaluer le niveau de stress et le besoin en accompagnement psychologique, selon une échelle allant de 1 jusqu’à 30, a été également effectué pour tous les participants. Les stratégies de « coping » face au stress ont été évaluées grâce au COPE Inventory short form4 permettant de détecter 14 domaines de « copying » selon une échelle allant de 1 jusqu’à 4. FSQ et COPE inventory ont été traduits en langue Arabe selon les recommandations de l’organisation mondiale de la Santé (OMS 2003) 5.
Résultats et discussion
L’entretien semi-directif a montré un retard important dans la pose du diagnostic. Le manque d’éthique dans la façon dont les cliniciens ont communiqué le diagnostic, potentiellement dévastateur, a aggravé les impressions négatives des parents. L'impact psychosocial a été caractérisé selon dix domaines: 1) la lutte contre la mort; 2) faire des choix de traitement difficiles; 3) manque de prise en charge; 4) limitations d'activités sociales; 5) non intégration dans un cadre scolaire; 6) stigmatisation; 7) perte de sommeil; 8) niveau de stress élevé; 9) absence d’accompagnement; et 10) problème de finance.
FSQ a montré un score moyen de 20.8 ± 6 pour les pères et de 22.7 ± 4 pour les mères. 67% des pères ont montré un score > 21 indiquant la nécessité d’une prise en charge psychologique urgente contre 79% pour les mères. Pourtant 21% des mères rencontrées bénéficient d’une prise en charge psychologique seulement contre aucun père. Ces résultats montrent l’inégalité des soins psychologiques pour les parents.
COPE inventory a montré que les scores les plus élevés ont été notés pour les domaines suivants : recours à la religion (père : 3.8± 0.4 ; mère 3.8± 0.5), recadrage positif (père : 3.4± 0.8, mère : 3.5± 0.7), auto-distraction pour les pères (3.25± 1.2), coping actif pour les mères (3.4± 0.9). Le score le moins élevé était pour la consommation de substances psychoactives pour les deux parents.
Conclusion
Les résultats de cette étude suggèrent des niveaux élevés de fardeau pour les familles d’enfants atteints de MNM de point de vue financier et psychosocial. Un manque d’accès au soin, en lien avec la prise en charge psychologique des parents explique le haut pourcentage obtenu pour le recours à la religion comme une stratégie de compensation. Les résultats de cette étude ont permis à SESOBEL, institution travaillant avec des enfants ayant une MNM et Land de mettre en place un plan d’action pour promouvoir une prise en charge globale de l'enfant et de ses parents.

Bibliographie

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[2] Association Française contre les Myopathies [AFM]. (2015) «Les maladies neuromusculaires», 7ème édition. Disponible sur https://www.afm-telethon.fr/maladies-neuromusculaires-6676. Consulté le 28/04/2017

[3] Eurordis. (2013). «The voice of 12000 patients, Experiences and Expectations of Rare Disease Patients on Diagnosis and Care in Europe» p 131-134. Disponible sur: https://www.eurordis.org/publication/voice-12000-patients. Consulté le 15/ 04/2017.

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[8] World Health Organization [WHO]. (2013). «Process of translation and adaptation of instruments». Disponible sur: http://www.who.int/substance_abuse/research_tools/translation/en/index.html Consulté le 25/05/2017.

[9] Perrin JM et al. (2007). «The Increase of Childhood Chronic Conditions in the United States». JAMA Journals. Disponible sur : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/17595277. Consulté le 24/05/2017.

[10] Baiardini et al. (2011). «Quality of Life in Duchenne Muscular Dystrophy: Subjective Impact on Children and Parents». Journal of child neurology. Disponible sur: https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21482750. Consulté le 24/05/2017.

[11] Mah et al. (2012). «Parental Stress and Quality of Life in Children With Neuromuscular Disease». Pediatric Neurology Journal. Disponible sur: https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/18639753. Consulté le 20/05/2017
12- Yang et al, (2015). «The experiences of families living with the anticipatory loss of a school-age child with spinal muscular atrophy – the parents’perspectives». Journal of Clinical Nursing. Disponible sur https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/27477332. Consulté le 29/04/2017.

13- Carter et al, (2007). «Coping with complications». Canadian Journal of Gastroenterology. Disponible sur : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2657982/pdf/cjg21551.pdf. Consulté le 12/05/2017.

Présentation des auteurs

Carla Njeim
• Licence en Travail médico- social (2005), Master en Santé Publique (2015), DU en Ethique (2018).
• Responsable de l’accueil familial au SESOBEL, conseillère à l'Association Libanaise des Maladies Neuromusculaires., membre du conseil de l’unité de gestion des catastrophes à la Croix Rouge Libanaise.

Abir Massaad
• Physiothérapeute spécialisée en neuropédiatrie, Doctorat en biomécanique et imagerie médicale.
• Chef de l’unité de recherche et développement au SESOBEL
• Auteur de plusieurs études nationales dans le domaine du handicap.
• Conférencière aux congrès nationaux et internationaux.

Fadia Safi
• Assistante médico-sociale, Présidente et Directrice Générale de SESOBEL

Communication complète

INTRODUCTION



Les maladies neuromusculaires (MNM), rares et complexes, sont des maladies évolutives avec un enjeu vital1. Elles sont différentes dans leurs étiologies, leurs âges d'apparition, leurs degrés de sévérité et leurs conséquences. La prise en charge (PEC) thérapeutique cherche essentiellement à assurer une bonne qualité de vie à l’enfant et à sa famille. Il s’agit souvent d’un parcours ardu et difficle2.



L’OMS déclare que «la jouissance du meilleur état de santé possible constitue l'un des droits fondamentaux de tout être humain sans distinction»3. Les prestataires des services de santé, les patients et les représentants des organisations sont tous d'accord que la personne atteinte d'une MNM est privée de ce droit4.



Au Liban, le système sanitaire manque de stratégie pour accompagner le patient atteint de MNM et sa famille tout au long du parcours. Cette étude vise à explorer les émotions vécues par les parents d’un enfant atteint de MNM en identifiant l'impact sur la vie quotidienne et à évaluer le niveau de stress chez les parents et les stratégies de « coping » qu’ils adoptent.



METHODE



Dans cette étude, une méthode mixte a été adoptée. Les parents interrogés ont été recrutés par l’intermédiaire de « LAND », la seule association parentale au Liban regroupant des enfants atteints de MNM. Trente-sept familles ont été contactées dont 21 ont accepté de participer (19 mères, 12 pères). Les familles sélectionnées étaient uniquement des familles libanaises ayant un enfant de moins de 18 ans atteint de MNM diagnostiqué depuis un an ou plus.



Un entretien semi-structuré de face à face basé sur un guide a servi à explorer le vécu des parents. Les questions couvraient 6 domaines: l’annonce du diagnostic, le parcours médical, rééducatif et pédagogique, la vie journalière avec la maladie, la vie sociale, les émotions vécues ainsi que l’avenir. Les entretiens ont été enregistrés et transcrits textuellement. L’analyse a été effectuée par deux analystes conformément à la théorie fondée5.



Par ailleurs, le niveau de stress et le besoin d’accompagnement ont été évalués grâce au « Family Strain Questionnaire » (FSQ)6 composé de 30 questions fermées (type Oui/Non). Le score obtenu permet de mesurer le besoin des parents en suivi psychologique selon 4 niveaux: 1) le parent fait face à la situation; 2) le soutien psychologique est recommandé si le niveau de stress perçu augmente; 3) le suivi psychologique est fortement recommandé; 4) le suivi psychologique est urgemment recommandé.



Les stratégies de « coping » face au stress ont été évaluées grâce à COPE Inventory short form7 permettant d’identifier 14 stratégies d’adaptation adoptées par les parents. FSQ et COPE inventory ont été traduits en langue arabe selon les recommandations de l’OMS8. Un consentement éclairé fut signé par tous les participants.



RESULTATS

1- Population

Les enfants étaient au nombre de 23 (moyenne d’âge: 11.3 ± 4.4 ans). L’âge moyen pour la pose du diagnostic était de 4.08 ± 3 ans. Les diagnostics étaient comme suit: dystrophie musculaire de Duchenne (DMD) (N=14), amyotrophie spinale infantile (N=4), maladie de pompe (N=2), dystrophie musculaire de Limbd-gridle (N=2) et maladie de Dejerine Sottas (N=1).



2-Résultats de l’entretien



L’annonce du diagnostic

19% des familles ont considéré que les médecins n’ont pas pris leurs plaintes initiales au sérieux ce qui a retardé le diagnostic et a mené dans 24% des cas à des faux diagnostics. 19% des familles ont reçu le diagnostic par appel téléphonique ou par enveloppe, façon que les familles ont considérée inappropriée «J’ai reçu un appel téléphonique de la part du médecin me disant : désolé Mme mais votre fils est atteint de la DMD». Les parents durant cette étape, ne se sont pas sentis soutenus; 57% n’ont pas été informés et 38% ont reçu des messages qu’ils ont perçus négatifs de la part des médecins : «Sa maladie comme le cancer ne guérit pas».



Parcours médical, rééducatif et pédagogique



Les résultats de cette étude ont montré que les problèmes financiers et l’inaccessibilité aux soins par manque de ressources humaines, ont entravé la mise en œuvre du projet global de l’enfant dans 30% des familles. En outre, 43% des familles ont estimé que les soignants manquent de savoir et éprouvent souvent un regard négatif envers les capacités de l’enfant ce qui n’a pas permis aux parents d’établir avec ces derniers une relation de confiance: «Nous avions besoin de personnes positives et les thérapeutes étaient si négatifs que nous les fuyions».



Par rapport au suivi pédagogique, 43% des enfants ne sont pas intégrés dans les établissements scolaires: «Il a arrêté l’école car le professeur l’a frappé, il ne comprenait pas pourquoi il est lent», «Ton fils est malade et ça ne vaut pas la peine de l’intégrer à l’école».



La vie journalière avec la maladie



La fatigue liée aux longs séjours hospitaliers et le fait de s’occuper d’un enfant en situation de handicap a été relevée par 81% des familles et considérée comme étant le problème quotidien le plus important: «Je me sens trop fatiguée, tout mon temps est consacré à elle, je ne peux plus continuer».

En plus des responsabilités et des exigences en lien avec les soins médicaux et quotidiens, 57% des familles ont exprimé une incapacité à faire face à la souffrance émotionnelle de leurs enfants y compris les angoisses liées à la mort, la perte des capacités, le désir d’avoir des amis et la honte ressentie face aux déformations: «Il ne fait que calculer son âge et combien de temps il lui reste», «Il ne parle que de la mort car ses cousins sont décédés avant et moi j’en ai marre de la mort».



La vie sociale

Les parents ont éprouvé une isolation et une stigmatisation sociale car ils se trouvent incapables de s’engager dans des activités extérieures par manque d’équipement, d’accessibilité et à cause de l’état de santé de l’enfant: «J’étais pleine d’énergie, aujourd’hui ma vie s’est détruite». 52% des mères ont dû mettre fin à leur emploi, pour s’occuper de leur de l’enfant, ou parce qu’elles sont devenues incapables de supporter les charges émotionnelles.



Les émotions vécues

Les parents ont décrit plusieurs pertes, notamment la perte des joies habituelles éprouvée avec la naissance d'un nouveau-né et la perte d’une perception positive de l'avenir imaginé. La peur de l’évolution de la maladie, de la mort, de l’atteinte d’autres enfants est un sentiment ressenti à chaque instant «Je n’étais pas contente depuis sa petite enfance, dès qu’il a marché ses premiers pas je savais qu’il va être un jour sur fauteuil roulant», «Nous sommes toujours angoissés, si la machine tombe en panne nous ne pouvons pas le sauver». La culpabilité éprouvée d’avoir transmis la maladie a été fortement formulée.



L’avenir

L’avenir reste la grande source de souffrance et de désespoir chez les parents. Ils sont inquiets de la douleur et la souffrance que va sentir l’enfant. Ils ont également montré une peur de la mort et de son impact.



3-Impact psychologique sur les parents (FSQ)

Le FSQ a montré un score moyen de 20.8 ± 6 pour les pères et de 22.7 ± 4 pour les mères. 67% des pères ont montré un score > 21 indiquant la nécessité d’une PEC psychologique urgente contre 79% pour les mères.



4-Stratégies d’adaptation (COPE Inventory)

Le COPE inventory a montré que les scores les plus élevés ont été notés pour les domaines suivants: recours à la religion (père: 3.8± 0.4 ; mère: 3.8± 0.5), recadrage positif (père: 3.4± 0.8, mère: 3.5± 0.7), auto-distraction pour les pères (3.25± 1.2), coping actif pour les mères (3.4± 0.9). Le score le moins élevé était pour la consommation de substances psychoactives pour les deux parents.



DISCUSSION

Dans cette étude, une exploration du vécu des parents d’enfants atteints de MNM a été effectuée. Nos résultats ont montré un manque d’informations et un retard dans la pose du diagnostic, ce qui rejoint les résultats obtenus par d’autres études menées en Europe3 et aux Etats Unis9. Les parents ont mentionné que les soignants ne reconnaissent pas les conditions des enfants, ce qui est en accord avec l’état des parents ailleurs. Nos résultats ont montré que la présence d’une telle maladie invalidante, a un impact sur les émotions, les pensées, la vie familiale et sociale des parents et sur le besoin de connaissances. Ceci a été également constaté en Italie auprès des parents d’enfants atteints de DMD qui ont dévoilé un épuisement de l’énergie parentale10. Par ailleurs, une revue de la littérature a montré que les parents des enfants atteints d’une MNM, partout dans le monde, vivent l’isolation et la stigmatisation sociale11.

En plus, cette étude a révélé que ces familles anticipaient de multiples pertes, notamment la perte d’une perception positive de l’avenir imaginé avec leur enfant. Les parents en Italie se sentent très impuissants et manquent de contrôle en ce qui concerne l'avenir10. Au Taiwan, les parents vivent un dilemme où l'expérience de la croissance signifie un début de décès chez l’enfant12.

Le FSQ a montré l’urgence de référer un pourcentage élevé des parents pour une PEC psychologique. Malgré l’absence de ce suivi, les parents ont montré des capacités à trouver des stratégies d’adaptation principalement par le biais du coping religieux. Une revue de la littérature souligne que les parents d’enfants atteints de MNM se réfugient dans la religion pour se libérer et se consoler13. Selon eux, les pratiques spirituelles les aident à marquer la force pour faire face à l'inconnu.



CONCLUSION

Les résultats de cette étude ont permis à SESOBEL, institution travaillant avec les enfants ayant une MNM et LAND de mettre en place un plan d’action pour promouvoir une PEC médicale, rééducative et psychosociale adéquate. Ce plan constitue principalement à assurer une conscientisation auprès des professionnels de santé et des établissements scolaires. Des formations, des thérapies spécialisées, des activités de loisirs et un accompagnement psychosocial ont été également établis.

Résumé en Anglais


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