Fiche Documentaire n° 5644

Titre Comment travailler ensemble ? De l'incantation aux réalités vécues.
Quand le déni de droit d'un parent en protection de l'enfance provoque un traitement inégalitaire. Regards croisés d'une maman et d'un éducateur.

Contacter
l'auteur principal

Auteur(s) DELFORTRIE jérôme
TAKSY Aïcha
 
     
Thème Article co-écrit avec Mme Taksy, maman de 4 enfants dont un suivi par l'ASE depuis 8 ans.  
Type Analyse d'expérience : d'intervention, de formation, de recherche...  

Résumé | Bibliographie | Les auteurs... | Article complet | PDF (.fr) | Résumé en anglais | PDF .Autre langue | Tout afficher

Résumé

Comment travailler ensemble ? De l'incantation aux réalités vécues.
Quand le déni de droit d'un parent en protection de l'enfance provoque un traitement inégalitaire. Regards croisés d'une maman et d'un éducateur.

L’injonction de « travailler avec les familles » prend parfois des allures d’incantation, tant l’escalade rhétorique est déconnectée de la réalité des pratiques. Après 2 ans de réflexions via notamment une recherche-action, Aïcha Taksy, maman de 4 enfants dont l’aîné est accompagné depuis 8 ans par l’ASE et Jérôme Delfortrie, éducateur et formateur, se penchent sur les mécanismes, les logiques, les effets de quelques unes de ces pratiques, mettant en tension la pratique et le vécu, le concret et l’émotionnel, l’institutionnel et l’humain, l’organisé et l’informel.

S'il y a parfois un fossé gigantesque entre les (nobles) intentions des professionnels et ce que vivent vraiment les membres des familles à l'arrivée, le travail d'articulation des points de vue de cet article s'inscrit dans cette perspective : croiser celui d'un praticien-chercheur (ce qui se fait concrètement dans les pratiques) avec l'expérience de la maman depuis l'intérieur de ces pratiques (ce qui se vit réellement).

Bibliographie

Delfortrie, Jérôme, « De la Protection de l’Enfance à la protection de l’enfant. Questions de “poings” de vues de parents et de professionnels », in Sociographe, HS 10, La protection de l’enfance, pp. 31-60, 2017.
Hardy, Guy, S’il te plait ne m’aide pas ! L’aide sous injonction administrative ou judiciaire, Toulouse, Érès, 2001.
Jaeger, Marcel (dir.), Usagers ou citoyens ? De l’usage des catégories en action sociale et médico-sociale, Paris, Dunod, 2011.
Janvier, Roland, « La relation professionnels/usagers. La bonne distance ou la juste proximité ? », 2004. En ligne : www.rolandjanvier.org, (consulté le 30 octobre 2018).
Lemay, Louise (dir.), « Prendre contact avec les parents dans le contexte de la protection de l’enfance : quel pouvoir exercer ? Les professionnels révèlent leurs stratégies axées sur l’empowerment », in Sciences et actions sociales, n° 2, 2015. En ligne : http://sas-revue.org/index.php/21-n-2/dossiers-n2/42-prendre-contact-avec-les-parents-dans-le-contexte-de-la-protection-de-l-enfance-quel-pouvoir-exercer-les-professionnels-revelent-leurs-strategies-axees-sur-l-empowerment, (consulté le 30 octobre 2018).
Paugam, Serge, Changements et pensées du changement, Paris, La découverte, 2012.

Présentation des auteurs

Aïcha Taksy est militante. Elle est maman "concernée" par la protection de l'enfance. Elle a participé à la recherche action menée en 2017 par Jérôme Delfortrie sur le territoire de Nîmes, et l'intervention publique aux journées d'études de Nîmes. Ces interventions sont visibles sur le site www.famillesetressources.com
Depuis, elle co-intervient aux cotés de Jérôme Delfortrie dans des formations initiales et continues de travailleurs sociaux (IREIS Firminy, Hets Genève ITEP Maria Dubost...).
Elle monte actuellement une conférence gesticulée animée par le CLAPAS de Montpellier.

Jérôme Delfortrie est actuellement chef de service à l'internat expérimental des PEP69 à Lyon. Il est aussi formateur indépendant sur les questions de travail avec les familles et de participation. Il a une expérience d'une douzaine d'années au sein de la protection de l'enfance en tant qu'éducateur spécialisé puis chef de service. Educateur spécialisé de formation, il est titulaire d'un master en travail social à l'HES-SO (Suisse). Dans ce cadre, il a mené une recherche action collaborative en 2017 ayant débouché sur la rédaction d'un premier article dans le Sociographe (Hors série protection de l'enfance, 2017), puis la co-rédaction avec Mme Taksy d'un second article en 2019 dans le numéro 65 dédié au travail avec les familles.

Communication complète

Quand le déni de droit d'un parent en protection de l'enfance provoque un traitement inégalitaire. Regards croisés d'une maman et d'un éducateur.

   

« Venez, écoutez nous, mais nous ne vous entendrons pas »



Quand les professionnels arrivent à faire venir les parents réunions de décision ou de synthèse, ils voudraient qu’ils arrivent à la fin…sous prétexte disent-ils souvent de mettre à l'abri le parent de leurs discordes…mais de ce fait nous n’avons pas participé entièrement au débat. L’éducateur aura déjà présenté à l’autre professionnel la « situation » telle qu’il la voit lui. Je ne suis pas là que pour les tâches ingrates. Le parent est très souvent relégué à cela.



En tant que maman, quand j’arrive à la réunion, je sens où ils veulent m’amener et ainsi ils m’ont retiré ma liberté de débattre. Ils nous ouvrent des portes, et nous en ferment certaines. Les appréciations peuvent être…j’ai envie de dire fallacieuses ! Pour moi, il est aussi mentionné l’exercice la citoyenneté dans la Loi 2002-2, c’est l’antagonisme de ce qui se passe dans les faits. Concrètement, il m’est arrivé de ne pas être d’accord sur les orientations proposées par les professionnels et où j’ai dû prendre la parole de force. Je me suis adressée directement à certains professionnels leur demandant des comptes sur la manière dont ils avaient accompagné mon fils pour l’exclure lâchement; Malgré la véracité de mes propos, il a été mis fin à la réunion, esquivant ainsi toutes mes interrogations..



Du coup, notre avis ne compte pas. Il n’y a pas plus humiliant que ça. Venez, écoutez nous mais nous ne vous entendrons pas. A chaque fois, on a l’impression qu’on se fait voler notre enfant. C’est douloureux. Ils veulent qu’on fasse le dos rond alors que nous détenons l’autorité parentale. 



Mais aujourd’hui, je suis devenue une interlocutrice très attendue aux réunions (pédagogiques, éducatives, appelle cela comme tu veux !), parce que le temps et mon engagement ont démontré que je disais plus souvent des vérités que des « bêtises ». Je suis trop souvent infantilisée et j’ai  l’impression que les professionnels pensent que je vais dire (ou faire !) des bêtises ! 



En tant que chef de service, j’ai essayé d’enlever ces « réunions avant la réunion » vécues comme une « mafia du social » par certains parents. Ensuite, nous espérons que les parents « adhérent », alors qu'ils n'ont que peu de marge de manoeuvre réelle. Nous nous étonnons de réactions d’évitement ou de ruse alors que c’est en fait  de l’« adhésion stratégique » (Ardy, 2001), une forme de légitime défense. Du point de vue des membres des familles, la structuration même de la réunion met en scène de nombreux rapports de pouvoir (la supériorité numérique, le fait que ce sont les professionnels qui déterminent les participants, le lieu, l’horaire, le thème …). Les conférences familiales ou la clinique de concertation cherchent justement à inverser ce rapport de force en confiant aux membres des familles le choix des participants qui font sens pour eux.



Il y a parfois des mondes ...



Je rejoins le décalage qu'évoque Jérôme, je pense même qu’il y a parfois des mondes entre la vision du problème vu par les professionnels et celle vue par les membres des familles.



Je rejoins Aïcha, cependant, il y a des rapports de pouvoir à clarifier, je dirais à assumer, pour ne pas faire croire non plus aux membres des familles qu’ils peuvent décider de tout. 

Je comprends Jérôme, mais je trouve que dans certaines situations qui les mettent en difficultés, les éducateurs sont bien contents que les parents restent mobilisés. Or l’'utilisation des abréviations, de nombreux sigles du social met une distance entre nous ! Puis des fois les regards fusent au-dessus de nos têtes. Quand on leur dit des choses qu’ils n’ont pas envie d’entendre, les regards deviennent fuyants. 



Je suis convaincue que c’est plus les professionnels qui doivent s’adapter aux familles, car c’est leur métier. Les familles doivent bien comprendre qu’un éduc a une mission (Code de l'Action Sociale et des Familles et une ordonnance de jugement). Les familles ne le comprennent pas toutes. Mais j’ai un problème législatif du coup, car comme je l’ai dit dans les journées d’études, la considération pour les usagers selon moi c’est d’abord de respecter leurs droits citoyens.



La considération pour les familles, c’est d’abord respecter la Loi



Dans la Loi 2002-2, il est mentionné l’« autonomie des personnes ». Pour moi, favoriser l’autonomie, c’est donner la place aux parents. En premier lieu, les éducateurs doivent jouer la carte de la transparence en montrant et en expliquant aux parents que des écrits de différents travailleurs sociaux ont provoqué les différentes mesures qui s’imposent à eux. Même si cette loi permet en théorie « l’accès à toute information au document relatif à sa prise en charge, sauf dispositions législatives contraires », je suis obligée des fois de faire un écrit aux professionnels pour recouvrer mon droit. Ils n’ont pas l’habitude que les parents leur demandent des comptes et leur demandent de mettre en pratique les textes de loi. De par sa formation en éducation et en psychologie, j’ai le sentiment que l’éduc pense que sa place est prépondérante pour défendre l’enfant par rapport à celle du parent.



Je comprends le point de vue d'Aïcha, mais je dirais que le professionnel est mandaté par le juge et se sent à juste titre responsable dans l'exercice de ses missions de la sécurité de l’enfant. De son côté, le parent se soucie aussi de la sécurité de son enfant au travers de son attachement et de sa responsabilité parentale. 

En tant que maman, je pense que le parent se soucie de la sécurité et du bien-être de l’enfant dans les différents espaces de vie qu’il traverse, au-delà des limites institutionnelles (horaires, hors murs…). Nous sommes toujours prêts pour défendre nos petits, à l'inverse de l'éducateur qui prend ses fonctions 35h par semaine. Demander à des tout-petits de créer du lien avec plusieurs éducateurs (en foyer) c'est déconstruire le stéréotype de la famille. Les enfants subissent l'intermittence des professionnels rajoutant ainsi un peu plus de déséquilibre, à mon sens. Je me demande comment fait l'enfant qui crée du lien avec un éducateur, pour continuer à s'exprimer librement et en toute confiance dès lors que l'éducateur est absent. En se levant le matin il découvre un nouveau visage, après le repas ça tourne. Disparaître et réapparaître doit être anxiogène surtout chez les tout-petits.











Ne me parlez plus de limites institutionnelles…







Plus généralement, je pense qu'un enfant ne se développe pas qu’à partir d’une famille... Je trouve énorme d'imposer aux familles des mesures de placement pour ensuite revenir vers eux sollicitant de l'aide. Car il s'agit bien d'une demande d'aide selon moi. Lors d'une réunion de préparation des journées d'études, j'ai entendu une jeune fille exposer comment elle avait vécu la séparation familiale. Un peu plus cabossée, elle nous explique que c'était finalement la meilleure solution. Je reconnais bien là l'élan paternaliste de l'Aide Sociale à l'Enfance. Dans le cas de cette jeune fille, qui peut faire figure de cas d'école, la problématique ayant amené au placement était économique. Les parents tentent de sortir leur famille de ses difficultés et agissent par priorité. Puis un juge, un jour leur impose un placement d'un an suite aux observations des éducateurs.



Parce qu'agir là où il y a « problème » n'est pas une tâche gratifiante. Peut-être est-ce trop dur pour un éducateur de s'imposer face à ses collègues enseignants, médecins, assistants sociaux...face aux jeunes qui rackettent les gamins. Pourtant, le CASF tend à lutter contre l'exclusion et à en corriger les effets. Ce paragraphe paraît être le plus indigeste pour les professionnels. Mais l'allégeance faite aux professionnels est une profonde marque de violence à l'encontre des enfants et de leur famille. Nombre d'enfants sont victimes de souffrances imposées à l'extérieur de leur foyer familial. Un paquet d'entre eux s'abîme au sein des institutions. Différentes violences leurs sont infligées. Finalement, on tape sur les parents causant de plus grosses plaies chez l'enfant. Pénalisant la famille entière sous couvert de mandat du juge. Et on voudrait une fois de plus nous mettre sous les feux des projecteurs... Je dénonce cette omerta de certaines institutions.



Je pense que pour se donner bonne conscience, pour qu'un évènement heureux vienne remplacer un placement malheureux, l'éducateur a besoin que nous, parents, le rassurions sur sa capacité à s'humaniser. Et enfin, il me semble évident que le professionnel doit encaisser les remises en question de la même manière que les familles le font. Par exemple, j’ai le sentiment que parfois les histoires de vie des professionnels ont fortement impacté les orientations éducatives que j’ai pu vivre.



Ce qu’Aïcha évoque dans ses différents rapports avec les travailleurs sociaux est selon moi révélateur d’une évolution très disparate des pratiques autour du travail avec les familles,. Depuis la Loi 2002-2, les institutions se sont mises en conformité tant bien que mal avec les exigences légales, notamment de rédiger avec les parents et le jeune un Document Individuel de Prise en Charge. Cependant, quand les situations deviennent complexes et éventuellement émaillées d'actes de violence, que des institutions aux cultures de travail différentes interviennent, la participation centrale des membres des familles n'est plus la priorité. Dans les formations auxquelles je participe comme dans celles que j'anime, je rencontre de nombreux professionnels avec une profonde envie de (re)donner une vraie place aux membres des familles. Cependant, cette envie se heurte souvent à des limites institutionnelles, ces intentions n'arrivent pas à transformer l'organisation très formelle des accompagnements.  

Résumé en Anglais

Nowadays in France, we ask social workers to work « with » the families. But sometimes it’s look like prays without action. There’s no link between professionals talking and real social practices. After two years of thinking, by an action – research processus, Aicha Taksy, mother of a 15 years old children which has been followed for 8 years by protection childhood, and Jérôme Delfortrie, social worker, share what they have founded, around mechanism, logics, and effect of different social worker practices. Differents topics are in tension: practice and real life, concretes things et emotional dimensions, institutional approaches and human approaches, organized way and informal approach.